TOUTES LES MERS DU GLOBE SONT MENACÉES
Les noms des marées noires restent tristement célèbres, tant ces catastrophes épisodiques frappent durement les riverains, mobilisent les pouvoirs publics, la presse et l'opinion, suscitent des solidarités nationales. Cependant, ces formes de manifestations ne sont souvent que la partie émergente de l'iceberg que constitue un tel genre de catastrophe marine elle-même.
Il existe un faisceau de facteurs convergents, que l'on connaît bien, et qui donnent toute sa gravité et toute sa complexité au problème de la pollution des mers par les déversements d'hydrocarbures. Ce sont :
— La faiblesse des moyens légaux d'action autorisés par la Convention internationale de 1954 contre les pétroliers volontairement pollueurs par leurs déballastages en pleine mer. Plus du tiers des poursuites aboutissent en effet à un non-lieu « pour insuffisance de preuves ». Ces poursuites, quand elles aboutissent, donnent lieu à des amendes dérisoires, beaucoup moins onéreuses que le coût du passage en station de dégazage.
— Une insuffisance des moyens d'intervention nationaux, conjuguée à une difficulté de les répartir géographiquement selon les probabilités des lieux de pollution.
— Un manque de coordination internationale, chaque pays ayant tendance à ne mettre en œuvre ses propres moyens d'intervention qu'au moment où la pollution menace directement ses eaux territoriales.
— L’insuffisance aussi des moyens de surveillance et de contrainte qui permettraient de dissuader efficacement les pétroliers de procéder à des déballastages ou d’emprunter des routes dangereuses et interdites.
— Enfin, la prolifération des sources de pollution : il faut songer qu’en 1977 on dénombrait 3 500 pétroliers circulant sur les mers, pour une jauge totale de 300 millions de tonnes d'hydrocarbures divers, tandis que 250 stations off-shore étaient en service en mer pour extraire activement le précieux pétrole sous-marin.
De leur côté, les pollutions fluviales étaient en progression jusqu’à la même date, mais dorénavant la mise en st
On estime qu'il se déverse ainsi annuellement, dans toutes les mers du globe, un peu plus de 3 millions de tonnes d’hydrocarbures, dont on a réparti les origines de culpabilité des déversements de la manière suivante :
Exploitation pétrolière : (Tonnes/an) — Déballastages + nettoyages de cales ........ 800 000 Déversements accidentels : — Naufrages sur littoral ............................ 200 000 — Percussion entre navires ....................... 50 000 — Accidents de dépotage .......................... 50 000 Plates-formes off-shore : — Fuites, accidents de forage ..................... 150 000
Pollutions d'origine terrestre :
— Raffineries | 400 000 |
— Industrie | 500 000 |
— Fleuves (valeur théorique) | 1 000 000 |
A - Remorqueurs.
B - Barrage flottant.
C - Récupérateur.
D - Nappe polluante d'hydrocarbures.
E - Citerne de stockage.
F - Remorqueur.
CERNER LA NAPPE ET LA POMPER EN MER
Notre propos ne sera pas d’intervenir dans la préconisation de plans ou de moyens de sauvegarde à l'échelle internationale, encore moins de philosopher sur l'intérêt du pétrole comme source d'énergie ou sur la nécessité de son transport par voie maritime...
Mais plutôt de rester réaliste et d'admettre qu'il y aura, longtemps encore, des déversements inévitables d'hydrocarbures dans les mers, et quand le mal est fait de considérer qu'il faut contribuer à apporter une solution pour éviter à tout prix que ces déversements ne se transforment en catastrophes de marées noires pour les malheureux riverains concernés.
À notre avis, la meilleure de toutes les solutions restera toujours le pompage directement en mer des hydrocarbures déversés.
Lorsqu'un déversement se produit, plus ou moins important en volume, il provoque obligatoirement une nappe de surface, puisque les hydrocarbures sont par bonheur plus légers que l'eau. Le repérage en est facile, et on a maintenant tous les moyens de surveillance et de détection pour cela.
Une fois la nappe localisée, on sait la mesurer et la suivre avec précision, une précision de plus en plus grande puisqu’on est même en mesure de déterminer le lieu et l'heure de son abordage final sur une côte déterminée.
