Le traiteur d’eau doit être en mesure de maîtriser en continu et de manière automatique les variations de qualité de ses ressources, le but étant d’optimiser les traitements appliqués pendant la phase de potabilisation de l’eau, mais aussi et surtout en fin de chaîne de traitement, pour assurer la qualité finale du produit délivré aux consommateurs et être en conformité avec les normes de potabilité de plus en plus sévères.
Dans l’optique de la suppression de la préchloration qui génère des composés indésirables difficiles à éliminer dans la suite du traitement (trihalométhane) un intérêt tout particulier est porté au procédé de postchloration. L'efficacité de ce traitement est directement liée à la qualité de l’eau à traiter et plus précisément à sa demande en chlore. Celle-ci est elle-même principalement fonction de la présence dans l'eau d’ammoniaque, de nitrites, de matières organiques et de particules potentiellement variables en quantité et en qualité.
Actuellement, en désinfection finale, la régulation est de type aval : le dosage de chlore est asservi au débit à traiter pour obtenir un taux de traitement constant à l’entrée du réservoir. Ceci s’avère fiable lorsque la demande en chlore de l’eau à traiter est relativement stable ou présente des variations lentes dans le temps, mais pas dans le cas où elle varie rapidement dans de fortes proportions. On constate alors que le résiduel de chlore libre n’est pas conforme au point de consigne et on effectue une correction a posteriori. Cette perte de temps entraîne un battement de la régulation, ce qui perturbe la qualité de l'eau distribuée.
Il est donc apparu très important de réaliser un asservissement fiable du traitement de post-chloration mettant en œuvre une régulation de type amont.
Principe de fonctionnement de l’asservissement amont de la postchloration
Pour résoudre ce problème, un appareil original baptisé DCL (1) a été conçu et réalisé en collaboration avec la société SERES ; son principe de fonctionnement est représenté sur la figure 1. Ce procédé repose sur la détermination automatique de la demande en chlore de l'eau à l’entrée du réservoir par des ajouts dosés d’une solution de chlore de titre connu. Par rapport à la détermination de la demande en chlore la plus répandue (J. Rodier, « L’analyse de l’eau » 1984) qui est faite en bouteille à 20 °C avec un temps de contact de deux heures, un asservissement correct nécessite la réduction du temps de réaction. À cet effet, le mélange chlore-eau est chauffé à 45 °C pour obtenir un résultat identique en seulement cinq minutes. La mesure du chlore libre résiduel dans l'eau est faite automatiquement, après refroidissement de l’échantillon, par une mesure colorimétrique à la DPD, selon la norme Afnor T 90.038. 1987.
À partir de la relation chlore introduit - chlore libre résiduel, le calculateur intégré au DCL détermine la dose de chlore à appliquer à l’entrée du réservoir.
(1) Brevet Lyonnaise des Eaux.
[Photo : Schéma de principe de l’asservissement amont de la postchloration.]
[Photo : Comparaison des demandes en chlore DCL et en bouteille sur l’eau de type 3.]
[Photo : Asservissement de la postchloration par le DCL sur un réservoir de 1 m³. Consigne de chlore résiduel à la sortie du réservoir : 200 µg/l.]
[Photo : Asservissement de la postchloration par le DCL sur un réservoir de 1 m³. Taux de traitement calculé par le DCL pour une consigne de chlore résiduel de 200 µg/l.]
[Photo : Variations du chlore libre résiduel à la sortie du réservoir de l’usine sans asservissement de la postchloration par le DCL.]
[Photo : Variations du chlore libre résiduel à la sortie du réservoir de l’usine avec asservissement de la postchloration par le DCL. Point de consigne : 100 µg/l.]
Un signal de sortie 4-20 mA permet d’asservir l’organe délivrant le chlore à la dose à appliquer à l’entrée de la bâche.
D’autre part, le colorimètre du DCL est alimenté en continu par l’eau de sortie du réservoir et des mesures de chlore résiduel sont faites en alternance avec les points de demande en chlore.
