Le traitement des eaux doit faire face à un problème majeur : l'avenir de ses boues. Les filières d'élimination et de valorisation répondent à des normes de plus en plus sévères, alors même que le volume de boue à traiter ne cesse de croître. Pour répondre à ce problème, une technologie avancée issue de l'industrie a été développée par Faure Equipement, fabriquant de filtres-presses adaptés aux stations d'épuration urbaines. Il s'agit de la déshydratation par filtre-presse à membranes, sur un nouveau modèle de filtration qui a justifié un aménagement de la loi de Darcy et une méthodologie de la modélisation des phases de filtration et de compactage qui sont l'objet de cet article.
Jean-Pierre Deltreil,Faure Equipements
Matthieu Georgel,ENSIL, filière Eau & Environnement
Mathieu Peltier,ENSIL, filière Eau & Environnement
Ce type de filtre-presse est équipé de plateaux à membranes. Les faces externes de ces plateaux sont revêtues d’une membrane en matière plastique ou en caoutchouc (les membranes peuvent être démontables ou non). Très souvent les plateaux à membranes sont alternés à des plateaux chambrés.
Présentation des filtres presses à plateaux membranes
Après une filtration traditionnelle dans le filtre-presse (généralement à basse pression : 7 à 10 bars), les membranes sont gonflées avec de l’eau sous pression (15 bars). Les gâteaux se voient donc appliquer sur toute leur surface, par l'intermédiaire des membranes, une pression qui les compacte. Le volume du gâteau diminue et un volume complémentaire de filtrat est extrait.
La pompe d’alimentation d'un filtre-presse à membranes est très souvent du type rotor excentré muni d’un système de régulation du débit en fonction de la montée en pression.
Pression maximale en fin de filtration 7 à 10
[Figure : principe de fonctionnement d'un filtre-presse à membrane]Bars. Le débit encore important lors de l'arrêt de la phase de filtration permet d'utiliser une seule pompe.
Pour la phase de compactage, une pompe est utilisée pour envoyer l'eau sous pression dans les plateaux à membranes afin de procéder au compactage. Selon les cas la pompe peut être centrifuge ou volumétrique à régulation débit/pression. À la fin de chaque compactage, le volume d’eau situé derrière les membranes est aspiré et retourné dans une cuve de stockage. L’eau de compactage est utilisée en circuit fermé. L’intérêt premier de ce type de filtre-presse est l’augmentation importante de la productivité (diminution du temps de cycle). On constate également une meilleure siccité (+10 % à +15 %) et un meilleur décollage des gâteaux.
Contexte de développement de cette technologie
Les filtres presses à plateaux membranes sont déjà utilisés au Japon et aux États-Unis dans d’importantes unités de déshydratation des boues. En Allemagne les plateaux en fonte sont remplacés par des plateaux à membranes dans le but d’augmenter la capacité de traitement des filtres presses.
Faure Équipements installe actuellement deux filtres presses à plateaux membranes (1500 x 1500, de type Titan 220) au sein de la station d’épuration de Bruxelles Sud (350 000 EH). D’autres projets semblables sont en cours.
Modélisation de la phase de filtration et de compactage
Les études engagées en collaboration avec l’ENSIL (École Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Limoges) visent à modéliser les deux phases de fonctionnement du filtre-presse à membranes, i.e. filtration et compactage. Le but à terme est de mieux appréhender le comportement du filtre pour pouvoir optimiser la filtration.
Méthodologie
Le but de l'étude est de déterminer des modèles décrivant les phases de filtration et de compactage. Pour tester et valider ces modèles, une importante campagne d’essais a été menée, d’abord tout au long de l’année 97-98, puis surtout pendant l’été 98.
Les essais ont été effectués sur pilote (filtre-presse Titan 212 muni de plateaux 50 x 50 cm) sur des boues de nature diverse. Des prélèvements ont en effet été réalisés sur les stations d’épuration de Bosmie-l’Aiguille, Limoges (Haute-Vienne) et Guéret (Creuse). Ces boues (biologiques) ont été conditionnées aux polymères (gamme Zetag, de Allied Colloids) ou avec des réactifs minéraux traditionnels (chlorure ferrique et chaux).
