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Mesure en continu de la turbidité

30 novembre 1997 Paru dans le N°206 à la page 42 ( mots)

Les turbidimètres industriels sont couramment utilisés pour le contrôle des procédés de traitement aussi bien de l'eau que des gaz. L'interprétation de l'intensité de la diffusion de la lumière en tant que concentration de matières en suspension fait intervenir un grand nombre de variables, telles que l'indice de réfraction des particules et leur granulométrie, l'angle de mesure et la longueur d'onde de la lumière utilisée. Des efforts ont donc été faits pour standardiser les conditions de mesure : d'abord par la définition de la suspension d'étalonnage, la formazine, et ensuite par l'établissement d'une norme européenne décrivant les caractéristiques techniques d'un turbidimètre standard. L'effet des différents facteurs est discuté et une méthode de mesure industrielle présentée, qui garantit des mesures stables à long terme sans ré-étalonnage. Elle met en ?uvre deux faisceaux alternants (mesure et référence) et élimine en même temps l'effet de la coloration du liquide et le salissement des fenêtres de la cellule de mesure.

La turbidité est un effet visuel provoqué par des inhomogénéités (particules, gouttelettes, bulles) dans des corps solides, liquides ou gazeux. L’évaluation quantitative de ce phénomène est fondée sur la mesure optique soit de l’absorption ou de l’intensité de diffusion de la lumière par ces particules en suspension. Du fait de sa faible sensibilité, la mesure de l’absorption est réservée aux concentrations fortes telles qu’elles apparaissent dans les eaux résiduaires chargées et les boues. Le présent document ne traite que de la méthode de mesure de la diffusion, appliquée aux concentrations faibles (eaux avant et après potabilisation, gaz et fumées filtrées etc.). Vu le nombre de paramètres physiques qui influencent cette grandeur, il est indispensable de définir les caractéristiques métrologiques des appareils utilisés et de connaître les effets des variations des propriétés des matières présentes.

L’intensité de la diffusion de lumière dépend d’abord de la concentration des particules, mais aussi de leur taille et de leur indice de réfraction par rapport à celui du support. En plus, des caractéristiques d’appareil telles que l’angle d’observation et la longueur d’onde de la lumière ont un effet considérable. Ces critères et leurs conséquences sur la spécification technique d’un turbidimètre sont présentés ci-après.

Diffusion de lumière

Indice de réfraction

L’intensité de diffusion dépend du rapport entre les indices de réfraction de la matière en suspension et du support. Elle est d’autant plus forte que les valeurs divergent. Ce fait est démontré par l’expérience illustrée en figure 1. Elle représente la diffusion d’une suspension d’oxyde de silice (SiO₂, n = 1,47) de concentration constante dans

[Photo : Figure 1 : Diffusion d’une suspension de SiO₂ dans des mélanges de méthanol/benzothiazole à différents indices de réfraction]

des liquides à indice de réfraction différents. Ces derniers sont obtenus par le mélange de méthanol (n = 1,33) et de benzothiazol (n = 1,64) en proportions variables. Comme on peut le voir, l’intensité de la lumière diffusée augmente avec la différence des indices de réfraction. Lorsque les indices sont égaux, il n’y a pas de diffusion : la suspension devient transparente.

Granulométrie

La figure 2 montre l’effet de la taille des particules sur la diffusion de lumière. Les deux courbes ont été calculées selon la théorie de Mie et représentent l’intensité de diffusion du carbonate de calcium et de l’oxyde de silicium en fonction de la taille moyenne des particules, à concentration massique constante. La diffusion croît d’abord, passe par un maximum et diminue ensuite. La première partie correspond à la diffusion dite de Rayleigh provoquée principalement par la diffraction. L’abaissement après le maximum est régi par diminution du nombre de particules (par d³), qui domine par rapport à l’augmentation de la taille des particules (par d⁶). On observe par ailleurs l’effet des indices de réfraction : les deux produits étant suspendus dans de l’eau (n = 1,33), l’oxyde de silice diffuse plus faiblement puisque son indice en est plus proche (1,48) que celui du carbonate de calcium (1,65).

[Photo : Figure 2 : Diffusion en fonction de la taille des particules, à concentration constante. Calculé selon la théorie de Mie]

Angle de mesure

Lorsqu’un faisceau lumineux tombe sur une particule, la lumière produite par la diffusion se propage bien dans toutes les directions, mais à des intensités différentes selon l’angle d’observation.

