Il existe déjà de nombreuses solutions de traitement de l'H₂S disponibles sur le marché industriel et applicables directement sur la ligne biogaz (filtres biologiques, tours de lavage chimique). Ces techniques sont efficaces mais souvent très coûteuses en investissement comme en exploitation. D’autres techniques permettent de piéger le soufre directement à l'intérieur du méthaniseur avant qu’il ne soit libéré dans le biogaz, comme l'addition de chlorure ferrique ou la microaération.
La microaération s'est beaucoup développée sur les méthaniseurs agricoles d'Europe du Nord. L'air est injecté en faible concentration directement au niveau du ciel gazeux.
Arnaud Thierry, Giot Serge, Tartakovsky Boris
Veolia - CNRC
En présence de biogaz et d’air, des bactéries autochtones type Thiobacillus oxydent l’H₂S et forment des précipités de soufre élémentaire. Cette solution permet de diminuer à moindre coût la concentration en H₂S avec des limites techniques liées à l'encrassement du ciel gazeux et de la ligne biogaz par accumulation des précipités minéraux sur les parois internes des ouvrages.
L'objet de cette étude était de tester une technique de microaération (brevet CANOXIS - US5599451) dans la boucle de recirculation liquide d'un pilote EGSB. Il s'agissait de vérifier l'efficacité du procédé et de déterminer si l’accumulation du soufre s'effectuait plutôt dans la zone liquide du réacteur que dans le ciel gazeux. Les essais ont eu lieu sur un site industriel où Veolia a construit et exploite un méthaniseur UASB traitant des effluents papetiers depuis plus de dix ans. Un pilote EGSB de 5 m³ utiles était alimenté en continu à une charge volumique de 5 kg DCO/m³·j. Un système d’injection d'air était connecté à la boucle de recirculation du pilote avec possibilité de réglage du débit d'injection.
Protocole expérimental
Le principe de fonctionnement du procédé Canoxis est simple : il consiste à l’insertion d’une chambre de microaération sur la boucle de recirculation d’un méthaniseur industriel. La technique est également applicable sur un digesteur anaérobie de boues de station d’épuration urbaine ou encore sur une unité de codigestion multi-substrats. La configuration du procédé est schématisée sur la figure 1. Le montage pilote réalisé pour les essais est présenté sur la photo 1 (pilote EGSB dans le container gris vertical « Biothane » à gauche et réacteur de microaération dans le petit container en aggloméré à droite).
L’injection de l’oxygène était réalisée par un petit compresseur d’air réglable de 0,2 à 2,3 litres/minute.
[Photo : Schéma du système de microaération connecté à un méthaniseur EGSB (Crédit Veolia).]
[Photo : Photo des pilotes EGSB et microaération sur le site industriel (Crédit Veolia).]
Pour éviter tout risque d’explosivité, une mesure de potentiel redox était effectuée en continu en aval du point d’injection d’air dans la boucle de recirculation et le circuit biogaz était équipé d’une mesure en continu de la concentration en oxygène avec un seuil de détection très bas.
Un suivi analytique complet en entrée/sortie du pilote EGSB était effectué journalièrement, y compris le débit de biogaz et les concentrations en méthane, sulfure d’hydrogène et oxygène. Au niveau de l’unité de microaération, nous avons mesuré régulièrement le débit d’air du surpresseur et le potentiel redox en sortie.
Les périodes d’essais sont résumées dans le tableau 1.
- Une série avec adjonction complémentaire d’acide sulfurique dans les effluents en entrée de pilote (tableau 1 : périodes 2 et 3).
- Une série sans adjonction d’H₂SO₄ (tableau 1 : périodes 4 à 7), en ne comptant que sur les concentrations originelles de sulfates dans les effluents en entrée de pilote.
Résultats et commentaires
Les principaux résultats sont présentés dans le tableau 2.
