Les réseaux de distribution d'eau potable ont toujours comporté, de par l'importance vitale du produit transporté, une structure interconnectée qui maximise la fiabilité de la desserte des abonnés. La nature aléatoire du phénomène de consommation, alliée à la taille importante de ces réseaux, qui rend difficiles les estimations manuelles de leur comportement, a rapidement conduit les exploitants à utiliser des outils de simulation informatisés pour analyser leur fonctionnement.
En revanche, les réseaux de chauffage urbain, et particulièrement les réseaux d’eau surchauffée, sont de conception plus récente et différents par leurs caractéristiques générales :
- — taille plus modeste ;
- — coût d'installation élevé ;
- — pertes de chaleur sur le réseau ;
- — danger potentiel pour l’environnement.
Par ailleurs, leurs coûts d'investissement ont conduit les concepteurs à adopter de petits diamètres de conduites et des structures de réseaux ramifiés qui réduisent le linéaire installé.
Comme, d’autre part, les consommateurs sont tous bien identifiés et que leur comportement est assez prévisible — la puissance maximum souscrite étant contractuelle —, le fonctionnement global du réseau est qualitativement bien connu. Il est même aisé à calculer manuellement sur un réseau ramifié.
Les réseaux de chaleur sont cependant sujets à une importante croissance géographique, et à une demande de continuité de fourniture accrue de la part de certains clients (hôpitaux, industriels), ce qui conduit, dans certains cas, à constituer un véritable réseau maillé. La simulation du fonctionnement de tels réseaux ne peut alors être réalisée sans l'aide d'outils logiciels. Cet article en présente les caractéristiques au travers d'une application réalisée pour le compte de la Société de Distribution de Chaleur de Saint-Denis, exploitante du réseau de la ville.
Le réseau de Saint-Denis
Description
Le réseau de chaleur de Saint-Denis a été créé en 1951 autour d'une chaufferie desservant initialement le centre-ville.
Il s'est étendu depuis régulièrement, pour comporter aujourd'hui :
- • Trois chaufferies représentant 190 MW de puissance installée :
- — Fort de l'Est : charbon,
- — Centrale Nord : mixte fioul lourd/gaz,
- — Centrale Fabien : gaz ;
- • Un réseau : 900 tronçons, 100 vannes de barrage pratiquement complètement maillé, en eau surchauffée à 180 °C, d'une longueur totale de 40 km, 210 sous-stations à échangeurs à faisceau.
Les vannes de barrage permettent d'alimenter par telle ou telle chaufferie une portion donnée de ce réseau, l’objectif étant à la fois d’assurer la sécurité de la fourniture de chaleur et d'utiliser prioritairement le combustible le moins cher.
Le problème posé
Le problème posé à la Société de Distribution de Chaleur de Saint-Denis, filiale du Groupe INES est double :
- — d'une part, du fait du développement du réseau, il faut aujourd'hui implanter une nouvelle chaudière et donc savoir, selon ses localisations possibles, comment se répartiront les débits pour chacune des configurations du réseau ; l'examen doit prendre en compte, également, la possibilité de raccordement d'une usine d'incinération d'ordures ménagères ;
- — d'autre part, automatiser la gestion des débits au départ des centrales thermiques pour optimiser l'utilisation des combustibles.
Les conditions à respecter sont de deux sortes :
- — ne pas dépasser la vitesse limite dans les canalisations et la puissance maximum de pompage ;
- — assurer une pression différentielle minimum, nécessaire pour alimenter chaque sous-station.
On notera à ce propos que si, en réseau arborescent, il est possible de choisir une sous-station défavorisée et de renvoyer en chaufferie l'information de la pression disponible pour piloter la vitesse des pompes, cela n'est pas possible en réseau maillé puisque la sous-station défavorisée varie en fonction du débit fourni par les chaufferies et de la fermeture des vannes de barrage.
L'outil de modélisation
Compte tenu des outils disponibles sur le marché, il nous a été demandé par la société INES de réaliser des extensions de nature thermique à notre logiciel Piccolo (1). Ainsi est née la première version de « Picalor » sur micro-ordinateur (MS-DOS).
De l'eau potable...
Piccolo est un outil de modélisation des réseaux de distribution d'eau sur micro ou mini-ordinateur, comportant les caractéristiques suivantes :
- — un module graphique, pour la représentation schématique des données et résultats de calcul, ou le tracé de courbes ;
- — un langage de commande, qui permet de saisir, de manipuler, de modifier interactivement les données, d'obtenir graphiquement ou numériquement les résultats ;
- — des fonctions d'aides, de sélections multicritères, de formatage des données et résultats ;
- — une modélisation de tous les appareils hydrauliques classiques et de plusieurs formules de perte de charge ;
- — un noyau de calcul basé sur l'algorithme hybride (de type Newton réduit) très performant (3) et optimisé, qui conduit à une précision et des temps de calcul excellents.
La simulation en régime dynamique utilise une méthode d'intégration de Runge-Kutta à l'ordre quatre, à pas adaptatif, ce qui permet de calculer exactement les dates d'incidents et de prendre en compte les changements de régime.
... à l'eau surchauffée
La facilité avec laquelle Piccolo permet la manipulation interactive des données en faisait un outil de choix pour la modélisation du réseau de Saint-Denis : modifications de la marche des pompes, des consignes des sous-stations, déplacement des vannes de barrage, calcul et visualisation du résultat.
