Les organismes vivant dans les boues activées comprennent essentiellement des bactéries, des protistes, des champignons, des Rotifères et quelques Nématodes et Annélides, les bactéries étant les producteurs primaires (Bark, 1971).
Plusieurs auteurs attribuent aux protistes, et en particulier aux ciliés, un rôle important en tant qu’indicateurs de pollution et de producteurs d’eau potable à partir d’eaux polluées. Curds (1979) a signalé la présence d’environ 50 000 cellules/ml dans des bassins d’aération de stations d’épuration à boues activées ; des calculs fondés sur de tels nombres indiquent que les protozoaires constituent environ 5 % du poids sec des matières en suspension dans ces réservoirs d’aération.
Compte tenu de l’importance de ces micro-organismes, nous nous sommes intéressés à l’étude de la dynamique des populations protistes-bactéries des boues activées de la station d’épuration de l’agglomération clermontoise, et à l’activité des micro-organismes présents par le dosage des nucléotides adényliques. Cette technique permet de quantifier la biomasse et d’évaluer la charge énergétique de l’écosystème (Atkinson, 1968) qui représente à un instant donné l’état d’énergie, c’est-à-dire l’état d’activité des cellules.
Notre étude ayant coïncidé avec une chloration de la station (pour éliminer le phénomène de « bulking »), il nous a paru intéressant de faire des observations avant et pendant cette opération, puis après le traitement, afin de déceler d’éventuelles variations quantitatives et (ou) qualitatives des micro-organismes.
Méthodologie
Au moins deux échantillonnages hebdomadaires ont été effectués pendant la période d’étude (de février à juin 1988). Le comptage des protistes, la fixation des échantillons pour le dénombrement des bactéries et le dosage des nucléotides adényliques ont été réalisés dans les délais les plus brefs après chaque prélèvement.
Dénombrement des protistes :
après une dilution au dixième, un comptage direct a été réalisé sous la loupe binoculaire (WILD M5 objectif 50). Les protistes ont été déterminés soit sur le vivant à la loupe ou au microscope optique (Reichert Zetopan), soit sur des préparations microscopiques après imprégnation argentique à l’aide de protéinate d’argent (Protargol) selon la méthode de Bodian modifiée par Dragesco et Njine (1971).
Dénombrement des bactéries non filamenteuses :
les échantillons à étudier (liqueur mixte et phase interstitielle obtenue après décantation) ont été préalablement fixés avec du formol à 4 % et conservés à 4 °C avant la coloration. La technique de coloration utilisée consiste à marquer les bactéries par un composé fluorescent, l’Acridine Orange (0,2 %), et à dénombrer directement les cellules au microscope à fluorescence. La molécule d’Acridine Orange se lie aux acides nucléiques, les particules minérales restent sombres et les cellules riches en acides nucléiques monocaténaires présentent une fluorescence rouge orangée, tandis que les molécules d’ADN bicaténaires montrent, en l’absence d’ARN, une fluorescence verte (Delattre, 1986).
Dosage des nucléotides adényliques :
les échantillons de la liqueur mixte sont ajoutés à du DMSO pur (diméthylsulfoxyde, Merck), à température ambiante, pour aboutir à la mise en solution des nucléotides adényliques. Le mélange est agité fortement pendant 30 secondes au moins, puis dilué au bout de 3 minutes par du tampon Mops (Morpholino Propane Sulfonic Acid, pH 7,4) pour arrêter l’extraction. L’extrait est immédiatement congelé dans l’azote liquide et conservé à −30 °C. Après décongélation, le dosage des nucléotides adényliques est effectué par voie enzymatique et bioluminescence (système luciférine-luciférase, Strehler et Totter, 1957) à l’aide d’un nucléotimètre Lumac, selon un protocole habituellement utilisé au laboratoire (Amblard, 1986).
