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Méditerranée : une nouvelle culture de l'eau est indispensable

29 decembre 2000 Paru dans le N°237 à la page 17 ( mots)
Rédigé par : Jean-luc MARTIN-LAGARDETTE

La Méditerranée est malade de son eau. Pour la guérir, les pays riverains se sont engagés depuis un quart de siècle dans une coopération qui a du mal à porter des fruits concrets. Des réseaux se mettent en place pour étudier les causes du mal et diffuser une information de plus en plus complète. Mais la guerre au Proche-Orient, les lourdeurs institutionnelles et la susceptibilité des États freinent la mise en oeuvre des programmes décidés. Si le cadre juridique et institutionnel fait son chemin, la pollution a toujours une longue coudée d'avance?

Pour avoir remonté une gourmette appartenant au célèbre aviateur Antoine de Saint-Exupéry dans ses filets, Jean-Claude Bianco, le président du Comité local des pêches du quartier de Marseille, a fait la une de l’actualité.

Mais le pêcheur ne ramasse pas que des trésors dans ses collectes marines, loin de là : « Quand on remonte un chalut, se plaint-il, on a en moyenne un tiers du poids et du volume en poissons, le reste en sacs et bouteilles plastiques, vieux pneus, bouts de ferrailles, canettes de bière et autres cochonneries ! » Et il y a plus grave : les pollutions chimiques. « La station d’épuration de Marseille nous balance chaque jour six tonnes de chlorure ferrique à côté des calanques. Et ça, ça tue tout ! »

La Méditerranée est agressée.

Son prédateur : l’homme.

Un récent rapport de l’Ifremer a estimé que le bassin méditerranéen recelait 300 millions de débris et de détritus de toutes sortes entre 0 et 200 m et 450 millions d’objets flottants. Les chercheurs de l’Institut ont même observé une très grande concentration de bouteilles en verre et en plastique exactement sous la ligne que suivent les ferries entre la Corse et le Continent.

Plusieurs données alarmantes sont maintenant bien établies.

La moitié des zones humides continentales autour de la Méditerranée ont été drainées. Entre 50 et 90 % de ces zones, pourtant très importantes pour l’équilibre des écosystèmes, ont disparu. 80 % de la charge polluante déversée dans la Mare Nostrum est d’origine terrestre. La France, l’Italie et l’Espagne, pays les plus industrialisés, sont estimés être responsables à près de 80 % de la pollution. Vingt milliards de m³ d’eaux usées urbaines et industrielles sont rejetés chaque année, sans compter les déversements en mer (près de 900 000 tonnes de produits pétroliers bruts par an !). Seuls 50 à 60 % des villes côtières disposent d’une station d’épuration. Les pollutions dégradent de nombreux écosystèmes (cf. l’invasion des fonds marins par la caulerpe) et induisent des coûts croissants pour assurer la production d’eau potable. Les conflits d’usages et d’intérêts entre l’amont et l’aval, les urbains et les ruraux, le court et le long terme, ont tendance à s’aggraver.

[Photo : légende : LES PAYS RIVERAINS DE LA MEDITERRANEE ET LEURS REGIONS COTIERES]

Ta Provence-presse, 1999

Les demandes ayant augmenté de 60 % au cours du dernier quart de siècle, au Sud, la principale cause d’accroissement de cette demande est l’irrigation, qui représente 82 % du total.

La Libye épuise son eau souterraine non renouvelable

300 milliards de m³ d’eau sont aujourd’hui utilisés par les 450 millions d’habitants de l’ensemble de la région. Les prélèvements dépassent déjà 50 % des ressources en eau naturelles renouvelables dans des pays comme la Jordanie, Malte, la Tunisie et le versant est de l’Espagne ; et 90 % en Égypte et en Israël. L’indice d’exploitation va au-delà de 400 % en Libye, pays qui tire exclusivement son eau de ses aquifères fossiles non renouvelables.

Les ressources en eau ne permettent plus d’assurer la sécurité alimentaire de la région. La région Sud et Est dépend à 33 % du marché international. On a calculé à 40 km³ le transfert d’eau annuel virtuel lié à ces importations.

