Your browser does not support JavaScript!

Méthanisation d'effluents industriels à forte charge en matière organique en suspension à l'aide d'un procédé à recyclage de la biomasse

30 septembre 1987 Paru dans le N°112 à la page 56 ( mots)
Rédigé par : N MILANDE

Un grand nombre d’établissements de l'industrie agro-alimentaire (abattoirs, conserveries, brasseries, élevages, salaisons, …) rejettent des effluents très chargés en matière organique, dont une part importante est présente sous forme de matières en suspension (matière cellulosique dans les effluents d’élevage ou d’abattoir, protéines dans le cas des effluents de brasserie ou de conserverie, …). Ces rejets sont difficiles à dégrader dans de bonnes conditions économiques avec les procédés aérobies classiques ; la méthanisation permet, en revanche, un pré-traitement efficace et assez poussé de la pollution carbonée qu’ils contiennent, la production de biogaz utilisable sur le site contribuant à rendre ce processus économiquement acceptable. Nous avons mis au point, à l'aide d’essais menés sur des installations de laboratoire, puis sur des installations pilotes ayant fonctionné pendant de longues périodes en sites industriels, un procédé de méthanisation permettant d’éliminer 60 à 90 % de la pollution contenue dans les rejets liquides de ce type d’industrie, qui a été conçu de façon à assurer la stabilité des taux d’épuration malgré les variations de charge inévitables en site industriel, sans entraîner un suivi contraignant pour l’industriel. Il a fait l'objet de plusieurs unités traitant des effluents chargés en matières en suspension, notamment dans un élevage industriel porcin du Sud-Ouest, à Lourenties, à l'abattoir de la ville de Mont-de-Marsan et la brasserie du Pécheur à Schiltigheim.

Nous examinerons ci-après les particularités de ces trois stations.

L'INSTALLATION DE TRAITEMENT DU LISIER DE PORC DE L’ELEVAGE INDUSTRIEL DE LOURENTIES

Le développement important de l’élevage porcin hors sol dans certains départements, avec création de très gros ateliers de production, s’est traduit, depuis déjà plusieurs années, par l’augmentation des quantités de lisier à éliminer. En effet, dans la plupart des élevages modernes de grande taille, la paille n’est plus utilisée comme litière et les déjections des animaux sont recueillies sous forme de lisier, liquide à très forte charge organique (20 à 60 g/l dont 15 à 25 g/l sous forme de matières en suspension).

La plupart des éleveurs épandent ce lisier sur des terres de cultures pour lesquelles il constitue un amendement organique, à condition que les quantités épandues par hectare ne dépassent pas les seuils critiques (dans certaines régions, notamment en Bretagne, ces seuils sont parfois nettement dépassés). Toutefois, cette méthode pose de plus en plus de problèmes d’environnement : en effet, si le lisier n’a pas été préalablement traité, la matière organique qu'il contient va être, pendant les deux ou trois jours suivant l’épandage, le siège de fermentations incontrôlées générant des composés volatils plus ou moins malodorants. Cela constitue, notamment dans le cas d’élevages situés à proximité de zones habitées, une nuisance qui est de moins en moins bien supportée par les riverains. La quantité de lisier épandu ayant augmenté considérablement ces dernières années, tandis que les surfaces agricoles susceptibles de le recevoir restaient fixes, un certain nombre de techniques de traitement de désodorisation ont été essayées, parfois avec succès, sur des élevages industriels. Ces opérations présentent cependant l’inconvénient d’être très coûteuses en raison de leur consommation d’énergie (traitements d’aération par turbine de surface) ou de produits réactifs (traitement à la chaux ou par floculation). Leur coût atteint ainsi 10 à 20 F par porc, ce qui a limité leur diffusion.

