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Offre d'emploi : de la profession nouvelle d'écologue

29 avril 1994 Paru dans le N°172 à la page 33 ( mots)

C'est le secteur privé, et en particulier des activités " déchets ", qui motivent le plus d'emplois dans la nouvelle profession " écologue ". Les grandes entreprises puisent en priorité dans leurs propres rangs et préfèrent choisir l'ingénieur généraliste polyfonctionnel tandis que les collectivités locales et les bureaux d'ingénierie recherchent le professionnel spécialisé. L'effectif total passera de 413 000 emplois actuels dans l'environnement, à 670 000 (hypothèse basse), ou 1 100 000 emplois (hypothèse haute) d'ici cinq ans.

L’emploi vert, au pays de J.-J. R...

Un intérêt de plus en plus vif pour la cause de l'environnement est manifesté par la population (qui n’est pas un tantinet écologue au beau pays de J.-J. Rousseau ?). Cet intérêt se traduit par un accroissement incessant des dépenses nationales dans les rubriques assainissement, dépollution, technologies propres, hygiène et nettoyage industriel, fabrication de produits verts, collecte et traitement des déchets, sécurité du personnel et des installations industrielles, aménagement du cadre de vie etc. (les dépenses annuelles de la Communauté Européenne en matière d’environnement augmentent de 3 % par an depuis 1980). Mais Environnement et Emplois connaissent-ils des résolutions convergentes ou opposées ? Autrement dit, la mise en œuvre de mesures antipollution, de politiques « Zéro déchets », « Zéro décharges », de sauvegarde des richesses naturelles, peut-elle comporter des effets positifs nets ou différés sur l’emploi ? En effet, l’économie étant un système global, il n’est pas certain que l’effet bénéfique enregistré à l’échelon du secteur puisse se conserver finalement, à cause de réactions « perverses » éventuelles, comme des dépenses supplémentaires d’adaptation handicapant la compétitivité (M. Bommensath, « Emploi et environnement » Cegos France, décembre 1982). Ces réactions perverses engendrent à coup sûr d'indéniables réticences à la création d’emplois. Note optimiste, l’Association Française des Ingénieurs Écologues (AFIE), qui a mis en place un observatoire du marché de l'emploi Cadre-Environnement, enregistre une augmentation des emplois de services offrant des prestations intellectuelles : ingénieurs et managers chargés de dynamiser et d’orienter les autres secteurs professionnels. Ces motivations contrastées provoquent des à-coups dans l'évolution nationale des effectifs totaux, directs et indirects, employés à la défense de l'environnement : tantôt décroissance de 15 % des effectifs totaux dans la période 1980-1984, tantôt accélération de 5 %/an à partir de 1988, avec de plus en plus d’emplois liés aux activités de services (ingénierie, gestion des réseaux, récupération-valorisation, maintenance) (figure 1). De cette époque initiale de référence, 1980, il est intéressant de rapporter les études Cegos, Commission Générale d’Organisation Scientifique, qui soulignaient déjà :

  • – la prédominance de l’emploi dans les secteurs des eaux (37,8 %) et en particulier des déchets (38,8 %) + 3,1 % traitement de l’air ;
  • – la remarquable prévision des fortes croissances du secteur des déchets à court (+) et surtout moyen termes (++) par rapport à celles, incertaines, des autres secteurs environnementaux (C.-B. Belin, Cegos « Les emplois de l’anti-pollution », 3èmes Assises nationales de l’Environnement 1980) (figure 2).

Mais création de postes ne signifie pas obligatoirement embauches...

Le recrutement

Gros dilemme pour les entreprises : faire appel à un « Monsieur Environnement » à plein temps ou à un cabinet d’audit extérieur ? Globalement, les grands groupes industriels optent pour l’intégration dans leurs rangs d'une fonction d’éco-gestion tandis que les petites entreprises de moins de 500 salariés recourent à la sous-traitance par consultation des cabinets spécialisés en écobilan. En effet, 54 % des grands groupes déclarent disposer d'emplois Environnement (dans l’industrie chimique, 95 % des groupes ont créé un poste d’éco-manager) ; de même, 69 % des bureaux d’ingénierie interrogés, mais seulement 8 % des PME-PMI recensent de tels emplois dans leur organigramme. Dans le secteur public, c'est 60 % des villes de plus de 20 000 habitants qui déclarent disposer d’emplois Environnement (moyenne nationale : 23 personnes par

[Photo : Fluctuation des effectifs « Environnement » au cours de la période 1980-1992 (d'après « Données économiques de l'environnement » – La Documentation Française, Ministère de l'Environnement, 1993)]

Ville de cette importance). D'autre part, la majorité des grands groupes, des bureaux d'ingénierie et des collectivités locales ont créé une direction Environnement, à la hauteur respective de 37, 73 et 63 % d'entre eux, dont le rattachement par principe à la direction générale offre une garantie d'intégration aux lieux de décision et d'information.

