Cependant les technologies traditionnelles mélangent classiquement des effluents d’élevages comme gage de la stabilité biologique des biodigesteurs. Or les zones minières sont éloignées de bassins d’élevages, ce qui en compromet l’utilisation. Faire de la mono-digestion de cactus, voilà un défi à la hauteur de la technologie originale en 2 étapes développée par l’entreprise GreenWatt.
Cet article résume les expérimentations pilotes qui ont été réalisées et ont permis de faire un pas vers une première réalisation, démontrant la faisabilité technique et économique du modèle.
La société GreenWatt est un concepteur-ensemblier-opérateur d’unités de biogaz qui a développé un concept de méthanisation en 2 phases à la suite d’expérimentations menées à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique.
Depuis sa création en 2004, la société s’est
[Photo : Figure 1 : principe du procédé GreenWatt.]
[Photo : Figure 2 : variations de l’alimentation.]
Toujours intéressée aux cas réputés difficiles, s’éloignant des modèles traditionnels en une phase de type agricole, dont le processus est stabilisé par l’ajout d’effluents agricoles.
À ce jour, Greenwatt a construit et opère 2 unités de biogaz alimentées à des substrats 100 % végétaux. La première fonctionne avec des sous-produits d’endives, la seconde avec des écarts de tri de melon et autres fruits, uniquement. Quatre autres unités sont en cours de construction, sur des substrats aussi variés que des carottes, des résidus de maïs grain, ou encore des sauces type mayonnaise ou ketchup (déchets agro-industriels).
Le procédé en 2 phases (figure 1) offre une robustesse importante aux installations, une véritable flexibilité et enfin une sécurité accrue contre des risques biologiques. Le fait que la première phase transforme la matière organique, quelle que soit sa nature, en acides gras volatils, est un gage de stabilité pour la phase méthanogène. C’est un des aspects qui confère une robustesse à l’installation.
La phase méthanogène est un réacteur à lit fixe avec système de décolmatage et régulation du biofilm. Ceci apporte au réacteur une robustesse supplémentaire, pouvant tolérer des TSH très courts (pas de risque de lessivage de la biomasse), des variations importantes de charge organique et de vitesse de flux ascensionnelle, et des taux de charge élevés.
Ainsi, l’installation digérant du melon a, par exemple, été capable pendant cette saison de recevoir jusque 3 fois sa charge de dimensionnement pendant plusieurs jours d’affilée (figure 2). Le liquéfacteur a servi de tampon et de pare-feu, régulant le flux hydrolysé accédant à la phase méthanogène. Ces brusques fluctuations n’affectent alors en rien la phase méthanogène. Cette robustesse et capacité à digérer des intrants ont amené Greenwatt à développer une recherche opportuniste, allié d’un partenaire commercial, concernant la monodigestion d’un cactus à des fins énergétiques au Chili.
L’avenir économique du Chili est fortement lié à la production du cuivre, dont il est le premier producteur mondial, dont le coût de revient est fortement lié aux cours du pétrole. Ces grands groupes industriels souhaitent dès à présent investir massivement dans le secteur des énergies à moindre coût. L’un des axes de développement choisis est la biomasse énergie. Se trouvant en zone semi-aride, l’une des plantes dont le potentiel est perçu est le cactus Opuntia ficus indica qui permet d’atteindre 40 t MS/ha/an. Ce cactus démontre une biodégradabilité importante, ce qui en fait un bon candidat à la méthanisation.
