Les hydrocarbures entrent dans le milieu naturel par un certain nombre de voies qui résultent à la fois de processus naturels, et surtout d’activités humaines. Ces pollutions peuvent se produire dans les eaux, marines ou continentales, mais également atteindre le littoral et s’incorporer aux sédiments (sables, galets...).
Le développement des activités pétrolières marines a conduit le Groupe Elf Aquitaine depuis de nombreuses années, à prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir les pollutions de cette nature, qu’elles soient opérationnelles ou accidentelles. De plus, en cas de rejet accidentel d’hydrocarbures, des moyens de lutte sont disponibles sur les sites, et certains de ces dispositifs sont directement issus des recherches du Groupe.
La succession d’accidents pétroliers dans le monde a permis d’augmenter les connaissances scientifiques sur le comportement des hydrocarbures et de permettre ainsi le développement de nouveaux moyens d’intervention.
Les moyens disponibles à ce jour pour lutter contre un tel déversement sont essentiellement la récupération mécanique et l’usage de produits chimiques. Le choix de l’un ou de l’autre, et éventuellement de la combinaison de ces moyens s’avère très complexe, et prend en compte de nombreux paramètres tels que le type de pollution, les délais d’intervention, la localisation, la sensibilité de l’habitat concerné, ainsi que les conditions météorologiques.
Déversés dans l’environnement, les hydrocarbures subissent une altération naturelle dont l’ampleur et la rapidité sont étroitement liées à la nature du produit déversé et aux conditions locales de l’environnement.
Plusieurs processus déterminent le comportement des hydrocarbures dans le milieu naturel, conduisant à leur « vieillissement » :
- * l’étalement, processus rapide qui dépend étroitement des caractéristiques physiques des hydrocarbures et des conditions locales (vents, vagues) ;
- * l’évaporation, qui agit sur les fractions légères et est d’autant plus intense que l’étalement est important. Ce phénomène est favorisé par des conditions locales fortes (mer agitée, vents forts) et des températures élevées ;
- * la dissolution dans la masse d’eau, qui concerne surtout les fractions légères et certains composés polaires formés par la dégradation biologique et l’auto-oxydation des hydrocarbures ;
- * l’émulsification, qui correspond au mélange des deux fractions insolubles que sont les hydrocarbures et l’eau. Si les émulsions « huile dans l’eau » peuvent être facilement dispersées par le courant, en revanche les émulsions du type « eau dans huile », communément appelées « mousses au chocolat » et pouvant contenir jusqu’à 80 % d’eau, sont très stables, hautement visqueuses, et difficiles à récupérer mécaniquement ;
- * l’oxydation, résultant de réactions chimiques et photochimiques aboutissant à la formation de dérivés d’oxydation polaires et solubles dans l’eau ;
- * la sédimentation, liée à l’adsorption sur des matières en suspension, qui est un phénomène majeur de l’évolution à court et moyen terme des hydrocarbures ;
- * la dégradation biologique, phénomène complexe, qui constitue l’étape finale de l’évolution et de l’altération des hydrocarbures dans le milieu naturel.
Les processus d’étalement, d’évaporation, de dispersion, d’émulsification et de dissolution sont prépondérants au cours des phases initiales d’un déversement. En revanche, l’oxydation, la sédimentation et la dégradation biologique constituent des processus à long terme qui déterminent l’évolution ultime des hydrocarbures.
« L’état de vieillissement » des hydrocarbures ainsi que les conditions météorologiques sont des critères déterminants dans le choix de la technique de nettoyage. Bien que les hydrocarbures soient à la longue assimilés par l'environnement, le temps nécessaire peut être très variable et la première des priorités reste leur récupération rapide permettant une minimisation de l'impact écologique.
La récupération mécanique des hydrocarbures est essentiellement fondée sur l’écrémage de la couche huileuse étalée à la surface de l'eau. Pour cela, les hydrocarbures peuvent être d’abord déviés et confinés par des barrages flottants avant d’être récupérés par divers systèmes mécaniques, lesquels, passant à l'interface eau/huile, écrément les hydrocarbures surnageants. Cette récupération nécessite des écrémeurs, des pompes, des techniques de collecte manuelle ainsi que du matériel non spécialisé tel que des citernes à dépression. Dans ce domaine, le Groupe a développé plusieurs systèmes de récupération mécanique et de confinement. Malheureusement, ces équipements, quelle que soit leur valeur, atteignent trop rapidement leurs limites lorsque les conditions de mer deviennent difficiles, ou que l’état de vieillissement des hydrocarbures rend leur récupération quasi impossible. Il devient alors nécessaire de s'orienter vers d'autres méthodes.
