De nombreux secteurs industriels utilisent des traitements de surfaces des métaux et génèrent des acides usés pollués par des métaux lourds. Ces déchets sont généralement neutralisés par le lait de chaux et les boues produites par les précipitations de métaux sont déshydratées par filtres presses. Un nouveau procédé (Neutracalc®) propose de remplacer le lait de chaux par du calcaire broyé en tant qu'agent neutralisant. Un banc d'essai a alors été développé afin de mettre en ?uvre ce procédé et permet de comparer la neutralisation des acides usés par le calcaire broyé et par le lait de chaux. Le comportement des boues générées par les réactions de précipitation est évalué dans le banc de filtration-compression de l'IFTS qui permet de simuler leur traitement ultérieur sur filtre-presse. Ces données obtenues sur les bancs d'essais sont nécessaires pour réaliser un bilan technico-économique des deux procédés et de quantifier les gains obtenus par le procédé Neutracalc®.
Pascal Ginisty, Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives (IFTS)
Maurice Bergonzo, Provalva
De nombreux secteurs industriels utilisent des traitements de surfaces des métaux et génèrent des acides usés pollués par des métaux lourds. Ces déchets sont généralement neutralisés par le lait de chaux et les boues produites par les précipitations de métaux sont déshydratées par filtres presses. Un nouveau procédé (Neutracalc®) propose de remplacer le lait de chaux par du calcaire broyé en tant qu’agent neutralisant. Un banc d’essai a alors été développé afin de mettre en œuvre ce procédé et permet de comparer la neutralisation des acides usés par le calcaire broyé et par le lait de chaux. Le comportement des boues générées par les réactions de précipitation est évalué dans le banc de filtration-compression de l’IFTS qui permet de simuler leur traitement ultérieur sur filtre-presse. Ces données obtenues sur les bancs d’essais sont nécessaires pour réaliser un bilan technico-économique des deux procédés et pour quantifier les gains obtenus par le procédé Neutracalc®.
La pollution aqueuse par les métaux lourds représente entre 30 et 40 % de la pollution industrielle. Plus précisément, le polissage des métaux, l’électrochimie et la galvanoplastie génèrent une grande quantité d’eaux usées acides polluées par de nombreux métaux lourds (Al, Cd, Co, Cr, Cu, Fe, Mn, Ni, Pb, Zn, …). En Europe, la quantité de ces déchets à traiter s’élève à 1 500 000 – 1 700 000 t/an. Ces contaminants doivent être prélevés des eaux usées avant leur mise en décharge puisqu’ils sont considérés comme persistants, bio-accumulatifs et toxiques. De toutes les techniques de traitement, la précipitation d’hydroxyde des métaux lourds est la plus généralement utilisée en raison de son faible coût et de sa simplicité d’utilisation. Elle génère également des boues usées qui sont traditionnellement déposées dans des décharges de déchets dangereux mais qui peuvent être également retraitées pour récupérer les métaux précieux.
Le traitement chimique de ces acides usés consiste à amener leur pH à une valeur où les métaux concernés sont précipités par l’addition d’agents neutralisants. Un certain nombre de réactifs existent (oxyde de calcium, hydroxyde de calcium, magnésium, hydroxyde de magnésium, hydroxyde de sodium, carbonate de sodium) pour précipiter les métaux dissous sous forme d’hydroxydes insolubles. Parmi ces réactifs, la chaux est le réactif le plus utilisé car il est facilement disponible et peu onéreux en comparaison des autres produits alcalins, dont le coût est affecté par la fluctuation des prix de ventes. Celle-ci peut être également utilisée sous la forme de lait de chaux pour faciliter sa mise en œuvre.