La répartition varie selon la taille de la particule, comme le montre le diagramme en figure 3. Alors que la petite particule de 0,05 μm diffuse à peu près uniformément dans toutes les directions, celle de 5 μm produit beaucoup plus de lumière vers l’avant. Cette caractéristique est exploitée pour l’identification de la taille des particules contenues dans une suspension. À titre d’exemple, la figure 4 représente l’intensité de diffusion sous deux angles (90° et 25°) d’une suspension contenant des concentrations variables de SiO₂ et de levure à masse totale constante. La composition passe de 0 % de levure (100 % de SiO₂) à 100 % de levure (0 % de SiO₂) et on peut voir que l’intensité mesurée sous 25° augmente proportionnellement avec la concentration de levure, alors que, sous l’angle de 90°, elle reste constante.

[Photo : Figure 3 : Diffusion de particules de SiO₂ de diamètre de 0,05 et 5 μm, à concentration constante]
[Photo : Figure 4 : Diffusion d’une suspension de levure (5 μm) et de SiO₂ (0,2 μm) à concentration totale constante]

Longueur d’onde

En règle générale, la diffusion diminue lorsque la longueur d’onde de la lumière utilisée croît. Cet effet dépend toutefois aussi de la taille des particules. Comme le montre la figure 5, la diminution est plus forte pour les petites particules. En fait, la variation de la diffusion en fonction de la longueur d’onde est très faible au-dessus de 0,5 μm. En dessous de 0,05 μm par contre, elle suit la loi de Rayleigh (1/λ⁴). Les courbes en figure 5 ont été obtenues par calcul selon la

[Photo : Figure 5 : Diffusion de particules de tailles différentes en fonction de la longueur d’onde de la lumière incidente. Calculé selon la théorie de Mie, pour concentrations constantes.]

Métrologie

Standard d’étalonnage

Les turbidimètres indiquent la valeur mesurée par équivalence avec une suspension de référence définie, la formazine. Ce produit se forme lors du mélange de sulfate d’hydrazine avec de l’hexaméthylènetétramine. Parfaitement solubles séparément, ils produisent un polymère insoluble lorsqu'ils sont mélangés. Cette réaction étant lente, la granulométrie résultante est tout à fait reproductible. Il faut toutefois veiller à ce que les solutions initiales soient exemptes de matières en suspension et la température de réaction définie et constante. La figure 6 montre la différence de granulométrie pour deux températures de fabrication. La figure 7 illustre la conséquence de ce fait sur le rapport des intensités de diffusion à 25° et 90°.

Dans l’intérêt de la reproductibilité de ce standard de référence, il est donc impératif de définir et de maintenir constante sa température de fabrication.

[Photo : Figure 6 : Granulométrie de deux suspensions de formazine, préparées à températures différentes.]

Longueur d’onde et norme NF EN 27027

Selon ce texte, qui reproduit intégralement la norme ISO 7027, la lumière incidente doit être d’une longueur d’onde de 860 nm (proche infrarouge), avec une largeur de bande inférieure ou égale à 60 nm. En respectant ce critère, ainsi que quelques aspects géométriques comme par exemple l'angle de mesure de 90°, les mesures effectuées sur différents appareils sont comparables. Une annotation de ce paragraphe de la norme mentionne qu’à la longueur d’onde de 860 nm l’intensité de la diffusion est plus faible qu’à des longueurs d’onde plus courtes. Elle autorise donc l’utilisation d’une lumière de 550 nm (largeur de bande 30 nm) pour des turbidités faibles, à condition que l'eau mesurée soit incolore. Cette remarque appelle quelques commentaires.

D’abord, il est indéniable que la longueur d'onde incidente influence la diffusion sensiblement, comme nous le mentionnons d'ailleurs plus haut (2d). L’expérience suivante le confirme : un turbidimètre mesurant à 90° a été équipé d'un filtre de 522 nm et étalonné à la formazine. Des suspensions de SiO₂ (taille des particules inférieure à 0,1 µm) de concentration croissante ont été mesurées. Cette même expérience a été répétée avec un filtre de 716 nm après re-étalonnage à la formazine. Le résultat est représenté en figure 8. Les deux lignes parallèles à l’origine des courbes (point zéro de l’abscisse) montrent que même la diffusion moléculaire est différente aux deux longueurs d'onde. Ensuite, il serait trompeur de croire que l’interférence de la coloration du liquide n'intervienne pas à 860 nm. En effet, elle peut agir à toute longueur d’onde, selon les propriétés d’absorption de la matière colorante. Le sulfate de cuivre par exemple, dont