Résultats et discussion
Dénombrement des protistes : la densité moyenne des protistes est comprise entre 12 000 et 22 000 cellules/ml (figure 1). Du point de vue quantitatif, les ciliés représentent le groupe le plus important (pourcentage allant jusqu’à 90 %) (figure 2) ; les péritriches sont les plus nombreux (jusqu’à 20 000 cellules/ml), les hypotriches peuvent atteindre 5 000 cellules/ml (figure 3), alors que les
* Laboratoire de zoologie-oripitique, Université Clermont II, UA CNRS 138. ** Station d’épuration du Syndicat intercommunal d’épuration de l’agglomération clermontoise.
Holotriches ne dépassent pas 700 cellules/ml (figure 4). Le pourcentage extrêmement élevé (80 %), observé le 30 mars, n’est pas significatif. En effet, ce prélèvement ne fait apparaître qu’un nombre très réduit de Protistes (figure 1) représentés presque exclusivement par les Ciliés (figure 2) : Vorticella (figure 3) et Litonotus (figure 4).
La quantité importante des Protistes apparaissant au début du mois d’avril correspond pour l’essentiel à une augmentation temporaire des Rhizopodes (40 000 cellules/ml), observée dans la Station au cours de la quinzaine précédente (figure 5). Pendant cette période, ils représentent jusqu’à 94 % (prélèvement du 8 avril) de l’ensemble de tous les Protistes. La période de chloration allant du 22 mars au 2 avril paraît avoir affecté les populations de Protistes de différentes manières. En effet, pendant cette période, on observe une disparition des Chilodonella, des Acinétiens et des Hypotriches ; ces derniers réapparaissent en très faible nombre à partir du 18 avril (figures 3 et 4). Concernant les Périthriches, on constate que la densité des Vorticella diminue à partir du 7 mars (donc avant la chloration), et que ce groupe est essentiellement représenté par le genre Epistylis à partir du mois d’avril (figure 3). Pendant toute la période étudiée, la densité des Litonotus est plus ou moins variable et représente des fluctuations de faibles amplitudes avant et après la chloration, à l’exception d’un développement temporaire important quelques jours après la chloration (figure 4).
Les Flagellés sont représentés essentiellement par des Bodo et des Peranema ; ces derniers n’ont été observés que pendant le mois de février et au début du mois de mars (jusqu’à 10 000 cellules/ml) (figure 5). Les Bodo sont des petits Flagellés difficiles à observer sur le vivant ; ils n’ont donc pas été pris en considération dans nos comptages bien que perpétuellement présents dans chacun de nos prélèvements.
Toutes ces variations constatées concernant les populations de Protistes sont probablement le reflet de fluctuations normales, en rapport peut-être avec la qualité de l’effluent brut plutôt que la conséquence du traitement temporaire de la station par l’hypochlorite de sodium (3 g de chlore/kg de MS).
Dénombrement des bactéries non filamenteuses :
le nombre de bactéries comptées par épifluorescence est de l’ordre de 4 × 10⁶ cellules/ml pour la liqueur mixte et de 0,4 × 10⁶ cellules/ml pour la phase interstitielle (figure 1).
L’utilisation de l’Acridine Orange permet de différencier les bactéries dont la coloration dominante est soit rouge orangé, soit verte. Les bactéries rouge orangé sont dominantes dans la liqueur mixte tandis que les vertes sont les plus nombreuses dans la phase interstitielle.
L’examen de la coloration nous permet de faire une distinction entre les bactéries ayant des rythmes métaboliques différents, car plusieurs travaux récents sur différents milieux (Marvalin 1985 ; Prévot et al., 1988) ont prouvé que les bactéries rouge orangé sont celles qui ont une activité métabolique importante,
leur coloration étant due à une forte accumulation d’acides nucléiques simplex (principalement des ARNm et ARNr), masquant la fluorescence verte du complexe ADN-AO. Nos observations nous permettent donc de dire que les bactéries non filamenteuses de la liqueur mixte présentent une plus forte activité métabolique que celle de la phase interstitielle.
Apparemment, la chloration n’a affecté ni le développement des bactéries non filamenteuses, ni leur activité métabolique.
Estimation de la biomasse et de l’activité des micro-organismes par dosage des nucléotides adényliques : au cours de la période étudiée, les dosages effectués montrent que la teneur en ATP peut atteindre 11 500 picomoles/ml et que la charge énergétique de l’ensemble de l’écosystème (CE) est très élevée (entre 0,9 et 1) ; les teneurs en ADP sont très faibles et l’AMP est presque inexistant (figure 6).
