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Méthane, mention plus que bien

30 mars 1990 Paru dans le N°135 à la page 32 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

Nous vivons une époque technologique décidément passionnante. Passionnante par la remise en question permanente des données acquises. Ce branle-bas d’idées stimule la créativité, l'ingéniosité, la vie de l’Entreprise française. Ainsi croyait-on le vieux procédé de digestion anaérobie hors course ? Le voici en 1990 tout ragaillardi. Le concept de la « fosse septique » revient, revu et corrigé. Passionnante aussi notre époque par l’enjeu économique de la CEE, dont l’échéance approche, dans un contexte concurrentiel difficile où l'opportunité d'un produit nouveau n’est pas à dédaigner. Il en va comme cela de la pollution et des déchets en général. Embarras, dépotoirs, DBO-DCO, odeurs, nuisances, contaminations, redevances et taxes d’assainissement, hier. Récupération, recyclage, extraction de protéines et métabolites commercialisables, compostage, valorisation énergétique par combustion, pyrolyse ou digestion méthanique, aujourd'hui. Les temps ont changé, et l'on dirige plus désormais qu'on ne subit les microorganismes doués pour l'épuration.

Aérobie or not

Aérobie ou anaérobie ? Cette alternative de traitement biologique est maintenant posée, et l'on envisage même d'appliquer la méthanisation directement aux effluents urbains et non plus seulement à leurs boues. La voie de la fermentation méthanique, « rajeunie » par les progrès récents dans notre connaissance de la biochimie bactérienne, a fortement modifié, depuis 1980, l'arsenal des techniques d’épuration (1). Et ceci pour trois raisons principales : économie d’énergie pour aérer le milieu, faible production de biomasse excédentaire et biosynthèse d'un gaz valorisable, le méthane.

(1) L'épuration anaérobie par méthanisation a fait l'objet d'intenses recherches dans le monde, mais surtout en Europe depuis la fin des années 1970 : G. Lettinga de l'université de Wageningen, E. Nyns de l'université de Louvain et W. Verstraet de l'université de Gand. En France, citons les travaux de J.P. Lescure de l'IRIS (Institut de Recherche de l'Industrie Sucrière), ceux de G. Albagnac de l'INRA (Institut national de la Recherche Agronomique) et enfin ceux des grands « traiteurs d'eaux » : le Laboratoire Central de la Lyonnaise des Eaux - Degrémont et le Centre Anjou - Recherche de la Compagnie Générale des Eaux - OTV.

[Photo : Fig. 1 : Etapes schématiques de la biodégradation anaérobie de la matière organique résiduaire.]

Economie d’énergie

Les procédés aérobies utilisés avec succès pour oxyder la matière organique résiduaire présentent en commun le défaut de consommer de l’énergie pour le brassage et l’aération (il faut, selon le type de traitement aérobie, 1 à 2 kg de O₂ pour éliminer 1 kg de pollution carbonée, soit une dépense énergétique de 1 à 2 kWh pour transférer cet oxygène atmosphérique au milieu aqueux de culture de la biomasse épuratrice aérobie). Avec cet handicap, il n’était pas rare de voir certaines usines dépenser jusqu’à 10 à 15 % de leur facture énergétique pour simplement épurer leurs eaux usées. Une comparaison des coûts d’exploitation des stations d’épuration biologique par voie aérobie des industries de chimie organique, traitant 7 à 35 t DCO/j, a été réalisée en 1984 par les exploitants issus de diverses entreprises. Pour des rendements d’épuration compris entre 77 et 92 % d’élimination de DCO, le coût moyen, variant de 1 330 à 2 100 F/t, était à cette époque de 179 F/t de DCO éliminée (C. Chalandon, Gesic Rhône-Poulenc, Revue TSM 08/1986).

Boues excédentaires

Le taux de croissance des bactéries anaérobies est nettement plus faible que celui des bactéries aérobies ; il en résulte une production de boues excédentaires beaucoup plus réduite aussi. Elle est estimée à 10 % de la charge carbonée entrante, soit environ cinq fois moins que pour les systèmes aérés ; de plus, cette boue est fortement stabilisée et présente un intérêt certain en tant qu’amendement humifère du sol.

[Photo : Types de réacteurs anaérobies à bio-masse fixée (d’après L. Audoin, SAUR, et F. Meyer, A. de Pierrefeu, IRCHA - JIE 1986).]
[Photo : Schéma d'application du procédé de méthanisation aux industries agro-alimentaires (d’après le Ministère de la Recherche et de la Technologie, 1982).]