Domaine d’application du procédé
Des essais sont effectués avec différents types d’eau pour définir le domaine d’application du procédé vis-à-vis de son aptitude à simuler de manière accélérée la demande en chlore d’une eau par rapport aux essais en bouteille. Les résultats reportés dans le tableau montrent que, pour des eaux brutes de surface, de type 1 et 2 caractérisées par une forte teneur en matières organiques et un rapport UV/COT élevé, la demande en chlore simulée par le DCL est sous-estimée par rapport à la méthode en bouteille. Par contre, pour des eaux ayant subi un traitement plus ou moins poussé et qui se caractérisent par un rapport UV/COT inférieur à 1,5, la simulation faite par le DCL est parfaite, ce qui confirme l’utilisation potentielle.
Tableau I : Domaine d’application du procédé.
COT (mg/l) |
2,2 |
UV (254 nm/m) |
4,10 |
UV/COT |
1,86 |
NH4+ (mg/l) |
0,5 |
TH (°F) |
30,7 |
TAC (°F) |
21,8 |
pH |
7,5 |
Conductivité (µS/cm) |
595 |
Corrélation entre demande chlore DCL et bouteille |
non |
Types d’eaux |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
|
2,2 |
1,8 |
1,4 |
1,2 |
0,9 |
|
4,10 |
4,19 |
1,4 |
0,79 |
1,23 |
|
1,86 |
2,33 |
1,27 |
0,66 |
1,37 |
|
0,5 |
0 |
0 |
0 |
0,2 |
|
30,7 |
9,1 |
23 |
26,6 |
30,2 |
|
21,8 |
8,1 |
17,4 |
19,3 |
21,7 |
|
7,5 |
8,3 |
8,2 |
7,5 |
7,5 |
|
595 |
250 |
465 |
510 |
585 |
|
non |
oui |
oui |
oui |
oui |
De l’appareil en asservissement de la postchloration.
La figure 2 présente les résultats obtenus sur une eau brute de surface ultrafiltrée avec ajout de charbon actif en poudre dans la boucle de recirculation (eau de type 3). On note une parfaite adéquation entre les droites de demande en chlore, une très bonne reproductibilité des demandes en chlore faites par le DCL ainsi qu’une très bonne corrélation entre les mesures de chlore résiduel faites manuellement par la méthode FAS/DPD comparée aux résultats obtenus avec le colorimètre du DCL.
Essais réalisés à l’échelle du pilote
Le procédé décrit au paragraphe « Principe de fonctionnement de l’asservissement amont de la postchloration » est testé sur un réservoir de 1 m³ pour un temps de séjour hydraulique de 2 heures selon le schéma de principe de la figure 1. Ce réservoir est alimenté par de l’eau du réseau dont on peut faire varier la demande en chlore en y injectant de l’ammoniaque avec une pompe doseuse. Le signal 4-20 mA issu du DCL permet d’asservir le débit de la pompe doseuse qui injecte le chlore à l’entrée du réservoir.
Ces essais sur pilote nous ont permis d’optimiser le mode de fonctionnement du procédé en réduisant le temps de réponse à une brusque variation de la demande en chlore. Pour ce faire, la demande en chlore de l’eau qui alimente le réservoir est réactualisée toutes les 15 minutes en fonction de la qualité de l’eau à traiter. De plus, une régulation de type Proportionnelle Intégrale Dérivée (PID) vient affiner le taux de chlore à injecter à l’entrée du réservoir. La valeur calculée par le DCL à partir de la demande en chlore de l’eau est corrigée en tenant compte de l’écart qui existe entre le résiduel de chlore libre effectivement mesuré et le point de consigne.
Dans ces conditions de fonctionnement, les résultats obtenus pour des dopages successifs en ammoniaque de 0-0,1-0,2 et 0,3 mg/l sont présentés sur la figure 3. On notera que les variations de concentration en ammoniaque appliquées ici par échelon simulent des cas de pollution. Les résultats montrent que le résiduel de chlore libre, en sortie du réservoir, se maintient à la valeur de consigne fixée à 200 µg/l ± 10 %, sauf perturbations momentanées correspondant à chaque nouvel échelon d’ammoniaque appliqué. Dans ce cas, le résiduel de chlore passe par une valeur minimum de 90 µg/l puis par une valeur maximum de 240 µg/l avant de se stabiliser à 10 % de la consigne après 0,75 – 2 et 3,75 heures lorsqu’on passe respectivement de 0 à 0,1 – 0,1 à 0,2 et 0,2 à 0,3 mg/l en ammoniaque.