Tableau 1 : Caractéristiques de cladodes de cactus
Déterminations |
Sur matière fraîche |
Sur matière sèche |
Matière sèche 6,7 % |
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Cendres totales 1,06 % 15,88 % |
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Cendres insolubles 0,01 % 0,16 % |
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Chlorure 0,01 % 0,14 % |
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Matière organique totale 56 kg/T 84,12 % |
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Azote ammoniacal (N-NH4+) 0,010 kg/T 0,015 % |
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Azote total N 0,90 kg/T 13,5 % |
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Phosphore (P2O5) 0,30 kg/T 0,44 % |
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Potassium (K2O) 2,46 kg/T 3,67 % |
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Calcium (CaO) 3,39 kg/T 5,07 % |
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Magnésium (MgO) 0,96 kg/T 1,43 % |
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Sodium (Na2O) 0,01 kg/T 0,01 % |
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Fer (Fe) 21 mg/kg 313 mg/kg |
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Manganèse (Mn) 29 mg/kg 438 mg/kg |
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Cuivre (Cu) 2 mg/kg 24 mg/kg |
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Zinc (Zn) 6 mg/kg 86 mg/kg |
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pH : 4,1
Rapport C/N* : 36,3
La monodigestion de cactus opuntia a déjà fait l’objet de recherches par des universités et a même donné lieu à la construction d’une unité pilote (100 m³) dédiée, sur base de technologie « infiniment mélangé ». Cependant les digesteurs ont fini par devenir instables jusqu’à l’acidose. La séparation des phases peut donner un avantage pour la régulation de la digestion et le contrôle de la phase méthanogène. L’unité pilote de Greenwatt a ainsi fonctionné pendant près de 5 mois en monodigestion de cactus sans apport d’additifs. Elle a depuis été envoyée au Chili pour qu’ils puissent poursuivre le travail d’expérimentation en conditions locales.
Matériels et méthodes
Substrat
Le substrat est constitué de cladodes de cactus. Ces cladodes ont été cultivées sur un terrain de 100 ha destiné à l’expérimentation agronomique au Chili, récoltées manuellement puis immédiatement congelées avant d’être envoyées par transport frigorifique jusqu’au port de Rotterdam. La caractérisation de ce substrat est décrite dans le tableau 1.
Le substrat est assez bien balancé en termes de DCO-N-P. Cette analyse n’est pas suffisante pour prétendre déterminer des déficiences en micro-éléments.
Dès réception des échantillons (2 t), le cactus a été broyé (congelé) puis stocké dans des récipients de 200 L avant d’être replacé en chambre froide à –18 °C. Il a enfin été
[Photo : Figure 3 : Photo du pilote.]
Sorti au fur et au fur et à mesure des besoins pour être introduit, à peine décongelé, dans le réacteur de liquéfaction.
Un BMP a été lancé sur le cactus dont le résultat est 0,363 Nm³ CH₄/kg MV.
La photo du pilote est représentée figure 2.
Liquéfacteur
La cuve de liquéfaction de 300 L est, pour démarrer le test, remplie de 250 L d’eau puis alimentée immédiatement avec 50 kg de cactus. Jusqu’à la fin du test le liquéfacteur ne recevra plus d’apport d’eau externe, uniquement du substrat broyé. La cuve est maintenue à 38 °C et homogénéisée chaque heure par une pompe centrifuge (5 L/s).
La cuve de liquéfaction est pourvue d’un piquage à mi-hauteur à partir duquel auront lieu les prélèvements pour alimenter le méthaniseur HYFAD™.
HYFAD™
Le réacteur à lit fixe HYFAD™, d’un volume de lit fixe (Cloisonyl™) de 70 L, est alimenté après une filtration grossière du substrat acidifié de 1 mm. Ce reflux est redirigé vers le liquéfacteur manuellement. Le HYFAD™ est maintenu à 38 °C. Il est pourvu de 2 pompes péristaltiques pour son fonctionnement, la première pour son alimentation et la seconde pour sa boucle de recirculation. Enfin, le HYFAD™ subit des séquences de « flush » chaque jour, ce qui permet de réguler l’épaisseur du biofilm.
L’alimentation en substrat acide est quant à elle régulée par une sonde de pH en ligne qui asservit le fonctionnement de la pompe d’alimentation, de manière à conserver un pH proche de la neutralité.
La sortie du méthaniseur se fait par simple débordement. Le volume de sortie est mesuré chaque jour pour connaître précisément la quantité avec laquelle il a été alimenté.
Des échantillons sont prélevés 3 fois par semaine sur le contenu du liquéfacteur pour une analyse FOS/TAC par titration, pour une analyse de MS/MV et, une fois par semaine, pour analyse HPLC (sur liquéfacteur aussi).
Les gaz produits par le liquéfacteur et le méthaniseur sont comptés et analysés indépendamment.
