Le propos comportera trois parties essentielles : I Le marché ou, autrement dit, les causes qui nécessitent des mesures et des analyses dans le domaine des eaux de surface. II Les moyens et les matériels dont on dispose pour assurer actuellement les mesures et les analyses des eaux de surface. III Les besoins nouveaux qui paraissent se manifester pour l’avenir.
I) LE MARCHÉ
Le marché est commandé essentiellement par la réglementation.
Sans être exhaustif, ce qui serait fastidieux, on peut citer quelques textes essentiels :
a) Le code de la santé publique prescrit la surveillance des eaux d’alimentation des populations, des eaux de baignade en rivières et piscines, des eaux de baignade en mer ainsi que des eaux provenant de stations d'épuration.
Il est d'ailleurs intéressant de signaler, ici, que la Commission des Communautés Européennes a adopté un certain nombre de directives sur la qualité des eaux qui sont ou qui vont être appliquées en France. Ces directives imposent à un Gouvernement de démontrer que la qualité des eaux pour certains usages est bien conforme aux conditions que ces directives fixent. Il s'agit en particulier des directives suivantes :
1) Directive du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire.
2) Directive du 8 décembre 1975 concernant la qualité des eaux de baignade.
3) Directive du 18 juillet 1978 concernant la qualité des eaux douces ayant besoin d’être protégées ou améliorées pour être aptes à la vie des poissons.
4) Directive en cours d'adoption, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.
b) De la loi numéro 64-1245 du 16 décembre 1964 et des différents textes pris pour son application, il faut citer l'article 3 de cette loi qui prescrit des inventaires de la qualité des eaux de rivières, canaux, lacs et étangs, et les articles 5 et 6 qui prévoient le contrôle du milieu récepteur et des effluents.
Le décret numéro 73-219 du 23 février 1973 porte instructions des déclarations de prélèvement d’eaux souterraines et surveillance des installations de prélèvement.
c) La loi numéro 76-663 du 19 juillet 1976, qui a abrogé celle du 19 décembre 1917, traite des installations classées et implique des contrôles concernant le rejet des eaux résiduaires.
d) Pour la conservation du domaine public maritime et la préservation des eaux de mer, les textes sont nombreux. Nous ne citerons que la décision du C.I.A.N.E. du 6 décembre 1972, qui a ordonné la mise en place d'un réseau national d'observation du milieu marin, et la circulaire interministérielle du 1ᵉʳ octobre 1975 concernant les ouvrages d'épuration littoraux et les rejets d’effluents en mer.
Récemment, ces derniers mois, le Conseil des Ministres de l'Environnement de la C.E.E. a adopté les directives suivantes :
— protection des eaux souterraines contre la pollution causée par certaines substances dangereuses ;
— qualité requise des eaux conchylicoles.
D'autres directives sont en préparation.
Il est intéressant de noter que déjà, la surveillance de la variabilité de la qualité des eaux a été prise en compte soit par des organismes du secteur privé, soit par les administrations, soit par les deux ensemble.
Nous citerons quelques exemples :
a) En vue de la protection de prise d'eau en rivière : — l'implantation d'une station de surveillance de la qualité de l'eau de la Marne et d'alerte pour protéger la prise d'eau à Neuilly-sur-Marne ; — une autre installation plus ancienne a été implantée à Boran-sur-Oise pour la protection de l'usine de traitement des eaux de Méry-sur-Oise.
b) En vue d'opérations « rivières propres », des campagnes de mesures et d’analyses sur la Vire, la Vesle, l'Eure dans le cadre de la ville nouvelle de Vaudreuil, etc.
c) En vue d'études spécifiques : — la station de Rigautou sur le Thoré, dans le Bassin Adour-Garonne, pour l'étude de la qualité des eaux dans un ensemble industriel de mégisseries ; — la station d’Avanne, sur le Doubs, dans le Bassin Rhône-Méditerranée-Corse pour l'étude devant servir au plan d'aménagement du Doubs.
d) En vue d’accroître les connaissances tant sur la qualité des effluents que sur leurs effets dans le milieu naturel, une réalisation a été effectuée par l'Agence de Bassin Artois-Picardie : la station de mesure itinérante.
e) Enfin, pour terminer, citons la réalisation concernant la régulation des rejets des soudières en fonction du débit écoulé dans la Meurthe-et-Moselle, dans le Bassin Rhin-Meuse.
