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Nouvelles approches méthodologiques dans les stations de traitement d'eau

30 mars 1985 Paru dans le N°90 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : François DAMEZ

La notion de méthodologie dans le domaine du traitement de l'eau n’est pas très ancienne : elle est née à la fin du siècle dernier quand les autorités régionales et nationales ont eu à faire face à l'augmentation brutale de la pollution des eaux superficielles, conséquence de l'industrialisation et de la croissance des grandes métropoles. À Paris, en 1856, l'ingénieur Belgrand décidait d’abandonner la Seine, trop polluée pour les techniques de traitement de l'époque, et de réaliser des adductions à longue distance transportant de l’eau de source sur plus de cent kilomètres. Mais, dès 1860, l'augmentation des besoins était telle qu’il fallait de nouveau faire appel aux eaux de la Seine et de la Marne. Les usines ne furent équipées de filtres qu’en 1900. Aucune stérilisation n’était pratiquée. Il faut dire que le bacille de la typhoïde ne fut identifié par Eberth qu’en 1880, celui du choléra par Koch en 1884 et que la stérilisation par le chlore ne fut prouvée qu’en 1894, en même temps que l'ozone. Les applications industrielles importantes de ces techniques ne débuteront que vers 1910.

Dès cette époque, les traiteurs d'eau se posèrent des problèmes méthodologiques. Ils s'aperçurent que l'action bactéricide était meilleure sur une eau claire et débarrassée d'un maximum de matières organiques. Dans d’autres cas, en particulier quand l'eau brute était stockée dans des bassins avant d’être filtrée, une préoxydation pouvait réduire considérablement la vitesse de colmatage des filtres, surtout en période de développement algal. Les concepteurs s’étaient donc rendu compte des effets de synergie d’un traitement sur l'autre, et essayaient d’en tirer le meilleur parti lors de la conception de la filière. Ce réflexe joua pratiquement durant toute la période d’entre-deux-guerres. Mais il fut entamé par la mise au point de traitements spécifiques à une pollution donnée, en particulier de traitements chimiques, de plus en plus faciles à mettre en œuvre grâce aux progrès technologiques des moyens de dosage et à la baisse du coût des réactifs. On aboutit ainsi à une nouvelle conception des filières en tant qu’addition de traitements unitaires « types », bien illustrée dans les réalisations des années 1960-1970.

Depuis dix ans, cette conception perd de plus en plus de terrain au profit d'une méthodologie plus économe en réactifs, à la recherche des conditions optimales de fonctionnement et utilisant au maximum les effets de synergie. Nous verrons les origines de cette modification des motivations, des exemples l'illustrant et les répercussions qu’elle peut avoir sur l’avenir.

GÉNÉRALITÉS SUR LES FILIÈRES :

CONTRAINTES À RESPECTER

La décision d'une filière de traitement suppose résolues une multitude de questions concernant :

  • — la qualité de l’eau brute : quelles sont les composantes physiques, chimiques et biologiques de la pollution ? Quelle est la variation saisonnière de ces paramètres ? Quelle est la fréquence et l’ampleur des pollutions accidentelles ? Quelles sont les sources de substitution et les possibilités de secours en eau traitée, réservoirs et adductions avec les réseaux voisins ?
  • — la qualité de l'eau produite : elle doit d’abord satisfaire les normes mais, de plus, être adaptée à l’évolution biochimique qu’elle pourra subir dans le réseau. Un réseau pratiquement neuf, court et transportant une eau de faible température délivrera au robinet une eau semblable à celle sortant de la filière. Il n’en est pas de même si le réseau est ancien, long, fortement maillé et que la température y est variable. Dans ce cas, la filière doit produire une eau de qualité supérieure aux normes, surtout en ce qui concerne la charge en matières organiques et en turbidité, et il faut prendre des mesures en réseau pour en limiter la dégradation ;
  • — les conditions de fonctionnement : la conception de la filière doit être adaptée aux variations de débit journalières et mensuelles. Certains ouvrages acceptent difficilement des variations de débit supérieures à 10 % (décanteurs à lits de boue, filtres biologiques,...) alors que d’autres n’en souffrent pas (traitement avec des réactifs chimiques), si leur dimensionnement est bien adapté ;
  • — les problèmes de place qui sont souvent contraignants : la nouvelle filière devant se raccorder au même réseau de distribution que l'ancienne, il faut la réaliser le plus souvent au même endroit. C’est l'occasion de revoir l’implantation des ouvrages de manière à laisser la possibilité d’extensions à l’avenir. C’est également le moment de retenir les techniques de traitement les moins encombrantes possible. On peut même, dans le cas de traitement de boues par exemple, concevoir une partie des ouvrages dans l’usine et l’autre en dehors ;
  • — l'utilisation massive de produits chimiques : floculant par exemple, (ou même utilisation, en moindre quantité, de nombreux réactifs) ; lorsque c’est le cas, il faut prévoir leur mode de livraison en fonction des

