L'auteur présente les résultats d'études expérimentales effectuées sur un nouveau type de cartouche filtrante à haute efficacité et à haut rendement, utilisé principalement pour éliminer les matières colloïdales dans l'eau déminéralisée servant au rinçage des tranches de silicium, en micro-électronique. Cette cartouche filtrante est constituée de cartouches plissées classiques, mais enrobées d’une couche de résines cationiques et anioniques, de type « macroréticulées ». L'association de résines et de filtres dans une même cartouche permet d’obtenir des rendements de filtration et des qualités d'eau rarement atteints par les techniques classiques.
L’EAU DÉMINÉRALISÉE À TRÈS HAUTE PURETÉ
La technologie de fabrication des semi-conducteurs, en particulier celle des circuits intégrés, a été ces dernières années inexorablement contrainte d'inclure dans les lignes de production des équipements de plus en plus sophistiqués et de plus en plus performants, pour tenter de résoudre, entre autres difficultés, les multiples problèmes de l'ultra-purification des fluides, liquides et gazeux.
Les principaux de ces fluides concernés peuvent être rangés dans trois catégories bien distinctes :
- — Les acides, bases, alcools, hydrocarbures, solvants...
- — Les gaz de toutes natures.
- — L'eau déminéralisée.
Pour les deux premières catégories, il est juste d'affirmer que les problèmes posés par leur purification chimique et leur clarification sont actuellement résolus de manière fort satisfaisante, à quelques exceptions près bien sûr (par exemple, les acides forts à haute concentration ou encore certains photo-resists).
Dans le cas de l'eau déminéralisée, on s'aperçoit vite que l'on doit traiter un fluide qui comporte non seulement une très grande quantité de contaminants, mais encore que la proportion de ces contaminants varie dans le temps, soit par des variations aussi instantanées qu'imprévisibles, soit par un processus de lente dégradation dû à la pollution générale de l'environnement.
Les difficultés éprouvées pour maintenir la qualité de l'eau déminéralisée utilisée pour les rinçages des circuits intégrés, conjuguées avec l'augmentation des rendements de production (accroissement de la taille des tranches, miniaturisation poussée des puces), sont donc la source de beaucoup de soucis pour les ingénieurs chargés de la production de cette eau déminéralisée de très haute pureté.
LES CONTAMINANTS TYPIQUES
Les différents contaminants que l’on peut rencontrer dans l'eau peuvent être classés en cinq catégories bien définies :
- a) Les contaminants ioniques,
- b) Les particules en suspension,
- c) Les micro-organismes,
- d) Les matières organiques,
- e) Les matières colloïdales.
Les contaminants ioniques de la première catégorie sont bien éliminés par les techniques classiques d’échange d’ions, à l'exception peut-être de quelques ions comme le bore qui se fixe difficilement sur les résines classiques.
La seconde catégorie comprend les particules en suspension. Il est bien certain qu'il s'agit là des particules solides, indéformables, et des fibres. Ces contaminants sont en général bien arrêtés par les membranes filtrantes traditionnelles. Il suffit simple-
ment de choisir correctement le diamètre de pore, en fonction de la précision des semi-conducteurs considérés, et la surface, en fonction du débit d'eau requis.
La troisième catégorie comprend les micro-organismes de toutes sortes : bactéries, levures, moisissures, spores, etc. Là aussi, sous certaines conditions, les membranes filtrantes les arrêtent à 100 %.
La quatrième catégorie comprend les matières organiques. Elles sont généralement éliminées par fixation sur des charbons activés ou sur des résines spécialisées, avec d’ailleurs plus ou moins de réussite. Il reste cependant difficile de contrôler l’efficacité de ces matériaux dans le temps, et donc d’être certain qu'il n'y a aucun relargage de matières organiques.
La cinquième catégorie comprend uniquement les matières dites « colloïdales », et il apparaît maintenant que c’est de loin le problème le plus difficile à résoudre dans la production d’eau ultra-pure pour les semi-conducteurs.
NATURE DES MATIÈRES COLLOÏDALES
Bien qu'il soit très difficile de déterminer avec exactitude la nature et le comportement des matières colloïdales, les hypothèses suivantes ont été avancées [KUNIN] :
Les colloïdes qui sont toujours présents dans les eaux de surface, et qui traversent les systèmes de déminéralisation, sont des particules dispersées et ultra-fines, composées essentiellement de SiO₂, Fe₂O₃, Al₂O₃ et de matières organiques comme les acides humiques et fulviques, dans diverses proportions. Ces proportions ne dépendent pas seulement de la nature des sols traversés par les eaux de ruissellement, mais également de la période de l'année, ce dernier facteur ayant une importance non négligeable.
