La station d’épuration des eaux usées de la zone d’activité de Valbonne Sophia-Antipolis, rejetant ses eaux traitées dans la rivière Bouillide à l’amont des puits de Biot en Antibes, doit, pour la protection des réserves d’eau avales, restituer, en permanence, un effluent épuré de très grande qualité sur la totalité des paramètres de pollution. Pour atteindre cette qualité, une filière de traitement d’eau très complète a été sélectionnée, incluant notamment une étape biologique réalisée selon une technologie nouvelle par biomasse fixée et qui constitue une première à pleine échelle pour l’élimination biologique de l’azote en traitement d’eau usée.
Contrôlées sur site de façon renforcée sur plusieurs mois, les performances à échelle réelle de cette filière biologique nouvelle par bactéries fixées font l’objet du présent article.
Qualité de traitement à atteindre
L’objectif à atteindre était le suivant :
Effluent brut | Effluent traité |
---|---|
MEST mg/l : 350 – 100 | 10 |
DBO₅ mg/l : 250 – 100 | 5 |
DCO mg/l : 600 – 250 | 40 |
N.NTK mg/l : 70 – 40 | 7 |
N.NH₄ mg/l : 45 – 27 | < 5 |
N.NO₃ mg/l : — | < 7 |
Coliformes totaux/100 ml : 10⁷ | 100 |
Streptocoques fécaux/100 ml : 10⁶ | 10 |
pH : 6 – 8 | 6 – 8 |
Température °C : 10 – 20 | 10 – 20 |
Taux de saturation en O₂ dissous % O₂ : — | 50 |
Filière de traitement sélectionnée
Cet objectif nécessitait l’établissement d’une filière de traitement très poussée comportant un étage biologique performant fonctionnant en nitrification-dénitrification, et un stade final de désinfection.
La filière de traitement comporte : un prétraitement, un traitement primaire avec décanteurs lamellaires, un traitement biologique par biomasse fixée fondé sur la technologie Biocarbone (brevet OTV), et un traitement final de désinfection à l’eau de Javel.
La technique employée dans le procédé Biocarbone consiste à utiliser des filtres descendants garnis en matériau de granulométrie suffisamment faible pour obtenir un effet de filtration efficace ; le matériau sert également, et de façon primordiale, de support à une biomasse très active qui est de type fixé. L’oxygène nécessaire à l’activité biologique aérobie est fourni en insufflant de l’air dans le matériau à l’aide de grilles situées à 30 cm de la base des filtres. Ce dispositif assure une bonne distribution de l’air et, grâce au cheminement, aux chocs et au morcellement des bulles sur les grains de matériaux, permet d’obtenir un rendement de transfert exceptionnellement élevé. Le fonctionnement en lit immergé est nécessaire pour assurer une charge hydrostatique permettant la filtration à travers le matériau. Le procédé assure simultanément, en une étape unique, l’épuration biologique et la clarification par filtration de l’effluent traité.
Les filtres se colmatant progressivement du fait du développement de la biomasse et de la rétention des matières en suspension, des lavages périodiques sont nécessaires. La durée d’un cycle est de 24 heures. Le lavage se fait à contre-courant du fonctionnement normal. On utilise l’eau traitée comme eau de lavage en quantité variant entre 2 et 2,5 fois le volume de matériau lavé. Après lavage, il reste une population bactérienne accrochée suffisante pour obtenir immédiatement une qualité d’eau traitée correspondant au régime établi.
Cette technique biologique aérobie permet une élimination poussée des pollutions oxydables : DBO₅, DCO et nitrification (oxydation des formes réduites de l’azote en azote nitrique selon les processus biologiques de nitritation-nitratation).
Un filtre anaérobie (également en filtration descendante), placé en amont des Biocarbones et recevant l’eau décantée et un recyclage de leur effluent permet de réaliser la dénitrification (réduction par voie biologique de l’azote nitrique en azote gazeux), également nécessaire pour atteindre l’objectif de qualité désiré. Par rapport à la pollution carbonée de l’eau décantée, le filtre anaérobie en amont des filtres aérés Biocarbones permet d’éliminer, avec une cinétique optimale, les nitrates amenés par le recyclage de l’effluent.
L’étape biologique complète de nitrification-dénitrification par biomasse fixée permet de s’affranchir de tous les problèmes de décantation secondaires rencontrés en nitrification-dénitrification classique par boues activées (dénitrification partielle dans le clarificateur secondaire, remontée de boues) et procure donc une meilleure stabilité du traitement avec, en conséquence, une sécurité assurant en permanence la qualité recherchée de l’effluent épuré. Celui-ci est ensuite traité à l’eau de Javel pour réaliser une désinfection finale.
Les boues primaires des décanteurs lamellaires et les boues biologiques issues des lavages des filtres sont envoyées dans un épaississeur. Les boues sont ensuite déshydratées mécaniquement sur filtre à bande, puis évacuées en décharge.