L'autre solution du traitement d’un épandage accidentel est l’utilisation de produits de lutte, lesquels peuvent être, soit des absorbants minéraux ou organiques qui fixent les hydrocarbures, soit des gélifiants permettant de transformer les hydrocarbures liquides en masse semi-solide par modification des propriétés rhéologiques, en facilitant ainsi la récupération mécanique.
Une autre approche, toujours fondée sur l'utilisation de produits, consiste à favoriser les moyens naturels d’élimination des hydrocarbures. C’est cette démarche que le Groupe a entreprise depuis une douzaine d’années, et les travaux des Centres de Recherches ont conduit à la mise au point de produits performants, dans les domaines de la dispersion et de l’accélération de la biodégradation des hydrocarbures.
Les dispersants pour hydrocarbures
Lorsque les conditions locales le permettent, il peut être envisagé de disséminer les hydrocarbures dans la masse d’eau.
Cette opération, dénommée dispersion, se produit naturellement dans le milieu marin sous l’effet des vagues, mais nécessite d’être favorisée par utilisation de produits dispersants lors d’épandages importants d’hydrocarbures. Les dispersants contiennent des agents tensio-actifs qui réduisent la tension interfaciale entre l'eau et le pétrole. Leur fonction est de fragmenter le film de surface en petites gouttelettes jusqu'à l'obtention d'une bonne dissémination des hydrocarbures. L'utilisation de dispersants permet d'une part d’éviter l’arrivée massive du pétrole sur le littoral, et d’autre part de favoriser la biodégradation des hydrocarbures par augmentation de l'interface eau/pétrole.
Dans le cadre d’un contrat passé avec l’Institut Français du Pétrole, le Groupe a mis au point récemment deux nouveaux dispersants pour hydrocarbures, commercialisés sous les appellations Inipol IP 80 et 90. Leurs principales caractéristiques sont essentiellement :
- * de très hautes performances ;
- * une faible toxicité garantissant la préservation du milieu marin ;
- * une bonne efficacité sur des hydrocarbures visqueux et émulsionnés.
L'obtention d'une bonne dispersion d’une nappe d’hydrocarbures nécessite d'une part d'intervenir rapidement, avant que le vieillissement ne soit trop avancé, et d’autre part que les conditions énergétiques (état de la mer et vitesse du vent) soient suffisamment importantes pour s'opposer à une remontée rapide des gouttelettes de pétrole. La mise en œuvre des produits dispersants peut être effectuée par épandage à l'aide de rampes de pulvérisation, à partir de navires, avions ou hélicoptères.
Ces nouveaux dispersants ainsi que les moyens d’épandage adaptés sont disponibles à proximité des sites de production du Groupe.
Les accélérateurs de biodégradation des hydrocarbures
La biodégradation des hydrocarbures dans le milieu naturel est un phénomène lent, dont les principaux facteurs limitants sont la teneur en oxygène du milieu, et la disponibilité en éléments nutritifs (principalement azote et phosphore). Dans l’environnement, de nombreux micro-organismes sont capables de biodégrader les hydrocarbures.
L'approche retenue par les chercheurs consiste à utiliser les micro-organismes déjà présents dans le milieu, et à leur apporter les nutriments (azote et phosphore) qui leur font défaut. Par exemple, dans le milieu marin, parmi la multitude de micro-organismes présents, seul un petit nombre d’espèces possède la faculté de dégrader les hydrocarbures. Ce sont ces espèces qu'il convient de développer, par apport de nutriments à l'interface eau/hydrocarbures où elles sont essentiellement présentes.
