Une oxygénation correcte des effluents se révèle essentielle pour le bon fonctionnement du traitement biologique aérobie. Dans les cas les plus difficiles, notamment les effluents industriels, le dopage à l'oxygène pur est une solution intéressante. Il s'applique à la plupart des bassins, même s'ils n?ont pas été initialement conçus pour ces équipements.
J. Cluzeau, V. Perrin et A. Poirier, Air Liquide - CEPIA
Les stations d'épuration pour le traitement des rejets liquides (STEP), tant en milieu urbain qu’industriel, mettent souvent en œuvre des traitements biologiques aérobies de type “boues activées”. Aujourd’hui, l’évolution des normes de rejet (traitement de la pollution azotée, ...), l'augmentation de production et la plus grande sensibilité au bon fonctionnement impliquent de recourir à des techniques complémentaires.
Le traitement biologique à boues activées est le procédé le plus couramment utilisé en France. Il utilise les bactéries qui représentent la biomasse afin de dégrader la pollution représentée par le substrat. Ces réactions sont aérobies, elles nécessitent donc de l’oxygène. L’épuration est une synergie entre la présence d’oxygène dans le bassin d'aération, et l'apport constant de pollution carbonée, “nourriture” des bactéries, via les effluents et à un brassage optimum (mise en
L’oxygène est le facteur primordial du bon fonctionnement du bassin ; il conditionne la croissance des bactéries qui vont dégrader la pollution. Une bonne aération optimise la dépollution. Cependant, l’oxygène n’est présent qu’en faible quantité dans l’air (environ 21 %), d’où l’intérêt d’injecter de l’oxygène pur afin d’améliorer les rendements de l’épuration. L’oxygène pur a pour intérêt d’améliorer la décantation des boues dans le clarificateur en détruisant certaines bactéries filamenteuses et en améliorant la qualité du floc. De plus, il permet de diminuer les odeurs, les mousses et de réduire la masse de boues.
Face à ces besoins croissants, l’oxygène pur apporte une solution simple dans sa mise en œuvre et séduisante sur les plans économique et technique. Les équipements de transfert, adaptés à chaque configuration, sont un facteur clé du succès de la solution. Afin d’optimiser au mieux les matériels, il est judicieux d’avoir recours à des techniques de modélisation pour tirer le meilleur parti des différents systèmes d’aération en fonction de la géométrie des bassins.
C’est pourquoi Air Liquide propose différents équipements de transfert, appelés Turboxal™ et Ventoxal™, et optimise la mise en place des matériels par la réalisation de modélisation en mécanique des fluides. Ce type d’étude a déjà été réalisé pour les industries agro-alimentaires et papetières ainsi qu’en milieu urbain.
Technologies de transfert gaz-liquide
À l’oxygène de l’air
L’oxygénation du bassin d’aération peut se faire de différentes manières : en surface à l’aide de turbines flottantes (rapide ou lente), injection d’air en fond de bassin grâce à des surpresseurs (via des diffuseurs) ou par moyen de systèmes à base de pompe (hydro-éjecteurs…).
Aérateurs de surface / turbines :
- – Vitesse lente
- – Vitesse rapide
- – Brosses
Pompes aératrices :
- – Pompe + éjecteur + prise d’air atmosphérique
- – Pompe + éjecteur + air surpressé
- – Turbines déprimogènes
Air surpressé :
- – Fines bulles
- – Moyennes bulles
À l’oxygène pur
Air Liquide, de par sa position de leader mondial des gaz industriels, se présente comme un acteur incontournable pour l’emploi d’oxygène pur sur les STEP. Pour cela, Air Liquide a développé deux appareils principaux pour transférer l’oxygène pur dans les bassins d’aération : un oxygénateur de surface appelé Turboxal™ et un diffuseur de fond appelé Ventoxal™.
L’emploi d’oxygène pur offre une solution alternative aux exploitants de STEP afin d’augmenter la charge de pollution à traiter sans avoir à réaliser des investissements lourds. Cette solution permet aussi de passer les surcharges périodiques, notamment en période estivale où l’on observe régulièrement des hausses de production (essentiellement en industrie agro-alimentaire).
Après différents essais dans des bassins pilote, de nombreuses réalisations sur sites industriels et la validation des performances des appareils selon le protocole Cemagref, l’ensemble des appareils de transfert est maintenant opérationnel.