Le tableau 2 donne les valeurs moyennes de réduction d’H₂S ainsi que le ratio de production de méthane pour chaque période. Pour tenir compte de la diminution de la concentration en H₂S en intégrant la dilution avec l’azote contenu dans l’air injecté, nous avons calculé les concentrations de H₂S « attendues », qui étaient fondées sur la concentration moyenne en H₂S estimée lors des tests de contrôle et la dilution du biogaz avec de l’air. Ce calcul suppose que l’azote n’est pas transformé dans le réacteur, tandis que l’oxygène peut être transformé en dioxyde de carbone par les bactéries aérobies.
Entre le 18 octobre et le 5 novembre 2012, soit peu de temps après le démarrage du réacteur, la production de biogaz a été plus élevée que durant la période de contrôle n° 2 (février 2013), qui a été réalisée dans les mêmes conditions de fonctionnement. Apparemment, lors de l’essai de contrôle n° 1, le réacteur n’était pas encore en équilibre. On peut supposer que le fonctionnement du réacteur avec une concentration élevée de sulfate, de novembre 2012 à janvier 2013, a augmenté le nombre de bactéries sulfato-réductrices (BSR), conduisant ainsi à des concentrations élevées d’H₂S dans le biogaz, qui se sont maintenues dans les essais suivants en raison de l’activité améliorée des BSR.
Tableau 1 : principales périodes et conditions des essais pilotes
Périodes |
Début |
Fin |
Débit d’air m³/jour |
H₂SO₄ addition |
1. Contrôle #1 |
18-Oct-2012 |
5-Nov-2012 |
0 |
non |
2. Contrôle #2 |
6-Nov-2012 |
21-Jan-2013 |
0 |
oui |
3. Aération #1 |
22-Jan-2013 |
29-Jan-2013 |
1.37 |
oui |
4. Contrôle #3 |
2-Fév-2013 |
25-Fév-2013 |
0 |
non |
5. Aération #2 |
26-Fév-2013 |
19-Mar-2013 |
0.72 |
non |
6. Aération #3 |
22-Avr-2013 |
14-Mai-2013 |
2.04 |
non |
7. Aération #4 |
15-Mai-2013 |
23-Mai-2013 |
3.40 |
non |
Tableau 2 : Résultats des essais pilotes
Description |
Ctrl #1 |
Ctrl #2 |
Aer #1 |
Ctrl #3 |
Aer #2 |
Aer #3 |
Aer #4 |
H₂S, % |
0.27 |
1.0 |
0.13 |
0.5 |
0.19 |
0.15 |
0.08 |
H₂S % attendu¹ |
n/a |
1.0 |
0.9 |
0.47 |
0.43 |
0.40 |
0.27 |
H₂S rendement % |
n/a |
n/a |
86 |
75 |
62 |
78 |
67 |
pH |
6.42 |
6.16 |
6.28 |
6.59 |
6.35 |
6.50 |
6.43 |
SO₂ entrée g/jour |
957 |
502 |
3600² |
359 |
896 |
788 |
330 |
SO₂ sortie g/jour |
404 |
529 |
369 |
245 |
358 |
189 |
114 |
CH₄, % |
72.5 |
72.0 |
60.2 |
71.6 |
61.9 |
55.3 |
47.3 |
CH₄ ratio³ Nm³/kg DCO |
0.417 |
0.429 |
0.340 |
0.419 |
0.308 |
0.308 |
0.326 |
¹ Concentration H₂S estimée avec la dilution à l’air (lors des essais d’aération).
² Avec addition d’H₂SO₄.
³ Qᵥ/D = (Fᵥ/DCOₛₒₗ – Fᵢ/DCOₛₒₗ), avec Qᵥ/FM la production de méthane en Nm³/jour, Fᵥ/DCOₛₒₗ la charge en DCO soluble en kg par jour, et Fᵢ/DCOₛₒₗ le rejet de DCO soluble en kg par jour.