Il se passe donc le phénomène suivant : favorisés par l'activité des micro-organismes dans le sol, le gaz carbonique et les acides organiques (humique, fulvique, etc.) réagissent sur les divers silicates présents dans le sol. Les proportions de ces constituants dépendent de la nature des silicates et de la concentration des acides organiques. L'interaction du fer, de l'aluminium et de l’acide silicique entraîne la formation des colloïdes, avec adsorption de matières organiques. Grâce à la présence de ces matières organiques, les colloïdes sont stabilisés en une suspension hautement dispersée, et ce sont ces suspensions colloïdales que l’on doit éliminer au cours du traitement d'eau. Ces colloïdes présentent des points iso-électriques variables, mais en règle générale, ils sont chargés négativement, tout au moins avec les eaux à traiter.
La structure de ces particules colloïdales a deux conséquences importantes :
- a) Ces particules n’étant pas ionisées traversent aisément les chaînes de traitement d'eau.
- b) Ces particules étant chargées électriquement vont créer sur les membranes filtrantes une couche polarisée, et ainsi colmater ces membranes très rapidement, avec comme corollaire, un coût de filtration très élevé.
HYPOTHÈSE DE TRAVAIL
L’étude expérimentale dont les résultats sont exposés ici a consisté à essayer de mettre au point un produit susceptible de présenter les caractéristiques suivantes :
- — Élimination des matières colloïdales,
- — Élimination des particules en suspension,
- — Élimination des micro-organismes,
- — Non dégradation ou amélioration de la résistivité,
- — Accroissement sensible de la durée de vie des filtres,
- — Réduction du temps de rinçage des filtres.
Toutes ces propriétés réunies devant entraîner une réduction importante du coût total de la micro-filtration de l’eau.
LA CARTOUCHE MACROTUBE (Fig. 1)
La cartouche « MACROTUBE » a été conçue pour satisfaire à ces hypothèses de départ : en réalisant un enrobage d'un filtre-cartouche classique par une précouche composée d'un mélange de micro-résines cationiques et anioniques de type « macroréticulées ».
PROPRIÉTÉS DES MICRO-RÉSINES « MACRORÉTICULÉES »
Nature et comportement en tant que filtre :
Les résines macroréticulées sont des résines en poudre dont les dimensions sont comprises entre 20 et 100 microns pour les résines cationiques et entre
5 et 90 microns pour les résines anioniques. Leur taux de régénération sous forme H+ et OH- est pratiquement de 100 %. Leur diamètre de pore moyen est de l'ordre de 70 000 Å, et a priori il semblerait que ce diamètre de pore soit parfaitement disproportionné par rapport à la taille des particules colloïdales à arrêter. En fait, vu la dimension des grains élémentaires des résines (en moyenne 50 microns), les forces d’attraction entre elles sont considérables et le mélange des microrésines cationiques et anioniques donne lieu à la formation d’un « floc », dont l’expansion peut aller jusqu’à 800 %.
Ce floc se comporte alors très exactement comme un filtre électrostatique retenant les particules colloïdales par leurs charges électriques libres.
Par ailleurs il est très curieux de constater que, si l'on utilise uniquement une résine cationique ou une résine anionique pour réaliser l’empatage, ces résines restent sous la forme de grains et on observe alors une perte de charge très importante. En revanche, si les résines sont empatées en lits mélangés, il se forme un floc dans lequel les grains élémentaires n’existent plus, et la perte de charge devient alors très faible.
Comportement en tant qu’échangeurs d’ions
Le fait de conditionner ces microrésines en lits mélangés permet d’améliorer la résistivité de l'eau traitée, la capacité d’échange dépendant, elle, de la qualité de l'eau à l'entrée.
LA CARTOUCHE-FILTRE À MEMBRANE PLISSÉE
Les microrésines sont conditionnées autour d’une cartouche (ou de plusieurs cartouches empilées) en utilisant une technique d’empatage très délicate à mettre en œuvre dans laquelle les paramètres importants sont la granulométrie des produits, les proportions respectives de l'anion et du cation, la vitesse d’agitation et la vitesse de transport du mélange, ainsi que la grosseur du floc ; un floc trop gros sera trop lourd et s’empatera mal, un floc trop fin aura souvent un excès de fines particules qui provoqueront une perte de charge initiale trop élevée.
Les cartouches-filtres internes, à membrane plissée, ont un double rôle :
- a) elles servent de support mécanique aux microrésines,
- b) elles retiennent les particules, les bactéries ou les fines de résines qui auraient pu traverser la précouche de résines.