Lors des essais, les mesures ont porté essentiellement sur l’évaluation des volumes de filtration obtenus lors des phases de filtration et de compactage.
Pour obtenir une précision maximale, une sonde à ultrasons a été utilisée pendant la phase d’alimentation (mesure de niveau dans une cuve à section constante).
Pour la phase de compactage, la mesure a été réalisée grâce à une éprouvette, les volumes mis en jeu étant beaucoup plus faibles.
Il est important de souligner que les essais
Les essais ont été effectués à pression constante, la montée en pression lors de la filtration étant quasiment instantanée sur le pilote. De plus, une seule chambre de filtration a été utilisée.
Filtration
Loi de Darcy
La loi de base de la filtration est la loi de Darcy. Si l’on considère une filtration unidirectionnelle suivant un axe z, le modèle de Darcy, que l’on applique à une couche élémentaire de gâteau d’épaisseur dz, donne la vitesse d’une particule de fluide :
Uz = - (B/η) · dP/dz
Avec :
B : perméabilité de la couche de gâteau d’épaisseur dz ;
η : viscosité dynamique du filtrat, constante à une température donnée ;
ΔP : perte de charge du filtrat.
Dans l’hypothèse d’une filtration unidirectionnelle et homogène, le volume de filtrat obtenu est donné, après intégration sur toute l’épaisseur du gâteau, par l’expression suivante :
Vf(tα) = Ω [ (Rz/αC)² + (2ΔP/ηαC) tα – Rz/αC ]
Avec :
Ω : surface totale de filtration ;
Rz : résistance spécifique du support par unité de surface ;
α : résistance spécifique du gâteau ;
C : concentration de la boue en matières sèches ;
ΔP : pertes de charge totales.
On voit que cette expression peut finalement se mettre sous la forme :
Vf(tα) = √(b² + a tα) – b
où Vf est le volume de filtrat obtenu après un temps d’alimentation tα du filtre, et a et b deux paramètres à déterminer en fonction de la boue, du filtre-presse et des conditions d’alimentation (pression d’alimentation, température, etc.).
Insuffisance du modèle intégré de Darcy
L’étude expérimentale a montré cependant que ce modèle ne s’applique pas de façon satisfaisante au filtre-presse. La figure 1 montre un exemple de courbe de filtration obtenue sur le pilote. Ce résultat s’explique par le fait que, pendant la filtration, la boue déshydratée se répartit d’abord à la périphérie de la chambre avant de la remplir. La figure 2 illustre ce phénomène. L’hypothèse d’une filtration uniforme et homogène n’est ainsi pas justifiée.
Nouveau modèle de filtration
Pour résoudre ce problème, une correction sur la loi de Darcy a été apportée. Il a en effet été considéré que la surface de filtration « efficace » diminue avec le temps, à cause de l’accumulation progressive de la boue déshydratée à la périphérie de la chambre de filtration.
On aboutit alors au modèle suivant :
Vf(tα) = - (√(b'² + a' tα) – b') / [1 + u' (√(b'² + a' tα) – b')]
où a', b' et u' sont des nouveaux paramètres à déterminer comme précédemment, en fonction de la nature de la boue, du filtre-presse et des conditions d’alimentation.
Ce nouveau modèle a bien sûr l’inconvénient d’introduire un paramètre de plus à déterminer. Le calcul de ces paramètres (à renouveler pour chaque condition expérimentale) nécessite de plus un logiciel de calcul numérique, puisque le modèle n’est plus linéaire.
Néanmoins, la campagne d’essais a permis de valider ce nouveau modèle, dont les performances se sont révélées satisfaisantes (cf. figure 3).