diverses usines de production et des normes en vigueur sur le transport et le stockage de ces produits.

Enfin la qualification du personnel d’exploitation et d’entretien intervient indirectement sur le choix des traitements employés. Il va de soi que des traitements complexes comme la préoxydation — coagulation ne peuvent être conduits à leur maximum d’efficacité que par des programmes informatiques pilotés à partir de capteurs délicats, analyseurs en continu de turbidité et de carbone organique total, compteurs de particules, dont l’utilisation nécessite un niveau de qualification élevé. Il en va de même pour certaines usines d’ozonation automatisées où le personnel de surveillance a totalement disparu au profit d'un nombre très réduit de techniciens dont les compétences doivent être générales et de bon niveau.

Voici, rapidement brossé, un tableau des questions à envisager avant de se fixer sur un choix de filière ; il faut y ajouter le problème des installations existantes que l'on cherchera à récupérer le plus possible. Cela part d’un esprit d’économie qui n’est pas critiquable en soi mais qui peut être dangereux, car il risque de figer la nouvelle configuration. Il vaut mieux aborder la question en sens inverse, c’est-à-dire mettre au point la nouvelle filière et voir ensuite les ouvrages qui peuvent être récupérés, et à quel coût.

Avant même l'application de telle ou telle méthodologie, il faut disposer de deux bilans essentiels :

  • — celui de la nature de la pollution qui doit faire l'objet de campagnes d’analyses, au moins annuelles, pour déterminer la valeur et les variations des flux polluants ;
  • — celui de la détérioration de la qualité de l’eau durant son transit dans le réseau.

On connaît ainsi la qualité de l'eau en entrée et en sortie de la future filière et leurs tendances d’évolution à l’avenir. C'est alors que peut s’opérer le choix méthodologique entre plusieurs filières. Jusqu'à ces dernières années, les progrès en matière de traitement chimique ont été si nombreux que l’on a pu dresser des sortes de tableaux associant un ou plusieurs traitements à chaque type de polluant. Pour traiter l’ion ammonium, on utilisait un oxydant spécifique, chlore ou eau de Javel. Pour lutter contre les algues, on pratiquait soit une oxydation soit une décantation par flottation. Pour traiter la matière organique on pouvait appliquer jusqu’à 100 ppm de charbon en poudre ou choisir de l’oxyder massivement à l’ozone. Pour renforcer la floculation on ajoutait un adjuvant, etc.

Nous citerons quelques filières de ce type dont beaucoup restent en service. Elles n'ont pas été définies uniquement sur le papier, ou sur des résultats d’analyse de l’eau brute, mais aussi après des essais sur pilote ou au moyen de modèles (pour les phénomènes non simulables). Mais un pilote ne donne que les résultats qu’on lui demande. S’il a conçu comme une suite de traitements types, les tests établis sur chaque étape unitaire ne permettront pas de tirer parti des phénomènes de synergie. Pour les utiliser, il faudra tenir compte des effets d’un traitement sur les autres étapes. Ceci suppose des plans expérimentaux établis mathématiquement et dont les résultats seront exploités au moyen d'outils statistiques perfectionnés.

Pour bien montrer les différences d’approche méthodologiques pratiquées entre les années 1960 et 1980, toutes contraintes étant égales par ailleurs, nous prendrons le cas d’usines de traitement situées en région parisienne et traitant des eaux fortement polluées notamment celles de la Société Française de Distribution d’Eau et celles du Syndicat des Communes de la Banlieue de Paris pour les Eaux, ces dernières conçues et exploitées par la Compagnie Générale des Eaux.