[Photo : Figure 7 : Rapport de diffusion I(25°)/I(90°) de suspensions de formazine en fonction de la température de préparation.]
[Photo : Figure 8 : Turbidité d'une suspension de SiO₂, mesurée à deux longueurs d'onde.]
[Photo : Figure 9 : Spectre d’absorption d’une solution de sulfate de cuivre. Concentration 800 mg/l Cu2+ – Longueur optique 5 cm]
[Photo : Figure 10 : Mesure de turbidité, disposition optique à mono-faisceau]

Le spectre d’absorption comporte un maximum à 800 nm (voir figure 9) et interfère considérablement sur la mesure de turbidité. Ce n’est que par la compensation optique de la couleur (3d) qu’on peut s’affranchir efficacement de cette perturbation.

Mesures industrielles

La disposition optique la plus simple pour mesurer la lumière diffusée sous 90° est représentée en figure 10. La lumière émise par la source lumineuse pénètre dans l’échantillon et la partie diffusée par les particules est mesurée sous 90° par le photodétecteur. Il est évident qu’un tel dispositif ne répond pas aux exigences de fiabilité à long terme d’une mesure de procédé. En effet, l’intensité de la lumière mesurée ne dépend pas seulement de la diffusion par l’échantillon, mais aussi de l’état de la lampe et du détecteur. Or, ces éléments changent leurs caractéristiques sous l’effet du vieillissement et des conditions d’exploitation et provoquent une dérive inacceptable pour des mesures en continu.

Ce problème peut être résolu par la disposition optique à double faisceau alternant (figure 11). Ici, la lumière de la lampe est divisée en deux et forme un faisceau de mesure et un faisceau de référence. Alors que le premier pénètre l’échantillon et produit la diffusion, le second le traverse directement. Entrecoupés par un disque modulant, les deux faisceaux tombent alternativement sur la cellule photoélectrique. Le signal électrique de cette dernière est exploité par un micro-ordinateur qui forme le rapport entre les deux intensités. Ainsi, les effets néfastes de l’instabilité de la source lumineuse et du détecteur sont éliminés puisque les deux faisceaux subissent les mêmes variations.

[Photo : Figure 11 : Mesure de turbidité, disposition optique à double faisceau alternant]

Compensation de coloration

La présence d’une coloration dans le liquide à examiner atténue l’intensité de la lumière par absorption et fausse ainsi le rapport entre la diffusion mesurée et la turbidité présente. Dans le cas d’une disposition optique à faisceau unique (voir figure 10), ce défaut produit tout son effet. La méthode à double faisceau, par contre (voir figure 11), l’élimine par son trajet optique : les deux faisceaux traversent la cellule de mesure et subissent donc le même affaiblissement. Étant donné que la mesure résulte du rapport d’intensité entre les deux faisceaux, la variation due à la coloration n’a pas d’effet.

Salissement de la cellule de mesure

Les fenêtres de la cellule de mesure se salissent à plus ou moins long terme, selon la composition du liquide mesuré. Afin d’éviter des interventions de nettoyage fréquentes, les eaux chargées sont mesurées à l’aide d’une cellule exempte de fenêtres (figure 12), dite à chute libre. L’eau est amenée dans le turbidimètre par un tube vertical et tombe librement à travers les faisceaux lumineux. Ainsi, le problème de salissement est résolu à la base.

[Photo : Figure 12 : Cellule de mesure à chute libre, sans fenêtres]

Conclusions

La diffusion de lumière est influencée par beaucoup de facteurs et comporte donc un grand nombre d’indications. Cette complexité est à la fois un avantage et un inconvénient. L’avantage réside dans la grande diversité d’informations qu’elle peut fournir par une exploitation correcte. L’inconvénient est l’interprétation erronée par une approche trop simple. Quant aux normes, elles ont l’avantage indéniable de rendre les mesures comparables. Toutefois, elles entraînent aussi le risque d’empêcher le développement d’appareils qui permettent l’exploitation de toutes les possibilités de la diffusion, comme par exemple la mesure à différents angles, longueurs d’onde, etc.

Il paraît donc recommandable de respecter la norme pour les mesures de routine et de conserver la liberté de création pour la résolution de problèmes spécifiques.

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