La poursuite de l'analyse de l'enquête de l'Institut BVA, demandée par l'Ifen, Institut Français de l'Environnement, permet d'affiner d'autres constats. Ainsi les grandes entreprises puisent en priorité au sein de leurs propres ressources humaines, afin d'assurer ces fonctions environnementales, dans 65 % des cas par effet de promotion interne, tandis que seulement 33 % de ces grandes entreprises et 21 % des PME-PMI font appel à des professionnels ayant effectué des études spécialisées (1). Attitude opposée des collectivités locales, dont 46 % des embauches sont extérieures et, qui pour 55 % des cas, recrutent alors des professionnels aguerris, dotés d'une solide formation spécifique à l'environnement.

Profil souhaité

Il s'ensuit deux profils de cadre, assez antagonistes, du candidat « Environnement » :

• l'ingénieur polyfonctionnel, « bon à tout faire, mais pas n'importe quoi », formé souvent sur le tas, sensible aux valeurs de la maison industrielle qui l'emploiera (productivité, technicité, spécificité, image de marque…), véritable joker capable, par ses compétences techniques et humaines, d'assimiler la théorie en formation continue (du reste, gros consommateur de stages) afin de l'adapter rapidement à la gestion pragmatique du quotidien : déchets et anti-pollution ;

• le professionnel spécialisé qui, après un brillant cursus de type universitaire souvent très fouillé (de bac + 2 à bac + 9), a acquis une expérience personnelle appréciable, après quelques séjours parmi les grands dépollueurs de renom (M. Dobré, Ifen, revue AIE, mai 1993).

Ce dernier profil semble apprécié plus particulièrement par les collectivités locales, les bureaux d'ingénierie et les bureaux d'études « Environnement », tandis que celui de l'ingénieur-joker paraît mieux convenir à l'esprit d'entreprise des PME-PMI et des grands groupes industriels.

Ces deux conceptions différentes de l'ingénieur Environnement, qui ont pour trait commun celui du « technicien irréprochable, citoyen altruiste et écologue clairvoyant, plutôt écodynamicien » (J.-P. Simeray, « Mines Consultants », octobre 1978), s'opposent profondément. Leur définition, objet d'éternels débats, renvoie à des hiérarchies de valeurs et à des raisons de légitimité différentes selon les protagonistes. « L'avenir est aux généralistes » tranchent 61 % des entreprises interrogées, contre 31 % favorables aux ingénieurs spécialisés, au cours de l'enquête BG Communication/ENSTA, École Nationale Supérieure de Techniques Avancées (figure 3) (2). Les entreprises recherchent des ingénieurs adaptables, dotés d'une bonne culture scientifique de base, suffisamment flexibles pour s'intégrer dans des « groupes de projet » impliquant des experts d'horizons très variés.

Les diplômés des écoles généralistes sont formés pour être spécialisés dans la mise au point des systèmes, coordonnateurs des informaticiens, biologistes, géologues, chimistes, mécaniciens, thermiciens et juristes. Mais, objectera-t-on, un ingénieur est toujours le généraliste ou le spécialiste de l'autre et cette demande accentuée pour le premier type ne met pas hors piste les experts trop « pointus », car des entreprises ont des besoins à court terme qu'elles satisfont par l'embauche de diplômés immédiatement opérationnels, quand le profil du postulant occupe parfaitement l'espace laissé libre du puzzle. On retiendra que « les écoles opèrent le dégrossissage, les industriels procèdent à l'affinage » et que les entreprises, à 46 %, préfèrent les jeunes qui n'ont que leur diplôme d'ingénieur à ceux qui l'ont confirmé d'une formation complémentaire (figure 3).

(1) En université, la formation de généraliste est proposée par les filières MST (Rouen, Angers…), DESS (Nancy 1, Paris 7, Reims, Nantes…). La spécialisation s'obtient avec les magistères et DEA (Lyon 3, Paris 1 et 2, Bordeaux 1…). Mais les programmes ne constituent pas toujours de bonnes préparations aux conditions professionnelles de production et de concurrence : « toutes les facs se bousculent pour créer des cursus verts, souvent inadaptés au marché de l'emploi » (F. Donzel, Ministère de l'Environnement, revue « Métiers : la vague verte se fait attendre », L'Express 9/1991). Mais toutes les écoles d'ingénieurs, à côté des formations spécialisées (ENTPE Strasbourg, Esis Poitiers, MST Pau…), ont intégré un volet Environnement (ECP Paris, ENSCR Rennes, ISG Montpellier 2…). Cependant, la majorité des postes (égoutiers, ouvriers de propreté, éboueurs, collecteurs) ne requiert pas d'études supérieures : la part des cadres dans l'emploi global de l'environnement est de l'ordre de 10 %, assure l'APEC.