MÉTHODOLOGIE ADDITIVE

Historique

Ces usines, qui alimentent la majeure partie de la petite et de la moyenne couronne, occupent des sites assez protégés, en amont de Paris pour la Seine (Choisy-le-Roi) et la Marne (Neuilly-sur-Marne et Annet) et en amont du confluent de l’Oise et de la Seine pour Méry-sur-Oise. Toutefois, l’industrialisation et l’urbanisation qui n’ont cessé de croître en grande banlieue ainsi que la généralisation des produits chimiques en agriculture, ont provoqué une augmentation massive des flux polluants combinée à une extension du spectre de ces produits. Par ailleurs, les débits traités par les trois usines ont subi une forte augmentation, proportionnelle à l’accroissement de la population de la région parisienne.

Les filières de traitement, qui ne comportaient que des filtres lents au départ, ont été, au fur et à mesure, complétées par une microcoagulation préalable puis, en aval, par des bassins de décantation suivis de filtres plus rapides. La clarification a ainsi été perfectionnée peu à peu, devenant une véritable filtration rapide précédée d’une étape de coagulation au Jar-Test et d'une décantation à faible vitesse de Hazen. Elle a été complétée par une chloration finale de désinfection. Une préchloration destinée à oxyder certains métaux, à aider la coagulation — floculation et à éviter des problèmes biologiques, comme la fermentation, en cours de filière, a également été ajoutée, le réactif étant en général le bioxyde de chlore.

Dans les années 1950-1960, l’apparition de nouveaux types de pollution (ammoniaque, hydrocarbures, pesticides, détergents, métaux lourds) et le désir d’obtenir une eau de meilleure qualité bactériologique conduisirent à revoir les filières qui, de toute manière, ne pouvaient plus faire face à l’augmentation de la demande par une simple extension des ouvrages.

Composition des filières additives

Le choix des éléments de la filière fut effectué en raisonnant point par point :

Matières en suspension minérales et organiques :

— 90 % d’élimination par coagulation-décantation,

— 10 % par filtration rapide.

Désinfection :

— pendant la filière, par le bioxyde de chlore en tête, réactif non consommé par l’ammoniaque, et par le chlore en excès au-dessus du break-point,

— en fin de filière : par l’ozone dont l’action doit être suffisamment efficace pour éliminer certains virus, en particulier celui de la poliomyélite.

Matières organiques dissoutes :

— produits non individualisés : charbon actif en poudre dans l’eau coagulée et premiers compartiments de l’ozonation où l’on satisfait la demande en ozone de l’eau,

— hydrocarbures : surtout charbon actif en poudre et finissage à l’ozone,

— pesticides : même traitement que ci-dessus,

— détergents : légère action du charbon actif en poudre et action importante de l’ozone.

Ammoniaque :

nitrification chimique par chloration au break-point.

Chloramines :

déchloration au bisulfite de soude avant la stérilisation finale.

Manganèse :

précipitation par le bioxyde de chlore et filtration par les ouvrages de clarification.

Chrome hexavalent :

réduction par le sulfate ferreux.

pH :

correction par la soude ou l’acide sulfurique.

Protection du réseau :

chloration finale par l’eau de Javel ou le bioxyde de chlore.

Mise en ordre des filières additives :

Compte tenu de divers impératifs, ces traitements types de chaque pollution ne pouvaient se succéder que dans un ordre bien défini.

1) Prétraitements avant clarification :

— ceux qui seraient annihilés par des réactions oxydantes : sulfate ferreux ;

— ceux qui empêchent des fermentations : chloration au break-point, prétraitement au bioxyde de chlore ;

— ceux qui provoquent des précipités ou utilisent des réactifs en poudre qui doivent être éliminés : précipitation du manganèse par le bioxyde de chlore, traitement au charbon actif en poudre ;

— ceux qui améliorent la coagulation : pH et adjuvants éventuels.

2) Clarification :

les deux étapes du traitement sont conçues comme disjointes.

La partie coagulation-décantation a pour objectif de fournir, quelles que soient les conditions, une eau de turbidité donnée (15 gouttes de mastic). Cette qualité est en effet optimale pour les filtres car elle permet d’obtenir des durées de cycle suffisamment longues pour être économiques sans provoquer un colmatage en profondeur du sable.