Notre choix s'est porté sur des cartouches plissées, comportant environ 4 000 à 5 000 cm² de surface filtrante, ayant une longueur de 25 cm, et un diamètre de pore de 0,45 micron, valeur couramment rencontrée en micro-électronique.
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE ET RÉSULTATS
Montage expérimental
La figure 2 montre le montage expérimental, qui a été utilisé pour ces mesures :
L'eau déminéralisée pénètre dans un circuit possédant deux lignes de mesure en parallèle, chaque ligne comportant :
— un ou plusieurs filtres en série, — un débitmètre, — un compteur volumétrique en PVC, — des prises d’échantillonnage, destinées aux mesures d'indices de colmatage, de résistivité et de pression.
Paramètres mesurés
Les différents paramètres mesurés ont été les suivants :
— Temps et volume d'eau de rinçage de la cartouche. — Pertes de charge en fonction du volume filtré. — Pertes de charge d'une cartouche plissée, après Macrotube. — Indices de colmatage (Fouling Index), en fonction du volume d'eau filtré. — Résistivité en fonction du volume d’eau filtré. — Contamination bactérienne. — Matières organiques. — Impuretés ioniques résiduelles. — Contamination par particules (tentative).
Temps et volume d’eau de rinçage de la cartouche MACROTUBE
Il est bien connu qu'un filtre neuf, quel qu’il soit, est une source de contamination ionique, dès qu'il est installé sur une ligne d’eau à haute résistivité. Mais, au bout d'un certain volume d’eau passé sur le filtre, on doit retrouver la valeur de résistivité mesurée à l'entrée, et il en résulte que ce paramètre est important dans la mesure où il correspond à un temps mort non utilisable par la production.
Deux cartouches MACROTUBE ont été testées (il est bon de noter que chaque cartouche est équipée de deux cartouches plissées de 25 cm) :
Cartouche plissée de 25 cm : 1 000 litres en moyenne
Cartouche Macrotube n° 1 : 310 litres
Cartouche Macrotube n° 2 : 40 litres
La figure 3 montre la remontée en résistivité des deux cartouches Macrotube. Il aurait fallu normalement 2 000 litres d'eau pour rincer les deux cartouches plissées contenues dans le Macrotube.
Pertes de charge en fonction du volume d’eau filtré (fig 4)
Les courbes de perte de charge en fonction du volume filtré montrent que, si la pression disponible avait été plus forte, on aurait pu atteindre aisément des volumes plus importants que 1 000 mètres cubes. Par ailleurs, ces courbes sont données pour une cartouche MACROTUBE équipée de deux cartouches plissées, empilées et enrobées de microrésines.
Pertes de charge d’une cartouche plissée protégée par une cartouche MACROTUBE
La figure 5 montre les courbes de pertes de charge d'une cartouche plissée standard, ayant un diamètre de pore de 0,45 micron, une longueur de 25 cm, sans enrobage de microrésines, placée immédiatement après la cartouche MACROTUBE.
Sachant que la durée de vie moyenne d'une telle cartouche plissée est de l’ordre de 100 m³, avec une perte de charge de 2 bars, on constate ici qu'après avoir filtré 1 000 m³ sur cette cartouche plissée, on mesure une perte de charge de 0,9 bar (à 1 m³/h). La courbe étant pratiquement linéaire (pente : 0,2 mbar/m³), on peut estimer, en extrapolant, que la durée de vie de cette cartouche plissée pourrait être de 6 000 mètres cubes (à 1 m³/h et 2 bars).
C'est un chiffre énorme, qui reste naturellement à vérifier expérimentalement sur plusieurs années de fonctionnement.
Indices de colmatage (Fouling Index) en fonction du volume d’eau filtrée
La méthode de mesure est relativement peu connue, mais elle est très précieuse, car elle permet de déterminer rapidement (20 minutes) un indice rendant bien compte du taux de matières colmatantes présentes dans l'eau. Cette méthode consiste à filtrer 2 échantillons de 100 ml d’eau, à 15 minutes d’intervalle, et à mesurer les temps de filtration correspondants. Une formule simple permet alors de calculer la valeur du F.I. de l'eau. Il n'est donc pas nécessaire de colmater complètement une membrane filtrante, ce qui serait long et fastidieux.
La figure 6 montre la variation du Fouling Index (F.I.) relatif — (FI entrée – FI sortie) / FI entrée, en fonction du volume filtré.
Les FI relatifs moyens sont les suivants :
— Macrotube 0,45 micron : 0,61 — Cartouche plissée 0,45 micron marque n° 1 : 0,37 — Cartouche plissée 0,22 micron marque n° 2 : 0,28
On en concluera aisément que l'efficacité de filtration et la longévité de la cartouche MACROTUBE sont dues principalement à la présence de la couche de microrésines, en floc, et non au diamètre de pore du filtre plissé choisi.