Le Turboxal™
Conçu récemment pour répondre avec plus d’efficacité aux besoins d’injection d’oxygène pur :
- – d’une part dans des bassins d’aération de faible hauteur d’eau (inférieure à 5 m) ou des lagunes aérées,
- – d’autre part dans des bassins dans lesquels l’installation d’équipements submersibles de fond est impossible,
le Turboxal™ est un oxygénateur flottant composé de :
- – un groupe moto-réducteur,
- – un flotteur torique protégeant les parties mobiles de tout corps étranger,
- – un ensemble turbine auto-aspirante/hélice, en rotation autour d’un arbre creux vertical. L’oxygène pur, introduit dans l’arbre creux, est mis en contact avec les effluents par l’intermédiaire de la turbine. L’hélice inférieure reprend ce mélange et l’envoie vers le fond du bassin, assurant :• un rendement de transfert 1,5 fois supérieur à celui obtenu avec une technologie classique (venturi-éjecteur-tuyère),• un excellent brassage (débit hydraulique jusqu’à 14 000 m³/h).
Le caractère auto-aspirant du Turboxal™ lui permet en outre de fonctionner à l’air lorsque les besoins en oxygène sont faibles et ainsi de minimiser les consommations d’oxygène pur, donc les coûts opératoires.
Le Ventoxal™
L’oxygène est transféré dans le bassin d’aération par un équipement spécifique : le Ventoxal™, un oxygénateur disposé en fond de bassin composé de :
- – un émulsionneur de type venturi alimenté par une pompe,
- – un ensemble d’hydro-éjecteurs et de tuyères.
L’oxygène pur, introduit au col du venturi, génère une émulsion gaz-liquide homogène. Les fines bulles ainsi formées et la puissance du jet en sortie de tuyères garantissent une dissolution efficace et un brassage optimal par entraînement d’un débit secondaire important (cinq fois le débit primaire de la pompe). L’agitation en fond de bassin est permanente et indépendante de l’injection d’oxygène.
Le Ventoxal™ offre des capacités d’injection de 120 kg O₂/h selon le type d’équipement. Le rendement de transfert est élevé (jusqu’à plus de 90 %) mais fonction de la hauteur d’eau. Les apports spécifiques varient de 3 à 5,5 kg O₂/kWh.
Dans un bassin biologique, différentes technologies d'aération sont utilisées et demandent une réelle optimisation de l’emplacement de chacun pour réduire au minimum les coûts d’exploitations. Cette étude de synergie entre les différents appareils fait appel à la modélisation numérique.
Description de la modélisation en mécanique des fluides
Outils
Dans la phase liquide continue d’eau, il s’agit de déterminer les champs de vitesse et de pression ; à cet effet, on résout les équations suivantes :
- conservation de la masse,
- conservation de la quantité de mouvement,
- transport, production et destruction de la turbulence selon le modèle de turbulence k-ε.
La phase discrète (oxygène), couplée à la phase continue (eau), est modélisée par une approche Lagrangienne (méthode Euler-Lagrange).
Pour nos modélisations, nous utilisons le code de mécanique des fluides (CFD : Computational Fluid Dynamics) commercial Fluent 6.1, distribué par la société Fluent France. Fluent 6.1 est basé sur la méthode des volumes finis et possède un modèle diphasique Euler-Lagrange.
Notons que l’approche Euler-Lagrange est justifiée dans nos cas d’étude par rapport à une approche Euler-Euler considérant deux phases continues pour l’eau et le gaz, car la fraction de volume de la phase discrète gazeuse est bien inférieure à 10 % de la fraction de volume de la phase liquide continue.
Validation des modèles nécessaires à notre étude
Les modélisations des différents équipements présents dans le bassin de notre étude étant relativement complexes, elles ont nécessité une phase importante de validation. Toutefois, Air Liquide possède un retour d’expérience de plusieurs années sur d’autres modélisations de bassins et peut s’appuyer sur des experts en traitement des eaux pour valider les différents modèles (dont Ventoxal™ et Turboxal™).
La validation de ces deux équipements de dopage à l’oxygène fut complexe, car l’impact de la phase gazeuse sur l’écoulement est très prononcé. En particulier, un des paramètres de calage est la longueur du panache de bulles, mesurée expérimentalement et comparée aux résultats de modélisation intégrant une taille typique de bulle (mesurée et corrélée). L’interaction hydrodynamique de l’oxygène avec l’écoulement est prise en compte, au travers d’une action réciproque de l’eau sur les trajectoires de bulles.
La modélisation des Ventoxal™ a été calée sur une station d’épuration biologique instrumentée, permettant d’accéder, en tout point et à chaque instant, aux champs de vitesse et de concentration.