Malgré des coûts élevés, le recours aux ressources non conventionnelles est déjà important dans certains pays : l’Égypte réutilise plus de 12 km³/an d’eau de drainage ; Israël traite et utilise 65 % de ses eaux usées urbaines ; à Malte, plus de la moitié des approvisionnements est assurée par le dessalement d’eau de mer.

[Photo : Dans certaines régions les ressources en eau ne permettent plus d’assurer la sécurité alimentaire des populations.]
[Photo : Ressources en eau par habitant (m³/an). 300 milliards de m³ d’eau sont aujourd’hui utilisés par les 450 millions d’habitants de l’ensemble de la région. Les prélèvements dépassent déjà 50 % des ressources en eau naturelles renouvelables dans des pays comme la Jordanie, Malte, la Tunisie et le versant est de l’Espagne ; et 90 % en Égypte et en Israël.]

Les piliers du « système de Barcelone »

Le premier plan d'action prévu pour les mers régionales du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) créé en 1972 a concerné la Méditerranée. Ce Plan d'action pour la Méditerranée (PAM), dont l'unité de coordination, dirigée par Lucien Chabason, est à Athènes, comprend quatre volets. Son budget s'est élevé à 5,3 millions d'euros en 1999. Il est alimenté par les pays du pourtour de la Méditerranée au prorata de leur PIB et par des contributions de l'Union européenne et du PNUE. La France assure 38 % de son budget. Le PAM possède un organisme consultatif, la Commission méditerranéenne du développement durable, qui travaille particulièrement à promouvoir la « gestion de la demande » en eau.

- Le premier, à dimension socioéconomique, a prévu deux instruments : le Plan Bleu, qui identifie des actions à envisager pour favoriser le développement économique tout en sauvegardant l'environnement ; le Programme d'actions prioritaires pour l'environnement (SMAP) qui établit, au moyen d'un réseau permanent, la coopération entre les États riverains en matière d’environnement. Un appel à propositions spécifique, doté de 20 millions d'euros, sera lancé en 2001. Il couvrira, dans le cadre de projets régionaux, les activités prévues pour la gestion intégrée de l’eau par la conférence ministérielle de Turin.

Le Plan Bleu met en œuvre des études prospectives et poursuit le programme Medstat (statistiques sur l'environnement). Il doit notamment publier en 2002 un rapport sur l'environnement et le développement en Méditerranée.

- Le deuxième volet revêt un caractère scientifique, avec un programme de surveillance continue et de recherche en matière de pollution (MEDPOL). Une centaine de points noirs ont été par lui identifiés. Le Fonds français pour l'environnement mondial participe au financement du programme d’actions stratégiques (PAS ; 60 MF au total sur trois ans à partir de 2001) destiné à lutter contre les pollutions telluriques dans les pays méditerranéens.

- Le troisième volet est juridique. Le 16 février 1976 à Barcelone a été signée la convention pour la protection de la Méditerranée contre la pollution, entrée en vigueur le 12 janvier 1978. Ce texte est un accord-cadre peu contraignant, qui fixe des objectifs généraux. Les protocoles additionnels, au nombre de six, sont plus précis mais ils ne deviennent effectifs que par la mise en route des programmes d'actions. Les dispositions juridiques de la plupart de ces textes représentent peu d’évolutions pour la France. Elles sont plus novatrices pour les pays du Sud et de l’Est.

- Le dernier volet est plutôt institutionnel avec la mise en place des centres d'activités régionales (CAR) du SMAP et du Plan Bleu. Le siège de ce dernier est à Sophia-Antipolis et dispose d'un budget de 10 MF.

Au rythme prévisible de la croissance démographique, aucun des pays du Sud ne disposera, en 2025, de ressources supérieures aux 500 m³ par habitant considérés comme minimum vital.