3) Post-traitements après clarification :

il s’agit de traitements qu’il ne serait pas économique d’effectuer sur une eau contenant des particules minérales et organiques, comme l’affinage organique et la stérilisation, ou qui concernent le réseau :

— l’ozonation des matières organiques dissoutes se fait en satisfaisant la demande en ozone de l’eau ;

— l’ozonation dite « virulicide » a lieu quand cette demande est satisfaite et que l’ozone injecté peut être consacré quasi exclusivement à la stérilisation ;

— la déchloration a pour but de retransformer les chloramines en ammoniaque qui sera, de nouveau, traité au break-point lors de la chloration finale. Elle est en général placée avant l’ozonation. L’ozone n’a, en effet, pas d’action sur l’ammoniaque et il est préférable de travailler sur une eau sans résidu de chlore pour éviter les interférences analytiques chlore-ozone durant l’ozonation et limiter les problèmes de corrosion dus au couplage de ces deux oxydants ;

— la chloration finale est destinée à maintenir un résiduel bactéricide de chlore libre dans le réseau. Son taux est fonction, d’une part, de la demande résiduelle en chlore de l’eau traitée et, d’autre part, de la consommation du réseau.

Au total, on obtient ainsi une filière comme celle de l’usine de Neuilly-sur-Marne (figure 1). Dans la pratique, le schéma de traitement définitif a été affiné par de nombreux essais sur pilote et avec l’expérience d’exploitation, mais on pourrait aller plus loin et proposer, à partir d’analyses sur l’eau brute, une filière type. Ce pas a été franchi par plusieurs organismes et associations nationales et internationales (AGHTM, Agences de Bassin, EPA, OMS, BIRD, etc.). On comprend le souci de ces organismes qui cherchent à planifier, à établir des priorités, pour définir des plans d’intervention et des besoins de financement. Mais si ces méthodes ont un intérêt au niveau statistique, elles présentent, en contrepartie, des inconvénients au niveau de l’optimisation de chaque installation qui peuvent être mis en évidence grâce aux progrès méthodologiques apportés ces dernières années au traitement de l’eau.

[Photo : Filière de traitement actuelle de l’usine de Neuilly-sur-Marne]

NOUVELLE APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE :L’ÉCOLE FRANÇAISE DE L’EAU

Importance des interactions

L’expérience a montré que les filières types étaient bien adaptées aux cas suivants : eaux de qualité peu variable, que ce soit de manière saisonnière, ou à long terme, pollutions spécifiques à spectre étroit, c’est-à-dire deux ou trois polluants majoritaires, ces deux caractéristiques conduisant à des filières comportant peu d’étapes de traitement.

Par contre, des filières aussi complexes que celles des usines de la région parisienne posaient de nombreux problèmes à chaque modification de traitement. À titre d’exemple, la montée de la pollution à l’ammoniaque qui avait été résolue par un prétraitement au break-point a eu des répercussions importantes sur toute la filière. Outre la formation de composés organiques halogénés, toujours gênants même s’ils demeurent inférieurs aux normes, des quantités importantes de chlore combiné ont été créées dans l’eau traitée. Il a fallu les éliminer par un traitement de déchloration piloté en automatique. Par ailleurs, la demande en ozone de l’eau a décru dans de telles proportions qu’il a fallu revoir toutes les régulations de production d’ozone et les systèmes de contactage. Le charbon actif en poudre se comportait plus comme un produit de déchloration que comme un adsorbant. Le pH de floculation de l’eau a été modifié et il a fallu changer de coagulant.

Si l’on a ainsi mis en évidence les effets pervers des interactions entre les différentes étapes de traitement, on a aussi clairement vu leur importance, trop souvent négligée dans les raisonnements par traitements types.

Nouvelles phases de traitement

Simultanément de nouveaux modes de traitement étaient mis au point ou redéfinis : le traitement par adsorption des matières organiques dissoutes et de certains métaux (sur charbon actif, sur flocs) et les traitements biologiques des molécules biodégradables à base de carbone, d’azote et de phosphore (storage, filtration biologique sur sable, charbon actif en grains, biodamine, etc.). Tous ces procédés ont une caractéristique commune : ils sont très sensibles aux autres conditions de traitement car elles influent fortement sur leurs performances : O₂ dissous, pH, potentiel Zeta, état de surface, biodégradabilité des matières organiques, présence d’inhibiteurs biologiques, etc.

