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Méthode pour l'identification de filières de traitement de déchets industriels spéciaux

30 avril 1999 Paru dans le N°221 à la page 55 ( mots)
Rédigé par : Bruno DEBRAY et Didier GRAILLOT

Au cours des dernières années, le nombre de centres collectifs de traitement pour les déchets industriels spéciaux n?a fait qu'augmenter, parallèlement au nombre de filières de traitement ou de valorisation. Il est donc devenu difficile pour un industriel producteur de déchet d'identifier, pour un déchet donné, l'ensemble des solutions de traitement applicables. Il doit faire appel pour cela à des données techniques, économiques, réglementaires, parfois difficilement accessibles. Cet article présente les bases du raisonnement qui conduit à l'identification des solutions acceptables. Celuici a été mis en oeuvre dans un outil informatique dont la structure est, ici, brièvement décrite.

Les déchets industriels spéciaux constituent une menace pour l’environnement s’ils ne sont pas convenablement traités. Les stratégies et les techniques de traitement envisageables sont nombreuses. Le traitement peut être effectué en centre collectif ou au sein même de l'unité qui a produit le déchet au moyen d'une grande variété de procédés. Les critères de choix entre ces différentes solutions sont souvent peu explicites, ce qui complique la décision finale du producteur.

L’École des mines [Debray 1996] a donc développé des systèmes d'aide à la décision pour le traitement des déchets industriels spéciaux en centres collectifs d’une part, et en interne d’autre part. Ils permettent d’identifier les solutions de traitement applicables en fonction de la nature et des caractéristiques du déchet, mais aussi, dans le cas du traitement interne, en fonction de la structure de l’unité qui l’a produit.

Ces deux systèmes constituent des applications particulières d'une méthode plus générale, dont la mise au point a nécessité le recensement et l'intégration des données nécessaires à l’identification de solutions de traitement et la formalisation des raisonnements permettant d’exploiter ces données. Ces structures de données et ces raisonnements seront décrits dans le cas du traitement des déchets en centre collectif.

Déchets industriels spéciaux

La loi française du 13 juillet 1992 [92-646] a introduit le concept de déchet industriel spé-

[Photo : Caractérisation et évaluation d’une action]

procédés et de filières.

Dans le cas de l’élimination, les différentes opérations mises en œuvre visent essentiellement à oxyder les polluants organiques et à séparer et stabiliser les polluants minéraux. Les procédés utilisés dépendent de la nature du déchet et de sa composition. La diversité des solutions de traitement et des paramètres de caractérisation des déchets rend difficile le choix d'une solution adaptée.

Cette difficulté est renforcée par l'absence d'indication réglementaire sur la nature du traitement à employer. La loi laisse la liberté au producteur quant au choix de la filière de traitement qu'il souhaite utiliser à condition que l'installation dans laquelle celle-ci est mise en œuvre soit autorisée à traiter ce type de déchet. Il peut s’agir d’une unité de traitement interne ou d’un centre collectif spécialisé dans le traitement de déchets industriels spéciaux. La France compte environ 140 centres collectifs proposant des traitements très divers. Quant aux procédés susceptibles d’être employés, l’Ademe en propose soixante-dix dans son catalogue « des procédés de traitement des déchets industriels solides ou liquides » [Ademe 1995].

À ce stade il convient de distinguer l’approche des traitements externe et interne. Alors que pour le premier, le choix de solutions de traitement appropriées équivaut à l’identification des filières et des centres adaptés, pour le second, il s'agit de déterminer les flux internes et les procédés qui pourront leur être appliqués dans le but d'un rejet éco-compatible ou d'une valorisation. C’est la raison pour laquelle nous avons abordé séparément ces deux modes de traitement, ce qui a donné lieu à la conception de deux outils d’aide à la décision distincts, ayant cependant de nombreux points communs sur le plan méthodologique.

Données nécessaires à l’identification d’une solution de traitement

La mise au point d’une méthode d'aide à la décision est un travail d'intégration de données et de formalisation de raisonnements. Dans une première étape, il s’agit d’identifier les données nécessaires au choix d'une solution de traitement. Celles-ci proviennent de sources très variées, et peuvent être de nature réglementaire, technique ou scientifique et forment un ensemble initial difficilement accessible et exploitable par un producteur de déchet. La seconde étape consiste donc à réorganiser et interpréter ces données pour aboutir à une information structurée exploitable dans le cadre d'une méthode d'aide à la décision et facilement actualisable. Pour réaliser cette intégration, nous sommes partis de critères très généraux d’évaluation d'une action que sont la pertinence, l'efficacité et l'efficience, qui rendent compte du rapport entre les objectifs et les résultats.

