Spécialisée dans la numérisation des odeurs et du goût, Alpha M .O.S. est devenue en moins de deux décennies leader mondial de la fabrication de nez et langues électroniques à usage industriel. Cette société française, présente dans le monde entier, réalise déjà 25 % de son chiffre d'affaires dans le domaine de l'environnement. U n pourcentage qui pourrait bien s'accroître compte tenu de l'expertise accumulée par l'entreprise sur ce marché au potentiel considérable. Rencontre avec Jean-Christophe Mifsud, P -D.G. fondateur d'Alpha M .O.S.
L'EAU, L'INDUSTRIE, LES NUISANCES : Pouvez-vous nous présenter Alpha M.O.S. en quelques mots ?
Jean-Christophe Mifsud : Alpha M.O.S. a été créée en 1993. J'ai eu la chance d'être à l'origine de sa création sur la base d’un précepte inspiré par un ancien professeur de chimie selon lequel « on ne peut améliorer que ce que l'on peut mesurer ». Or, le jeune ingénieur chimiste que j’étais devenu ne pouvait que constater combien l'homme, avec toutes ses capacités d’analyses mais aussi sa subjectivité, restait présent dans l'analyse des odeurs et des goûts. C’est sur la base de ce constat que s'est créée Alpha M.O.S., avec un objectif de départ qui reste, aujourd’hui encore, notre fil rouge : détecter, mesurer et caractériser les odeurs et le goût en développant et en fabriquant des systèmes multi-organoleptiques capables d'assurer au sein d'un process le suivi d'une odeur ou d'un goût et de l’impacter en cas de nécessité.
E.I.N. : Dans quel contexte l’entreprise s’est-elle développée ?
J.-C. M. : Alpha M.O.S a été la première société à introduire les nez électroniques sur le marché. Mais contrairement à un certain nombre d'opérateurs du secteur, sa démarche a toujours été fondée sur la prudence et la transparence et basée sur le principe selon lequel « on fait ce que l'on dit et l’on dit ce que l’on fait ». C’est la raison pour laquelle, dans le domaine de l’environnement, nous avons choisi d’avancer avec des experts tels que l’Ademe ou l’Ineris, en s’attachant à rester très proche des instances normatives.
Alpha M.O.S. se renforce l’environnement
bras techniques armés de façon à ce que l'ensemble de nos développements soient validés.
Il faut savoir que nombre d'opérateurs, aujourd'hui disparus, ont engagé en pure perte de gros investissements qui ont lourdement pesé sur le secteur. Au total, on estime que près de 160 millions d'euros ont été levés pour développer des nez électroniques. Ces investissements se sont le plus souvent traduits par des échecs, faute de choix techniques cohérents. Il ne suffit pas d'associer quelques capteurs avec un dispositif de traitement de signal pour obtenir un nez électronique. Le développement d'un tel instrument nécessite la réunion de compétences multiples : des spécialistes de l’électronique, du traitement de signal, de l’analyse mathématique, de l’analyse chimique, de la dispersion, de l'analyse sensorielle...
Alpha M.O.S. a, quant à elle, opté pour une démarche prudente et pragmatique en limitant ses appels aux marchés à la quinzaine de millions d’euros qui ont permis de développer toute une ligne de nez électroniques dont les systèmes RQ Box et une langue électronique qui a été couronnée comme la meilleure innovation technologique aux États-Unis en 2001.
E.I.N. : Quelles sont les technologies et expertises spécifiquement développées par l'entreprise ?
J-C. M. : Alpha M.O.S. développe, fabrique et commercialise des nez électroniques dont la vocation, très variable, peut aller du simple contrôle de la qualité de l’air extérieur ou intérieur à des applications beaucoup plus sophistiquées capables par exemple de procéder à l'analyse en ligne de la stabilité des formulations de produits alimentaires ou pharmaceutiques.
Leur mode de fonctionnement est calqué sur celui du corps humain. Le nez électronique est équipé de capteurs chargés d’envoyer les informations odorantes qui lui parviennent à une banque de données interne. L’empreinte olfactive est interprétée par une intelligence artificielle qui permet au nez de fournir des informations qualitatives et quantitatives sur l’odeur identifiée.
Alpha M.O.S. propose également une langue électronique, un instrument tout aussi innovant qui permet de caractériser les composés organiques dissous dans des liquides selon leur goût. En termes de concept, la langue électronique est très similaire au nez électronique. Elle intègre un certain nombre de capteurs partiellement sélectifs, certains d'entre eux étant plus sensibles aux amers, aux sucrés, aux métalliques, etc. Des capteurs liquides, trempés dans une matrice elle aussi liquide, présentent une sensibilité plus ou moins forte avec les ions présents à l’intérieur de la matrice. Il suffit alors d'effectuer une mesure de différence de potentiels avec une électrode de référence. Nous avons sélectionné une vingtaine de ces capteurs qui sont plus ou moins sensibles aux goûts majeurs ou à des sous-attributs du goût comme les épicés, l’astringent, etc.