Ces objectifs ont pu être atteints par la mise au point d'un nutriment oléophile baptisé Inipol EAP 22. Appliqué à des hydrocarbures, ce produit stimule la croissance de la flore spécifique présente dans le milieu et accroît ainsi fortement la vitesse de dégradation biologique des hydrocarbures. Son caractère oléophile a été apporté par la formulation d'une micro-émulsion d’éléments minéraux hydrosolubles encapsulés par une phase organique. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :
- * caractère oléophile permettant la présence des éléments nutritifs à l'interface eau/hydrocarbures ;
- * rapport optimum azote/phosphore ;
- * effet retard lors de la libération de l’azote et du phosphore ;
- * inhibition de la formation d’émulsions inverses ;
- * absence de toxicité pour la flore et la faune et bonne biodégradabilité.
C'est un produit liquide qui peut être mis en œuvre par tous les systèmes classiques d’épandage par pulvérisation. Le dosage nécessaire à l’initiation du mécanisme de développement bactérien est généralement d’environ 5 % en poids de la quantité d’hydrocarbures à traiter. Avant développement, il a été essayé dans de nombreux tests de laboratoire, puis en écosystème marin dans différentes conditions.
Au niveau des applications, ce produit peut être utilisé au traitement de pollutions en milieu aqueux, mais surtout en zones littorales, où la contamination de sédiments côtiers est souvent une conséquence d’un déversement en milieu marin.
Les essais les plus concluants ont été réalisés dans le traitement de sédiments pollués. Ainsi, en 1985, en collaboration avec Elf Aquitaine Norge et le SINTEF, organisme de recherche norvégien, une plage polluée au Spitzberg par suite de l'épandage de 90 tonnes de gazole a été traitée à l'Inipol EAP 22. Dans des conditions climatiques extrêmement rigoureuses, l'utilisation du nutriment a permis, en moins d'une année, de réduire d’environ 90 % le niveau de contamination du sédiment de type gravier, contre seulement 15 % sans traitement.
Mais le fait le plus important concerne la récente sélection de l'Inipol EAP 22 pour le traitement de réhabilitation des côtes polluées de l’Alaska. À la suite de l’échouage du pétrolier Exxon Valdez le 24 mars 1989 sur un récif situé au sud de l'Alaska, 40 000 tonnes de pétrole brut se sont déversées dans la baie du Prince William. Malgré les moyens de confinement et de récupération mécanique mis en œuvre, le pétrole a commencé, dès le début du mois d’avril, à toucher le littoral, pour finalement polluer environ 1 000 km de côtes, dont 500 fortement, dans la baie du Prince William et le golfe d’Alaska.
À ce moment, les autorités gouvernementales américaines ont pris la décision d’effectuer un traitement biologique par apport de nutriment sur les 500 km de côtes fortement polluées. La responsabilité de ce projet a été confiée à l'EPA (Environmental Protection Agency), au travers d'un accord passé avec la compagnie pétrolière Exxon.
Une première série d’essais d'efficacité de biodégradation et de toxicité sur des organismes marins a été réalisée dans les laboratoires de l’EPA, avec plusieurs nutriments. Ces tests ont permis de sélectionner deux produits, dont l'Inipol EAP 22, qui ont ensuite été essayés dans le courant du mois de juin sur un ensemble de sites pollués comportant 2 500 m² de plages de type galets, sable et rochers.
Les excellents résultats obtenus avec l'Inipol EAP 22, matérialisés par une disparition importante des hydrocarbures dans un délai de deux semaines, ont amené l'EPA et Exxon à prendre la décision de mettre en œuvre ce traitement sur les côtes souillées de l’Alaska. À cet effet, une commande de 500 tonnes de produit a été passée dont la livraison s’est achevée fin août. 250 tonnes de produit ont déjà été utilisées, permettant de traiter 250 km de plages sur les 500 km atteints par la pollution. Les travaux ont dû être arrêtés plus tôt que prévu, en raison de l'arrivée précoce du mauvais temps et n’ont pu reprendre qu’au printemps 1990. D’excellents résultats avaient cependant été obtenus sur la zone traitée où la pollution avait nettement diminué en 12 jours. Les opérations de nettoyage utilisant l'Inipol EAP 22 ont été poursuivies avec le même succès pendant l’été.
Un programme de recherches est toujours en cours dans le but d’améliorer encore les performances et les moyens de mise en œuvre de l'Inipol EAP 22. Par ailleurs, un Groupement Scientifique associant le CNRS, des universités et Elf Aquitaine étudie le devenir des hydrocarbures dans le milieu marin.