En conclusion, un marché existe quant à la mesure et à l'analyse des eaux et des effluents. Pour terminer la première partie de ce propos, nous donnerons quelques chiffres sur les quantités d’analyses effectuées en France.
Dans le cadre de l'inventaire national du degré de pollution des eaux superficielles exécuté en 1976 sur 1 250 points de mesure, il a été effectué au total :
— 6 250 analyses physico-chimiques (paramètres physiques classiques, paramètres chimiques en relation avec l'oxygène et paramètres de chimie minérale : 24 paramètres par analyse, soit au total 156 480 déterminations) ; — 2 500 analyses de paramètres toxiques ou indésirables : 18 paramètres par analyse, soit au total 45 000 déterminations ; — 400 déterminations de pesticides : 14 paramètres par détermination, soit au total 5 600 résultats ; — 3 000 analyses bactériologiques.
Une étude sur l'activité de 160 laboratoires au cours de l’année 1977 donne les résultats suivants :
— 310 000 analyses pour les eaux d'alimentation ; — 25 000 analyses pour les baignades ; — 200 000 analyses pour les eaux résiduaires ; — 150 000 analyses pour les eaux de rivières ; — 70 000 analyses d'eaux diverses.
II) LES MOYENS ET MATÉRIELS
La France dispose fort heureusement d'une structure fort importante pour assurer les mesures et les analyses dans le domaine des eaux et des effluents. Les laboratoires sont nombreux (190 ont sollicité auprès du Ministère de l'Environnement et du Cadre de Vie, pour 1980, l'agrément utile à l'exécution de certains types d'analyses des eaux). Ils sont également assez bien répartis géographiquement. Il est possible de trouver aussi des laboratoires pour effectuer des analyses plus ou moins élaborées, complexes, difficiles, mettant en œuvre des matériels et des méthodes spécifiques.
Cependant, des problèmes existent quant à ces moyens et ces matériels.
On peut en citer trois concernant la représentativité du résultat du laboratoire eu égard au lieu de prélèvement.
1°) Le préleveur n'est pas l'analyste :
Le préleveur n'est, la plupart du temps, pas l'analyste. Or, le prélèvement d'un échantillon d'eau n'est pas chose facile et un certain nombre de précautions sont indispensables au préalable. Autrement dit, le préleveur doit avoir été formé à cette technique sous peine de rendre caduc le résultat du laboratoire.
Les précautions à prendre sont nombreuses et importantes. Nous en citerons quelques-unes :
- — localisation du prélèvement pour justifier le résultat de l'analyse, l'objectif poursuivi, en fonction du milieu naturel ;
- — conservation des échantillons pendant le transport du lieu de prélèvement au laboratoire choisi et conservation de ces échantillons dans le laboratoire ;
- — choix et connaissance de la nature des flacons en fonction des paramètres à analyser, ce qui impose d'avoir un échantillonnage de flacons en matériaux différents et des flacons stérilisés pour les analyses bactériologiques, par exemple ;
- — connaissance des additifs à ajouter au prélèvement pour bloquer l'évolution éventuelle du paramètre pendant le transport ;
- — connaissance des volumes à prélever qui varient suivant les paramètres : 30 à 50 litres pour l'examen des substances extractibles au chloroforme ; 2 litres pour les examens de radioactivité ; entre 250 et 1 000 cc pour les autres paramètres.
Les seuils de détection ne sont jamais définis par le préleveur à l'analyste.
