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Mesure des émissions d'azote sur des stations de traitement biologique de lisiers de porcs

29 octobre 1999 Paru dans le N°225 à la page 53 ( mots)
Rédigé par : Houda ROCHDI, Jacky BONNIN et Michel CALLAIS

L?épuration des lisiers de porcs se fait principalement par des procédés biologiques de nitrification/dénitrification qui mettent en jeu des quantités importantes d'azote. L?étude, menée en conditions réelles, montre qu'un déficit du ratio DBO5/N perturbe le fonctionnement biologique et entraîne des émissions atmosphériques de protoxyde d'azote et, dans une moindre mesure, d'oxydes nitriques et d'ammoniac. Ces pertes dépassent 30 % de l'azote éliminé. Inversement, lorsque les conditions de fonctionnement sont contrôlées et optimisées, ces émissions polluantes sont négligeables.

La résorption des excédents de lisiers de porcs, en particulier en Bretagne, nécessite la mise en œuvre à la ferme de procédés de traitement, parmi lesquels les procédés biologiques par nitrification/dénitrification sont les plus répandus.

Contexte de l’étude

La société Denitral a développé un procédé en trois étapes : pré-traitement par filtration, traitement biologique par boues activées et déshydratation des boues. L’effluent final est valorisé en épandage agricole. Douze unités sont actuellement en fonctionnement pour une capacité totale de 100 000 tonnes de lisier traité par an.

Le stade ultime des réactions de nitrification/dénitrification est l’azote gazeux moléculaire sous la forme N2. Cependant, les différentes étapes de transformation de l’azote au cours du traitement peuvent entraîner des émissions atmosphériques polluantes sous forme NH3, N2O et NOx (Béline, 1998). Les deux tiers de l’azote du lisier de porc sont sous forme NH3. Une mauvaise gestion du lisier pendant le traitement ou une mauvaise conduite du procédé peuvent favoriser la volatilisation de l’ammoniac. Les émissions d’ammoniac sont à l’origine de l’acidification des pluies et des sols. Dans les régions d’élevage intensif, les transferts d’ammoniac vers l’atmosphère sont importants, en particulier si l’épandage des lisiers est pratiqué sans précaution. La volatilisation de l’ammoniac est particulièrement sensible au pH.

Les transformations de l’azote par les processus de nitrification/dénitrification passent par des composés intermédiaires tels que NH2OH, NO et NO2 qui peuvent s’accumuler de façon transitoire dans le milieu biologique. Les facteurs physico-chimiques intervenant dans ces réactions peuvent favoriser les émissions de N2O et NOx et être à l’origine de transferts de pollution importants. Le pH, là aussi, joue un rôle déterminant.

Le protoxyde d’azote N2O est considéré comme un gaz à effet de serre puissant.

[Schéma : Principe de prélèvement continu des effluents gazeux]

Les oxydes d’azote NOx contribuent également à l’acidification des pluies.

Le traitement biologique du lisier de porc est appelé à se développer très rapidement. Les quantités d’azote mises en jeu vont devenir très importantes (5 000 à 6 000 kg N/j pour la somme des installations Denitral). Il est donc utile de connaître le risque lié aux émissions d’azote sous forme polluante et de déterminer quels sont précisément les paramètres d’exploitation susceptibles de favoriser ces émissions nocives pour l’environnement.

Pour cela, nous avons conduit une étude sur deux installations de traitement de lisier de porc dont les conditions de fonctionnement sur le plan biologique sont différentes. La comparaison des résultats et des paramètres d’exploitation des deux sites nous permettront de mieux apprécier les conditions optimales de fonctionnement du procédé biologique sans transfert de pollution.

Méthodologie

Le traitement biologique est réalisé dans un bassin unique et sur un seul cycle par jour : alternance d’une phase aérobie de 20 h pour l’oxydation de la matière organique et la nitrification de l’azote ammoniacal, et d’une phase d’anoxie de 4 h pour la dénitrification. Le temps de séjour hydraulique habituel du bassin est de 33 à 35 jours, et la charge massique d’environ 0,03 kg DBO₅/kg MES,j (aération prolongée). Le rendement épuratoire sur l’azote est généralement très élevé et varie entre 65 % et 75 %.

Les effluents gazeux du bassin de traitement biologique sont captés au moyen d’une cloche flottante dont la base est immergée de 60 cm. La cloche comprend deux orifices situés à 50 cm au-dessus de la ligne de flottaison. Dans le premier, on introduit de l’air neuf filtré. Par le second, on effectue le prélèvement.

L’échantillonnage a été réalisé à un débit constant de 29 l/min, supérieur au débit d’émanation du bassin pour la portion délimitée par la cloche.

Les effluents gazeux ainsi captés sont introduits dans une chaîne d’analyse reliée à un PC pour l’acquisition des données. Les méthodes d’analyses utilisées sont les suivantes :

  • O₂ : cellule galvanique
  • CO₂, NH₃ et N₂O : spectrométrie d’absorption infrarouge
  • NOx : chimiluminescence

L’analyse en continu des effluents gazeux se déroule sur un cycle complet de 24 h, avec une période d’anoxie de 4 h et une période aérobie de 20 h. Les résultats sont exprimés en concentration et en flux en transposant la surface délimitée par la cloche à la surface totale du bassin. Pour comparer les émissions atmosphériques aux flux d’azote mis en jeu dans le bassin, des prélèvements de boues activées et d’effluents bruts sont effectués. Les données de l’autosurveillance des deux sites sont exploitées pour connaître précisément l’historique récent de chaque site (tableau 1). La station 1 présente un fonctionnement biologique normal et un rendement épuratoire optimum. En revanche, la station 2 fait apparaître un rendement épuratoire faible sur l’azote (50 à 55 %) avec une accumulation importante de NO₃ et, dans une moindre mesure, de NH₄. Cette installation reçoit un effluent brut pauvre en DBO₅ et fait l’objet d’un déséquilibre chronique avec un pH très faible et une dénitrification incomplète.

Résultats

Les émissions atmosphériques, enregistrées en continu, sont représentées par les graphes A1 et A2. La période d’anoxie correspond à la tranche horaire 00 h – 04 h et la phase d’aération à la tranche horaire 04 h – 24 h. Sur les mêmes périodes sont enregistrés les deux principaux paramètres physico-chimiques : pH et potentiel rédox (graphes B1 et B2).

Émissions d’ammoniac NH₃

Pendant l’anoxie, la boue activée est mainte­[...]

Tableau 1 : Comparaison du fonctionnement des deux stations. Moyenne des 30 derniers jours avant l’étude et état des bassins le jour de la mesure

Paramètre Station 1 Historique 30 j Station 1 Jour mesure Station 2 Historique 30 j Station 2 Jour mesure
Charge hydraulique m³/j 17,4 19,1 19,0 25,0
Effluent brut traité NTK g/l 4,52 3,50 3,73 4,02
DBO₅/NTK 4,6 4,2 1,9 1,6
Temps de séjour j 33 35 42 45
MES g/l 16,1 17,6 14,4 15,0
NGL g/l 0,8 0,9 1,7 1,9
dont NO₃ mg/l 0 0 0 0
NNO₃ mg/l 16 0 970 954
NH₄ mg/l 0 0 270 270
T °C 7,9 8,0 5,5 5,4
Rendement épuratoire % 68,5 74,0 54,5 52,5
[Encart: L’efficacité de la dénitrification est très influencée par deux paramètres : - le pH : à des pH voisins de 7, la dénitrification est complète jusqu’au stade ultime N₂, alors qu’en milieu acide, des oxydes nitriques peuvent être facilement produits. - le carbone organique rapidement assimilable : s’il est en excès, la dénitrification est réputée complète (rapport DBO₅/NK > 2,5 - 3). Dans le cas contraire, la réaction peut produire des oxydes nitriques.]
[Photo: Graphes A 1 & A 2 : évolution sur 24 h des émissions de NH₃, N₂O et NOₓ]

La boue est maintenue en suspension par un simple brassage mécanique ; il y a donc peu d’échanges avec l’atmosphère. Sur les deux stations, les émissions de NH₃ sont inexistantes pendant l’anoxie. En revanche, à partir du démarrage de l’aération, l’air insufflé dans le bassin entraîne l’ammoniac.

Dans le cas de la station 1 (graphe A1), le pic est limité et ne dépasse pas 2 ppm et la perte sur 24 h est de l’ordre de 10 g NH₃. Le pic d’émission décroît régulièrement pendant la phase de nitrification, au fur et à mesure de la diminution de la concentration en ammoniac dans le milieu. Le pH légèrement basique du milieu biologique (7,6 à 7,8) ne constitue pas un facteur aggravant de l’émission d’ammoniac (graphe B1).

Dans le cas de la station 2 (graphe A2), le pic atteint 70 ppm en début d’aération mais décroît plus rapidement, si bien que la perte totale sur 24 h est limitée à 100 g NH₃ environ. L’accumulation d’ammoniac dans le bassin (190 mg N-NH₃/ℓ) explique le niveau élevé d’émission ; deux heures après le début de la nitrification, le pH redevient nettement acide (graphe B2), ce qui limite la volatilisation de l’ammoniac (Asman et al., 1996).

Dans les deux cas, le traitement du lisier ne génère qu’une perte très limitée de l’ammoniac dans l’atmosphère, de l’ordre de 0,01 % à 0,1 % de l’azote mis en jeu. Ces valeurs sont négligeables par rapport aux pertes engendrées par l’épandage agricole du lisier (pertes pouvant dépasser 50 % de l’azote ammoniacal d’après Génermont, 1996).

Émissions d’oxydes nitriques NOₓ

Les courbes d’émissions de NOₓ ont un profil assez semblable à celles de l’ammoniac : absence d’émission pendant l’anoxie en raison des échanges limités avec l’atmosphère et apparition d’un pic d’émission à partir du début de l’aération.

Dans le cas de la station 1, le pic atteint 20 ppm et s’étale sur les douze premières heures d’aération. La perte totale sur 24 h représente 90 g de NOₓ. Dans le cas de la station 2, le pic atteint 130 ppm en début d’aération avec un pic supplémentaire lors du fonctionnement du surpresseur auxiliaire chargé de compléter l’aération en fin de cycle. La perte sur 24 h atteint 2 kg de NOₓ et elle est donc nettement plus importante que sur l’autre site.

Les émissions de NOₓ peuvent provenir soit de la phase de dénitrification avec évacuation des quantités accumulées en début d’aération, soit de la phase de nitrification ou encore des deux phases à la fois.

La station 2, comparée à la station 1, cumule les deux paramètres favorables à la production de NOₓ : pH acide (pH 5,5 en début de dénitrification) et source de carbone insuffisante (DBO₅/NK = 1,6) ; cette différence explique les plus fortes émissions de NOₓ de la station 2. Pour autant, la dénitrification n’est pas la seule responsable puisque les pics de NOₓ augmentent progressivement pendant la nitrification.

La transformation de NH₄⁺ en NO₃⁻ passe obligatoirement par les stades NH₂OH et NO₂⁻. Dans le cas de la station 2, la nitrification est limitée à la fois par la ressource en carbone et par le pH acide. L’accumulation de NO₂⁻ et NO₃⁻ est alors importante et augmente le risque de transfert de NOₓ dans l’atmosphère.

Émissions de protoxyde d’azote N₂O

Les émissions de N₂O sont observées seulement en début d’aération, ce qui tend à montrer que ce composé est produit et stocké

[Photo: Graphes B 1 & B 2 : évolution sur 24 h des émissions du pH et du potentiel]

Tableau 2 : Comparaison des émissions gazeuses exprimées en flux

Station 1 Station 2
Débit air (Nm³/h) 335 475
Émissions sur 24 h
kg N₂O 0,12 25,8
kg NH₃ 0,01 0,1
kg NOₓ 0,09 2,0
Émissions totales
Charge d’azote traitée (kg N/j) 65,6 100,0
Azote éliminé par le bassin (kg N/j) 48,0 52,4
Importance des émissions polluantes
en % de la charge azotée à traiter 0,18 17,3
en % de l’azote éliminé 0,25 33,0

pendant l’anoxie.

Dans le cas de la station 1, le pic ne dépasse pas 35 ppm pour une perte totale journalière de 120 g de N₂O. L’émission est de courte durée (1 h). Au contraire, sur la station 2, le pic atteint 7800 ppm et met plusieurs heures à se résorber. La perte est très importante (25,8 kg N₂O/j).

Le pH acide du milieu inhibe partiellement la dénitrification et entraîne une accumulation de HNO₂. De même, la proportion de protoxyde d’azote comme produit de la réaction augmente (Thörn et Sörensson, 1996). La station 2, par manque de carbone assimilable nécessaire à la réaction, souffre d’une dénitrification très partielle. Pourtant, cette station fait l’objet d’apports réguliers de méthanol pour corriger le très faible rapport DBO₅/N du lisier traité.

À l’inverse, la station 1 fait l’objet d’une dénitrification plus complète avec un pH proche de la neutralité et sans accumulation durable de produits intermédiaires des réactions.

Pour les deux stations et pour l'ensemble des émissions étudiées, le potentiel rédox ne semble pas avoir d’incidence sur les rejets atmosphériques. Il suit une courbe similaire au cours du cycle de 24 h avec seulement une différence d’amplitude entre les deux sites.