Dans ce cadre, l’intérêt de la méthanisation est double, puisqu’elle permet :

— de désodoriser en grande partie le lisier et de réduire de plus de 60 % sa charge polluante,

— de produire un gaz qui contient 70 à 75 % de méthane, et qui peut donc être utilisé comme combustible au niveau de l’élevage.

Nous avons construit en 1982 une première installation de méthanisation dans un élevage correspondant à 2 000 places de porcs situé à Lourenties, près de Pau. Cette installation, qui fonctionne depuis maintenant quatre ans, traite en continu

[Photo : Installation de méthanisation dans un élevage de 2 000 places.]

la totalité du lisier de cet élevage (soit 16 à 22 m³/jour). Le gaz produit alimente une chaudière qui chauffe les salles de post-sevrage ainsi qu'une habitation située à proximité.

L'élevage

C'est un élevage hors sol de type naisseur-engraisseur qui comprend en permanence environ 250 truies, 1 000 porcelets et 1 500 porcs à l'engrais.

Ceux-ci sont regroupés dans des logettes de 14 à 15 animaux et leur temps de présence moyen dans les bâtiments est d'environ cinq mois (soit une production moyenne annuelle de 4 à 5 000 sujets).

L'alimentation est à base de céréales avec complément protéique (tourteaux de soja). Les animaux sont logés sur caillebotis : le lisier est ainsi évacué directement vers des caniveaux situés le long des bâtiments, puis s'écoule par gravité vers une préfosse de 18 m³, à partir de laquelle s'effectue l'alimentation de l'installation de méthanisation.

L'installation de méthanisation

Elle comprend essentiellement :

  • — un fermenteur d'un volume utile de 120 m³ et d'un volume total de 170 m³, comprenant un stockage de gaz dans la partie haute ;
  • — un décanteur de 14 m³ utiles ;
  • — une chaudière d’une puissance totale de 105 kW ainsi que tous les organes de sécurité et de régularisation nécessaires pour le fonctionnement automatique de l'installation, dont la surveillance se limite à deux ou trois contrôles hebdomadaires.

L'alimentation du fermenteur s'effectue automatiquement à l'aide d'une pompe d'alimentation située dans la préfosse dont la durée de fonctionnement horaire ou journalière est programmée par l'éleveur en fonction des besoins, le débit moyen quotidien ne devant pas dépasser 25 m³/j. Le lisier est ainsi envoyé dans le fermenteur, par le bas. Simultanément, un volume égal de lisier s'écoule par surverse de la sortie située dans la partie supérieure du fermenteur.

À l'intérieur de celui-ci, un dispositif de brassage homogénéise le contenu (teneur en MES et température). Ce dispositif a été conçu de façon à assurer un bon contact entre le lisier et la biomasse. En sortie de fermenteur, le lisier est envoyé vers un décanteur à l'intérieur duquel se dépose une grande partie des matières en suspension qu'il contient.

Le surnageant de décantation est évacué par surverse vers une fosse de stockage (avant épandage), tandis que les MES récupérées en fond de décanteur, colonisées par la biomasse méthanogène, sont recyclées vers le fermenteur. Ce système, dont le mode de fonctionnement a été choisi pour limiter les contraintes de suivi et de maintenance, permet d'éviter que les bactéries soient évacuées en même temps que le lisier : en les récupérant et en les recyclant en continu vers le fermenteur, on améliore nettement les performances du système puisqu'il est alors possible d'alimenter le fermenteur avec des débits élevés, donc avec des temps de séjour du lisier courts (4 à 6 jours, suivant la concentration du lisier) et d'augmenter la concentration des bactéries méthanogènes dans le fermenteur.

Ce décanteur ne se justifie toutefois économiquement que pour les installations traitant au moins 15 m³/jour de lisier.

Le gaz produit est stocké sous basse pression (inférieure à 300 mbars) dans la partie haute du fermenteur ; de là, il est conduit vers la chaudière qui alimente en eau chaude les bâtiments d'élevage et l'habitation. Une partie de l'énergie produite par celle-ci sert à chauffer le lisier entrant dans le fermenteur et à le maintenir à la température de 35 °C (température optimale pour les bactéries méthanogènes) à l'aide d'un échangeur thermique soudé sur la paroi externe du fermenteur, qui est lui-même entièrement calorifugé.