Biosynthèse de méthane

Le potentiel énergétique que représente cette molécule de méthane CH₄, est donné par les valeurs suivantes : 23 440 kJ/m³ (5 600 kcal/m³) de biogaz, soit 0,56 kep/m³ (figure 1). Globalement, on estime que 1 tonne de DCO éliminée équivaut à la production de 350 m³ de méthane, soit environ 0,34 tep (1 m³ de substrat résiduaire à 30 g/l, traité par exemple sur filtre anaérobie admettant une charge de 15 kg DCO/m³ de filtre, reçoit une épuration au taux de 90 % de la DCO et fournit l'équivalence énergétique de 9 kg de fioul).

Tout n’est pas rose. On dit le procédé malodorant. Il est vrai que les sulfates et sulfites susceptibles d’être présents dans le substrat à méthaniser donnent naissance, par le jeu des micro-organismes sulfato-réducteurs, à de l'hydrogène sulfuré H₂S très corrosif (par hydrolavage qui éliminera aussi CO₂, ou par fixation sur lit de copeaux de fer ou de charbon actif). Par contre, la pollution azotée n'est pas éliminée, puisque le milieu réducteur a tendance à transformer l'azote organique en azote ammoniacal, gaz ammoniac NH₃ et sels ammoniacaux NH₄⁺. Ce qui nécessitera un traitement d'affinage aérobie en cas de polluants azotés. Enfin, la séparation de la biomasse et de l'effluent épuré s'avère plus délicate car le surnageant du clarificateur final est souvent plus chargé.

Ces sujétions maîtrisées, on atteint fréquemment des rendements de dépollution supérieurs à 95 % en récupérant au moins 400 N m³ de biogaz/t de DCO éliminée par diverses conceptions de méthaniseur (figure 2).

Les exemples incitatifs

Les effluents très concentrés des industries agro-alimentaires ont été méthanisés en priorité (figure 3).

Les premières études de méthanisation des effluents agro-alimentaires se sont orientées vers des procédés à culture libre avec brassage aux gaz de réacteur suivi d'une séparation par décantation. Ce procédé par contact anaérobie a été développé par la société Degrémont, aboutissant à la réalisation d'une station de méthanisation à la conserverie Bonduelle à Renescure, dans le Nord (figure 4).

Dès 1982, deux digesteurs, de 2 500 m³ de capacité unitaire, y travaillent en procédé-contact en culture libre, à la charge volumique de 2,7 à 3,5 kg DCO/m³/j, apportée par les eaux de « blancheurs » de petits pois et haricots verts et de pelage-vapeur des carottes (débit de pointe : 720 m³/j avec 18 t DCO/j).

L'élimination à 95 % de la DCO conduit à une production journalière en gaz de 8 000 N m³/j, soit 43 000 th/j.

Le bilan énergétique de la conserverie Bonduelle fait ressortir un gain net de 720 tep/an relativement à un investissement total de 5,8 MF (J.C. Noël, Agence de Bassin Artois-Nord-Picardie, 1982).

Transformation des pommes de terre

Les installations de digestion Flodor (de Péronne dans la Somme), dont l'usine fabrique des flocons pour purée et des chips à partir de pommes de terre, sont aussi un archétype : on y méthanise l'amidon résiduaire, polymère du d-glucose selon le procédé Anoxal de L'Air Liquide à la charge de 7 kg DCO/m³/j, dans un digesteur d'une capacité de 1 750 m³.

Les eaux de blancheur des pommes de terre, issues des ateliers de transformation, représentent 1 400 m³/j d'effluents transitant une pollution moyenne de 11 t de DCO. Du point de

[Photo : Digesteurs Degrémont à l'usine Bonduelle de Renescure, dans le Nord.]

Sur le plan financier, le gain énergétique de 952 tep/an, réalisé par la valorisation de biogaz et l'économie comptabilisée vis-à-vis d'un traitement aérobie nécessaire, permet un temps de retour de l'investissement de 6,9 MF 1983 en 2,2 ans seulement.

Distilleries

L'installation Revico, dans la région de Cognac, applique le procédé de méthanisation SGN, de lits bactériens à forte charge sur supports plastiques en flux descendant. L'unité, qui détruit 80 t/j de DCO brute, dont plus de 66 t de DCO soluble, comporte un fermenteur de 5 600 m³ pour le traitement des lies (12 t/j de DCO avec 3 kg DCO/m³/j). Construite en 1972, l'usine appliquait au départ un procédé de distillation multi-effets, avec production et vente de tartrates de calcium et récupération de calories par incinération des résidus. Particulièrement économique en 1972 avec les techniques de l'époque, l'option initiale de l'usine ne l'était plus en 1984, après l'augmentation des prix de l'énergie et l'avènement de la technologie moderne de méthanisation (1,7 Mm³ de CH₄/campagne). Aussi, la société SGN y a installé l'une des plus grosses unités de méthanisation du monde. À noter au passage le post-traitement aérobie de l'overflow de digesteur permettant d'atteindre un rendement de 98 % sur DCO, ainsi que l'utilisation du biogaz en chaudière et en moteur thermique (deux groupes générateurs de 500 kVA unitaires).