Pour ce dernier échelon en ammoniaque appliquée (0,2 à 0,3 mg/l), il est intéressant de signaler que le temps nécessaire pour revenir à 10 % de la consigne (soit environ deux fois le temps de contact dans la bâche) est le même si l’échelon de pollution passe directement de 0 à 0,3 mg/l. La figure 4 présente les taux de traitement en chlore appliqués à l’entrée du réservoir, tels qu’ils ont été calculés par le DCL avec correction par la régulation PID, pour chaque concentration en ammoniaque.
Validation industrielle du procédé
Comme suite aux essais concluants effectués à l’échelle du pilote, la validation industrielle du procédé est faite dans une usine de la Lyonnaise des Eaux située dans la banlieue Ouest de Paris. La chaîne de traitement y est alimentée par une eau de forage qui subit une nitrification biologique, une ozonation, une filtration sur charbon actif en grain et finalement une postchloration avant stockage et distribution. Au cours de cette étude, les principaux paramètres de qualité d’eau avant postchloration ont varié dans les fourchettes suivantes : COT : 0,8 à 1,2 mg/l, absorbance UV à 254 nm·m-¹ : 0,79 à 1,33, UV/COT : 0,66 à 1,56. De plus, des fuites ponctuelles en ammoniaque ont été mesurées dans l’eau filtrée sur charbon actif en grains pendant les essais. Ces variations de qualité d’eau expliquent les variations du chlore libre résiduel à la sortie du réservoir sans asservissement de la postchloration par le DCL ; en effet, dans ce cas, le taux de chlore appliqué à l’entrée du réservoir est fixé alors que la demande en chlore de l’eau n’est pas constante. Les résultats reportés sur la figure 5 montrent que dans ces conditions, le résiduel de chlore varie de 0 à 140 µg/l.
Avec asservissement de la postchloration par le DCL, la demande en chlore de l’eau à l’entrée du réservoir est réactualisée toutes les 15 minutes. Le signal représentatif du taux de chlore (g/m³) à appliquer à l’entrée du réservoir en fonction de la consigne de chlore libre résiduel fixé à la sortie est repris par l’automate industriel de l’usine. Celui-ci reçoit d’autre part, en continu, le débit traité Q (m³/h). C’est le signal représentatif du produit Q × taux (g/h) qui sert à l’asservissement de la vanne modulante du chloromètre. Dans ces conditions, les résultats obtenus, présentés figure 6 pour une consigne de chlore libre résiduel en sortie de réservoir fixée à 100 µg/l montrent que dans un premier temps, ce résiduel varie entre 50 et 150 µg/l pour se stabiliser à la valeur de consigne ± 20 % après environ 10 heures. Ce phénomène, appelé pompage, est caractéristique de la régulation par PID. Une optimisation de l’action dérivée de la PID devrait permettre de réduire le temps de mise à l’équilibre du système. Ensuite, l’écart entre la valeur de consigne et la valeur du résiduel de chlore à la sortie du réservoir, mesuré par le DCL, tend vers zéro.
Conclusion
Cette étude a permis de montrer la faisabilité d’un asservissement amont de la postchloration, de définir le domaine d’application du procédé et d’en optimiser les paramètres de fonctionnement. Finalement, on obtient une plus grande fiabilité du traitement de postchloration, ce qui permet de distribuer une eau de qualité constante en évitant les problèmes de reviviscence bactérienne, ou de goûts, liés respectivement à un sous-dosage ou à un surdosage en chlore. En 1995, plusieurs chaînes de traitement de la Lyonnaise des Eaux seront équipées d’un DCL, ce qui nous permettra de valider l’ensemble du procédé ainsi appliqué à différentes qualités d’eau et dans différentes conditions hydrauliques.