De plus, ces traitements biologiques peuvent être appliqués dans des installations qui jouent déjà un autre rôle comme, par exemple, la nitrification dans les filtres à sable. Les effets d’interaction en sont encore plus développés, et leur coût plus réduit. Un exemple particulièrement révélateur est le filtre Biocarbone implanté à Annet-sur-Marne (figure 2). C’est un filtre à charbon actif où de l’air est injecté dans la partie supérieure du charbon pour favoriser les activités biologiques, la partie inférieure assurant la filtration. Cet équipement permet l’abattement de 90 % de la turbidité sans floculant, la nitrification jusqu’à 4 ppm d’ammoniaque et la réduction de 30 à 50 % des matières organiques. Cette concentration de fonctions dans un réacteur unique est typique des nouvelles méthodologies.

Effets de synergie

Les effets de synergie entre des étapes de traitement se produisent quand l’association des deux étapes conduit à des résultats très supérieurs à la simple somme des effets de chaque traitement et, parfois, transforme les inconvénients d’une étape en avantage global au niveau de son association avec une seconde phase. L’exemple le plus célèbre est l’association d’une ozonation et d’une filtration sur charbon actif en grains, technique développée depuis quelques années en France et en Allemagne pour accroître le rendement d’élimination de certaines composantes de la matière organique dissoute. L’utilisation des effets de synergie entre ces deux traitements fait suite à plusieurs observations. La première était que le traitement à l’ozone au stade final pouvait entraîner un accroissement de la demande en chlore de l’eau traitée ; il y avait en conséquence formation de sous-produits oxydables. Quand cette demande n’était pas satisfaite, on constatait un net accroissement de la reviviscence bactérienne. Ces sous-produits étaient donc en partie biodégradables. Les études menées sur ces composés montrèrent que l’ozonation entraînait une diminution des tailles moléculaires et, dans un certain nombre de cas, la formation de sous-produits plus biodégradables ; il en résulte une augmentation des capacités d’adsorption du charbon et, surtout, de ses performances de biodégradation. L’eau traitée contient en conséquence moins de matières rapidement biodégradables, ce qui limite considérablement les développements bactériens dans le réseau. Ces résultats ont été confirmés en vraie grandeur lors de la mise en service des nouvelles filières d’Annet-sur-Marne et de Méry-sur-Oise (figure 3). Sur le réseau desservi par cette dernière usine, les numérations de germes totaux sur l’eau distribuée ont diminué d’une puissance de 10.

[Photo : Fig. 2 – Filière de traitement de l’usine d’Annet-sur-Marne, 3ᵉ tranche : configuration forte turbidité. 1 Prise d’eau 2 Dégrillage 3 Préfiltres 4 Injection de charbon actif en poudre 5 Clarification FLUORAPID 6 Ozonation intermédiaire 7 Recirculation coagulant 8 Réacteur BIOCARBONE 9 Charbon en poudre 10 Chloration de protection du réseau 11 Stockage de l’eau traitée]
[Photo : Nouvelle filière de traitement de l'usine de Méry-sur-Oise. A Ozone ; B Polychlorure d’aluminium ; C Charbon actif en poudre ; D Bisulfite de sodium ; E Hypochlorite de sodium ; F Eau de lavage des filtres ; G Air de lavage des filtres ; 1 Rivière Oise – prise d'eau ; 2 Ozonation ; 3 Bassin d'eau brute ; 4 Introduction des réactifs ; 5 Floculation ; 6 Décantation ; 7 Filtration sur sable ; 8 Ozonation ; 9 Filtration sur charbon actif ; 10 Ozonation ; 11 Stockage eau traitée et chloration de protection du réseau]

Améliorations pourront certainement être poussées plus loin quand les moyens analytiques permettront de différencier aisément rapidement, normalement et lentement, les formes biodégradables du carbone organique dissous (COD), dans la gamme 0,1 à 2 ppm. Mais dès à présent, on voit bien comment tirer parti des synergies entre l’ozonation, la filtration sur charbon actif, la chloration finale et la tenue du réseau.