Le chauffage des salles de post-sevrage est effectué à l'aide d'aérothermes dans lesquels circule l'eau chaude produite par la chaudière. L'air chaud venant des aérothermes est ensuite distribué par des gaines souples dans les salles dont la température doit être maintenue à 26-27° toute l'année (et qui étaient jusqu'alors chauffées à l'électricité).

Résultats et performances

Production de gaz

Avec un débit d'alimentation de 20 m³/jour de lisier (à 30-40 g/l de matière sèche), la production est de 250 à 300 m³/j d'un gaz contenant environ 72 % de méthane. Le pouvoir calorifique de ce gaz étant de 6 kWh/m³, cela représente une production d'énergie brute de 1 500 à 1 800 kWh/j dont une partie, variable selon les conditions climatiques, est utilisée pour le réchauffage du lisier entrant dans le fermenteur et son maintien en température, soit une production d'énergie nette disponible pour le chauffage de 1 000 à 1 400 kWh/j.

Dépollution

Les analyses effectuées sur des échantillons de lisier prélevés en amont et en aval de l'installation indiquent que les taux d'épuration obtenus sont de l'ordre de 60 % sur DCO et MES, ce qui est compatible, dans le cas du lisier, avec une bonne désodorisation.

[Photo : L'installation de méthanisation de l'abattoir de Mont-de-Marsan.]

L'INSTALLATION DE L'ABATTOIR DE MONT-DE-MARSAN

L'abattoir de Mont-de-Marsan a une capacité d'abattage de 4 500 t/an et fonctionne environ 210 jours par an.

L'installation de méthanisation, qui a été mise en service début 1987, traite en continu les effluents suivants :

  • — sang des bovins et ovins et eau de lavage des bacs de saignée,
  • — matières stercoraires,
  • — rejet de la triperie-boyauderie,
  • — eau d'échaudage.

Ces produits, qui représentent 75 à 80 % de la pollution rejetée par l'abattoir, sont collectés à l'aide d'un réseau séparatif. Le mélange d'effluents est à une température voisine de 30 °C et il représente une quantité de DCO à traiter comprise entre 350 et 475 kg/jour.

L'installation de méthanisation comprend :

  • — un fermenteur de 70 m³ de volume utile (sur un volume total de 85 m³), muni d'un agitateur mécanique et d'un échangeur de chaleur,
  • — un décanteur de 14 m³,
  • — une pompe d'alimentation et une pompe de recirculation des boues,
  • — une armoire de commande assurant le fonctionnement automatique de l'installation.

— les dispositifs de contrôle et de sécurité.

Les conditions de fonctionnement sont les suivantes :

  • — quantité moyenne de matière sèche à traiter : 350 kg/j,
  • — quantité moyenne de DCO à traiter : 350 kg/j,
  • — charge appliquée au volume utile : 5,15 kg MS/m³/j ou 5,15 kg DCO/m³/j,
  • — charge maximale applicable au volume utile : 7 kg MS/m³/j (soit 475 kg MS/j) ou 7 kg DCO/m³/j (soit 475 kg DCO/j),
  • — débit moyen d’effluent à traiter : 20 m³/j,
  • — débit maximal d’effluent à traiter : 35 m³/j,
  • — production de gaz moyenne : 105 m³/j, soit 4,4 m³/h,
  • — teneur en méthane du gaz : 60 à 65 % en volume,
  • — taux d’épuration de l’effluent traité : 80 % sur DCO et MES.