L'étape clé pour l'élimination des métaux lourds est de trouver le pH optimal de leur précipitation, différent d’un métal à un autre. Certains d’entre eux (Fe, Zn, Ni) sont insolubilisés à un pH compris entre 5 et 9 et d'autres métaux requièrent un pH plus élevé (9-11) pour précipiter les hydroxydes. La boue produite par la précipitation de métaux est ensuite déshydratée sur filtre-presse. Après le pressage, le gâteau de filtration généré par une filière de traitement classique peut contenir entre 3 et 4 tonnes d'eau pour chaque tonne d’hydroxyde, et avoir une densité comprise entre 0,25 et 0,3 t/m³. La grande quantité de boues produites et l'évolution de la réglementation, de plus en plus stricte, renforcent le besoin d'une approche alternative aux filières classiques de traitement des effluents.
La société Provalva a déposé un brevet français et européen pour un procédé innovant, Neutracalc®, dans le traitement des déchets industriels en provenance principalement des industries de traitement des surfaces métalliques. Il suit le même cheminement que le procédé classique au lait de chaux et utilise le même principe actif (CaO) comme l’illustre la figure 1. La différence essentielle porte sur la molécule inerte accompagnant le principe actif : H₂O pour le procédé au lait de chaux et CO₂ pour le procédé Neutracalc®. Or, tandis que l'eau liquide est présente depuis l’entrée dans le réacteur jusqu'à la production des déchets ultimes, le CO₂ gazeux s’échappe au fur et à mesure de l’avancement des réactions. Cette différence a des conséquences importantes sur le volume des déchets liquides et solides, sur les volumes réactionnels mis en jeu et donc sur l'économie du procédé de neutralisation des acides usés.
Le processus classique de neutralisation peut devenir innovant et durable en remplaçant la chaux par le calcaire. Le calcaire est une pierre qui contient une quantité significative de carbonate de calcium (calcite) mais également d'autres minéraux de carbone comme la dolomite ou l'aragonite. Il peut être produit en forme purifiée comme le carbonate de calcium broyé et il est moins onéreux que la chaux. En effet, la chaux est produite par dissociation du carbonate de calcium à 1200 °C dans un four à chaux générant des quantités importantes de dioxyde de carbone. Cependant, la chaux est une base plus forte que le calcaire et il est nécessaire de combiner les deux traitements pour insolubiliser certains métaux dont le pH de précipitation est compris entre 9 et 11. La difficulté rencontrée pendant plusieurs années a été la mise en œuvre d'une alimentation simultanée et proportionnelle du réactif solide (calcaire finement broyé) et liquide (acide usé). En effet, les réactions de neutralisation sont immédiates et provoquent à la fois un fort dégagement de mousses et des dépôts de précipités solides (dans le cas de sels de calcium insolubles). Un banc d’essais a été développé pour pallier ces difficultés.
Cet article présente la comparaison technico-économique entre le processus innovant de traitement des eaux usées acides (Neutracalc®) utilisant le calcaire broyé et le processus « physico-chimique » classique utilisant le lait de chaux, à partir de la neutralisation d’acides usés synthétiques chargés de métaux lourds jusqu'à la filtration-compression de la boue générée.
Discussions
Les essais ont été menés sur des acides usés synthétiques dont les formulations ont été choisies afin de simuler plusieurs comportements et dont les concentrations en acide et métaux lourds sont représentatives d'acides usés industriels.
• VAI : Monoacide avec sel de calcium
• VA1 : Monoacide soluble et sans métaux lourds : HCl 360 g/L.
• VA2 : Monoacide avec sel de calcium soluble et métaux lourds : HNO₃ 52 g/L + Fe(NO₃)₃ 101 g/L + Ni(NO₃)₂ 8,7 g/L.
• VA3 : Diacide avec sel de calcium insoluble et métaux lourds : H₂SO₄ 139 g/L + Fe₂(SO₄)₃ 6,6 g/L.
• VA4 : Triacide avec sel de calcium soluble et métaux lourds : H₃PO₄ 289 g/L + FePO₄ 1,9 g/L.