E.I.N. : Quels sont les champs d'applications des nez et langues électroniques ?
J-C. M. : Les nez et langues électroniques trouvent de nombreuses applications, notamment dans l'agroalimentaire, secteur dans lequel nous réalisons près de 50 % de notre chiffre d’affaires, mais aussi dans le secteur de l’environnement, de la pharmacie, etc.
Les applications les plus courantes concernent la R&D, le contrôle-qualité mais aussi le marketing : validation de matières premières, de fournisseurs, validation de production, gestion des réclamations clients, formulation de nouveaux produits, benchmarking concurrents, etc.
Les avantages de ces outils sont évidents : ils génèrent une mesure organoleptique objective, les résultats sont obtenus quasi instantanément, leur capacité d'analyse est quasi illimitée et ils ne nécessitent pratiquement aucune préparation d’échantillon.
ENTREPRISE DU MOIS
Mesure des odeurs : Alpha M.O.S.
E.I.N.: Quelles sont les applications des nez et langues électroniques dans le domaine de l'environnement? J-C. M.: Elles sont très nombreuses. Les nuisances olfactives sont devenues des préoccupations premières, aussi bien pour les industriels qui cherchent à maîtriser ces gênes que pour les riverains qui exigent le respect de leur cadre de vie.
L'utilisation d'un nez électronique permet de mesurer en continu les émissions d’odeurs afin d’adapter les méthodes de production tout en optimisant le procédé de traitement des nuisances olfactives. Il trouve donc de nombreuses applications en stations d'épuration, en usine de compostage et de séchage ou encore dans les unités d’équarrissage.
Sur le terrain, les nez électroniques sont déjà largement présents. L'installation de deux RQ Box sur le centre de stockage de déchets de Villeneuve-sur-Verberie, exploité par Sita, a permis de suivre en continu les émissions d'odeurs (H₂S, NH₃, RSH) et COV totaux, d’évaluer la concentration d'odeurs en unités d’odeur après étalonnage des instruments, de suivre les fluctuations sur les sources potentiellement odorantes, de constituer un historique des émissions d’odeurs de l’installation et, au total, d’améliorer la communication avec les riverains.
Autre exemple, dans le cadre de son programme NOSE (No Odour for Suez Environnement), Suez Environnement a équipé plusieurs de ses sites de nez électroniques RQ Box d’Alpha M.O.S., dont la plate-forme de compostage de Lur Bizia (64). Sur ce site, l'utilisation du nez électronique a permis de mesurer en continu les odeurs émises afin d’adapter les méthodes de production du compost tout en optimisant le procédé de traitement des nuisances olfactives. Les RQ Box sont également très présents sur le terrain en Chine, à Taïwan ou Japon ainsi qu’aux États-Unis.
E.I.N.: La langue électronique a-t-elle un réel avenir dans le domaine de l'eau potable? J-C. M.: Absolument. Je ne doute pas que cette technologie se substitue à court terme à celle, plus traditionnelle, des goûteurs. Pour nous, c’est en tout cas un objectif à trois ans. Nous avons d’ores et déjà noué des partenariats dans ce domaine qu’il est encore prématuré de détailler. Sans être insurmontables, les difficultés sont nombreuses. La première qu’il a fallu résoudre dans ce domaine où l'approche sensorielle n'est pas toujours normalisée a été de distinguer plus clairement ce qui relève véritablement du goût de ce qui relève plutôt du domaine de l’odeur. Quand on évoque, par exemple, un goût de terre, ce n'est pas la langue qui entre en jeu mais le nez, du fait des émanations de deux composés d’origine naturelle, la géosmine et le 2-méthylisobornéol (MIB). Il en va de même pour ce que l'on nomme à tort le goût de chlore, qui ne concerne au final que le nez.
E.I.N.: Ces technologies sont-elles matures? J-C. M.: Ces technologies sont matures, même si nous ne sommes pas encore tout à fait capables de réaliser des mesures absolues d'odeurs que seuls des capteurs biologiques seraient à même d’effectuer. C'est dire que l’ensemble des nez électroniques qui fonctionnent aujourd'hui fournissent des résultats corrélés. Il est donc nécessaire de recourir à l'olfactométrie dynamique pour mener à bien une phase d’apprentissage qui constituera le référentiel de la machine sur une application donnée : surveillance d’une station d’épuration, d’un site d’équarrissage… L'idée est de constituer des banques de données prêtes à l'emploi encore plus spécifiques et rattachées à certains types d’ouvrages, par exemple des biofiltres, des bassins de décantation ou encore des clarificateurs. Des banques de données construites en fonction de la nature et du mode de fonctionnement des ouvrages à suivre et des molécules à surveiller. Premier axe de travail, les bassins de…
renforce dans le secteur de l’environnement
décantation pour lesquels Alpha M.O.S. pourrait fournir ses premières banques de données dès janvier 2009. Dédié à un ouvrage spécifique et équipé d'un logiciel adapté, le nez électronique dépassera la simple fonction de mesure pour venir impacter directement le process en vue d’optimiser son fonctionnement et de minimiser les émissions indésirables. Déjà, des RQ Box permettent d'optimiser le fonctionnement des tours de lavage oxydo-basique. Bientôt, il sera possible d'aller encore plus loin en intégrant le nez ou la langue électronique au cœur même de la supervision des process de gestion de l'eau.
