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Maintenance et optimisation des réseaux d'adduction d'eau

30 novembre 1989 Paru dans le N°132 à la page 54 ( mots)
Rédigé par : Eric SEULLIET et Philippe-de BASQUIAT

Voici une soixantaine d’années, une prestation nouvelle et originale se développait au profit des maîtres d’ouvrage : le contrat de « gérance d’eau ».

S’adressant à l’origine à des gestionnaires de patrimoines dans le tertiaire, l’industrie, les grosses collectivités, le contrat de gérance d’eau permet aux gestionnaires de bénéficier de la garantie d’un plafonnement de leurs dépenses en eau, celles-ci étant prises en charge par un prestataire spécialisé, rémunéré uniquement par les économies de consommation d’eau résultant de son action (entretien permanent et systématique des installations de robinetterie et points de puisage, détection des fuites, optimisation des consommations…).

Une expérience longue et diversifiée, portant sur plusieurs centaines de milliers d’équivalents-logements, a permis d’adapter et d’élargir le concept de gérance d’eau en proposant aux gestionnaires des Services des Eaux municipaux un service nouveau et global : la maintenance et l’optimisation de leurs réseaux d’adduction d’eau.

Cette prestation a été développée et perfectionnée depuis une dizaine d’années, notamment dans le cadre des missions menées pour le compte du Service des Eaux de la ville de Toulon.

L’EXEMPLEDE LA VILLE DE TOULON

Contexte des missions

À Toulon, après la dernière guerre, les volumes d’eau non contrôlés (différence entre les volumes produits et les volumes facturés) n’avaient cessé de croître pour atteindre des niveaux impressionnants : plus de 14 millions de m³ en 1958. Les bombardements de la guerre, les stress des canalisations lors de la période de reconstruction et d’expansion urbaine subis par un réseau vulnérable (réseau vétuste, dénivelés importants, réseau peu enterré et donc sensible au gel et au passage de véhicules lourds), le manque de maintenance, en sont les principales causes.

Durant la période 1958-1970, une certaine politique de maintenance a permis de diminuer quelque peu ces volumes non contrôlés (qui atteignaient quand même près de 13 millions de m³ en 1970).

À partir de 1970, la décision a été prise de procéder à une optimisation du rendement. Une recherche classique de fuite avec rémunération d’un prestataire au kilométrage de réseau détecté s’est traduite dans une première phase par une amélioration notable mais rapidement suivie d’une « rechute ».

C’est alors qu’en 1979, la ville de Toulon nous a confié la mission de réduire de 4 millions de m³ le volume d’eau non contrôlé en cinq ans, avec application d’une clause de pénalisation en cas d’échec. La rémunération de ce service a été basée sur les économies réalisées, liant nos intérêts à ceux de la ville.

Au terme des cinq premières années de la mission, l’objectif a été largement atteint. Compte tenu des résultats acquis en 1984 (plus de 15 millions de m³ économisés en cinq ans), la ville a estimé nécessaire d’assurer la maintenance des divers composants du « Volume d’Eau Non Contrôlé » (V.E.N.C.) et d’essayer d’améliorer ces résultats, mission qui nous a été à nouveau confiée en 1985.

Malgré trois années consécutives de gel, les résultats acquis sont également tout à fait satisfaisants.

Méthode d’interventionmise en œuvre

L’objectif, clairement déterminé au départ, de réduire le volume d’eau non contrôlé, se traduit par une approche globale visant à maîtriser toutes les sources de pertes et à optimiser le réseau.

LA MAÎTRISEDES SOURCES DE PERTES

Les fuites sur réseau

Pouvant résulter de nombreuses causes (écrasements, coups de bélier, corrosion…), ce sont les principales sources de pertes. Il a donc été nécessaire non seulement d’assurer des campagnes de recherche de fuites, mais surtout de mettre en place un cycle de contrôle et une méthode d’intervention rapide. L’action menée comporte un processus en trois phases :

Phase 1. Cette phase consiste à établir un cycle de contrôle de l’ensemble du réseau grâce à une analyse des débits minima de nuit, analyse qui s’opère secteur par secteur de façon à pouvoir intervenir prioritairement, en cas d’anomalie, sur les secteurs les plus fuyards.

La première opération consiste donc à découper le réseau en secteurs d’une longueur moyenne de vingt kilomètres. Ces secteurs sont déterminés par les

Les points stratégiques où seront effectuées les mesures de débit sont soigneusement choisis en tête de chaque secteur. Ce découpage implique une connaissance parfaite du réseau : les premiers travaux menés à Toulon ont donc consisté à réaliser une cartographie au 1/2000 avec indication précise des frontières de chaque secteur, des tranches horaires de débits minima de nuit, des différents points de mesure, des principaux gros consommateurs et des consommateurs sensibles (hôpitaux, soins d’hémodialyse).