La figure 1 décrit les profils de vitesse obtenus sur ce bassin industriel de traitement des eaux, avec d’une part les mesures et d’autre part la modélisation réalisée avec Fluent : nous constatons que l’écart entre les résultats de mesure et de modélisation, et donc la précision de la modélisation en mécanique des fluides, est de l’ordre de quelques %.
Par ailleurs, des modélisations complètes de Ventoxal™ ont été réalisées, permettant d’améliorer depuis plus de dix ans la modélisation tridimensionnelle simplifiée de ces équipements de transfert gaz-liquide mise en œuvre par Air Liquide :
Le Turboxal™ a fait l’objet tout d’abord d’une modélisation CFD en 3 dimensions et en régime transitoire avec prise en compte du mouvement de l’hélice (maillage mobile). Grâce à ce modèle complet (figure 3), nous avons pu en déduire un modèle simplifié avec notamment les valeurs des composantes axiale (principale) et des composantes radiales et circonférentielles. Ce modèle a ensuite été validé à l’aide d’une modélisation en 2 dimensions (axisymétrique).
Dans le cas de l’étude présentée seule le modèle simplifié de la turbine de surface a été calé à partir de données techniques fournies par le constructeur (dimensions du panache d’eau recueillies sur un bassin industriel, …).
Exemple d’application de la modélisation en mécanique des fluides : optimisation des performances d’un bassin de traitement des eaux
L’objet de cette étude est de déterminer l’hydrodynamique d’un bassin industriel de traitement des eaux usées lors de son dopage à l’oxygène. Le champ de vitesses des ...
Il en résulte des débits injectés (effluents, boues recirculées), des équipements de transfert (Ventoxal™, Turboxal™, turbines) et des débits sortant par les déversoirs ; l’écoulement étant perturbé par la présence d’obstacles tels que les équipements de transfert. De plus, au cours du calcul, les vitesses sont calculées en chaque point du bassin en tenant compte des effets hydrodynamiques dus à l'injection d’oxygène par les 2 Ventoxal™ et par le Turboxal™.
L’objectif de cette simulation est de déterminer l’homogénéité de l’oxygénation du bassin au travers de l’analyse des zones en sous-vitesse, ces zones étant représentatives de risques de dépôts importants de boues (possibilité de développement des bactéries filamenteuses) et de valider l’interaction entre chaque aérateur.
La méthodologie pour effectuer une modélisation en mécanique des fluides CFD est la suivante :
- réalisation de la CAO du bassin ;
- réalisation du maillage (discrétisation du volume en un ensemble de mailles sur lesquelles les équations de mécanique des fluides sont résolues) ;
- mise en données du calcul avec les conditions aux limites.
Présentation du bassin de traitement des eaux modélisé
La figure 4 décrit l'installation avec les différentes conditions aux limites et la position des turbines de brassage et des équipements d'oxygénation.
Conditions aux limites et paramètres de modélisation
Les conditions aux limites du cas de base étudié sont les suivantes : tous les calculs (du tableau 2) sont réalisés en stationnaire.
Notons que la CAO (et donc le maillage) prennent en compte la géométrie des équipements basée sur leur modèle simplifié.
Le maillage réalisé pour le bassin est hybride et relativement complexe : aux endroits de fortes vitesses, c’est-à-dire au voisinage des points d’injection, des déversoirs et des équipements, le maillage est hexaédrique et orienté dans le sens de l’écoulement ; le reste du bassin est ensuite maillé à l'aide de mailles tétraédriques. Un tel maillage permet d’améliorer la précision des résultats et la rapidité de convergence du calcul (voir figure 5).
Visualisation et analyse des résultats de modélisation
Une des caractéristiques de la bonne efficacité d’un bassin de traitement des eaux est la minimisation des zones de sous-vitesses et des parcours hydrodynamiques privilégiés (courts-circuits).
L'observation des iso-vitesses sur la simulation (voir figure 6) permet d’obtenir une cartographie précise des vitesses dans le bassin et de placer plus efficacement les équipements.
Tableau 2 : Conditions aux limites
Ejection ou aspiration | Fluide | Débit pour la modélisation (m³/h) |
---|---|---|
Ejection eau Turboxal™ | Eau | XXX |
Ejection O₂ Turboxal™ | O₂ | 40 (Nm³/h) |
Ejection eau Ventoxal™ (x 2) | Eau | 300 × 2 |
Ejection O₂ Ventoxal™ (x 2) | O₂ | 20 (Nm³/h) × 2 |
Effluent E1 et E2 | Eau | 100 × 2 |
Recirculation R1 et R2 | Eau | 100 × 2 |
Déversoirs | Eau | 100 × 4 |
Aspiration Turbine (x 4) | Eau | XXX |
Aspiration eau Ventoxal™ (x 2) | Eau | 300 × 2 |
…ments (Ventoxal™, Turboxal™, turbines…). Les appareils ne sont pas positionnés symétriquement en sortie de bassin afin d’obtenir une zone de sous-vitesses et de garantir une bonne formation de flocs avant clarification, sans pour autant décanter. En effet, étant donné que la vitesse ascensionnelle sur le clarificateur du site est de 0,2 m/h, nous avons choisi une vitesse 15 fois supérieure pour garantir un non-dépôt en fond de bassin.