La loi sur les déchets industriels spéciaux précise dans l'article 2-1 que « les déchets industriels spéciaux, figurant en raison de leurs propriétés dangereuses sur une liste fixée par décret [95-1027] en Conseil d'État, ne peuvent pas être déposés dans des installations de stockage recevant d’autres déchets ». Les déchets industriels spéciaux constituent un ensemble d'une très grande variété de nature, de composition et de propriétés de danger (inflammables, toxiques, explosifs, éco-toxiques...). Le rejet direct de ces déchets dans l'environnement est naturellement prohibé. Il en est de même de leur stockage à l'état brut dans des sites n’ayant pas fait l'objet d’un aménagement particulier. En pratique, en France, seul l'enfouissement des déchets spéciaux minéraux à faible fraction lixiviable non valorisables (déchets ultimes) est admis dans des sites étanches spécialement aménagés : les centres d’enfouissement techniques de classe 1. Pour les autres déchets spéciaux, il est donc indispensable de mettre en œuvre des traitements permettant d’aboutir à un déchet ultime.

Stratégies de traitement

Les traitements en vue d’aboutir à un déchet ultime suivent donc deux stratégies principales : la valorisation et l’élimination. Le but de la valorisation est de réduire la perte de valeur (matière première ou énergie) associée au rejet du déchet par régénération, récupération ou recyclage. Ces objectifs sont atteints par le biais d’une grande variété de procédés et de filières.

Dans le cas de l’élimination, les opérations mises en œuvre visent à oxyder les polluants organiques, à séparer et stabiliser les polluants minéraux. Les procédés utilisés dépendent de la nature du déchet et de sa composition.

[Photo : Principe de l’association entre une classification arborescente des déchets et des solutions de traitement]
[Photo : Relations entre les différents types de données nécessaires à l'identification d'une solution de traitement]

décision, de disposer d'une information liant chaque solution de traitement envisageable aux caractéristiques des déchets qu'elle concerne et aux rubriques des nomenclatures qui leur correspondent. En utilisant les caractéristiques des déchets comme critères de classification, nous avons construit une arborescence dont les extrémités ou les nœuds intermédiaires peuvent être mis en relation avec les solutions de traitement comme l'illustre la figure 2.

L'efficacité d'un traitement correspond à la capacité de la solution retenue à produire un effluent compatible avec les normes de rejet et un produit conforme à ses spécifications initiales dans le cas de la valorisation. La prise en compte de ce critère d'efficacité nécessite donc de mettre en relation des informations de nature scientifique ou technique, sous la forme de modèles permettant de prédire les transformations subies par le déchet, ou sous forme de spécifications de produits, avec des données réglementaires, notamment les normes de rejet. Souvent, cette intégration de données est réalisée lors de l'étude de l'installation d'élimination et se traduit par des critères réglementaires d’admission de déchets portant sur des paramètres physico-chimiques spécifiés dans l'autorisation de l'installation. Ces critères d’admission des déchets prennent aussi en compte l'influence de la composition du déchet sur le

[Photo : Étapes conduisant à l'identification des solutions de traitement pour un déchet industriel spécial]

Tableau 1 : Critères d’admission d’une boue d’hydroxydes métalliques en centre d’enfouissement technique et en cimenterie

Centre d’enfouissement technique Valorisation matière en cimenterie
  • • Siccité > 25 %
  • • Fraction soluble < 30 %
  • • COT < 5 000 mg/kg
  • • Cr6+ < 15 mg/kg
  • • Cr < 100 mg/kg
  • • Pb < 100 mg/kg
  • • Zn < 1 000 mg/kg
  • • Cd < 50 mg/kg
  • • CN < 10 mg/kg
  • • Ni < 250 mg/kg
  • (analyses effectuées sur les lixiviats)
  • • Métaux lourds (V + Ni + Pb + Cu + Zn + Cr + Ti + As + Hg) < 5 % en masse
  • • Hg + As + Cd < 1 % en masse

Le fonctionnement de la filière.

En définitive, le critère d’efficacité se traduit par une relation supplémentaire entre des classes de déchet, des solutions de traitement et des critères d’admission, qui font intervenir des seuils réglementaires, des paramètres de caractérisation des déchets, éventuellement combinés à des modèles de simulation, comme l’illustre de manière simplifiée la figure 3. Enfin, la mesure de l’efficience fait intervenir les notions de coût de traitement, de coût de transport et d’aides. Pour prendre en compte ce critère, il est donc nécessaire de disposer d’une information sur les prix pratiqués par les centres de traitement, une information sur leur localisation et sur les aides proposées par les administrations.