Alors, pas de doute, c'est en mer que le combat doit se livrer : cette nappe, il faut la cerner d'un barrage qui en épouse le contour, et ensuite pénétrer hardiment à l'intérieur de la lagune polluante isolée, pour la pomper en surface.
C'est la méthode dite « méthode de récupération en poche ».
Les moyens de repérage existent. Les moyens de remorquage existent. Les moyens de pompage en surface existent. Les moyens de stockage en citernes remorquables existent. Reste le problème du barrage lui-même, ce fameux boudin souple et flottant qui doit cerner la nappe pour constituer une poche artificielle flottante.
Et là, la solution n'est pas encore parfaite : c'est sur ce point précis que nous apporterons un élément déterminant, avec la conception nouvelle du barrage « TEMPETE ».
LES BARRAGES FLOTTANTS À « EFFET CERF-VOLANT »
Depuis la première marée noire importante sur nos côtes bretonnes, celle consécutive au naufrage du « Torrey-Canyon » en 1964, de nombreux barrages flottants ont été mis en service.
Parmi ceux-ci, les plus utilisés sont les barrages gonflables qui présentent le grand avantage de pouvoir être stockés sous un faible volume. Ce sont des barrages flottants mono-jupe, lestés par une chaîne.
Malheureusement, ces barrages classiques se soulèvent dès qu'on se trouve en présence d'un vent de 30 à 40 km/h, et l'on sait que les naufrages se produisent la plupart du temps lorsque les éléments sont déchaînés. Il est courant dans de pareilles circonstances que les vents atteignent 80 à 100 km/h et au-delà, tandis que les creux de vagues sont de plusieurs mètres, pouvant atteindre et dépasser 4 mètres.
Les barrages flottants s'envolent alors, victimes de ce qu'on appelle le « phénomène de cerf-volant ». La nappe n'est plus emmagasinée à l'intérieur de sa frontière, elle commence à divaguer au gré des vents et des courants, s'approchant irrésistiblement de la côte.
C'est ce qui s'est produit encore dernièrement pour la marée noire de l'« Amoco-Cadiz », et alors qu'on avait opté pour la solution de faire se déverser en mer la totalité de la cargaison de plus de 200 000 tonnes de pétrole : on n'a jamais pu la pomper au large… et elle est arrivée intégralement sur la côte. On connaît le reste…
LE BARRAGE « TEMPÊTE » – DESCRIPTION
Comme pour la plupart des inventions hautement efficaces, le principe du barrage « TEMPÊTE » est très simple : ce barrage est en grande partie semblable au barrage gonflant classique, mais s'en différencie sur un point, la jupe du cylindre flottant.
Cette jupe de barrage « TEMPÊTE » est double et non simple, formant une poche sous-marine d'un mètre trente de profondeur. Des orifices sous la ligne de flottaison permettent le remplissage du volume de cette double jupe. Ceci entraîne un « autolestage » en eau de mer, de 300 kg environ au mètre linéaire. Le cylindre gonflable est réalisé sous forme d'élément standard de 10 mètres de long. Même par un vent violent, il n'existe donc plus de risque de voir s'envoler un élément du barrage. On reviendra sur ce point plus loin.
La jonction entre les éléments est, d'autre part, conçue d'une manière simple et rapide, ne comprenant plus de pièces métalliques fragiles.
Le barrage « TEMPÊTE », construit en tissu enduit synthétique résistant aux hydrocarbures, est constitué d'éléments de 10 mètres assemblés par des liaisons souples de type marin.
Chaque élément de 10 mètres est constitué :
— d'une enveloppe cousue présentant @ un logement cylindrique muni d'une sangle haute de reprise d'effort de traction ; @ une double jupe formant capacité munie d'une chaîne de lestage servant également de reprise d'effort. L'une des jupes est munie de trous ; — d'une vessie cylindrique pressurisée à 30 mbar incluse dans le logement cylindrique de l'enveloppe et assurant la flottabilité de l'ensemble ; — d'un flotteur de repérage des chaînes de lestage.