On conçoit donc qu'un problème existe concernant le prélèvement des échantillons d'eaux. Il peut être intéressant de signaler ici l'effort fourni par l'ex-ministère de l'Équipement et de l'Aménagement du Territoire, aujourd'hui ministère des Transports, qui a fait paraître, en 1977, un ouvrage extrêmement documenté : « Le guide du préleveur d'échantillons d'eaux. »
2°) Les méthodes analytiques au laboratoire :
Les méthodes analytiques sont normalisées pour la plupart, mais, même pour celles-là, la manière de procéder, les tours de main du laborantin, peuvent conduire à des résultats différents.
Nous donnons ci-après quelques chiffres sur les résultats d'analyses dans le cadre d'analyses circulaires effectuées en 1977.
PARAMÈTRES | VALEUR DE BASE | VALEUR MINIMALE | % ÉCART | VALEUR MAXIMALE | % ÉCART |
---|---|---|---|---|---|
DCO | 285 – 381 | 193 – 252 | 32 – 34 | 322 – 416 | 13 – 9 |
MES | 99 – 187 | 64 – 140 | 35 – 25 | 178 – 212 | 14 – 13 |
Conductivité | 1 523 – 2 573 | 1 300 – 2 000 | 15 – 22 | 1 734 – 2 920 | 14 – 13 |
NO₃ | 8,67 – 14,5 | 4,54 – 7,85 | 48 – 46 | 18 – 28 | 108 – 93 |
NH₄ | 1,20 – 5,78 | 0,70 – 4,17 | 58 – 78 | 1,95 – 10,50 | 63 – 62 |
As | 23,60 – 46,10 | 10,50 – 26,50 | 56 – 43 | 45 – 90,50 | 91 – 96 |
Pb | 37,60 – 60,80 | 19,50 – 28,46 | 46 – 54 | 76 – 126 | 102 – 107 |
γ HCH | 35,30 – 71,80 | 19,60 – 47,50 | 44 – 34 | 58 – 107,50 | 64 – 50 |
Dieldrine | 35,80 – 81,80 | 19 – 56,50 | 47 – 31 | 73 – 130 | 104 – 59 |
— La valeur de base est la valeur de l'échantillon soumis à l'analyse des laboratoires.
— Les valeurs minimales et maximales sont les valeurs extrêmes de la série des résultats fournis par les laboratoires.
Un problème existe concernant la fiabilité des résultats d’analyses. La mise en place de l’arrêté interministériel relatif à l'attribution, chaque année, aux laboratoires d'un agrément pour exécuter certains types d’analyses des eaux imposant à cet effet deux analyses circulaires est de nature peut-être à améliorer la situation. La diffusion des normes aux laboratoires va aussi dans ce même sens. Dans le cadre des inventaires nationaux du degré de pollution des eaux superficielles, un document recensant les normes a été envoyé par le Ministère de l'Environnement et du Cadre de Vie aux laboratoires. Tout récemment, l’A.F.N.O.R. vient d’éditer un ouvrage sur les méthodes d’essais.
3°) Les mesures en continu :
Les mesures en continu ont un grand avantage car elles permettent de suivre l’évolution de la qualité des eaux dans le temps, d'adapter le seuil de détection des capteurs aux conditions du milieu naturel et d'éviter les sujétions signalées pour le prélèvement. Elles présentent cependant d'autres inconvénients.
En résumé, les problèmes essentiels sont les suivants :
1) Faiblesse du nombre de capteurs eu égard au nombre de paramètres de la qualité des eaux. Les capteurs les plus courants sont : pH-mètre – conductivimètre – oxygène dissous – température – turbidimètres – DCO mètre – DTO mètre.
Des électrodes spécifiques mesurent aussi les chlorures, l’ammonium, etc.
2) L'utilisation des capteurs nécessite un entretien et un étalonnage quasi constant ; l'emploi des électrodes spécifiques est souvent limité en raison d'interférences provoquées par la présence simultanée d'autres ions à potentiels électriques voisins.