Phase de compactage
Les modèles retenus
Une étude bibliographique a montré que plusieurs modèles de compression (théoriques
et empiriques) existent dans la littérature. Plusieurs modèles ont ainsi été retenus. Ces modèles permettent tous de calculer le facteur de compression du gâteau, après un temps de compactage :
\[ U_f(t) = \frac{e(0) - e(t)}{e(0) - e(x)} \]
où \( e(t) \) est l'épaisseur fictive du gâteau à l'instant \( t \) du compactage définie par :
\[ e(t) = \frac{V_{gâteau}(t) - V_f(t)}{\Omega} = e(0) - \frac{V_f(t)}{\Omega} \]
où \( V_f(t) \) est le volume de filtrat écoulé après un temps \( t \) de compactage. On peut alors en déduire le volume de filtrat écoulé \( V_f(t) \) :
\[ V_f(t) = \Omega U_f(t)(e(0) - e(x)) \]
Le modèle théorique viscoélastique rend très bien compte du phénomène de compression dans son ensemble et donne \( U_f(t) \) sous la forme :
\[ U_f(t) = B(t) - e^{Kt^{-b}}\left[1 - \frac{\sum (t + \tau)^{-b}}{\sum t^{-b}} \right] \]
où \( B, \eta \) et \( K \) sont des paramètres à déterminer en fonction de la boue et du filtre-presse. Néanmoins, ce modèle est lourd à utiliser et d'autres expressions empiriques ont été testées :
\[ U_f(t) = \frac{K - \frac{KV}{U}}{\left(1 + (K't)^{\gamma}\right)^{\frac{1}{2\gamma}}} \] (modèle 1) [5]
\[ U_f(t) = \frac{K}{1 + (K't)^{\gamma}} \] (modèle 2) [4]
Avec \( K, K', \gamma \) et \( \gamma' \) paramètres à déterminer.
Résultats expérimentaux
Les essais réalisés sur pilote ont permis de valider deux modèles décrivant particulièrement bien le compactage (cf. figure 3) : le modèle théorique viscoélastique et le modèle empirique 2. Devant la complexité du modèle viscoélastique, c’est le modèle empirique qui a été retenu in fine.
L'étude nous a permis de déterminer deux modèles décrivant de façon satisfaisante les phases de filtration et de compactage du filtre-presse à membranes. Ces modèles permettent, comme on le verra par la suite, d’obtenir une méthode d’optimisation pratique du fonctionnement du filtre. Cependant, ces travaux sont loin d’être achevés. Il reste à tester les modèles développés sur d’autres types de boues et d’autres installations de filtration, en particulier en site sur des installations de taille industrielle. Le phénomène de montée en pression du filtre (relativement lente en site) lors de l'alimentation devra également être intégré. Enfin il faudra aussi tenir compte de l’inertie du filtre due à la présence d’un nombre de plateaux plus important.
Optimisation du fonctionnement
Le contrôle des lois ainsi explicitées amène à l’optimisation du filtre-presse, donc à une réduction de la taille des installations et en conséquence des coûts.
D’autre part, une meilleure maîtrise de la déshydratation implique l’assurance de conserver une bonne qualité du produit, quelle que soit la variation des conditions de déshydratation.
Étude de l’optimisation
La siccité \( S_c \) d'une boue après déshydratation est définie par la masse de matière sèche contenue par unité de masse de gâteau, soit \( S_c = \frac{M_s}{M_t} \). La valeur de siccité représente l’objectif assigné au filtre-presse et dépend directement du choix de la filière d’élimination des boues. L'étude d’optimisation se fera donc à partir d’une siccité fixée au préalable.
Afin de mesurer la productivité de l’installation, on calcule un ratio de déshydratation \( \frac{M_s}{M_t} \) qui correspond à la quantité de matière sèche contenue dans un gâteau par unité de masse totale.
unité de temps de cycle, à siccité fixée. Cette valeur représente le flux de matière sèche pouvant être traité. Le but de l'étude est donc de rendre ce ratio maximum.
