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Outils informatiques pour la prévision de l'impact des pollutions accidentelles en rivière

28 février 1994 Paru dans le N°170 à la page 60 ( mots)
Rédigé par : Jean-marie BRIGNON et Thomas VANDEVELDE

Prévoir très rapidement, être capable d'évaluer les conséquences d'une pollution accidentelle en amont d'une prise d'eau est d'importance majeure pour l'exploitant d'une ressource en eau de surface. Les données concernant les caractéristiques du déplacement de la nappe d'eau polluée et son évolution sont, en effet, essentielles pour mettre en place une stratégie de gestion de crise. Une gamme d'outils informatiques permettant de simuler, dans toute leur complexité, les processus de transfert de substances chimiques en rivière, de prévoir l'heure d'arrivée de nappes polluées, les concentrations attendues et la durée de la pollution, a ainsi été développée. Nous décrivons ci-après quelques-uns de ces outils informatiques ainsi que plusieurs cas d'application. Les logiciels développés sont conviviaux, permettent des saisies de données et des visualisations claires et rapides des conséquences d'une pollution. Ils sont ainsi adaptés à la prise de décisions en cas de crise.

Les exploitants d'unités de production d'eau potable utilisant des ressources de surface sont en permanence confrontés aux risques d'une dégradation subite de leurs ressources, à la suite d'une pollution accidentelle. Plus de 500 sites industriels potentiellement dangereux ont, par exemple, été répertoriés en amont de prises d'eau des usines de production d'eau potable de la Région Parisienne.

Malgré les efforts importants exercés dans le domaine de la prévention, les exploitants conscients de la menace toujours présente pesant sur leurs ressources, ont développé des stratégies de gestion de ces situations critiques. L'augmentation des taux de traitement, le ralentissement des filières, le recours à des ressources alternatives de secours ainsi que la mise en œuvre d'interconnexions entre réseaux sont quelques-unes des réponses possibles.

Afin de pouvoir mettre en place la solution optimale, il est primordial de bien connaître, et cela le plus tôt possible, le déroulement prévisible de la pollution. Des éléments d'information concernant l'heure d'arrivée de la nappe de pollution au droit de la prise d'eau, la durée de son passage et les niveaux de concentration attendus sont alors essentiels. Un modèle mathématique permettant de simuler le transfert de nappes polluées dans

les cours d'eau et répondant à ces trois questions a été établi il y a quelques années par la Compagnie Générale des Eaux en coopération avec l'Agence de l'Eau Seine-Normandie et le Syndicat des Eaux d'Île-de-France. Ce modèle est aujourd'hui complété par une série de logiciels adaptés à la plupart des cours d'eau. Nous en décrirons ci-dessous les principales fonctionnalités.

La propagation de substances chimiques dans un cours d'eau résulte de phénomènes physiques (transport et dispersion) et biologiques (dégradation, interactions avec le milieu récepteur). La complexité de ces processus rend nécessaire le recours à des outils informatiques de simulation de pollution. Ceux-ci ont pour fonction de prévoir quantitativement les modalités de la progression de la nappe dans le cours d'eau en fonction de données recueillies sur un rejet accidentel identifié ou de données résultant de mesures de concentration directes dans la nappe effectuées en amont de la prise d'eau menacée. Ils doivent être adaptés à la prise de décisions en cas de crise, donc être d'un maniement simple et intuitif, et permettre de visualiser clairement et rapidement les conséquences d'une pollution.

Le logiciel Disperso

Tous les logiciels fonctionnent sur des micro-ordinateurs de type PC sans configuration particulière. Leur maniement n'exige aucune connaissance en informatique ni en hydraulique. Une aide simplement accessible évite le recours à un manuel utilisateur. Plus généralement, ces logiciels sont d'un usage facile et rapide, ce qui peut se révéler d'une importance déterminante lors d'une utilisation en urgence sur le terrain.

Précurseur dans son domaine, le logiciel Disperso a été créé il y a dix ans, grâce à une collaboration entre le Syndicat des Eaux d'Île-de-France (regroupant 144 communes, soit plus de quatre millions d'habitants en Île-de-France), la Compagnie Générale des Eaux (son régisseur) et l'Agence de l'Eau Seine-Normandie. Les ressources en eau potable du S.E.D.I.F. lui sont fournies essentiellement par trois usines situées sur la Seine, la Marne et l'Oise.

Disperso est opérationnel sur ces trois usines.