Bien sûr, la communauté internationale s'est inquiétée depuis longtemps de cette situation. Les premiers décrets destinés à lutter contre la pollution marine en général ont été adoptés en 1853, et en 1859 pour la Méditerranée ! Depuis, tout un arsenal politique et juridique s'est mis en place, faisant travailler ensemble la plupart des pays riverains, y compris la Libye, souvent écartée des instances internationales de dialogue.

Les deux plus importants de ces cadres de coopération sont ce que l'on appelle le « système de Barcelone » (voir ci-dessus) et le partenariat euro-méditerranéen.

Une réelle prise de conscience

Mais les résultats ne sont pas vraiment au rendez-vous. Certes, on peut recenser des points positifs, comme, en matière de pollution, un ralentissement des rejets en métaux lourds (tels que le mercure).

De même, un acquis puissant du processus semble être la réelle prise de conscience qui s'est faite jour parmi les partenaires. Les formations, les coopérations techniques et les programmes scientifiques se

Ce nouveau partenariat a été institué par la Déclaration de Barcelone, en novembre 1995. Il associe l'Union européenne et douze partenaires du sud et de l'est de la Méditerranée (Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie et Autorité palestinienne) pour garantir la paix et la prospérité dans une zone de libre-échange et dans le respect de l'environnement.

[Photo : Un récent rapport de l'Ifremer a estimé que le bassin méditerranéen recelait 300 millions de débris et de détritus de toutes sortes entre 0 et 200 m et 450 millions d’objets flottants.]

Les échanges institutionnels et juridiques (bilatéraux ou régionaux) font avancer l’organisation de la gestion de l'eau dans les pays qui en manquaient.

Ainsi, en Algérie, après la création de six agences de bassin en 1996, les ressources en eau sont désormais confiées à un ministère unique et quatre établissements nationaux de l'eau ont été créés (eau potable, barrages, irrigation et assainissement).

Au Maroc, qui a adopté sa loi sur l'eau en 1995, la première agence de l'eau est entrée en service en juillet 1999. Quatre autres doivent voir le jour d'ici 2003. Le pays est également engagé dans différents programmes concernant l'eau : le projet de gestion de l’environnement (financement Banque mondiale), celui de pérennité des ressources en eau (aidé par l'USAID), l'étude du secteur eau (Banque mondiale), le programme national d’eau potable, le programme d’amélioration de la grande irrigation, etc. Il prépare en outre un plan national de l'eau ainsi qu'un plan directeur de protection contre les inondations et un autre pour la qualité des ressources...

Autre acquis, la mise en œuvre du système d'information sur les savoir-faire dans le domaine de l’eau (Semide), premier outil concret du partenariat euro-méditerranéen qui permet aux 27 partenaires d’utiliser un réseau d'information sur les ressources en eau et d’échanger des données garanties avec une procédure commune au moyen d’un réseau haut débit relié à Internet.

La « responsabilité historique » des États industriels

Aujourd’hui, la prise de conscience environnementale n'est plus l'apanage des pays riches. Du 23 au 25 octobre 2000 s’est tenu à Djeddah le 1ᵉʳ Forum mondial sur l'environnement dans la perspective islamique, qui a déclaré dans son article 1ᵉʳ : « Le développement se caractérise par une construction de la vie terrestre qui préserve l'environnement et garantit la distribution des ressources entre tous ».

Outre ce texte, qui est parsemé de versets du Coran, le Forum a émis diverses recommandations, dont celle-ci qui appelle « les États industriels à assumer leur responsabilité historique vis-à-vis du dérèglement dangereux causé pendant leur période de développement ». Il invite ces États « à prendre en considération les réalités des pays en voie de développement, notamment les États islamiques, lors de l'adoption des procédures de protection de l'environnement, en réduisant les effets négatifs qui en découlent ».

Dans ce contexte, les pays du Maghreb et du Mashrek, qui désormais s'impliquent dans ces coopérations multiples avec les pays du Nord et l'Union européenne, comprennent mal les blocages qui sont survenus dans le processus engagé. Et particulièrement, dans le programme MEDA, principal instrument financier de l'Union européenne pour la mise en œuvre du partenariat euro-méditerranéen (1995-1999)* : moins de 26 % des 4,6 milliards d’euros budgétisés sur cette période ont été effectivement dépensés.