Caractéristiques de la station de la Bouillide
Prévue pour traiter, en son stade final optionnel, 5 200 m³/j d’eaux usées correspondant à une population raccordée de 17 000 habitants, la station sera aménagée en deux étapes dont seule la première est réalisée. Le génie civil de la phase finale a cependant été totalement achevé lors de la construction de cette première tranche.
Caractéristiques de la première étape
Elles se définissent ainsi :
Volume journalier admis ............................. 3 200 m³/j Débit maximum du temps de pluie ............. 300 m³/j Débit moyen ................................................ 135 m³/j DBO₅ .......................................................... 640 kg/j MEST ......................................................... 930 kg/j DCO .......................................................... 1 600 kg/j NTK ........................................................... 120 kg/j
La station se compose d’ouvrages assurant les fonctions suivantes :
— prétraitement, comprenant un dégrillage mécanique et un déshuilage-dessablage aéré et raclé ;
— décantation primaire, par décanteurs lamellaires type OTV, constitués de 200 plaques (quatre modules) de 3,75 m², espacées de 5 cm et inclinées à 55° ;
— traitement biologique, assuré par quatre filtres de 21,6 m² de surface unitaire. La capacité de matériau mis en œuvre est de 260 m³. Trois cellules fonctionnent avec aération selon le procédé Biocarbone, une cellule n’étant pas aérée pour permettre la dénitrification. L’air est fourni à partir de deux surpresseurs de 2 300 m³/h unitaires, entraînés par moteurs à deux vitesses ;
— désinfection, réalisée dans un bassin de contact de 200 m³ suivi d’une cuve de stockage de 800 m³ ;
— épaississement-stockage des boues dans un appareil raclé de 67 m² de surface et d’un volume de 200 m³ ;
— stabilisation chimique des boues à la chaux et dessiccation mécanique sur presse à bande filtrante de 2 m de large munie d’un module de pré-égouttage.
Du fait de la faible pollution raccordée à l’origine (30 à 40 % de la charge nominale), l’installation a été mise transitoirement en fonctionnement en nitrification seule sur deux cellules. De juillet à septembre 1984, elle fut mise en expérimentation en nitrification-dénitrification afin de tester les performances et la fiabilité de la filière biologique complète.
Performances prévues de l’installation
Compte tenu des caractéristiques des eaux usées et de la qualité à obtenir sur l’effluent traité, les rendements moyens suivants sont à atteindre :
Paramètres | Décantation primaire | Biologique | Total |
---|---|---|---|
----------- | --------------------- | ----------- | ------- |
DBO₅ | 30-35 % | 96 % | 97,5 % |
DCO | 27-32 % | 88 % | 92 % |
MEST | 60-65 % | 91 % | 96,5 % |
NTK | 10 % | 79,3 % | 81,3 % |
N-NH₄ | 0 % | 80 % | 80 % |
NGL | 10 % | 58,35 % | 62,7 % |
Fonctionnement des filtres biologiques
La station a été conçue pour fonctionner en nitrification-dénitrification à débit constant sur les filtres biologiques, c’est-à-dire à débit d’alimentation plus débit de recirculation constant. Les vitesses hydrauliques sont fixées sur les filtres en fonctionnement, à 13,3 m/h sur le filtre dénitrifiant et 4,4 m/h sur les filtres biocarbones nitrifiants, hors période de lavage. Un lavage de chaque filtre effectué avec l'eau traitée de l’étage biologique est réalisé quotidiennement ; les eaux de lavage, par l’intermédiaire de l’épaississeur, sont renvoyées en tête de l’installation. Lors des lavages, l’installation fonctionne hors recyclage.
Campagne analytique
Sur une période de trois mois, de juillet à septembre 84, l'installation a fonctionné en nitrification-dénitrification et des contrôles furent effectués au cours du temps sur prélèvements moyens 3 heures en eau brute, eau décantée primaire, sortie dénitrification, eau épurée.
Les paramètres DCO, N.NH₄, N.NO₂⁻, N.NO₃⁻ furent mesurés sur le site, à l'aide d’un matériel analytique de campagne.
De plus, des analyses complémentaires, DBO, NTK, MEST, furent effectuées périodiquement par un laboratoire extérieur sur échantillons moyens journaliers. Parallèlement à ces contrôles analytiques, les débits d'eau entrant sur la station ont été enregistrés. Enfin, des contrôles de matières en suspension et de matières volatiles furent réalisés sur les eaux de lavage.
Les performances de l'installation sont détaillées ci-après.
Performances techniques de l'installation
Le schéma de la figure 3 représente le fonctionnement hydraulique moyen de l’installation durant la période d’expérimentation.