Elles ont été mises en œuvre dans le banc d’essais développé spécifiquement pour évaluer le procédé Neutracalc®. Il est constitué de deux cyclones. Le premier, en amont, fortement incliné, permet la formation au bas de l'appareil d’un vortex formé par le liquide (acide usé) qui est injecté à grande vitesse au sommet de façon tangentielle. Le solide pulvérulent est alimenté, via une vis doseuse, au centre du dit vortex par un tube en acier spécial chauffé à 130 °C et poli-miroir à l'intérieur pour éviter tout risque de colmatage des parois internes dû à l’hygroscopicité du calcaire. Le volume de vortex doit être tel que le temps de résidence du bain réactionnel naissant soit extrêmement court, pour permettre le transfert sans encombre du mélange réactionnel vers un second cyclone en aval. Sa forme cyclonique offre une large surface d’évaporation, facilitant la sortie du dioxyde de carbone et permet une cinétique de la réaction chimique plus rapide.
Une pompe de recyclage fait circuler le bain réactionnel (injecté tangentiellement au sommet du deuxième cyclone) le long des parois du cyclone en formant un film mince qui combat la tension superficielle des mousses et permet de les abattre. La température et le pH sont mesurés en ligne. Ce banc d’essai permet de comparer la neutralisation du carbonate de calcium broyé à celle de la chaux. Cette dernière a été utilisée sous forme de lait de chaux, fourni par un site industriel, d'une concentration de 250 g/L et alimenté directement dans le cyclone. Le débit du flux de carbonate de calcium injecté et celui de la chaux ont été adaptés afin d’obtenir une réaction contrôlée avec une quantité limitée de mousse.
Les résultats des essais de neutralisation mettent en évidence des cinétiques de neutralisation comparables (ramenées à la tonne d’acide traitée) entre le carbonate de calcium et le lait de chaux pour atteindre un pH voisin de la neutralité. Pour l’acide nitrique, une quantité de lait de chaux a été ajoutée afin d’atteindre un pH de 9 pour la précipitation du nickel. La quantité de carbonate de calcium ajoutée était en dessous de la stœchiométrie afin d’empêcher une réaction entre la chaux et le dioxyde de carbone, créant du carbonate de calcium.
La neutralisation des acides et la précipitation des métaux lourds conduisent à une formation de boues qui est échantillonnée à la fin de la réaction de neutralisation. Leur concentration varie de 8 à 25 % en fonction des acides et de l’agent neutralisant (le lait de chaux a tendance à diluer les boues). Les solides constituant les boues d’hydroxyde (essentiellement présentes dans l’acide nitrique puisque les sels de calcium sont solubles) ont une taille moyenne de 7 µm alors que les précipités calciques ont une taille moyenne plus élevée, voisine de 20 µm (majoritaires dans les acides sulfurique et phosphorique). Les boues ont été déshydratées dans les cellules de filtration-
compression (photo 2) d’un diamètre intérieur de 70 mm et équipé d'une toile synthétique fermée de filtre-presse. L’objectif était de simuler des conditions de filtres presses : pour cela une pression de 5 bar a été appliquée pendant la filtration et une pression de 15 bar avec un piston pendant la compression.
La masse de filtrat est enregistrée pendant les expérimentations. Les résultats montrent que la résistance spécifique des gâteaux obtenue avec le carbonate de calcium et la chaux sont comparables, celle-ci étant 1000 fois plus élevée pour les boues d’hydroxydes, plus colloïdales et compressibles que les boues calciques (gypse, phosphate de calcium). La productivité de filtration est donc principalement dépendante du volume et de la concentration des boues. Elle est également plus élevée avec le carbonate de calcium si les résultats sont comparés sur la base de la quantité d’acides traités. Les masses finales de solide et de liquide ont été mesurées pour un bilan comparatif de masses. Les gâteaux obtenus à partir des boues neutralisées avec le calcaire sont mieux déshydratés que ceux issus de la neutralisation avec le lait de chaux (gain de 3, 8 et 20 points de siccité respectivement pour l’acide sulfurique, nitrique et phosphorique). Ces résultats expérimentaux ont permis de quantifier les avantages technico-économiques du procédé Neutracalc® par rapport au procédé classique au lait de chaux en fonction des acides traités.
Le premier avantage de l'utilisation du carbonate de calcium à la place de la chaux est la limitation de la quantité d’eau nécessaire pour traiter les acides.