Les raisons de cet échec ? Les délais nécessaires aux ratifications : « Les procédures sont longues et complexes, commente Philippe Guettier, chargé de mission à la direction de l’Eau au MATE. Les États membres veulent garder la main dessus et demandent des allers-retours pour valider les orientations. Et il faut parfois attendre plus de 6 ans entre le moment où la décision est prise et celui où l'argent arrive sur le terrain. »

Autre raison, « le manque d’éthique, la mauvaise gestion et la démission du président Santer », selon Yves Pietrasanta, rapporteur du programme MEDA à l’Union européenne. Le député Vert au Parlement européen a fait des propositions pour MEDA 2 (2000-2006, avec un budget entre 6 et 8 milliards d’euros auxquels on peut ajouter 6,4 milliards d’euros de prêts octroyés par la BEI**).

Afin de relancer le processus de Barcelone, il souhaite que la part des financements transitant par les relations régionales passe de 10 à 15 % au détriment des relations bilatérales, plus contraignantes. Et que la société civile, notamment des ONG comme le WWF ou la Fondation (allemande) des droits de l'homme, puissent répondre aux appels à propositions qui seront lancés en 2001 : « Jusqu’à présent, ce sont les aspects administratifs et économiques qui ont dominé. Si nous voulons un MEDA 2 “durable”, il faut maintenant mettre l’accent sur la dimension proprement humaine ».

C’est pourquoi, tous les acteurs impliqués dans le processus ont déploré la guerre que se livrent Israéliens et Palestiniens et qui a occulté « le nouvel élan pour le processus de Barcelone » que voulait impulser le Sommet euro-méditerranéen de la mi-novembre 2000 à Marseille.

Les acquis de Rio dans le processus

Cela dit, malgré les vicissitudes rencontrées sur le terrain, le processus de Barcelone continue sa progression. Sur le plan juridique, par exemple, l’Assemblée nationale a adopté récemment trois amendements à des conventions existantes et un nouveau protocole. La première convention modifie l’accord-cadre pour la protection de la Méditerranée.

* Près de 15 % des ressources de ce programme sont consacrées à l’environnement.

** Dans le cadre du METAP (programme d'assistance technique pour la protection de l’environnement méditerranéen) établi en 1990 par la Banque mondiale, la Commission, le PNUD et la BEI.

Pour en savoir plus :

http://europa.eu.int/comm/dg11/smap/home.htm http://www.euromed.net http://www.planbleu.org

Méditerranée (voir encadré). Elle vise principalement à inscrire dans ce texte les acquis du sommet de Rio de 1992 (en particulier les principes de précaution et de pollueur/payeur). Les deux autres portent respectivement sur le protocole relatif à la protection de la Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique et sur celui contre les opérations d’immersion. Elles substituent un objectif général d’élimination à l’objectif de réduction. La quatrième modification est un nouveau protocole sur les aires spécialement protégées qui se substitue à celui déjà adopté en 1982. Sur ce sujet, il permet d’instituer des aires spécialement protégées d’importance méditerranéenne (ASPIM). Elles pourront désormais être instituées en haute mer.

En présentant les projets de ces textes à ses collègues du Sénat, le rapporteur Aymeri de Montesquiou a déploré l’insuffisance des moyens mis en œuvre par les autorités françaises « au regard des besoins considérables en matière de lutte contre la pollution. »

Tout cet arsenal témoigne donc d'une réelle prise de conscience, même si elle tarde à se traduire par des actes adéquats : une nouvelle culture de l'eau est indispensable si la Méditerranée veut survivre.

La France a déclaré qu'elle n'appliquerait pas les dispositions contenues dans ces textes dans le cas où elles feraient obstacle aux activités liées à la défense nationale. Dit autrement, elle se réserve le droit de continuer à immerger sans autre forme de procès ses munitions obsolètes.

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