[Photo : Répartition et perspectives des emplois environnementaux (d'après M. Bommensath – Cegos – Pollutec, décembre 1992)]

(2) Il s'agit là d'un changement radical de mentalité survenu au cours de ces dernières années : auparavant, l'employeur recherchait de préférence le super-diplômé après de longues études abstraites, la tête couronnée d'une grande école-phare ; celui-ci s'est révélé à l'usage trop détaché des contingences terrestres pour pouvoir être impliqué rentablement dans la marche de l'entreprise.

Quels sera l'atout de l'ingénieur de demain ? (1)

Être généraliste61 %
Être spécialiste31 %
Ne se prononcent pas8 %

Quels sont les secteurs d'activité qui, à votre avis, offriront le plus de débouchés dans les dix prochaines années ? (2)

Environnement14,80 %
Ingénierie (études, conseils)11,90 %
Agroalimentaire11,50 %
Informatique8,10 %
Services6,20 %
Banque5,70 %
Assurances5,70 %
Transport4,30 %
Aéronautique4,30 %
Mécanique3,80 %
Autres secteurs23,70 %

Quelle formation initiale privilégiez-vous à l'occasion du recrutement de jeunes ingénieurs diplômés ? (2)

Outre les diplômes, quelles qualités recherchez-vous ?

La faculté d'adaptation à l'entreprise37,27 %
Les compétences techniques19,09 %
Les qualités humaines18,18 %
L'ouverture d'esprit17,27 %
Les aptitudes linguistiques4,54 %
L'acceptation de la mobilité3,65 %

Sur quoi la pédagogie d'une grande école devra-t-elle mettre l'accent dans les dix prochaines années ? (2)

Formation au management30 %
Formation aux relations humaines16,70 %
Formation à la vie de l'entreprise15,90 %
Formation commerciale et gestion12 %
Formation à la stratégie industrielle9,40 %
Formation scientifique6,90 %
Formation informatique2,60 %
Autres6,50 %

Quelles procédures utilisez-vous pour recruter de jeunes diplômés ? (2)

Ingénieur46,10 %
Ingénieur + DEA9,10 %
Ingénieur + DESS9,10 %
Ingénieur avec séjour long à l'étranger8,80 %
Ingénieur avec double diplôme7,30 %
Ingénieur + mastère spécialisé7,30 %
Ingénieur + mastère complémentaire6,10 %
Ingénieur + doctorat3,60 %
Ingénieur + MBA3,00 %
Candidature spontanée26,20 %
Contacts avec les écoles (forums...)16,90 %
Embauche après stage de fin d'études16,30 %
Petites annonces10,80 %
Apec10,80 %
Relations, recommandations7,80 %
Cabinets de recrutement6,90 %
ANPE4,20 %

(1) Une seule réponse possible

(2) Plusieurs réponses possibles

Finalement, si le petit score de 3,6 % recueilli par les ingénieurs-docteurs déçoit beaucoup de responsables, le choix majeur « Environnement » a de quoi les rassurer (avec la préférence pour la faculté d’adaptation à l'entreprise, la formation pédagogique au management et la procédure d’embauche par candidatures spontanées).

Les Ecodynamiciens

Attention ! Autant bien préciser que, d'une façon ou d’une autre, ingénieur-joker, universitaire, spécialisé en systèmes ou expertissime pointu, le profil de l’ingénieur écologue n’offre rien de compatible avec l'image pastorale qu’on peut se faire des métiers traitant de l'environnement. Pas de romantisme déplacé ! Ne confondons pas « amoureux de la nature » avec éco-dynamicien (3). D’ailleurs, l’enquête APEC « Environnement Vôtre » place en priorité parmi les emplois les plus fréquemment proposés, ceux dont les missions ont pour objet la prévention et la réduction des nuisances, pollutions et risques (figure 5), ce que confirme la répartition nationale pour 1992 de l’ensemble des éco-dynamiciens recensés en emplois directs par le Ministère de l’Environnement, montrant la très faible participation des associations de défense et du secteur public :

emplois

● associations de défense : 2 000

● secteur public (administration d’État) : 3 000

● secteur privé (57,5 %) : 171 000

– dont éco-entreprises, sociétés de conseil et d’ingénierie (38,7 %) : 115 000

– dont départements Environnement des industries (18,8 %) : 56 000

● collectivités territoriales (40,7 %) : 121 000 (communes)

Total des emplois nationaux : 297 000

*Le Ministère de l’Environnement estime,

(3) C’est pourquoi nous recommandons la consultation de l'ouvrage « Formation et métiers : le secteur déchets », ANRED, Ed. Les Transformeurs, A. Delfaut, B. Lajouanie 3/1990.