Résistivité aval en fonction du volume d'eau filtré
La figure 7 montre clairement le gain en résistivité apporté par la cartouche MACROTUBE : il est en moyenne de 1,25 Mégohms·cm par rapport à l'eau d’entrée.
Cette propriété importante est due au fait que les microrésines sont conditionnées en lits mélangés cation-anion.
Il en résulte que la cartouche MACROTUBE est capable de maintenir la résistivité de l'eau à sa valeur maximale, même en cas d'incident en centrale, et ceci pendant 1 à 2 heures ; ce qui laisse évidemment un temps suffisant pour réagir au niveau de la centrale, ou encore pour terminer les opérations en cours au niveau des salles de production.
Contamination bactérienne
Les analyses bactériologiques effectuées sur l'eau, à l'entrée et à la sortie de la cartouche MACROTUBE, montrent clairement que, malgré les volumes d'eau filtrés, les microrésines ne constituent pas un milieu favorable à une multiplication rapide des colonies de bactéries. Le tableau 8 rend compte de ces résultats. Les incubations ont été effectuées à 37 °C pendant 24 heures, et à 22 °C pendant 72 heures.
Tableau 8. Analyses bactériologiques
Matières organiques
Les analyses des matières organiques, à l'entrée et à la sortie de la cartouche MACROTUBE, montrent que cette cartouche n'a aucun effet d’amélioration ou de dégradation de la qualité de l'eau. La méthode consiste d'abord à oxyder en CO₂ les matières organiques, en milieu persulfate, sous rayonnement UV, le gaz porteur étant de l'argon. Puis on réduit le CO₂ en CH₄. Enfin, on dose le CH₄ en ionisation de flamme.
Les taux de carbone organique total sont les suivants : — à l'entrée : 335 ppb — à la sortie : 337 ppb.
Ces valeurs moyennes sont identiques.
Impuretés ioniques résiduelles
Tous les éléments ont été analysés en spectroscopie d'émission, sauf le sodium, qui a été détecté en absorption atomique. Le tableau 9 exprime ces résultats, en ppb, sur quatre séries d’échantillons prélevés à 120, 347, 562 et 960 m³ en volume filtré.
Tableau 9. Analyses des impuretés ioniques résiduelles
Contamination par particules (tentative)
Les comptages ne pouvant être réalisés sur membrane microporeuse, étant donné le faible nombre de particules en aval de la cartouche MACROTUBE, il a été fait une tentative de comptage à l'aide de compteurs HIAC, mesurant simultanément en amont et en aval de la cartouche.
Les valeurs moyennes des comptages ont été les suivantes : — à l’entrée : 5 600 — à la sortie : 5
Il est certainement possible de discuter de la validité de ces mesures, quand on sait les difficultés rencontrées lorsqu’on essaie de dégazer parfaitement l’eau, mais il n’en reste pas moins que les valeurs ci-dessus sont pessimistes pour deux raisons :
— la présence constante de microbulles d’air ou d'autres gaz,— l'influence des perturbations extérieures sur la précision des mesures.
La conclusion que l'on peut tirer de ces mesures est que le nombre de particules en aval de la cartouche MACROTUBE est parfaitement négligeable.
CONCLUSIONS
Les caractéristiques et performances essentielles de la cartouche MACROTUBE peuvent se récapituler comme suit :
1. Ringage310 et 40 litres (1 000 litres pour des cartouches plissées)
2. Volume filtré1 000 mètres cubes (100 pour des cartouches plissées)
3. Efficacité moyenne de rétention des colloïdes61 % (37 % et 28 % pour cartouches plissées)
4. RésistivitéAugmentation de 1,25 Mégohm × cm
5. BactériesPas de prolifération bactérienne
6. Matières organiquesPas de modification du T.O.C.
7. Impuretés ioniquesLégère amélioration de la qualité de l'eau (pour de l'eau déjà très bien traitée)
8. ParticulesComptages négligeables en sortie
9. Durée de vie d’une cartouche plissée en aval MacrotubeEstimée à 6 000 mètres cubes.
10. Maintien de la résistivité en cas d’incident1 à 2 heures
De telles propriétés, basées sur une technologie totalement différente de la technologie habituelle des filtres, font de la cartouche MACROTUBE un moyen pour résoudre les difficiles problèmes de production d'eau ultra-pure, et ceci en réduisant les coûts de filtration de manière tout à fait sensible…
B. CARBONEL