Les gaz sont analysés une fois par jour manuellement à l’aide d’un analyseur portable Sewerin Multitec 540 qui mesure, par capteurs infrarouge et électrochimiques, le CH₄, CO₂, O₂ et H₂S.
Résultats
Liquéfaction du substrat
La cinétique d’hydrolyse a été suivie dans le liquéfacteur par analyse de la DCO soluble et acidifiée.
Cette étape a mené à une solubilisation de la DCO de l’ordre de 60-70 %, dont environ la moitié se trouve sous forme acidifiée après une durée de 4 jours à partir de son introduction.
Le contenu du liquéfacteur, alimenté avec le cactus frais, est resté relativement stable pendant le test. La composition en AGV du contenu du liquéfacteur est présentée figure 4.
Aucune trace de méthane n’a été détectée dans le gaz de liquéfaction. L’analyse de sa composition a révélé un gaz contenant environ 100 % de CO₂ (excluant H₂O).
[Photo : Figure 4 : Composition en AGV du liquéfacteur.]
Méthanogenèse
La liqueur acide ainsi formée a alimenté le HYFAD™. Le démarrage du réacteur s’est fait à un taux de charge de 1 kg DCO/m³ j. Sa montée en
Tableau 2 : production de méthane avec le temps
Semaine |
Charge appliquée (g DCO/m³ j) |
Dégradation globale de la DCO |
Pourcentage de méthane (%) |
Production (NL CH₄/kg MV) |
41 |
1,21 |
92 % |
64 % |
377 |
42 |
1,56 |
81 % |
63 % |
392 |
43 |
2,44 |
87 % |
62 % |
389 |
44 |
2,27 |
82 % |
64 % |
365 |
45 |
3,69 |
73 % |
59 % |
349 |
46 |
7,20 |
83 % |
64 % |
347 |
47 |
9,42 |
77 % |
61 % |
335 |
48 |
12,65 |
82 % |
58 % |
388 |
49 |
14,87 |
79 % |
55 % |
395 |
50 |
16,45 |
78 % |
56 % |
381 |
51 |
17,29 |
84 % |
64 % |
355 |
1 |
1,79 |
78 % |
56 % |
335 |
2 |
19,91 |
83 % |
54 % |
337 |
2,5 |
30,30 |
78 % |
56 % |
356 |
3 |
28,22 |
81 % |
55 % |
340 |
4 |
32,05 |
77 % |
58 % |
320 |
La charge a été effectuée sans encombre, présentant un abattement de la DCO supérieur à 80 % et une production spécifique de l’intrant de 0,35 Nm³CH₄/kg MV, soit une valeur très proche du potentiel méthanogène mesuré (0,363 Nm³CH₄/kg MV), tableau 2.
À la dernière valeur de charge appliquée, le test a dû être stoppé car la totalité des 2 t de cactus reçue avait été consommée. On peut présumer que des performances supérieures auraient pu être atteintes étant donné la bonne stabilité encore présente à la fin du test (qualité du biogaz, rendement spécifique et rapport FOS/TAC).
Le TSH à la charge maximum a été de 2,5 jours.
Procédé global
Le procédé global a démontré un taux de charge maximum applicable au système en 2 phases de 10,6 kg MV/m³·j tout en maintenant un taux de biodégradation de l’ordre de 80 %, garantissant ainsi l’atteinte du BMP en termes de production spécifique. Les temps de séjour cumulés sont de l’ordre de 3 jours dans la phase de liquéfaction et 2 jours dans la cuve de méthanogenèse, soit un total de 5 jours.
Conclusion
La monodigestion du cactus opuntia est techniquement faisable avec le procédé en 2 étapes. Si on extrapole ces résultats expérimentaux, la génération de 1 MWél sera atteinte par la culture dédiée de 150 ha. Le coût projeté du MWhél produit est potentiellement compétitif d’après les premières simulations réalisées par Greenwatt et son partenaire, sans subsides, aux coûts actuels de l’énergie au Chili. Ce travail ouvre la voie à une alternative économiquement viable pour ce pays, ainsi que d'autres qui partageraient un contexte énergétique semblable.
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