Les éléments caractéristiques relevés figurent dans les tableaux qui suivent :
Charge de la station
Paramètres | Appliqué | % du nominal |
---|---|---|
Débit | 1 060 m³/j | 33 |
DCO | 477 kg/j | 30 |
DBO | 214 kg/j | 33,5 |
NTK | 40,3 kg/j | 33,6 |
Conditions de fonctionnement de l’étape biologique
Paramètres | Unité | Anaérobie | Aérobie |
---|---|---|---|
Vitesse (sur débit global, recyclages inclus) | m/h | 11,6 | 3,9 |
Vitesse (sur débit traversier) | m/h | 2 | 0,7 |
Temps de séjour apparent (sur débit traversier) | h | 1,25 | 3,6 |
Élimination des polluants aux diverses étapes du traitement
POLLUTION ÉLIMINÉE (kg/j)
Etapes | DCO | NTK | N.NH₄ | N.NO₃ | MEST | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Kg/j | % | Kg/j | % | Kg/j | % | Kg/j | % | Kg/j | % | |
Décantation primaire | 179,4 | 40,4 | 10,6 | 28,7 | 0,9 | 3,2 | 1,9 | – | 109 | 70,4 |
Filtre anaérobie | 158 | 35,6 | 26,4 | 71,3 | 4,8 | 17,3 | 18,2 | 45,8 | 29,6 | – |
Filtres biocarbone | 106,8 | 24 | 0 | – | 22 | 79,4 | –22,8 | – | – | – |
TOTAL | 444,2 | 100 | 37 | 100 | 27,7 | 100 | 154,8 | 100 | – | – |
Qualité du traitement obtenu
Paramètres | E.B. (mg/l) | E.E. (mg/l) | Rendement % |
---|---|---|---|
DCO | 448 | 30 | 92,3 |
DBO | 202 | 10 | 95,5 |
NTK | 38 | 5 | 86,8 |
N.NH₄ | 28 | 2 | 92,9 |
N.NO₂ | 10 | 0,2 | – |
N.NO₃ | 0 | 45 | – |
NGL | 38 | 9,7 | 74,5 |
MEST | 150 | 4 | 97,3 |
Les courbes synoptiques Eau Brute – Eau traitée, établies au cours de l’expérimentation (sur échantillons moyens journaliers), en DCO, en azote et en débit sont représentées sur les figures 4 et 5.
Performances face aux fluctuations quotidiennes de charge
Les contrôles effectués toutes les trois heures permettent de suivre les performances du procédé face aux fluctuations de la pollution au cours de la journée.
En raison de la sous-charge de la station, les lavages des filtres biologiques étaient programmés de jour durant la pointe de pollution, afin d’accentuer les effets de pointes hydraulique et polluante et de limiter le nombre de cellules en fonctionnement durant la pointe. Les diverses fluctuations relevées sont schématisées sur les figures 6, 7, 8 et 9.
Les résultats obtenus et visualisés sur les courbes précédentes montrent la grande stabilité du traitement face aux fluctuations des pollutions incidentes.
Dans les conditions de marche de l’unité, la réalisation des lavages en période de pointe de pollution journalière a conduit à appliquer, en pointe sur 2 heures sur les filtres biologiques restant en fonctionnement, des charges de :
0,66 kg N.NH₄/m³.j et 4,9 kg DCO/m³.j
On constate que, dans ces conditions de charge, les rendements d’élimination des pollutions restent élevés au niveau du biologique à biomasse fixée : 90 % sur N.NH₄, 92,6 % sur DCO et 83 % sur N.(NH₄⁺+NO₃⁻).
Aération – Besoins en air
La puissance d’aération installée (deux surpresseurs à deux vitesses) a été définie de manière à pouvoir traiter, en élimination simultanée de la DBO et de l’azote, en conditions de charge polluante nominale, une pointe double de la charge moyenne journalière.
Ces valeurs adoptées correspondent à un besoin en air (pré-établi expérimentalement) de 25 m³/kg DCO éliminée, de 200 m³/kg N nitrifié (azote ammoniacal ou organique oxydé en azote nitrique) et de 75 m³/kg N nitrifié-dénitrifié (azote ammoniacal ou organique oxydé en azote nitrique, puis réduit en azote gazeux).
À partir de ces valeurs et des flux de pollution à éliminer au cours de la journée pour maintenir la qualité du traitement désiré, les besoins en air varient comme indiqué sur la figure 10.
Au cours de l’expérimentation, l’aération a été maintenue au minimum de ses capacités (un surpresseur en petite vitesse = 1 150 m³/h). L’air insufflé au cours des essais est, en moyenne, largement excédentaire par rapport aux besoins. Dans les périodes de pointe, il correspond sensiblement aux besoins théoriques. La qualité du traitement, dans ces périodes restant alors conforme, il y a donc confirmation à échelle industrielle des besoins en air prévus expérimentalement.
Conclusion
Les résultats obtenus en nitrification-dénitrification d’eau usée sur la station de Valbonne Sophia-Antipolis démontrent la fiabilité de la filière de traitement par biomasse fixée sélectionnée.
Ils permettent de vérifier à pleine échelle les paramètres de dimensionnement et confirment, pour l’élimination de l’azote, que le procédé utilisé permet d’obtenir, dans une installation très compacte, un traitement très performant au double plan de la qualité et de la stabilité.