Un autre exemple de synergie est le couplage d'une préozonation avec la clarification. On savait, depuis pratiquement les débuts de l'ozonation, qu'elle avait une capacité de floculation, et cette qualité avait été utilisée quelques années plus tard, en début de traitement dans le cas d’eaux de lacs et de retenues, pour aider la floculation ou la microfloculation des nombreuses usines en France et en Suisse. Le procédé était appelé, à l’époque, miscellisation-démiscellisation pour évoquer cette agrégation des colloïdes en particules décantables ou filtrables. Des études entreprises sur l'eau de Marne à Annet et sur l’eau de Seine pour la nouvelle filière de Choisy-le-Roi (figure 4) ont confirmé cet intérêt dans le cas d’eaux superficielles chargées en matières organiques. La préozonation permet de réduire, à turbidité égale sur l’eau décantée, le taux de coagulant à mettre en œuvre. Elle contribue également à obtenir un abattement supplémentaire en COD de 0,5 à 1 ppm. Le modèle qui simule ces deux actions de la préozonation est du second degré, c'est-à-dire qu'il existe un taux optimum, fluctuant autour de 0,8 ppm selon la nature de l'eau. Le mécanisme exact des phénomènes induits par la préozonation sur la coagulation ne peut pas être encore considéré comme scientifiquement établi. Deux actions semblent intervenir : d'abord, la cassure de grosses particules en plusieurs fragments de taille nettement plus réduite qui provoque la formation d’un floc plus fin, mais beaucoup plus dense, qui décante nettement mieux ; d’autre part, la préozonation améliore la coagulation-décantation des colloïdes. Le mécanisme d'action sur les matières organiques dissoutes n'a pas encore été élucidé alors qu'il apparaît de manière indiscutable. Tous ces phénomènes sont d’ailleurs parfaitement modélisables, ce qui permet d’optimiser l’effet de synergie entre préozonation et coagulation en automatique et de manière continue. Il faut pour cela disposer de moyens d’analyse, eux-mêmes automatiques, en particulier de la turbidité et du carbone organique. De tels appareils existent maintenant sur le marché. Enfin, l'effet de synergie entre préozonation et coagulation ne produit de résultats que lorsque les deux réactions sont parfaitement accolées. En outre, on constate également que l'injection d’une certaine dose d’ozone en préozonation se traduit par une diminution, du même ordre de grandeur, de la demande d’ozone en postozonation. Ce fait, qui permet de mieux rentabiliser la préozonation, prouve ainsi, une fois encore, l’effet d'un traitement initial sur plusieurs étapes en aval de la filière de traitement.

MÉTHODOLOGIE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE L’EAU

Principes de base

Les possibilités offertes par les nouvelles phases de traitement, par l'utilisation des effets de synergie et, plus généralement entre les étapes de la filière conduisent à revoir l'approche méthodologique adoptée jusqu’à présent ; au principe : un traitement pour chaque polluant, on substituera une démarche plus globale qui part de l'eau produite. En effet, l'eau traitée doit non seulement être potable au sens des normes, mais de plus non évolutive dans le réseau, c’est-à-dire : comporter le moins de particules possible, et être quasi exempte de matières organiques rapidement biodégradables.

Ceci implique une clarification parfaite et l’usage de traitements biologiques, seuls capables de sélectionner les matières organiques azotées et carbonées susceptibles d’être biodégradées rapidement. On sait que les traitements biologiques supportent rarement les variations brutales de la qualité de l’eau. Il faut donc prévoir des traitements chimiques de complément et surtout des tampons, soit hydrauliques, comme un bassin de stockage de l’eau brute, soit chimiques, comme la capacité d’adsorption d'un charbon actif. Enfin, l’expérience

[Photo : Nouvelle filière de traitement de l’usine de Choisy-le-Roi. 1 Pompage et dégrillage ; 2 Préozonation ; 3 Prétraitement ; 4 Coagulation-Floculation ; 5 Décantation ; 6 Filtration sable ; 7 Ozonation ; 8 Bassin de contact ; 9 Filtration charbon ; 10 Chloration ; 11 Bassin de contact ; 12 Déchloration ; 13 Refoulement]

des vingt dernières années a montré que la pollution était évolutive, positivement et négativement suivant les paramètres. La filière doit donc être conçue avec un maximum de souplesse pour s’y adapter.