Pendant le fonctionnement du réacteur à une concentration en sulfate élevée, la teneur en H₂S du biogaz a été diminuée de 86 % (test d’aération n° 1) et au cours de l’essai sans addition de H₂SO₄, la teneur en H₂S a été diminuée de 57 à 62 % (aération essais n° 2 et 3). Dans les deux essais, la concentration en H₂S a diminué au-dessous de 0,2 % (2 000 ppm) et de l’oxygène n’a pas été détecté dans le biogaz, c’est-à-dire que pratiquement 100 % de l’oxygène injecté dans le réacteur a été transféré. Comme prévu, la microaération a diminué le pourcentage de méthane dans le biogaz en raison de sa dilution avec de l’azote. Néanmoins, la teneur en méthane du biogaz est restée supérieure à 50 % (tableau, aération n° 2 et n° 3).
Dans l’essai d’aération n° 4, le débit d’air a été augmenté jusqu’à 142 L/h (3,4 m³/jour), ce qui correspond à près de 30–40 % du débit de biogaz attendu. Cela a entraîné une dilution importante de production de biogaz avec une teneur en méthane de 47,3 % et la concentration théorique en H₂S de 0,27 %. La concentration en H₂S réelle était de 0,08 % (sur la base d'une seule mesure en raison d’une courte durée de ce test). Bien que la présence d’oxygène dans le biogaz n’ait pas été détectée, cette aération peut être considérée comme excessive, ce qui pourrait se traduire par la présence d’oxygène dans le biogaz et promouvoir la croissance et le métabolisme de micro-organismes aérobies. La figure 2 montre l’élimination d’H₂S et le pourcentage de méthane en fonction du débit de microaération. Le rendement sur l’H₂S était le plus important pour un débit d’air de 2 m³/jour.
Fait intéressant, les analyses des sulfates en entrée et sortie du pilote ainsi que les concentrations en H₂S dans le biogaz laissent fortement présumer que l’oxydation de l’H₂S produit du soufre élémentaire plutôt que des sulfates. En effet, l’H₂S peut être oxydé en soufre élémentaire (équation 1)
H₂S + ½ O₂ → S + H₂O (1)
ou en sulfates (équation 2)
H₂S + 2 O₂ → SO₄²⁻ + 2 H⁺ (2)
Cette transformation en soufre élémentaire semble être confirmée par les analyses de boues prélevées dans les réacteurs anaérobies pilote et industriel :
9,1 g S/kg MS pour le réacteur industriel (granules sans microaération utilisés pour démarrer le pilote)
9,9 g S/kg MS pour le pilote de microaération en fin de période d’essai n° 4.
Il faut également noter que la quantité d’oxygène fournie par la microaération était pour la plupart du temps supérieure à la demande théorique pour une oxydation complète en sulfate.
Conclusions
Les résultats des essais pilotes obtenus montrent que la microaération peut être utilisée avec succès pour l’élimination de l’H₂S dans le biogaz. Les essais ont montré des réductions de concentration en H₂S de 60 à 90 % dans le biogaz pour des concentrations initiales allant de 5 000 à 10 000 ppm. La diminution était très rapide après démarrage de la microaération. Pendant les essais, le potentiel redox est resté stable autour de –300 mV et aucune trace d’oxygène n’a été détectée dans le biogaz. L’H₂S semble être oxydé en soufre élémentaire et stocké dans les boues anaérobies.
Références bibliographiques
S.R. Guiot, R.J. Stephenson, J.-C. Frigon, J.A. Hawari, Single-stage anaerobic/aerobic biotreatment of resin acid-containing wastewater, Water Science and Technology, Volume 38, Issues 4–5, 1998, Pages 255–262.
S.R. Guiot, Process coupling of anaerobic and aerobic biofilms for treatment of contaminated waste liquids, Studies in Environmental Science, Volume 66, 1997, Pages 591–602.
S.R. Guiot, Anaerobic and aerobic integrated system for biotreatment of toxic wastes (CANOXIS), United States Patent No. 5,599,451, 4 Feb. 1997. Canada Patent No. 2,133,265, 8 January 2002.