Utilisation des données pour l’identification de solutions de traitement

À partir du moment où l’on dispose des informations structurées décrites précédemment, il est possible de formaliser le raisonnement qui permet d’aboutir au choix d’une solution de traitement. Ce raisonnement est décrit en figure 4.

La première étape de la méthode consiste à identifier ou caractériser de manière qualitative le déchet afin de le situer dans la classification des déchets. Il s’agit d’établir la correspondance avec les différentes finalités des filières de traitement. Les critères de classification sont d’abord l’état physique et la nature chimique principale (organique, minéral) du déchet. Dans un deuxième temps interviennent des critères correspondant à des éléments de différenciation des filières comme la présence d’un polluant particulier.

Par exemple, une boue résultant de la détoxication d’effluents de traitement de surface peut être caractérisée comme un déchet solide, minéral composé d’hydroxydes métalliques. Une caractérisation plus poussée permet de distinguer les boues en fonction des métaux présents sous forme d’hydroxydes : hydroxydes de fer, par exemple.

À l’issue de cette étape, les caractéristiques du déchet conduisent à l’identification de solutions de traitement candidates : enfouissement technique, valorisation matière en cimenterie. Ces deux solutions sont soumises à des contraintes liées au risque d’entraînement de la pollution par lixiviation pour la première, au transfert de polluants dans les fumées et dans le clinker pour la deuxième. Elles se traduisent par des critères d’admission portant sur la teneur en polluants dans les lixiviats et la composition du déchet brut (tableau 1). Ces critères fournissent les paramètres de caractérisation qui doivent faire l’objet de mesures approfondies sur le déchet. La comparaison des valeurs issues de ces mesures avec les critères d’admission permet d’éliminer les solutions de traitement incompatibles avec le déchet concerné et de proposer des mesures compensatoires comme la stabilisation. Le choix définitif de la solution de traitement fait intervenir les données sur la localisation des centres, sur les prix moyens de traitement et sur les aides ou subventions qu’il est possible d’obtenir.

Système informatique d’aide à la décision pour le traitement des déchets industriels spéciaux

Les structures de données et les raisonnements décrits ci-dessus constituent les éléments nécessaires à l’identification des solutions de traitement pour un déchet industriel spécial. Leur mise à disposition peut se faire à travers des guides sectoriels, comme cela a été entrepris par le CETIM [CETIM 1995]. Cependant, l’abondance des données, leur caractère évolutif et la nécessité de fiabiliser et de rendre systématique le raisonnement justifie le recours à des outils informatiques d’aide à la décision. À partir des structures et des raisonnements décrits ci-dessus, nous avons développé [Debray 1996] un système d’aide à la caractérisation et à l’orientation des déchets industriels spéciaux vers des centres collectifs dont la validation par l’Ademe est actuellement en cours.

Conclusion

La diversité des déchets industriels spéciaux et des solutions de traitement envisageable ainsi que la variété des informations nécessaires à l’identification d'une solution de traitement justifie une approche méthodique. Celle-ci passe par l’intégration des données de nature scientifique, technique et réglementaire et la formalisation du raisonnement permettant d’exploiter ces données. Nous avons élaboré une structure de données reposant sur le lien entre une classification arborescente des déchets, des solutions de traitement et des critères d’admission. Cette structure a été validée par sa mise en œuvre dans un système informatique d’aide à la décision permettant d’identifier les centres de traitement et les filières appropriées pour un déchet industriel spécial.

Références bibliographiques

[Debray 1996] Bruno Debray, “Systèmes d’aide à la décision pour le traitement des déchets industriels spéciaux”, thèse de doctorat, INSA de Lyon, École des Mines de Saint-Étienne, juillet 1997.

[92-646] Loi 92-646 du 13 juillet 1992, J.O. du 14 juillet 1992.

[95-1027] Décret n° 95-1027 du 18 septembre 1995 relatif à la taxe sur le traitement des déchets industriels spéciaux, J.O. du 19 septembre 1995.

[Ademe 1995] Les procédés de traitement des déchets industriels solides et liquides, Angers : Ademe, 1995, 42 p. et 68 dossiers procédés.

[CETIM 1995] Guide des technologies propres et des filières de traitement des déchets, industries mécaniques, Saint-Étienne : CETIM, 1995, 394 p.

[IFEN 1993] Institut Français de l’Environnement, “Le cadre conceptuel des observatoires de l’environnement”, Séminaire Observatoires, Orléans, 25-26 novembre 1993, 28 p.

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