À la mise en œuvre du cycle de contrôle, un débit de base de fonctionnement est attribué à chaque secteur. Il prend en compte les pertes du réseau et les consommations minimales des abonnés. Progressivement, au cours de l’exploitation, les débits de base sont rectifiés par rapport aux débits minima mesurés, après réparation des fuites. On obtient ainsi des débits de référence ; à Toulon, ces débits minima varient de 0,1 l/s à 0,7 l/s par kilomètre, différences liées essentiellement à la densité de la population, à la vétusté des conduites et à la pression de distribution.

La périodicité du cycle de contrôle est déterminée en fonction de la fréquence du renouvellement des fuites sur certains secteurs. Cette phase de la recherche de fuite peut évidemment être automatisée grâce à des dispositifs de télémesure, ce qui est actuellement en cours de réalisation.

Phase 2.

Le but de cette phase est de repérer les fuites par des mesures de débit sur les tronçons fuyards progressivement subdivisés par des manœuvres de vannes. En une nuit, trente kilomètres peuvent être traités. L’opération est dirigée par un chef de poste dans un véhicule PC qui oriente par liaison radio deux véhicules mobiles. On alimente graduellement, à partir du point de mesure, le quartier fuyard, portion de réseau après portion, en jouant avec les vannes. Chaque portion supplémentaire est matérialisée sur le débitmètre par une augmentation de débit instantanée. Chaque valeur, progressivement mesurée sur environ 2 000 m sera éventuellement subdivisée en tronçons de 100 à 1 000 m si cette valeur est supérieure à un débit de référence, donc caractéristique d’un tronçon fuyard. Si cette opération est effectuée sur un réseau maillé, une alimentation retour est assurée.

Phase 3.

Cette phase a pour objet d’identifier précisément la fuite. Une fois son débit connu, la détection s’opère selon des méthodes traditionnelles, mais sur une distance bien cernée.

La méthode et les appareils employés dépendent de la nature du sol et des caractéristiques de distribution.

Le camion-laboratoire utilisé à cet effet est équipé d’un corrélateur acoustique, de divers détecteurs de fuites à amplification électronique, d’enregistreurs de pression (cycle 24 h ou 7 jours), de divers détecteurs de canalisations et détecteurs magnétiques, d’un enregistreur de débit et d’un moulinet à insertion.

Les erreurs ou absences de comptage

Ces défauts constituent une source non négligeable de pertes. Les actions menées pour s’assurer de la fiabilité du comptage sont diverses :

• Actions sur les compteurs de tête (compteurs de production) :

— relevés comparatifs,

— analyse des caractéristiques de pose,

— mesure des valeurs de repos (zéro) pour les compteurs électromagnétiques et à ultrasons,

— étalonnages sur le site.

Un cycle de contrôle est ensuite élaboré suivant les caractéristiques et les situations de comptage.

• Actions sur les compteurs de ventes :

Une étude-diagnostic du parc des compteurs peut être effectuée. Un échantillon de compteurs, suivant le calibrage et la tranche de consommation, évalue un pourcentage de pertes sur les ventes. Il est effectué par un étalonnage sur le site avec des compteurs-pilotes ou sur un banc d’essai.

Un plan de travail est établi avec le Service des Eaux pour élaborer une action commune qui peut regrouper :

— l’étalonnage des compteurs des gros consommateurs (sur le site ou au banc d’essai),

— un fichier analytique des gros consommateurs (identification et suivi).

La méthode de recherche de fuite sur « Débit Minimum de Nuit » amène souvent à signaler des anomalies de comptage sur les gros consommateurs.

• Actions pour pallier l’absence de comptage :

— elles peuvent consister à poser des compteurs sur des équipements qui en étaient dépourvus : parcs, jardins, fontaines, écoles, divers établissements publics ;

— un suivi particulier des soutirages ne donnant pas lieu à comptage est également réalisé (par exemple, l’eau consommée par les services de lutte contre les incendies).

L’optimisation du réseau

Pour que l’action de réduction des pertes soit durable, cette opération doit s’intégrer et se prolonger dans une action plus globale visant à une optimisation d’ensemble. Ces mesures d’optimisation sont de quatre sortes :

Régulation et réduction des pressions de distribution

Une ville telle que Toulon a un territoire très accidenté avec de forts dénivelés. Pour combattre les différences de pression altimétrique, il faut procéder à des études systématiques d’optimisation, associant l’utilisation des réservoirs, la pose de réducteurs de pression, ou plus généralement le redécoupage des mailles du réseau. C’est le plus souvent une action à long terme entreprise avec le Service des Eaux concerné. Elle regroupe des travaux de régulation de débit et l’amélioration du profil piézométrique de certains réseaux.