La référence au temps d’alimentation, c’est à-dire à la durée de la phase de filtration, permet une comparaison des performances respectives des différents types de filtres-presses. Le temps d’alimentation d'un filtre-presse à plateaux chambrés correspond à une valeur unique consécutive à la siccité fixée.
Pour un filtre-presse à membranes, la connaissance de la siccité donne une relation entre le temps d’alimentation et la durée de compactage. Cela ramène le problème à la simple étude de la productivité en fonction du temps d’alimentation. La courbe de productivité (cf. figure 5) est alors tracée grâce aux modèles théoriques précédemment cités. Le temps de cycle doit également intégrer la durée d’indisponibilité du filtre-presse lors du dé-bâtissage.
On en déduit la valeur optimale des temps d’alimentation et de compactage. Le tableau 1 montre les gains obtenus lors d’un essai sur le filtre pilote.
De plus, on peut comparer la productivité maximale d'un filtre-presse à membranes à celle d'un filtre-presse classique.
Les gains de temps obtenus permettent une augmentation de la quantité de boues traitées, mais également une réduction de la durée d'un cycle, entraînant une plus grande souplesse d'exploitation. Le calcul de la courbe de productivité permet en outre de prédire ses évolutions après un changement des conditions d’exploitation telles que la concentration de la boue ou la température. Il est alors possible de modifier les paramètres ou les temps de chaque phase pour garder une productivité élevée tout en respectant la consigne de siccité.
Le tracé de ces courbes peut également faciliter le choix de la pression à utiliser : en calculant quantitativement le gain de production lors d'une augmentation de pression, on est à même de le comparer au surcoût du système de pompage ainsi que de sa consommation électrique.
La figure 6 présente des courbes de productivité pour trois valeurs de pression, à partir d'un seul essai réel, représenté en rouge.
Mise en œuvre in situ
La mise en œuvre doit débuter par l’enregistrement des caractéristiques d’un cycle (débit, pression, température, caractéristiques des gâteaux, etc.). Pour cela, on définit un protocole de mesures qui permet le calcul des paramètres du modèle choisi.
On trace alors les courbes évoquées précédemment, puis on modifie les temps de chaque phase en conséquence. Une régulation automatique est avantageusement mise en place lorsque l'on dispose d'une mesure de débit et de concentration en continu.
La détermination des coefficients des modèles de filtration et de compactage sont de précieux indicateurs : toute dérive de leur valeur indique un dysfonctionnement de la chaîne de traitement, ou un changement de la composition de l’effluent qui serait autrement passé inaperçu. L’ensemble du process est alors contrôlé, ce qui assure une parfaite régularité de la déshydratation.
Conclusion
L’ensemble des travaux réalisés a permis de déterminer une modélisation des phases de filtration et de compactage. Cette approche a abouti à une méthode d’optimisation pratique du filtre-presse.
L’étude montre en effet que de nombreux avantages peuvent être tirés d’une procédure de suivi particulièrement simple. Les conditions réelles d'utilisation d’un filtre-
[Figure : influence de la pression sur la productivité]Tableau 1 : Résultats sur filtre-presse à membranes et valeurs optimales théoriques (productivité comparée)
48 | 16,57 | 1,95 | 742 | 47 | 95 | 7,8 | 12 bar | Optimum |
51 | 15,28 | 2,15 | 699 | 52 | 103 | 6,8 | 9 bar | Optimum |
54 | 14,22 | 2,31 | 693 | 57 | 111 | 6,0 | 7 bar | Optimum |
91 | 18,61 | 1,64 | 812 | 39 | 130 | 6,2 | 9 bar | Essai réel |
presse, comme la montée progressive en pression, l'inertie due au nombre important de plateaux, etc., sont actuellement en cours d'étude. Leur intégration à la démarche exposée permettra une application sur des stations témoins dès le début de l'année 1999.
Très prochainement la société pourra recevoir, via Internet, une série d'informations paramétriques provenant directement des dernières installations faites selon ce procédé. Il sera donc possible, en plus de la maintenance à distance, de proposer aux exploitants de contrôler avec eux les différents paramètres de filtration. Il