3) La fiabilité des capteurs est d'autant plus grande que l’eau à mesurer est propre. Ce sont des appareils délicats, sensibles qui s'encrassent très facilement par les dépôts de matières en suspension.
En conclusion, il existe actuellement un besoin de capteurs de type industriel pouvant travailler sur des eaux chargées en matières en suspension avec un temps de réponse faible.
III) LES BESOINS NOUVEAUX
Les besoins qui paraissent s'imposer sont à la fois pour l’amélioration des matériels existants et dans la recherche des matériels pour satisfaire des connaissances nouvelles.
1) Le prélèvement des échantillons d’eaux :
Le prélèvement des échantillons d’eaux est essentiel en vue d'une certaine représentativité du milieu étudié. On a vu les problèmes posés pour assurer un prélèvement satisfaisant. Mais, si on utilise toujours des flacons pour recueillir l'eau prélevée, on ne procède pas de la même façon si on prélève un échantillon d'eau à un robinet, dans les tuyaux, dans des cours d'eau, dans une nappe souterraine, en mer ou dans des lacs.
Les matériels de prélèvement dans les lacs et les étangs devraient faire l'objet d'une certaine attention de la profession.
2) Les capteurs actuels :
Bien que limités en nombre, les capteurs actuels rendent de grands services. Leur gestion est cependant délicate et complexe. Il convient d'assurer une fiabilité des signaux donnés quelle que soit la qualité des eaux avec un temps de réponse faible. Une amélioration de la situation existante est nécessaire tant en ce qui concerne le nettoyage que l’étalonnage automatique des capteurs.
3) Les besoins nouveaux :
Le besoin de nouveaux capteurs s’impose pour plusieurs raisons :
— insuffisance actuelle dans la détection in situ ;
— mesure de paramètres probablement plus représentatifs de la qualité des eaux dans le contexte des redevances de pollution ;
— développement des stations mobiles ou fixes de mesure dans le cadre de besoins spécifiques, tels qu’études particulières, sauvegarde de zones de prélèvements d’eaux brutes pour fabriquer de l’eau potable, ou de zones de baignades ou de zones conchylicoles, etc. ;
— meilleure connaissance des effluents ;
— suivi du fonctionnement des stations d’épuration.
Dans ce contexte, signalons deux objectifs poursuivis par le Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie :
1°) Les études entreprises concernant le DCO mètre, les turbidimètres, le COT, l’ammonium, etc.
2°) Les résultats obtenus pour la détection in situ de polluants toxiques ou indésirables.
a) Les polluants toxiques tels que : Cu, Cd, Pb, Zn, Fe, Mn, Cr, Co, Se et As se trouvent dans les eaux superficielles en des quantités d’une manière générale très faibles : de quelques unités de ppb. Il y a des problèmes liés aux prélèvements et aux techniques des laboratoires pour obtenir des résultats fiables.
b) Une étude a été entreprise pour tenter de trouver une méthode pouvant être utilisée in situ et permettre ainsi d’avoir une idée plus précise sur la présence de ces contaminants dans les eaux et définir ensuite une politique en la matière.
c) L’étude a porté sur la mise en œuvre du principe de la voltamétrie différentielle pulsée sur goutte semi-stationnaire de mercure.
d) Le seuil de détection n’a pas dépassé 10 ppb.
e) Des interférences se manifestent soit à cause de la trop grande proximité des potentiels des pics de réduction, soit à cause des rapports de concentration trop élevés : entre deux cations dont l’un est plus réductible que l’autre.
Exemple :
Mélange à 20 ppb de | Cu | Pb | Cd | Zn |
Écart relatif………… | 20 | 2 | 26 | 20 |
Précision de la méthode… | 1 % | 30 % | — | 30 % |
En conclusion, la mesure des toxiques (minéraux lourds) in situ reste un problème d’actualité.
* Se reporter dans ce numéro à l’article de J-M. JOURNET : « La mesure automatique sur cours d’eau et effluents. »