La figure 2 montre que la quantité d’eau ajoutée par tonne d’acides traités est négligeable pour le carbonate de calcium comparée à la quantité ajoutée pour le lait de chaux qui amène au réacteur 288 kg d'eau par kmole de CaO.
Pour ce qui est du procédé Neutracalc®, les quantités d’eau ajoutées sont dues au minimum nécessaire pour éviter dans le cas de l’acide phosphorique une trop forte concentration en solides en fin de réaction et dans le cas de l’acide chlorhydrique une formation trop violente de mousses compte tenu de la forte concentration en acide.
La principale conséquence du remplacement du lait de chaux par le carbonate de calcium est l’augmentation de la productivité du processus de traitement des acides qui s’explique par la réduction du volume à traiter pour une quantité donnée d’acide ou inversement (figure 3).
Par conséquent, le processus de carbonate de calcium, pour un volume réactionnel donné, peut traiter en moyenne 53 % d'acides usés de plus que le processus de la chaux. L’accroissement de production par bâchée pour le procédé Neutracalc® est de 40 % pour les acides faibles et 78 % pour les acides forts.
Une autre conséquence est la réduction de déchets liquides et solides comme le confirme la figure 4.
Le processus de carbonate de calcium permet de diminuer les déchets liquides et solides. Pour l’acide chlorhydrique, il ne concerne que les déchets liquides puisque le chlorure de calcium est soluble et l’acide usé ne contenait pas de métaux lourds. Pour l'acide nitrique, la différence est essentiellement due aux déchets liquides également, compte tenu de la forte solubilité du nitrate de calcium.
Par contre, pour les autres acides (sels de calcium insolubles), la diminution de la quantité de déchets solides est diminuée de 19 % et la quantité de déchets liquides de 37 % pour le procédé Neutracalc®.
En termes économiques, le gain sur la diminution des quantités est plus important pour les solides que pour les liquides en raison du coût de leur traitement de solidification chimique et du volume plus faible occupé par les déchets solides (en rai-
son d'un poids spécifique plus élevé) pour une élimination en centre de stockage des déchets ultimes. Sur cette base, la figure 5 illustre le gain économique du procédé Neutracalc® par rapport au procédé classique du lait de chaux.
En valeur absolue, le gain apporté par le procédé Neutracalc® est de 7,90 €/t pour l’acide le plus faible et 33,20 €/t pour l’acide le plus fort. Il ne prend pas en compte l’ensemble du cycle de vie du processus qui avantage le procédé Neutracalc®.
En effet, l’analyse économique devrait également considérer la réduction des émissions de dioxyde de carbone (estimée à 172 kg/t d’acide traité), liée principalement à la production de chaux vive à partir du calcaire, la réduction de l’énergie fossile (estimée à 55,5 kg eq pétrole/t acide traité) ainsi que la réduction des investissements de filtres presses ou des coûts d’opérations.
Conclusion
L’étude du processus Neutracalc®, basé sur l’utilisation du carbonate de calcium broyé, a pour objectif de neutraliser les eaux acides et de précipiter les métaux lourds. Ce procédé présente alors plusieurs avantages comparativement au processus classique « physico-chimique » basé sur le lait de chaux :
- • Réduction des énergies fossiles et des émissions de dioxyde de carbone liées à la transformation de calcaire en chaux vive.
- • Réduction de la consommation d'eau utilisée pour la préparation du lait de chaux.
- • Réduction des coûts de réactifs.
- • Réduction du volume réactionnel pour une quantité donnée d’acides à traiter.
- • Réduction des déchets liquides et solides et des coûts associés à leur traitement et à leur mise en décharge.
Les expériences, réalisées sur les acides usés synthétiques, montrent que les durées de neutralisation sont comparables avec les deux réactifs et les caractéristiques des boues produites par ce nouveau procédé sont plus favorables à leur déshydratation ultérieure sur filtre-presse que celles générées par la neutralisation au lait de chaux.
Remerciements
Les auteurs remercient le DGCIS pour le financement d’une partie du projet dans le cadre de l’appel à projet « Eco-Industries ».