Conception de la filière globale

La qualité de l'eau brute intervient ensuite pour définir le pouvoir d’abattement de la filière et les ouvrages nécessaires pour atteindre cette valeur, sachant qu'un traitement fractionné sera en général plus efficace. On voit ainsi que, pour obtenir une eau très bien clarifiée, inférieure en permanence à 0,4 JTU, il est nécessaire de prévoir une optimisation de la coagulation couplée avec une préozonation et de pratiquer une double filtration. De la même manière, si l'eau brute contient en moyenne 5 ppm de C.O.T. avec des maxima de 10 à 15 ppm, il faudra employer tous les moyens, dont l’élimination parfaite du carbone particulaire par la clarification qui, couplée à une préozonation, abattra une première partie du C.O.D., le reste étant assuré par l’ozonation couplée à la filtration sur charbon actif en poudre.

Lorsque la qualité de l’eau est très variable, ce souci d’optimisation peut amener à modifier la filière. C'est ainsi que la filière normale d’Annet-sur-Marne associe préozonation avec filtration sur Biocarbone tant que la turbidité de l'eau brute demeure inférieure à 15/20 NTU, soit 200 jours par an. Le reste du temps, la préozonation est suivie par un clarificateur Fluorapid® qui rassemble dans le même ouvrage, une coagulation, une filtration à travers un lit de microsable fluidisé et une décantation accélérée par des lamelles. Avant que l’eau décantée ne passe sur le filtre Biocarbone®, il est encore possible de pratiquer une seconde ozonation couplée à une seconde coagulation ; l'usine est alors capable de faire face à des pointes de turbidité de 100 NTU (figure 2). Suivant le même principe, les nouvelles filières de Méry-sur-Oise et de Choisy-le-Roi (figures 3 et 4) ont été conçues pour pouvoir renforcer la clarification, lors des périodes de très forte turbidité et d'utilisation à pleine capacité, en remettant les filtres à charbon directement en sortie des décanteurs, c’est-à-dire en parallèle avec les filtres à sable. Ces exemples sont l’application pratique du principe de souplesse maximale à la base de nouvelles filières.

Il faut ensuite jouer sur les interactions et les effets de synergie pour assembler toutes les parties. L’adsorption sur charbon actif est un traitement coûteux dont il faut utiliser les ressources pour les composés réfractaires à la biodégradation et sur une eau bien clarifiée. C’est donc un traitement de fin de filière qui, complété en amont par une ozonation, utilisera aussi les possibilités du charbon comme support d’activité biologique sur des molécules mieux préparées à la biodégradation. Comme tout le carbone particulaire aura été éliminé au cours de la clarification, que le fer et le manganèse auront été précipités par la préozonation et ainsi arrêtés par la clarification, les risques d’occupation intempestive des sites actifs du charbon actif en grains sont fortement réduits. Enfin, l’expérience montre que pour assurer une biodégradation satisfaisante de la matière organique il faut un temps de contact d’au moins 10 minutes. La prise en compte de l'ensemble de ces interactions conduit à envisager une filtration finale sur charbon actif en grains, précédée d'une ozonation à un taux permettant à la fois de rendre le maximum de matières organiques biodégradables et d’inactiver les virus les plus communs. C'est le cas de la filière de Choisy-le-Roi (figure 4). Mais on a toujours intérêt, si les possibilités technologiques existent, à séparer chacun des effets des traitements pour mieux les optimiser ; ainsi à Méry-sur-Oise (figure 3) l’ozonation a été répartie en un traitement d'optimisation de la biodégradabilité, avant filtration sur charbon actif en grains, et une seconde phase, après filtration, destinée uniquement à l’action virulicide, sans que la consommation totale d’ozone augmente. Un exemple encore plus frappant d’étagement des effets de l’ozone est la configuration « forte turbidité » de la troisième tranche de l’usine d’Annet-sur-Marne (figure 2). La première ozonation précède le clarificateur-décanteur Fluorapid couplée à la coagulation, elle assure les fonctions classiques de la préozonation : optimisation de l’abattement de la turbidité et des matières organiques et précipitations du manganèse. La seconde ozonation précède le filtre Biocarbone et peut être couplée à une seconde coagulation. Elle permet d’accroître les performances de clarification de celui-ci et, en outre, d’augmenter les caractères de biodégradabilité des matières organiques qui seront traitées biologiquement dans ce même ouvrage. La troisième ozonation assure le rôle maintenant classique de stérilisation bactéricide et virulicide.