La diminution de la teneur en ATP constatée entre le 21 et le 30 mars peut correspondre à la diminution du nombre des bactéries filamenteuses consécutive au traitement par le chlore, dans la mesure où les teneurs en ATP sont le reflet de la totalité des micro-organismes de l’écosystème étudié. Les teneurs élevées en ATP, constatées au cours de la période du 6 au 15 avril, sont à mettre en relation avec l’augmentation brutale du nombre de Protistes. La persistance de fortes concentrations en ATP après cette période (à partir du 18 avril et avant la baisse accidentelle de la concentration des boues du 27 mai) peut s’expliquer par une réapparition temporaire des bactéries filamenteuses, ce qui est corroboré par une remontée de l’indice de Mohlman (environ 250 mg/l). La non-variation importante des valeurs de la charge énergétique peut s’expliquer par la complexité de l’écosystème car elle reflète l’état énergétique de la totalité de tous les micro-organismes présents au cours de nos prélèvements.
Nous pouvons donc dire que la station étudiée présente des micro-organismes qui sont globalement perpétuellement en forte activité, activité beaucoup plus importante dans la liqueur mixte que dans la phase interstitielle. Remarquons que la chloration n’a pas modifié significativement la charge énergétique (CE) de la station.
Conclusion
Nos observations sur les micro-organismes de la station d’eaux usées étudiée nous ont montré leur importance tant du point de vue qualitatif que du point de vue quantitatif.
De tels types d’observations peuvent nous permettre d’essayer de comprendre les interactions existant entre Protistes et bactéries dans les différentes situations que peut présenter cet écosystème particulier, ainsi que leur importance dans le système d’épuration. Le dosage des nucléotides adényliques nous a montré que cette méthode peut constituer, dans les stations d’épuration, un bon indicateur de la biomasse microbienne totale. La charge énergétique est constamment très élevée, ce qui exprime une forte activité métabolique pour l’ensemble des micro-organismes de la station.
La période de chloration n’entraîne pas de modifications significatives concernant la densité des bactéries non filamenteuses de la station et ne se traduit pas par une baisse de l’activité métabolique globale des micro-organismes de l’écosystème.
BIBLIOGRAPHIE
Amblard C. (1986). — Les nucléotides adényliques : intérêts pour l’étude de la biomasse de l’activité métabolique et de la structure des peuplements phytoplanctoniques. Thèse Doctorat ès-Sciences Naturelles. Université Clermont II, 317 pp.
Atkinson D.E. (1968). — The energy charge of the adenylate pool as a regulatory interaction with feedback modifiers. Biochem., 7, 4030-4034.
Bark T. (1971). — A survey of the protozoan population of activated sludge. Ann. Stat. Biol. Besse-en-Chandesse, 5 (7), 241-260.
Curds R.C. (1979). — Le rôle des Protozoaires dans la purification de l’eau. Ann. Biol., XVIII (5-6), 193-219.
Delattre J.M. (1986). — Le contrôle bactérien rapide des eaux par épifluorescence. J. Fr. Hydrobiol., 17 (1), 59-70.
Dragesco J. et Njinet T. (1971). — Complément à la connaissance des Ciliés libres du Cameroun. Ann. Fac. Sc. Cameroun, 7-8, 97-140.
Marvalin O. (1985). — Contribution à l’étude des communautés bactériennes hétérotrophes du lac d’Aydat (France). DEA Protistologie, Université Clermont II, 29 pp.
Prevot S., Senhaji M., Bohatier J. et Sénaud J. (1988). — Comptage par épifluorescence des bactéries du rumen, cultivées in vitro. Estimation de leur état physiologique. Reprod. Nutr. Develop., 28 (1), 137-138.
Strehler B.L. et Totter J.R. (1952). — Firefly luminescence in the study of energy transfer mechanisms. I. Substrate and enzyme determination. Arch. Biochem. Biophys., 40, 28-41.