La diffusion de Disperso en France a été importante ces dernières années : il a été adapté pour la protection de l'alimentation en eau potable des villes de Lyon et Toulouse, et sur le Rhin pour la protection de la nappe phréatique d'Alsace. Parallèlement à cette diffusion, l'effort de la Compagnie Générale des Eaux et d'Anjou-Recherche a porté sur une modernisation continue, afin de bénéficier des progrès constants de la micro-informatique, et d'utiliser des codes de calcul toujours plus performants.

Dans la version actuelle du logiciel, l'utilisateur travaille dans un environnement graphique composé de menus déroulants, de boîtes de dialogue et d'icônes interactifs. Le logiciel possède un menu principal dont les trois options sont les suivantes :

  • Hypothèses : création, modification et gestion d'une bibliothèque d'hypothèses de simulations de pollutions.
  • Calculs : réalisation des simulations à partir d'une hypothèse choisie dans la bibliothèque.
  • Résultats : visualisation selon diverses options des résultats d'une des simulations réalisées.

Hypothèses

La saisie des données est assistée. En particulier, les données géoréférencées (lieu de la pollution, zone simulée) sont saisies avec la souris directement sur un fond de carte présent à l'écran (figure 1). Des demandes de confirmations puis des contrôles de cohérence sont effectués sur les données saisies par le logiciel.

Calculs

Les nouvelles méthodes de calcul introduites récemment dans le modèle permettent d'atteindre des temps de simulation très réduits : la simulation de la progression d'une nappe polluante pendant 50 heures sur une longueur de rivière de 100 km dure 20 secondes sur un Compaq 486 à 33 MHz. Elles sont basées sur la résolution numérique de l'équation d'advection-dispersion, qui régit le devenir d'un champ de concentrations dans un écoulement à surface libre. Cette équation est résolue numériquement avec un schéma explicite.

[Photo : légende : Fig. 1 : Le point d'injection est repéré et sélectionné par une pression sur la souris.]
[Photo : légende : Fig. 2 : Un pollutogramme rassemble les informations essentielles sur la pollution.]
[Photo : Fig. 3 : La vue spatiale permet de connaître l’étendue de la pollution à un instant donné.]
[Photo : Fig. 4 : Spectrofluorimètre portable utilisé lors d’un traçage.]
[Photo : Fig. 5 : Schéma simplifié du Canal de Marseille.]

Exempt de diffusion numérique. Les données nécessaires à ces calculs sont lues dans une bibliothèque de données hydrauliques du cours d’eau, elle-même obtenue une fois pour toute par interprétation des traçages (voir ci-après) et par des simulations effectuées à l’aide d’une modélisation hydraulique du cours d’eau.

Résultats

Les résultats peuvent être présentés sous plusieurs formes :

  • – les « pollutogrammes » (figure 2) sont des courbes représentant l’évolution de la concentration en polluant au cours du temps, en un point du cours d’eau choisi par l’utilisateur ;
  • – une vue spatiale du champ de concentrations à un instant donné. Les différents niveaux de concentrations sont en correspondance avec une gamme de couleurs en dégradé allant du bleu (concentration nulle) au jaune vif (concentration maximale) en passant par plusieurs couleurs intermédiaires (figure 3).

Les traçages

Les traçages sont des simulations de pollution in situ dans les cours d’eau qui ont pour but de recueillir expérimentalement des renseignements sur les caractéristiques hydrauliques de la rivière, pour permettre le calage des modèles. Ils consistent à injecter un colorant (la rhodamine) dans le cours d’eau et à suivre analytiquement la nappe artificielle ainsi créée. Une campagne de traçages est une opération complexe qui débute par un travail administratif de demandes d’autorisations et d’information des communes riveraines et des industriels riverains.

La détermination des lieux d’injection du colorant doit s’appuyer sur une reconnaissance précise du parcours de la rivière et nécessite d’avoir préalablement localisé les sites potentiellement dangereux lors d’une étude de sécurité. Lors de chaque injection, le suivi du traceur se fait par prélèvements automatiques réguliers et fréquents d’un grand nombre d’échantillons d’eau, effectués en des points déterminés lors de la reconnaissance. L’analyse des échantillons est pratiquée sur le site même, à l’aide de spectrofluorimètres portables (figure 4).

À chacun son logiciel

La variété hydraulique des cours d’eau utilisés pour l’alimentation en eau potable nous a amené à constituer une panoplie de logiciels de prévision d’impact des pollutions accidentelles adaptés chacun à un type de cours d’eau.