Parmi les réalisations de première génération qui marquent l'évolution des techniques de méthanisation, nous nous contenterons de mentionner, sans expliciter : le filtre à flux descendant de 1 200 m³ sur culture fixée selon un procédé SGN-IRIS pour la sucrerie Beghin-Say ; les réacteurs à lit fluidisé au sable de 160 m³ selon le procédé Gist-Brocades pour la levurerie Cappa à Pouvy, dans le Nord ; le réacteur de 1 200 m³ à cellules fixées à flux ascendant de l'Air Liquide pour la Sté Roquette Frères implantée à Lestrem et spécialisée dans la transformation du blé et du maïs ; le digesteur Bertin pour lisier de porc à l'élevage industriel de Lourenties, près de Pau ; le digesteur Bertin, à nouveau, pour l'abattoir de Mont-de-Marsan (figure 5).

[Photo : Installation de fermentation anaérobie selon le procédé Bertin (matière d'œuvre des grands programmes européens, dont un dans le domaine des biotechnologies ; Eureka) pour l'Abattoir de Mont-de-Marsan (1987).]

La génération montante

Cantonnée dans l'agro-alimentaire, voilà que la méthanisation gagne des secteurs industriels les plus variés en prenant comme substrat des acides gras, alcools et aldéhydes à courte chaîne hydrocarbonée.

Papeterie

C'est encore le procédé Anoxal de l'Air Liquide qui a été retenu à l'usine papetière de la Cellulose du Pin à Tartas, dans les Landes. Depuis 1985, le digesteur de 2 700 m³ traite des condensats d'évaporation de liqueurs noires (acide acétique + méthanol + furfural) à raison de 21 t DCO/j, pour une charge appliquée de 8 kg DCO/m³/j et une production de biogaz de 6 250 m³/j à 75 % en CH₄ (W.J. Saslawski, La Cellulose du Pin, M. Mouliney, J.M. Cutayar, L'Air Liquide – Revue EIN 02/1986).

Industrie chimique

À l'usine Hoechst de Lillebonne, en Seine-Maritime, on traite par voie anaérobie les eaux résiduaires d'un atelier d'acide glyoxylique rejetant principalement des acides acétique et formique. Le digesteur en culture libre Degrémont de 3 000 m³ reçoit 16,5 t DCO/j et produit 11 000 Nm³/j de biogaz. L'économie annuelle de 1 400 tep permet un temps de retour de l'investissement de 10 MF estimé à 5 ans seulement.

Pour le site Hoechst de Cuise-Lamotte dans l'Oise, c'est la station anaérobie SGN de 1 600 m³ qui a été choisie pour absorber en 1990 quelque 16 t/j de DCO. L'effluent renfermant des acides formique et acétique subit un abattement de 90 % sur la DCO et produit 5 000 Nm³/j de méthane.

En marge, il faut souligner l'intérêt du programme de recherche ANRED-GDF-CEF sur le captage et la valorisation du biogaz en décharge, à Fretin dans le Nord, Roche-la-Molière dans la Loire, Entressen-Marseille dans les Bouches-du-Rhône, Montaubert dans l'Essonne, Arnouville en Yvelines, Villeparisis en Seine-et-Marne, intérêt que ne nient pas les travaux d'exploitation des sociétés Hofstetter et Geometra, très actives. Il faut dire que la valorisation énergétique des boues de stations d'épuration urbaines est depuis longtemps mise en œuvre, avec autoproduction d'électricité à partir du biogaz, dans les villes d'Annemasse (1 200 Nm³/j de biogaz), Chambéry (1 500 Nm³/j), Cholet (1 400 Nm³/j) et Rennes (5 000 Nm³/j), à l'instar de la station d'Achères. Enfin, la fermentation méthanique offre une alternative moderne dans le choix du traitement des déchets urbains, et il faut citer les nombreuses références d’unités de digestion Valorga pour les villes de La Buisse (16 kt/an d’O.M.), Doullens (28 kt/an), Lorient (69 kt/an), Saint-Brieuc (29 kt/an), Nîmes (103 kt/an), Foix (20 kt/an), Dunkerque (100 kt/an) et Amiens (110 kt/an).

La méthanisation... ça gaze.

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