La zone de sous-vitesses entre les déversoirs et les turbines, clairement identifiée sur les iso-vitesses 0,1 m/s, est aussi observable sur des coupes de contours de vitesses (voir figure 7). Les contours de vitesses nous donnent aussi une information sur les interactions éventuelles entre les différents équipements et avec les parois, ce qui permet d’optimiser le positionnement des équipements de transfert.
La modélisation est indispensable pour valider l’absence de sous-vitesses bien que nous soyons à une agitation théorique double (61 W/m³).
Étude d’autres modes de fonctionnement des équipements
Après avoir modélisé cette première configuration, les perspectives d’amélioration de l’installation sont multiples. La modélisation permet d’étudier l'influence de différents paramètres, par exemple les variations de régime des équipements d'oxygénation pour mettre en évidence : le brassage du bassin, les vitesses ascensionnelles des panaches.
Dans les figures suivantes (figure 8 et 9 page suivante) nous pouvons observer l’influence du taux d’oxygène injecté par le Turboxal™ et par le Ventoxal™. Ainsi, toutes conditions égales par ailleurs, nous constatons que l'augmentation trop importante d'oxygène pur, au-delà de l'optimum, injecté dans les équipements de transfert n'est pas synonyme d'une bonne efficacité (figures 8 et 9). Le panache diphasique eau/oxygène remonte trop vite à la surface, caractérisant une mauvaise oxygénation du bassin et un surcoût financier. Cette maîtrise permet à nos experts de valider le nombre de matériels à utiliser pour un besoin en oxygène donné.
On observe qu’à faible débit, l'ensemble du
Avec des équipements de dopage à l’oxygène. Le dopage à l’oxygène requiert une étude préalable sur laquelle la modélisation peut avoir un rôle important à jouer, surtout dans le cas de bassins atypiques (design, grand volume…).
La modélisation en mécanique des fluides a montré son aptitude à décrire avec précision les écoulements diphasiques (eau, oxygène) dans le bassin biologique.
Les retours d’expérience après mise en fonctionnement sur le bassin ont montré la bonne fiabilité des simulations numériques : le bassin est homogénéisé par son centre (le Turboxal™) et permet une utilisation totale du volume utile du bassin d’aération.
Retour d’expérience après démarrage
Suite au démarrage de cette station avec l’emplacement des équipements conseillé par la modélisation, nous sommes à même d’apporter le retour d’expérience suivant.
« Le retour d’expérience a montré une bonne adéquation entre les mesures et la modélisation :
- Les emplacements de panaches sont exactement aux endroits déterminés par modélisation,
- Gain de temps dans la mise en place du matériel (positionnement exact).
« Les audits ultérieurs réalisés par Air Liquide ont confirmé ces résultats de modélisation, ainsi que les bonnes performances du bassin biologique de traitement des eaux usées :
- Nous avons observé une très bonne qualité de floc en sortie station,
- Nous avons, avec l’emplacement de ces équipements, amélioré la décantation d’un facteur 4.
Côté économique, la modélisation a permis :
- De limiter les coûts de maintenance : un gain de 25 000 € /an,
- D’optimiser les coûts d’exploitation sur le consommable : un gain de 4 000 € /an,
- De prévoir l’avenir avec des validations claires sur le choix et l’emplacement des matériels à ajouter ou à supprimer suivant l’évolution du besoin en oxygène.
Conclusion
Le dopage à l’oxygène pur a démontré son efficacité sur ce bassin de traitement biologique des eaux usées, et s’applique à de nombreux types de bassins qui n’ont pas été conçus spécifiquement pour fonctionner avec des équipements de dopage à l’oxygène.
La simulation numérique de bassin dopé à l’oxygène a atteint un seuil de maturité suffisante, de sorte qu’elle est proposée pour les nouveaux projets importants de dopage à l’oxygène pour un coût très faible par rapport à l’enjeu industriel associé.
Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier la société Fluent France pour leur autorisation de publication des cartographies des simulations réalisées par Air Liquide avec le code de calcul Fluent.