Premier élément de la « boîte à outils », Disperso est particulièrement adapté au cas de cours d’eau larges, dont le lit est stable et la vitesse d’écoulement peu élevée ou moyenne.

Le cas de cours d’eau de dimensions modestes, non navigables et à la morphologie mal connue et variable, demande le recours à une autre…

méthode de simulation. Ces cas sont dévolus au logiciel Poliane. Poliane est utilisé pour la protection de l'usine de Carly, exploitée par la Compagnie Générale des Eaux pour le compte du S.I.V.O.M. de Boulogne-sur-Mer. Ce logiciel a les mêmes fonctionnalités que Disperso. Leurs structures et leur présentation sont analogues.

La méthode de calcul est par contre radicalement différente. Elle est du type « boîte noire » : le cours d'eau est découpé en biefs, et le transfert de polluant d'un bief à l'autre est décrit par une équation simple de type piston. Les paramètres de cette équation sont obtenus une fois pour toute à partir des données de traçage en utilisant des techniques d'estimation stochastique (modélisation ARIMA). Il est à noter que le logiciel Poliane, qui n'utilise aucune base de données hydraulique, constitue un outil adapté à des rivières à la bathymétrie inconnue ou variable.

Certains sites particuliers peuvent exiger une modélisation mixte, s'appuyant sur les deux approches précédemment décrites. Il s'agit par exemple du cas de la ville de Marseille. L'eau potable de Marseille et des principales villes des alentours (Aubagne, Cassis, La Ciotat) est produite par plusieurs usines alimentées par un même canal (figure 5). Ce canal dérive des eaux de la Durance et du Verdon. Sur son parcours (plus de 100 km), le canal est interrompu par deux grands réservoirs. À l'entrée du second réservoir, le canal peut être bypassé pour faire transiter la totalité d'une éventuelle nappe polluante par le réservoir, et ainsi la retarder et la diluer. Enfin, un grand nombre d'apports et de prélèvements sont effectués tout au long de ce parcours.

Pour bien rendre compte de cette configuration complexe où se succèdent parties canalisées et réservoirs, un modèle particulier, formé par la combinaison des deux méthodes de simulation précédemment décrites, a été développé en collaboration avec la Société des Eaux de Marseille. Les réservoirs y sont modélisés comme des « boîtes noires », alors que le canal l'est par une description physique.

De fonctionnalités et d'ergonomie identiques à celles de Disperso, le modèle permet de rendre compte correctement de la géométrie du canal (présence de plusieurs branches) et de la possibilité ou non d'utiliser le second réservoir pour gérer la pollution.

Le cas des hydrocarbures

Les logiciels décrits jusqu'à présent traitent du cas des produits solubles dans l'eau. Malheureusement, les statistiques des pollutions sur les trois principaux cours d'eau d'Île-de-France montrent que de très nombreux cas de pollution mettent en jeu des hydrocarbures.

Lorsqu'ils sont mis au contact de l'eau, les hydrocarbures sont simultanément présents sous trois phases : flottante, en émulsion et dissoute. Ces trois phases interagissent tout en possédant des modes de propagation dans l'eau très différents. La modélisation du transport de la phase dissoute (la seule qui menace une prise d'eau située en profondeur) exige donc la modélisation de l'ensemble des phénomènes régissant l'évolution de chacune des phases et leurs interactions.

Face à la complexité de la tâche, la Compagnie Générale des Eaux a mené, avec l'appui du Syndicat des Eaux d'Île-de-France, de la Sétude et du Laboratoire d'Hydraulique de France, des recherches pour mettre au point un outil de prévision d'impact des pollutions dues aux hydrocarbures. Le logiciel développé répond parfaitement aux objectifs fixés. Son utilisation en exploitation reste toutefois complexe, et son maniement exige des données et des connaissances qui en font pour l'instant un outil réservé aux spécialistes.

Conclusion

Aujourd'hui, plusieurs outils de prévision de l'impact des pollutions accidentelles solubles en rivière existent. Leur gamme couvre la plupart des configurations d'alimentation en eau de surface.

La mise en place opérationnelle de tels outils repose sur une étude préalable d'identification des risques de pollutions accidentelles, et sur des simulations de pollution à la rhodamine.

Les logiciels fournis aux exploitants sont conviviaux et ne nécessitent que peu de connaissances spécifiques. Ils sont capables de donner des réponses claires et rapides lors d'états d'alerte, et constituent donc un maillon important de la chaîne de prise de décisions en cas de crise.

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