Picalor a bien sûr conservé toutes les fonctionnalités de celui-ci, et s'est enrichi des spécificités suivantes :
- — possibilité de définir les courbes température/viscosité et température/volume massique du fluide étudié ;
- — l'équation de perte de charge utilisée est la formule de Colebrook complète ; elle tient compte du nombre de Reynolds pour chaque canalisation, des différents modes d'écoulement (laminaire, transition, turbulent), ainsi que de la température de l'eau, par l'intermédiaire des courbes mentionnées ci-dessus ;
- — le calcul se fait en débit massique : la masse est conservative aux intersections et le coefficient de chaleur massique constant ;
- — les chaufferies sont représentées avec une consigne de départ en température ;
- — les températures de mélange sont calculées et propagées dans le sens de l'écoulement.
À partir des données introduites, Picalor calcule la puissance fournie par les chaufferies, les débits, vitesses, pressions, pertes de charge, etc. en tout point du réseau, ainsi que les débits et pressions disponibles pour chaque sous-station.
Principe de la modélisation
La modélisation s'appuie sur le calcul hydraulique habituel. En effet, même dans le cas simple des réseaux ramifiés, l'existence de stations partiellement servies introduit des mailles hydrauliques qui imposent l'utilisation d'une modélisation complète.
Ce calcul détermine à la fois débits et charges, et le mode de fonctionnement de chaque station. Les températures sont alors propagées dans le sens d'écoulement, et les températures de mélange calculées, puis le calcul hydraulique reprend avec les nouvelles températures, jusqu'à la convergence. L'ensemble des résultats (débits, pressions, températures, puissances...) est alors disponible graphiquement ou numériquement.
Les sous-stations, modélisées comme étant associées à des vannes de régulation, se trouvent dans l'une des trois situations suivantes :
- — si la pression de service est suffisante, la vanne de régulation se ferme partiellement pour maintenir le débit de consigne, correspondant à la puissance thermique appelée ;
- — si ce n’est pas le cas, la vanne de régulation est grande ouverte ; le débit est calculé en fonction de l’écart de pression disponible ; la station est alors partiellement servie ;
- — enfin, la station est à l’arrêt si la pression du réseau retour est supérieure à la pression du réseau aller.
Utilisation pratique
En pratique l’utilisateur commence par décrire l’ensemble du réseau : longueurs, diamètres, nœuds, vannes de barrage, sous-stations, etc.
Il modélise les pompes par le biais d’une courbe débit-HMT à vitesse nominale, du nombre de groupes en fonctionnement et de la vitesse de rotation de chacun de ces groupes, dans le cas de groupes à vitesse variable.
Les sous-stations imposent dans le modèle actuel une température de sortie fixée par l’utilisateur. Leur débit nominal, lié à la température de service et à la puissance appelée (qui varie linéairement en fonction de la température extérieure) est également une donnée, ainsi que la résistance hydraulique minimale de l’ensemble station-vanne de régulation.
Le positionnement des vannes de barrage, qui isolent les zones de service de chaque chaufferie, peut s’effectuer, soit directement par pointé à l’écran sur le schéma du réseau, soit au moyen de macros décrivant les configurations courantes.
Enfin, l’utilisateur peut modifier interactivement, individuellement ou globalement, les températures de sortie, les puissances nominales des sous-stations, etc.
Autres applications
Picalor a été initialement développé pour satisfaire les besoins exprimés sur le réseau de la ville de Saint-Denis, mais il peut désormais s’appliquer dans d’autres cas : il est ainsi utilisé actuellement pour la modélisation du réseau d’eau thermale de Dax, premier centre thermal en France. En effet, la ville souhaite remplacer le réseau actuel, vétuste et mal adapté au développement des Thermes, par une grande boucle de 4 km, avec stockages, alimentée par des forages. L’eau thermale est un fluide chaud et de caractéristique physique (viscosité) différente de l’eau potable. L’objet de l’étude est principalement d’affiner l’exploitation en régime normal et en cas d’incident sur le nouveau réseau, mais il s’agit également de réaliser une vérification du calcul des pertes thermiques des réserves.
Des outils de calcul, opérationnels sur micro-ordinateurs, qui peuvent être utilisés directement par les exploitants sont désormais disponibles. Ils peuvent maintenant répondre aux besoins de simulation, en temps différé, voire en temps réel.
Perspectives de développement
L’outil, dans sa forme actuelle, a répondu à un besoin immédiat pour traiter un cas spécifique d’utilisation ; toutefois il ne modélise pas encore explicitement l’interaction hydraulique/thermique. Trois axes de développement vont être engagés désormais pour en généraliser l’utilisation :
- — un affinement de la modélisation des réseaux d’eau surchauffée ; déperdition calorifique, régulation température/débit des sous-stations ; calcul du coût de fonctionnement ;
- — l’optimisation en temps réel de la conduite des pompes de circulation ;
- — enfin la modélisation interactive des gros réseaux de vapeur maillés, qui présentent une forte similitude avec les réseaux d’eau (compte tenu de la compressibilité du fluide) : étude de fonctionnement, problèmes de condensation, etc.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- 1. D. Demongeot, P.-A. Jarrige : Développements récents dans la modélisation des réseaux d’eau potable, L’eau, l’industrie, les nuisances, 1989, 132, pp. 51-53.
- 2. P.-A. Jarrige : Commande optimale de réseaux de chauffage géothermique, thèse de docteur-ingénieur, 1987, ENSMP-CAI.
- 3. Y. Hamam, A. Brameller : Hybrid method for the solution of piping networks, 1971, PROC. IEE, vol. 118, 1971, pp. 1607-1612.