L'installation d'utilisation du biogaz comprend :

  • — une conduite de transport de gaz avec pot de condensation,
  • — une chaudière de 70 kW à brûleur mixte biogaz-gaz naturel avec passage automatique d’un gaz à l’autre suivant la pression de biogaz,
[Photo : Mont-de-Marsan : chaudière avec brûleur mixte biogaz-gaz naturel.]

L’INSTALLATION DE LA BRASSERIE DU PÊCHEUR À SCHILTIGHEIM

Une étude préalable, effectuée en 1979 et 1980 dans plusieurs brasseries, ayant montré que la majeure partie de la pollution rejetée par ces établissements est contenue dans quelques effluents à très forte concentration qu’il est possible de collecter séparément, nous avons mis au point un procédé capable de traiter de tels effluents avec des charges appliquées élevées, sans risque de dysfonctionnement hydraulique.

La récupération de ces effluents est effectuée à l’aide d’un réseau de collecte séparatif, ce qui présente l’avantage de traiter une quantité de pollution importante dans un débit faible, d’où une amélioration de la stabilité de fonctionnement de l’installation de méthanisation et une optimisation du bilan énergétique (diminution du volume d’effluent à chauffer à 35 °C).

Les effluents traités sont de plusieurs sortes :

  • — effluent de canneterie et de soutirage des fûts (freintes de bière),
  • — fonds de cuve de fermentation (levures et eau de rinçage), y compris T.O.D.,
  • — moût trouble de fin de semaine,
  • — bières de retour,
  • — jus d’égouttage des drêches.

Ces effluents, qui représentent au total jusqu’à 90 % de la pollution organique rejetée par la brasserie, sont collectés dans un bac-tampon calorifugé à partir duquel ils sont envoyés directement vers le fermenteur et le décanteur de l’installation de méthanisation. Le biogaz, qui est produit en continu, est utilisé dans une chaudière pour la production d’eau chaude, ce qui assure la couverture d’une part non négligeable (jusqu’à 15 %) des besoins en énergie thermique de l’usine. Une partie de l’énergie produite (5 à 25 % suivant les conditions climatiques) est utilisée pour maintenir le fermenteur à sa température optimale de fonctionnement (35 °C).

L'installation de la brasserie du Pécheur, qui a été mise en service début 1987, comprend :

  • — un ballon de stockage d’eau chaude calorifugé de 6 000 litres, qui permet le stockage de l’eau chauffée pendant la nuit,
  • — les circuits d’alimentation en eau chaude du fermenteur et du ballon de stockage,
  • — une armoire de commande assurant un fonctionnement automatique de l’ensemble,
  • — un fermenteur de 250 m³ muni d’un dispositif d’agitation, d’un échangeur thermique et d’une régulation de pH,
  • — un décanteur de 50 m³.
[Photo : Brasserie du Pécheur à Schiltigheim : le fermenteur.]

Les conditions de fonctionnement nominales sont les suivantes :

  • — quantité maximale de DCO à traiter : 3 500 kg/j,
  • — charge maximale appliquée au volume utile : 15 kg DCO/m³/j,
  • — débit d’effluent à traiter : 35 à 60 m³/j,
  • — temps de séjour hydraulique : 4 à 7 jours,
  • — production de gaz pour 3 000 kg DCO/j traité : 1 200 m³/j,
  • — taux d’épuration 85 % sur DCO, 90 % sur DBO5, 80 % sur MES.

CONCLUSION

Dans le cas d’établissements industriels qui sont assujettis aux redevances « pollution », les installations de méthanisation conduisent, en incluant les économies sur ces redevances et les économies d’énergie, à des temps de retour brut compris, suivant les cas, entre 3 et 7 ans, qui peuvent, avec les possibilités d’aides financières des Agences de Bassin, être acceptables pour l’industriel.

Actuellement, plusieurs projets mettant en œuvre ce procédé comportant des fermenteurs de taille comprise entre 100 m³ et 1 000 m³, sont à l’étude dans différents établissements (abattoir, conserverie, laiterie, ...).

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements