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Mesure colorimétrique en continu de l'aluminium dissous dans les eaux

29 mai 1986 Paru dans le N°101 à la page 41 ( mots)
Rédigé par : A. LEPRINCE, Y. HALFON, L. COGNET et 1 autres personnes

Depuis toujours, les professionnels de la distribution des eaux sont attentifs au contrôle de l’aluminium dans les eaux potables distribuées à l’abonné. Bien que ce métal soit utilisé sous forme de sels dans les procédés de clarification lors du traitement des eaux (1), sa concentration dans l’eau potable n’a jamais été limitée par la réglementation française. Seule une directive de la CEE du 15 juillet 1980 (2) relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine fixe un niveau guide à 50 µg/l et une concentration maximale admissible (CMA) à 200 µg/l. D’autre part, le développement de l’hémodialyse a attiré l’attention des responsables du contrôle sanitaire sur le risque encouru par le patient lorsque les eaux utilisées pour les bains de dialyse présentaient des concentrations trop importantes en aluminium. Dans ce cas en effet, d’après Burnel et al. (3), de nombreuses études confirment que l’augmentation de cette concentration au niveau des tissus osseux engendre des troubles neurologiques ainsi que des processus de minéralisation osseuse.

L’aluminium dans les eaux

Il n’est pas question de présenter dans cet article une étude exhaustive sur les formes de l’aluminium, sujet pour le moins complexe, mais de rappeler seulement quelques évidences qui nous permettent d’aborder efficacement le problème du dosage de l’aluminium dans les eaux potables.

Qu’il soit d’origine naturelle ou lié à une forme industrielle, l’aluminium est présent dans les eaux sous trois formes possibles (figure 1) : soluble, insoluble, colloïdale. À la suite de cette première classification, une distinction des différentes formes chimiques (4) peut être établie :

  • — formes hydroxydes (monomères ou polymères) (figure 2) ;
  • — formes complexées : complexes minéraux (F, SO₄²⁻, PO₄³⁻), ou complexes organiques (acides humiques ou fulviques) (figures 3, 4).
[Photo : Répartition des diverses formes de l’aluminium dans les eaux]
[Photo : Solubilité des espèces monomériques d’aluminium à 25 °C en fonction du pH (de Smith R.W. et Hem J.D)]

La répartition des différentes formes de l’aluminium dépend aussi de paramètres tels que le pH, le TAC, les concentrations en matières organiques ou minérales complexantes. La teneur résiduelle en aluminium de l’eau en sortie de chaîne de traitement d’eau dépendra d’une part de la teneur en formes solubles et donc des paramètres ci-dessus évoqués, et d’autre part du pouvoir de coupure des filtres vis-à-vis du microfloc chargé en aluminium (5, 6).

Dans le cas d’eaux peu tamponnées, comme dans l’ouest de la France, des variations de pH influencent notablement la teneur en aluminium des eaux distribuées. Soucieux de pouvoir répondre aux exigences de qualité, le distributeur d’eau se doit de posséder les moyens analytiques lui permettant de doser l’aluminium en continu sur les eaux destinées à la consommation humaine à des concentrations comprises entre 50 et 200 µg/l.

Une autre application d’un dosage en continu concerne l’eau utilisée pour les dialyses rénales. La méthode d’analyse doit dans ce cas permettre de mesurer des teneurs inférieures ou égales à 30 µg/l.

[Photo : Rapport d’activité de l’aluminium libre sur l’aluminium dissous en fonction des sulfates et du pH (selon Hem J.D.).]
[Photo : Rapport d’activité de l’aluminium libre sur l’aluminium dissous en fonction des fluorures et du pH (selon Hem J.D.).]

MÉTHODES D’ANALYSES DE L’ALUMINIUM DANS LES EAUX

Les méthodes les plus couramment utilisées se divisent en deux groupes : les méthodes colorimétriques et les méthodes instrumentales.

Les méthodes colorimétriques

Elles sont regroupées dans le tableau 1.

Tableau 1 : Méthodes colorimétriques d’analyse de l’aluminium dans les eaux.

REACTIFS λ max du complexe Domaine (mg/l) pH optimum Interférence
ALUMINON 525 0,02–1,0 3,7–4,0 Fe, Cr, Ti, SO₄, PO₄, polyphosphate, Ca (> 143 ppm), SiO₂, C (> 0,5 ppm)
ERIOCHROME CYANINE R 535 0,006–0,5 6,0 Fe, Mn, F, polyphosphate, SiO₂ (> 80 ppm), Mg, Ca, PO₄
HÉMATOXYLINE 620 0,01–0,5 7,5 Fe, Mn, Cu (0,2 ppm), F (> 5 ppm), Ca (> 100 ppm), Mg (> 35 ppm)
ALIZARINE 480 0,02–0,5 Fe, Mn, F, PO₄, Ca
FERRON 370
(Pyna) CATÉCHOL 585 0,005–0,2 5,9–6,2 F, PO₄
VIOLET STILBAZO 500 0,007–0,2 5,8 Fe
CHROMAZUROL S 545 0,005–1,2 5,8 Be, Zr, Th, F
8-HYDROXYQUINOLÉINE 400 0,004–0,04

Bien que suffisamment sensibles, elles ne permettent de doser que les formes hydroxydes monomériques, et en aucun cas les silico-aluminates et les formes complexées.

Les méthodes instrumentales

Sont principalement utilisées :

— l’absorption atomique avec flamme, laquelle, du fait de sa faible sensibilité (seuil de détection 100 µg/l), nécessite une extraction préalable de l’échantillon avec concentration. Elle ne dose que les formes hydroxydes monomériques et non les formes complexées (7) ;

— l’absorption atomique sans flamme. Il s’agit d’une méthode sensible (seuil de détection 10 µg/l) permettant le dosage de l’aluminium total (8) ;

— l’activation neutronique (9). Dans ce cas, le seuil de détection est de l’ordre de 1 µg/l.

Ces méthodes instrumentales, bien que performantes, nécessitent un matériel coûteux et sophistiqué, et ne permettent pas aujourd’hui de réaliser un contrôle en continu.

CHOIX D’UNE MÉTHODE DE MESURE EN CONTINU

Le contrôle en continu impose des impératifs particuliers lors du choix de la technique à employer : reproductibilité de la mesure, simplicité de mise en œuvre, autonomie de fonctionnement minimum d’environ une semaine.

Ces trois critères, alliés à celui du coût de réalisation, nous ont conduit à mettre au point une méthode colorimétrique à l'éryochrome cyanine R.

COLORIMÉTRIE À L'ÉRIOCHROME CYANINE R

À pH 6 et en présence d’éryochrome cyanine R, l’aluminium dissous produit un complexe rosé dont le maximum d’adsorption se situe à 535 nm (10). L’intensité de cette coloration est influencée par la concentration en aluminium, par le temps de réaction et par la température.

Un certain nombre d’ions tels que ceux du fer, du manganèse, du fluor, du phosphate, etc., présents dans les eaux traitées, peuvent provoquer des interférences en fonction de leur concentration. L’ajout d’acide ascorbique comme réducteur et complexant supprime les interférences dues au fer et au manganèse (10). L’étude des autres interférences (phosphate, sulfate, fluor, etc.) est présentée par la suite.

Réactifs

Les solutions suivantes sont préparées à partir d'eau permutée et de réactifs purs Prolabo ou Merck. Leur stockage doit se faire dans des flacons en polyéthylène (relargage possible d’aluminium par le verre).

Solution tampon pH 6 : 160 g d'acétate d’ammonium (CH3COONH2) (Normapur) ; 2,5 ml d’acide acétique (CH3COOH) pour analyse ; qsp 500 ml avec de l'eau permutée.

Éryochrome cyanine R : 0,375 g d’éryochrome cyanine R ; 12,5 g de chlorure de sodium (Normapur) ; 2 ml d’acide nitrique pour analyse ; qsp 500 ml avec de l'eau permutée.

Acide ascorbique : solution à 1 % d’acide ascorbique (pour analyse).

Étalon d’aluminium : préparé à partir d'une solution mère à 500 ppm (0,5 g/l) ; 8,791 g de potassium aluminium sulfate pour analyse (K(Al)SO4)12(H2O) ; qsp 1 litre d'eau permutée.

[Photo : Fig. 5. — Colorimétrie Al - Méthode à l’éryochrome cyanine R.]
[Photo : Fig. 6. — Colorimétrie Al + Fe³⁺ sans acide ascorbique.]

RÉSULTATS DES ESSAIS EN LABORATOIRE

On réalise d'abord une courbe d’étalonnage entre 0 et 200 µg/l. Du fait d'une absorption non négligeable du colorant à 535 nm, la quantité d’éryochrome cyanine R doit être modulée suivant la concentration d’aluminium à doser. La plage d’utilisation choisie pour les besoins précédemment définis est de 0 à 200 ppb (200 µg/l). Nos essais sont effectués sur les quantités suivantes, ajoutées dans cet ordre :

40 ml d’eau à analyser ;

2 ml de solution d’acide ascorbique ;

5 ml de solution tampon ;

2 ml d’éryochrome cyanine R.

La valeur du pH final est alors de 6,2 ± 0,2.

La gamme d’étalonnage effectuée entre 0 et 200 µg/l d’aluminium dissous montre que la réponse est linéaire pour ces concentrations avec un seuil de sensibilité de l'ordre de 5 à 10 µg/l (figure 5).

Étude des interférences

Elles ont été étudiées pour des concentrations d’aluminium comprises entre 0 et 100 ppb (avec une cuve de 4 cm de trajet optique).

Fer

Fe³⁺ est complexé par l’éryochrome cyanine R et absorbé à 535 nm (figure 6). L’utilisation d’acide ascorbique comme réducteur et complexant supprime cette absorption (figure 7).

Sulfates

Aucune interférence n’est à noter pour les sulfates et ce jusqu’à une concentration de 1 g/l, laquelle est largement supérieure à celles couramment rencontrées dans les eaux potables, puisque la norme européenne imposerait une CMA de 250 mg/l (figure 8).

Fluorures

Le fluor possède un fort pouvoir complexant vis-à-vis de l’aluminium et l’interférence est importante pour 1 ppm de fluorures (figure 9).

[Photo : Fig. 7. – Colorimétrie Al + Fe³⁺ sans acide ascorbique.]
[Photo : Fig. 10. – Courbes de correction pour l’estimation d’aluminium en présence de fluorures (d’après référence 10).]
[Photo : Fig. 8. – Colorimétrie Al + Fe₄ sans acidification.]
[Photo : Fig. 11. – Colorimétrie Al PO₄ sans acidification.]
[Photo : Fig. 9. – Colorimétrie Al + F sans acidification.]
[Photo : Fig. 12. – Colorimétrie Al avec et sans acidification.]
[Photo : Colorimétrie Al + PO4 mil. Ac.]

Il faut cependant noter que ceux-ci sont présents dans les eaux à des concentrations bien inférieures (à titre d’exemple à 200 µg/l en moyenne dans l’eau de Seine sur deux ans). D’autre part, en cas de concentrations constantes en fluorures, il existe des abaques permettant de corriger l’interférence (figure 10).

Phosphates (orthophosphates)

— Interférence en milieu neutre (figure 11). L'interférence est non négligeable à partir de 2 mg/l, ce qui peut présenter un problème lorsque les eaux à analyser contiennent de fortes teneurs en phosphates. La CMA d’après la norme européenne est de 5 mg/l de P2O5.

— Interférence en milieu acide. L'interférence des phosphates peut être fortement atténuée grâce à leur hydrolyse en milieu acide réalisée par un prétraitement de l’échantillon effectué par ajout d’acide nitrique dans celui-ci avant dosage. Afin d’éviter une étape supplémentaire dans la procédure de dosage, l'acidification est réalisée directement par le colorant en modifiant l’ordre d’introduction des réactifs. La séquence « échantillon d’eau — acide ascorbique — solution tampon — colorant acidifié » devient « échantillon d’eau — acide ascorbique — colorant acidifié — solution tampon ». La mesure colorimétrique s’effectue alors à pH 6 ± 0,2 sans variation notable de sensibilité. La figure 12 reprend les deux courbes d’étalonnage et montre que les deux ordres d’introduction des réactifs donnent des résultats comparables ; on aura préalablement acidifié le colorant en ajoutant 3 ml d’acide nitrique lors de sa préparation. Dans ces conditions, l'interférence des phosphates est fortement réduite puisqu’à une concentration de 8 mg/l, l'erreur sur la mesure est de l’ordre de 15 % (figure 13).

ADAPTATION DE LA MÉTHODE AU COLORIMÈTRE SERES

À la suite des résultats obtenus en laboratoire, cette méthode a été appliquée au colorimètre à pompes programmables Seres 138, pour disposer d'une mesure d’aluminium en continu sur un appareil industriel.

Tableau 2 : Courbe d’étalonnage bout de plage 100 ppb — cuve de 12,5 mm

Al en µg/l % Déviation 1 % Déviation 2 % Déviation 3 % Déviation moyenne Écart type c V %
0 54,1 53,0 52,5 53,2 0,81 1,5
25 66,5 65,8 64,5 65,3 0,7 1,5
50 79,0 78,1 81,5 79,8 1,4 1,7
80 91,3 91,5 90,9 91,2 0,3 0,3
100 99,9 99,9
[Photo : Étalonnage Al cuve 12,5 mm avec acidification.]
[Photo : Étalonnage Al cuve 6 mm avec acidification.]

Tableau 3 : Courbe d’étalonnage bout de plage 200 ppb

cuve 6 mm

Al en µg/l% Déviation moyenneÉcart typecV %
041,9 ; 41,1 ; 41,50,40,9
5060,3 ; 58,0 ; 58,0 ; 57,2 ; 57,21,32,2
10076,5 ; 76,8 ; 77,8 ; 80,01,72,2
15091,5 ; 93,6 ; 93,5 ; 92,52,22,4
20099,9

Étalonnage du colorimètre

Du fait de la forte absorption due aux réactifs eux-mêmes (40 à 50 % de la plage de mesure), nous avons réalisé deux gammes d’étalonnages :

— l'une à l'aide d'une cuve de 12,5 mm de trajet optique et réglée en bout de plage à 100 ppb (figure 14 et tableau 2) ; — l'autre avec une cuve de 6 mm et réglée en bout de plage à 200 ppb (figure 15 et tableau 3).

Le temps d’une analyse est de l’ordre de vingt minutes.

Étude du vieillissement des réactifs

Parmi les trois réactifs utilisés à température ambiante, seule la solution d’acide ascorbique pose un problème du fait d'une part de sa forte oxydabilité, et d'autre part de sa photosensibilité (11). Nous avons en effet constaté qu'il était nécessaire de renouveler la solution tous les jours afin d’éviter une dérive de la mesure. Cependant, des essais portant sur la conservation de l’acide ascorbique ont montré qu’en stockant ce réactif à 4 °C, et à l’abri de la lumière, la reproductibilité des mesures était bonne pendant une semaine (ce qui représente une autonomie satisfaisante pour un automate industriel) (figure 16).

[Photo : Colorimétrie avec acidification – Vieillissement ac. ascorbique]
[Photo : Le colorimètre Seres]

CONCLUSION

La méthode à l’ériéochrome cyanine R a été automatisée sur le colorimètre Seres ; elle est particulièrement adaptée à la mesure de l’aluminium dissous dans les eaux potables.

Trois contraintes sont à respecter :

  • - conservation de l’acide ascorbique à 4 °C et à l’abri de la lumière ;
  • - choix de la cuve de mesure en fonction de la gamme de concentration désirée ;
  • - connaissance partielle de la teneur en ions très complexants comme le fluor.

L’analyse comparative de l’aluminium dans une eau de Seine clarifiée (sortie de filtres à sable) à l’aide du colorimètre Seres et par absorption atomique a confirmé que la méthode à l’ériéochrome cyanine R ne dose que l’aluminium dissous.

Le dosage de l’aluminium total (c’est-à-dire la somme des formes dissoutes, colloïdales et polymérisées) n'est pas réalisable avec la méthode utilisée sur l'appareil dans sa forme actuelle. Il est possible d’y remédier en ajoutant un système de minéralisation de l’échantillon du même type que celui utilisé sur le COT Seres S 617 (oxydation à froid sous rayonnement UV en présence de persulfate de potassium et d’oxygène) ; cependant, il faut noter qu’après B.N. Noller et al. (12), ce sont bien des formes solubles de l’aluminium qui représentent un danger pour la santé humaine. Cet appareil est donc tout à fait adapté au contrôle de la qualité d'une eau destinée à la consommation.

BIBLIOGRAPHIE

Les lecteurs pourront s’adresser aux auteurs pour obtenir les références bibliographiques visées dans le texte.

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