E.I.N. : Le coût de ces technologies ne les limitent-t-elles pas aux sites d’une certaine importance ?
J-C. M. : Notre stratégie a effectivement plutôt consisté à attaquer le marché par le haut. L’objectif était clairement de limiter le nombre de sites équipés pour pouvoir suivre nos clients dans le cadre de partenariats intégrant une disponibilité de tous les instants. Aujourd’hui, maintenant que le système a fait ses preuves, les prix devraient plutôt évoluer à la baisse. Ceci étant, la cherté que vous évoquez me paraît bien relative. Nos solutions sont au contraire très compétitives si l'on veut bien prendre en considération les retours sur investissements qu’elles génèrent, qui sont à la fois très élevés et très rapides. Un exemple, même s'il ne se situe pas dans le domaine de l'environnement : Coca-Cola a réduit de 90 % ses coûts de contrôle-qualité grâce à nos systèmes. Aux États-Unis, un autre de nos clients qui fabrique des polymères pour l'emballage agroalimentaire a profité d’un retour sur investissement de 60 000 dollars par mois et par instrument...
E.I.N. : Dans le domaine de l’environnement, il paraît peu probable que l'on assiste à de tels retours sur investissements...
J-C. M. : Je ne partage pas ce point de vue. Certains sites d'équarrissage, par exemple, doivent, sur instructions préfectorales, faire appel à l’olfactométrie dynamique tous les trois mois. Or certaines normes prévoient qu’en cas de mise en place de nez électroniques, ils pourront réduire le recours à l’olfactométrie dynamique à une fois par an. C’est dire que les exploitants qui utilisent déjà les nez électroniques peuvent diviser par 4 leurs dépenses liées à l’olfactométrie dynamique !
De plus, nous travaillons à la mise en place de « packages leasing » de façon à réduire plus encore les coûts et à les transformer en coûts d’utilisation plutôt qu’en coûts d’appropriation. Fin 2009, nous aurons mis en place des lignes de produits plus accessibles et dédiées aux sites de moindre importance. En leasing, ces produits pourront descendre à quelques milliers d’euros par an.
E.I.N. : Quelle place occupe Alpha M.O.S. sur son secteur ?
J-C. M. : Aujourd’hui, je dirai qu’au niveau mondial, dans le domaine des nez électroniques et tous domaines d'applications confondus, nous devons détenir environ 75 % du marché. Nous sommes très présents aux États-Unis, en Europe ainsi qu’au Japon. Dans ce dernier pays, nous faisons face à deux gros concurrents aussi bien pour les nez que pour la langue électronique, ce qui ne nous empêche pas de détenir 50 % du marché.
Je dirai que dans le domaine de la mesure odeurs ou de la mesure de goûts, nous sommes relativement incontournables.
E.I.N. : Alpha M.O.S. a récemment procédé au rachat de la société Périchrom. Pour quelles raisons ?
J-C. M. : Ce rachat est la traduction concrète de notre volonté de croître dans le domaine de l'environnement. Il nous permet de nous renforcer dans deux domaines clés : la chromatographie et la détection de produits soufrés, les détecteurs de Périchrom présentant dans ce domaine une sensibilité inégalée qui nous sera précieuse en stations d’épuration. C’est aussi pour nous l’opportunité d’être présents en région parisienne avec un site de production, un laboratoire et prochainement un complexe de bureaux pour nos commerciaux.
E.I.N. : Envisagez-vous d’autres opérations de croissance externe ?
J-C. M. : Absolument. Très clairement, les prochaines acquisitions se feront dans le domaine de l’environnement. Elles sont identifiées. Les négociations ont commencé.
Parallèlement, nous renforçons actuellement nos équipes en recrutant des techniciens de haut niveau dans les domaines de l'instrumentation, de l'environnement, du contrôle de process, etc... Par ailleurs, et pour mieux coller à nos différents marchés, plusieurs business units autonomes, dont l’une sera dédiée à l’environnement, seront prochainement créées. Elles viendront se raccrocher à un holding technologique qui jouera le rôle de centre distributeur des évolutions de capteurs ou des évolutions en traitement du signal.