Une telle réduction diminue à la fois le renouvellement de certaines fuites et le débit de perte, sans inconvénient pour les abonnés.

Un cycle de contrôle des zones à pression réduite est ensuite effectué à l’aide d’un enregistreur de pression sur différents points-tests du réseau.

[Photo : Exemple de mesures de débit sur une conduite, avant et après réparation.]
[Photo : Graphique comparatif des volumes non contrôlés (différence entre les volumes produits et facturés).]

Suivi de l’usure du réseau

À l'aide de l'historique des réparations du réseau et grâce au suivi des travaux effectués, on établit une carte des fuites qui servira à la préparation des dossiers de renouvellement du réseau. En effet, suivant la nature et la fréquence des fuites, il faut étudier le coût prévisionnel des réparations sur plusieurs années et comparer ce coût avec celui de l'investissement d'une canalisation neuve, qui peut apparaître plus rentable.

Suivi du fonctionnement du réseau

On implante sur les points remarquables des réseaux de capteurs et des enregistreurs de données qui permettent de suivre périodiquement les variations des paramètres débit-pression. C'est grâce à de telles actions que l'on peut stabiliser le rendement des réseaux au niveau le plus haut.

Mise à jour de la cartographie et modélisation du réseau

Si lors de l’action d’analyse et de recherche des pertes, l'étude de distribution a pu nécessiter l'établissement de plans, ceux-ci doivent être complétés par un fichier de tous les éléments et équipements du réseau, de façon à constituer une « base de données ». Celle-ci est dynamique car actualisée en permanence : ainsi, chaque canalisation, réservoir, vanne, équipement de réseau est soigneusement répertorié et codifié. Un fichier des mailles et des nœuds est également établi dans le but de suivre toutes les interventions effectuées en maintenance ou en manœuvres diverses. Chaque vanne, par exemple, dispose d'une fiche individuelle sur laquelle figurent toutes les interventions qui s'y rapportent.

Bien entendu, ces actions d’optimisation doivent être menées en cohérence et s’inscrire dans un plan d’ensemble défini en étroite concertation avec la municipalité à laquelle est proposé un plan de renouvellement à court, moyen et long terme, intégrant bien entendu les plans de développement d'urbanisme et leurs conséquences en matière de consommation d'eau.

Résultats obtenus

Pour mieux mesurer les gains obtenus dans la maîtrise des volumes non contrôlés, un rappel de la situation de départ est utile :

— de 1948 à 1958, l'absence du contrôle du réseau s'est traduite par des pertes atteignant plus de 14 millions de m³ d'eau ;

— de 1958 à 1970 : les actions entreprises par la ville de Toulon ont permis d'inverser quelque peu la tendance. Cependant, les pertes représentaient encore plus de 13 millions de m³ d'eau en 1970 ;

— dans les années 1970, des actions plus volontaristes et une recherche d'optimisation ont eu des résultats plus significatifs : des recherches traditionnelles de fuites ont conduit à faire descendre en 1977 les volumes d'eau perdus sous la barre des 8 millions de m³. Malheureusement, les années qui suivirent devaient s’avérer décevantes et le volume des pertes s’accroissait à nouveau. En 1979, le rendement du réseau (rapport du volume d'eau vendue au volume acheté) s’établissait ainsi à 59 %.

C’est alors que, dans le cadre d'une action globale et permanente, une étroite coopération s’instaure entre le prestataire et le Service des Eaux de la ville. Une clause tout à fait originale prévoit même une rémunération avec intéressement sur les résultats obtenus, et l'application de pénalités en cas de dépassement, au cours d'une année considérée du contrat, du volume d'eau non contrôlé de l'année 1979.

À l'issue d'un premier contrat de cinq ans, les bons résultats obtenus ont conduit la ville de Toulon à renouveler celui-ci pour une nouvelle période d’égale durée.

En 1988, les volumes non contrôlés ont été réduits à environ 3 millions de m³/an, ce qui correspond à un rendement de plus de 80 %. En prenant pour référence l'année de démarrage du contrat 1979, les volumes d'eau économisés s'élèvent à 27 millions de m³ environ.

Concrètement, cela signifie pour la ville :

« la sécurité de son approvisionnement : même durant l'exceptionnelle sécheresse de l'été 1989, à aucun moment la ville n'a manqué d'eau,

« des économies importantes (figures 1 et 2),

« des investissements différés : la ville a pu éviter des équipements importants qui auraient été nécessaires sans cette réalisation,

« l'optimisation de la planification des travaux de redistribution et d’extension du réseau d’adduction d'eau,

« une mise à jour périodique des plans de réseaux.

Enfin, des équipements et des travaux de rénovation ont pu être financés par les économies ainsi réalisées.

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