Les extrémités de chaque élément du barrage sont renforcées par des tubes souples inclus dans le lé de tissu : @ une extrémité est percée de trous de fixation ; @ l'autre extrémité est munie de garcettes imperdables qui se montent l'une dans l'autre au travers des trous de l'élément suivant pour former une liaison souple ne comportant aucune pièce métallique.
La double jupe emmagasine au minimum 2 500 litres d'eau par élément de 10 mètres. Ce lest gratuit n'agit qu'au cas où le vent tente de faire déjauger le barrage.
MISE EN ŒUVRE
Il est recommandé de préassembler à quai par longueur de 100 mètres et plus les éléments de barrage et de les stocker dans des containers appropriés logés en épis.
La mise en œuvre nécessite une source de pressurisation, une équipe à quai pour guider le barrage, une embarcation technique tirant le barrage par une extrémité.
Une des jupes est percée de trous situés sous la ligne de flottaison, ce qui assure un remplissage automatique et rapide par gravité du volume compris entre les deux jupes lors de la mise à l'eau.
Le remplissage de la double jupe en eau ne demande que quatre minutes.
Pour sortir le barrage de l'eau, on saisit les flotteurs de repérage de chaîne de lestage, pour faire basculer la double jupe afin de procéder à la vidange par gravité du lest d'eau et on extrait les barrages : la vidange est rapide et complète et ne demande que très peu d'effort.
L'EFFET DU VENT
La pression dynamique q exerçant un effort statique sur une surface exposée à l'action du vent est donnée par la formule empirique généralement utilisée dans les travaux publics et le génie civil :
\[ q = \frac{v^{2}}{16,3} \]
avec q exprimé en daN/m² et v vitesse du vent en m/s.
Dans la pratique, on multiplie cette valeur :
- a) par 2 pour tenir compte des sautes de vent,
- b) puis encore par 2 pour tenir compte des facteurs de forme.
Pour un vent de 160 km/h, soit force 10, la formule donne un effort en pression (arrondi) :
\[ q = 500 \, \text{daN/m}² \].
Appliqué au cas d'un élément de barrage flottant de 10 mètres de longueur présentant une hauteur émergente de 0,4 m, soit une surface exposée de 4 m², on trouve un effort appliqué de 2 tonnes.
Dans le cas des barrages flottants à simple jupe, la masse d'un élément de barrage de 10 mètres de long est de l'ordre de 140 kg. Ce poids, déjà lourd à manutentionner à terre, est insuffisant par gros temps, où l'on voit les éléments de barrage se soulever et se transformer en barrages volants, puis se briser lorsqu'ils sont drossés à terre.
LES EFFETS DES COURANTS MARINS
Les figures 1 et 2 montrent, côte à côte, les coupes d'un barrage flottant à simple jupe et d'un barrage « TEMPETE » à double jupe :
Figure 1 : avec un courant marin nul ; Figure 2 : avec un courant marin non nul.
Dans le cas du barrage à simple jupe, la poussée de l'eau s'exerce sur le tissu qui s’efface sans opposer de résistance dès que le courant dépasse 1 nœud. Le pétrole brut qui a pu être retenu par la partie flottante s'échappe alors sous la jupe, aspiré par la dépression créée par le courant.
Dans le cas du barrage « TEMPETE », la poussée de l'eau sur la jupe exposée tend à faire tourner le cylindre flottant d'un quart de tour, ce qui crée un moment de renversement qui retarde l'effacement de la jupe.
CONCLUSION
Le barrage « TEMPETE » est une réalisation toute nouvelle puisque le brevet qui la couvre a été déposé le 8 mai dernier. Il constitue un progrès technique qui doit régler, une fois pour toutes, le problème des barrages flottants, et ceci par une conception simple et fiable.
Il a été présenté aux pouvoirs publics qui se sont montrés immédiatement intéressés, et doit être expérimenté par grosse mer d'ici à la fin de la présente année.
Nul doute que ce matériel confirme les aptitudes qu'il a démontrées en bassin d'expérimentation et qu'il apporte enfin la solution-clé permettant — par la « méthode de récupération en poche » — de pomper désormais les nappes d’hydrocarbures au large et d’éviter à tout jamais ces trop fameux désastres de marées noires sur nos côtes...
P. GROS.