Bilan global des émissions atmosphériques

Les émissions atmosphériques mesurées sont exprimées en flux et cumulées en quantité d’azote émise par jour. Ces résultats sont comparés aux flux d’azote traités par les stations.

Pour la station 1, le total des rejets, N₂O + NOₓ + NH₃, ne représente que 120 g d’azote par jour, soit 0,2 % de l’azote traité. Cette perte est négligeable notamment comparée à la solution classique de stockage et épandage du lisier.

En revanche, sur la station 2, la perte totale représente 17 % de l’azote mis en jeu et 33 % de l’azote éliminé par le bassin. Il y a dans ce cas un transfert de pollution et un impact sur l’environnement.

Dans les deux cas, le protoxyde d’azote représente l’essentiel des émissions (95 % pour la station 2) et plus de 90 % des rejets atmosphériques s’effectuent pendant l’aération, même si l’origine de ces émissions remonte parfois à la phase d’anoxie. L’historique de la station 2 permet d’expliquer l’évolution des paramètres physico-chimiques du traitement biologique. Le déficit chronique en carbone assimilable (DBO₅/NK < 2,5) entraîne une dénitrification partielle et donc une accumulation progressive de nitrates, laquelle fait chuter progressivement le pH. L’accroissement de la teneur en nitrates tend à inhiber la nitrification par rétro-inhibition, ce qui entraîne dans un deuxième temps une accumulation d’ammoniaque. La rareté du carbone biodisponible et les conditions acides suffisent à expliquer les défauts de réactions de nitrification/dénitrification et la production de N₂O, NO et NOₓ, lesquels, partiellement, sont chassés du bassin par l’aération.

La cause originelle de ces émissions semble bien être uniquement le déséquilibre du ratio C/N. Au contraire, sur la station 1, qui a toujours reçu un lisier correctement pourvu en carbone, les réactions de nitrification et de dénitrification sont complètes ; il n’y a pas d’accumulation de produits intermédiaires des réactions et très peu d’émissions polluantes. Ces résultats confirment, à l’échelle industrielle, les observations de Bernet et al. (1996) faites en laboratoire sur du lisier de porc.

Conclusion

Le traitement biologique du lisier de porc par le procédé Denitral est un moyen efficace et non polluant d’éliminer les excédents d’azote dont souffrent les régions d’élevage de porcs. Le lisier doit être suffisamment riche en carbone assimilable pour satisfaire aux besoins des réactions biologiques. Le seuil de traitabilité se situe pour un rapport DBO₅/NK > 2,5. C’est la gestion du lisier avant le traitement qui est déterminante. Un stockage prolongé, source de fermentations anaérobies productrices de méthane et de CO₂, engendre une perte importante de carbone et donc un déséquilibre du rapport C/N. C’est grâce à un ratio DBO₅/NK suffisant que le traitement est efficace sur la phase liquide (pas d’accumulation d’azote nitrique) et sans impact sur l’atmosphère.

En première approche, un lisier appauvri en carbone est plus intéressant à traiter car sa demande en oxygène et la consommation en énergie qui s’y rapporte sont plus faibles et, donc, le traitement sera moins coûteux. Mais, dans ce cas, le traitement sera polluant pour l’atmosphère et moins performant sur l’azote.

Il convient donc, par des contrôles réguliers sur les effluents bruts et sur les boues activées des stations, de s’assurer du bon rapport DBO₅/N afin de garantir un traitement efficace et non polluant. Le contrôle permanent du pH du bassin biologique sur les stations Denitral est un excellent outil de surveillance du bon état de fonctionnement de la station de traitement de lisier.

Références bibliographiques

Asman W.A.H., Cellier P., Genermont S., Hutchings N.J. & Sommer S.G., 1998. Ammonia emission research : from emission factors to process descriptions. Eurotrac Newsletter 20/98.

Béline F., 1998. Étude des transferts d’azote par nitrification/dénitrification (N₂, N₂O, NH₃) au cours du traitement aérobie et du stockage du lisier de porc. Essais avec N¹⁵. Thèse Univ. Perpignan.

Bernet N., Delgenes N. & Moletta R., 1996. Denitrification by anaerobic sludge in piggery wastewater. Env. Tech, 17 : 293-300.

Genermont S., 1996. Modélisation de la volatilisation de l'ammoniac après épandage de lisiers sur parcelle agricole. Thèse Univ. Toulouse.

Thörn M. & Sörensson F., 1996. Variation of nitrous oxide formation in the denitrification basin in a wastewater treatment plant with nitrogen removal. Water Research, 30 : 1543-1547.

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