À grands traits, on peut se risquer à dresser une fourchette de salaire brut moyen qui dépendra du niveau de formation. À titre indicatif :

Bac +5 et Bac +6 (Ingénieur entre autres) : de 10 000 à 15 000 F.

Bac +4 et Bac +3 : 8 000 à 10 000 F.

Bac +2 à Bac : 6 500 à 8 000 F.

Inférieur au Bac : SMIC à 6 500 F.

[Photo : Fig. 3 : Analyse du profil de l'ingénieur de demain (d'après le sondage BG Communication/ENSTA, septembre 1993 – J.-M. Blais, « Faut-il reprofiler les ingénieurs ? », revue L’Express, novembre 1993).]
[Photo : Fig. 4 : Les formations supérieures (d'après « Les métiers de l'Environnement » M. Mabit, Ed. Opéra, Guide pratique du Ministère de l’Environnement, avril 1993).]
[Photo : Fréquence des offres d'emploi « Cadre Environnement » selon les types de missions et d’employeurs (d’après l’enquête APEC/« Environnement Votre », dans « La Tribune Desfossés » : « Le maquis des filières des métiers verts », G. Le Solleu, février 1993).]

selon les fonctions occupées :

  • Gestionnaire de déchetterie :
  • Technicien chimiste :
  • Inspecteur des Etablissements classés :
  • Eco-Conseiller :
  • Ingénieur éco-industriel (air, eaux, déchets), hydrogéologue, éco-toxicologue :
  • Manager de centre d'enfouissement :
  • Directeur Environnement d'un grand groupe :

En ordre de grandeur, les salaires annuels bruts sont :

  • 90 kF/an
  • 100 kF/an
  • 110 kF/an
  • 130 kF/an
  • 180 kF/an
  • 250 kF/an
  • 600 kF/an

Pour l'année 1992, l'effectif total a 413 000 emplois totaux, dont 297 000 emplois directs, liés à la gestion de l’environnement, soit 1,9 % de la population active occupée (contre 1,2 % en 1982). À elles seules, les entreprises éco-industrielles emploieraient 280 000 personnes au total, dont 150 000 dans les secteurs déchets-recyclage de matières premières secondaires (soit environ 55 %), et 85 000 dans le secteur eau (soit environ 30 %).

En perspective d’accroissement de l'emploi, le CNPF attend dans les cinq prochaines années la création supplémentaire de 180 000 postes directs (conduisant, à terme, vers un effectif de 670 000 emplois totaux). D’autres explorations, plus exhaustives, incluant la poussée du secteur « nettoyage industriel », avec 105 000 emplois, celle du « traitement des déchets industriels toxiques », avec 28 000 salariés, et la prolifération des « produits verts », avec 500 000 postes nouveaux, avancent des prévisions d'emploi beaucoup plus riches (Environnement, « L’entreprise s’engage – Quels enjeux ? Quels marchés ? », D. Rousseau, Ed. d’Organisation, 1992).

Espoir fondé ou foi inconditionnelle ? Depuis 1989, on assiste à une recrudescence des activités de services dans l’environnement (services marchands, directement éco-industriels, de gestion de l'eau et des déchets, services de nettoyage industriel, services du produit vert). Plus globalement, dans l'examen de la faiblesse française en matière d’emplois, on s’aperçoit que les services ne représentent que 24 % de notre consommation, mais 28 % de celle des Allemands et 40 % de celle des Japonais. Si Américains, et surtout Japonais, bénéficient d’un taux de chômage plus réduit que les Français, on peut y trouver là un facteur économique correctif. « Alors que nous étions passés sans difficultés majeures, grâce à une productivité suffisante, d’un pays agricole à un pays industriel, nous n’avons pas complètement, à la différence de nos partenaires, réussi la transition vers l’économie de services » (Y. de l’Ecotais, « L'urgence : le chômage n’est pas une fatalité », Ed. Grasset, octobre 1993). Comblerons-nous cette lacune avec la nouvelle génération d’écologues ?

[Publicité : CIR]
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