Enfin, pour la future filière de Neuilly-sur-Marne, on envisage de séparer les effets biologiques et les effets d’adsorption dans les filtres à charbon actif. Plusieurs hypothèses restent en concurrence, mais les principes généraux demeurent : l’adsorption doit rester réservée au traitement des composés organiques réfractaires à la biodégradation en utilisation normale ; par contre, on peut également concevoir un système où la capacité d’adsorption devrait demeurer élevée pour pouvoir faire face à une pollution organique accidentelle, et protéger éventuellement les filtres biologiques. Dans tous les cas, la portion de traitement réservée à l’adsorption devra être conçue technologiquement pour permettre une régénération rapide et économique du charbon saturé.

Les mêmes principes méthodologiques sont appliqués à la clarification. L'optimisation est nécessaire pour réduire le plus possible le nombre de particules, cause de gêne pour l’action de biodégradation et d'adsorption des filtres C.A.G. et facteur important de reviviscence biologique dans le réseau. Il existe aussi un effet d’interaction avec la teneur en aluminium de l’eau produite, d’autant plus faible que la clarification aura été parfaitement appliquée dans toutes ses

étapes : dosage du coagulant, mélange, sédimentation et filtration. L'utilisation des filtres en étape biologique pour éliminer l'ammoniaque et commencer à réduire la teneur en matières organiques a également des exigences particulières. Pour perturber le moins possible l'action biologique, il faut réduire la fréquence des lavages, ce qui nécessite, entre autres, de disposer d’une eau décantée de bonne qualité permettant néanmoins de respecter le processus du colmatage en surface des filtres.

Ce dernier aspect attire l’attention sur un phénomène déjà connu des exploitants : une variation brutale du débit d’eau traitée est nocive pour pratiquement toutes les étapes d’une filière de traitement, d’autant plus pour celles qui utilisent une action biologique. Le concepteur a le choix entre des ouvrages à débit unitaire quasiment fixe, mis en service ou arrêtés selon les besoins, ou des réserves d'eau traitée capables d’adsorber les fluctuations de la demande. Chaque solution a ses avantages et ses contraintes ; le choix relève des conditions locales.

La généralisation de cette approche pour la conception des nouvelles filières en France, à partir de 1976, et son application à très grande échelle aux plus grosses usines de la banlieue de Paris permet de parler d’Ecole Française de l’Eau. On en trouve bien sûr d’autres exemples, notamment l'usine de Rouen-la-Chapelle qui pratique depuis plus de dix ans une élimination biologique de l'ammoniaque sur filtre rapide et un couplage ozone-charbon sur une eau de forage sujette à la pollution. Des principes analogues sont également appliqués dans d’autres pays européens, en particulier l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse.

CONCLUSION

Ces exemples montrent l'évolution considérable qui s'est produite en une dizaine d’années dans la méthodologie de la conception des stations de traitement d’eau potable en France. Elle n'est pas uniquement liée à la substitution de procédés biologiques aux traitements chimiques, en particulier ceux concernant l’oxydation des matières organiques. Il s’agit beaucoup plus d'une optimisation de la filière, non seulement pour chacune de ses étapes prise isolément, mais surtout en exploitant au mieux les effets d’interaction et de synergie entre ces différentes étapes.

De nombreuses réalisations analogues existent ou sont prévues en France (à Rouen-la-Chapelle, Morsang, Louveciennes ou Saint-Maur), ce qui permet de parler d'une Ecole Française de l’Eau. Bien qu’elles comportent une filière plus courte ou soient établies à une échelle plus réduite que l’usine d’Annet-sur-Marne et celles du Syndicat des Communes de la Banlieue de Paris pour les Eaux, elles ont été conçues dans le même esprit : celui d’optimiser globalement le traitement en fractionnant ses étapes et en utilisant au mieux leurs interactions respectives.

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