Au début de 1980 a été mis en service le dispositif de rejet des eaux épurées hors du bassin versant du Lac du Bourget.
Cette opération constitue la clef de voûte de la plus vaste entreprise de restauration lacustre jamais menée à bien en France.
Elle marquera un aboutissement décisif dans l'effort d'assainissement et de lutte contre la pollution mené depuis quinze ans par les deux Syndicats Intercommunaux de l'Agglomération Chambérienne et du Lac du Bourget, Maîtres d'Ouvrage ; quatre cents kilomètres de réseaux, cinq stations d’épuration ou extensions de stations existantes, une usine d’incinération mixte des ordures et des boues unique en France par sa taille, quinze kilomètres de canalisations de gros diamètre, douze kilomètres de tunnel auront alors été réalisés pour un coût total de 280 millions de francs.
Les difficultés techniques, géologiques et financières n'ont certes pas manqué.
Mais les sacrifices consentis pour les surmonter permettent enfin de mettre en valeur, au bénéfice de tous, ce patrimoine naturel exceptionnel que constitue le Lac du Bourget sauvé de la pollution.
CONCEPTION DU PROJET
Avec ses 18 km de long et ses 3 km de large, ses 45 km² de surface, sa profondeur maximale de 150 m et son volume d'eau de 3,6 km³, le Lac du Bourget est le plus grand lac de France.
Malgré les grandes qualités potentielles que présentait son site pour toutes les activités de loisir, de sport nautique ou de pêche, le lac ne représentait nullement le pôle d'attraction qu'il aurait dû constituer ; la raison de cette désaffection résidait essentiellement dans l'importance de la pollution dont il était atteint.
La menace la plus grave ne provenait pas ici des formes de pollution « classique » (déchets flottants, déversements toxiques, germes pathogènes...) mais d'une forme plus insidieuse : l’eutrophisation.
L'eutrophisation provient d'un excès de matière organique vivante (plancton, algues…) dans les couches superficielles ; après leur mort, ces micro-organismes se déposent au fond du lac, où leur lente minéralisation consomme l'oxygène dissous au détriment de la qualité des eaux. Ce processus est alimenté par les apports externes d'éléments nutritifs (matières organiques ou sels minéraux), particulièrement importants lorsqu’il existe dans le bassin versant de grandes agglomérations rejetant au lac leurs eaux usées domestiques et industrielles ; c'est évidemment le cas au Lac du Bourget près duquel vivent 140 000 habitants permanents et 20 000 saisonniers.
L'eutrophisation se manifeste par différents effets nuisibles qui rendent le lac impropre à sa fonction d'espace naturel de loisirs : perte de transparence des eaux, proliférations brutales d'algues microscopiques (« fleurs d'eau »), régression des espèces de poissons nobles (lavaret, brochet, omble chevalier…) au profit d'espèces moins recherchées, éventuellement odeurs provenant de fermentations anaérobies.
Les études préalables détaillées ont montré qu'il fallait, dans le cas du Lac du Bourget, diminuer de 95 % les rejets d'éléments nutritifs dans les eaux si l'on voulait réellement sauver le lac : seule une solution radicale avait donc une chance de réussir, compte tenu de l'ampleur du mal.
La construction de stations d'épuration classiques, nécessaire en tout état de cause, restait une solution insuffisante ; les eaux épurées contiennent en effet toujours des sels minéraux susceptibles d’alimenter l’eutrophisation.
[Image : Plan des opérations de dépollution du Lac du Bourget.] [Image : Principe de traitement.]C'est pourquoi la solution retenue en 1972 consiste à capter les eaux usées des stations d'épuration de Chambéry, d'Aix-les-Bains et du Bourget-du-Lac, pour les rejeter hors du bassin versant du lac.
Deux raisons ont conduit à ce choix : — d'une part, une autre solution (traitement complémentaire chimique ou biologique des eaux épurées, avec rejet au lac) n'aurait pas présenté les garanties voulues d'efficacité ; — d'autre part, le rejet d'eaux épurées dans un cours d'eau (et non dans un lac) ne présente que peu de risque d'eutrophisation, du fait du brassage et de la réoxygénation permanents dans une eau vive.
Une nouvelle étude a alors montré que parmi les diverses solutions de rejet possibles à l'Isère ou au Rhône, la meilleure consistait à rejeter au Rhône par un tunnel bas à écoulement gravitaire : on évite ainsi les coûts de fonctionnement (pompages) prohibitifs dans les autres solutions.
En définitive, le projet global de dépollution du Lac du Bourget s'est traduit par les opérations suivantes, réalisées dans les quinze dernières années par les deux Syndicats Intercommunaux de l'Agglomération Chambérienne et du Lac du Bourget avec le concours de la Direction Départementale de l'Équipement :
1. Réseaux primaires d'assainissement
Près de 400 km de réseaux, réalisés en quinze ans, raccordent actuellement 95 % de la population et des établissements industriels non agricoles.
2. Stations d'épuration
Les deux grandes stations de Chambéry et d'Aix-les-Bains ainsi que diverses stations plus modestes (Le Bourget-du-Lac, Chindrieux...) ont été agrandies ou construites.
3. L'opération de rejet
Cette opération consistait à capter les eaux épurées à la sortie des stations d'épuration de Chambéry, d'Aix-les-Bains et du Bourget-du-Lac et à les conduire au Rhône, par des canalisations de grand diamètre et un tunnel à travers la montagne du Chat. Le chantier, commencé en 1974, s'achève et la mise en service est prévue au début 1980.
4. L'usine d'incinération de Chambéry
Cette usine d'incinération a été réalisée conjointement, comme l'opération de rejet, par les deux Syndicats Intercommunaux de l'Agglomération Chambérienne et du Lac du Bourget. Elle est en service depuis 1977. Utilisant le procédé « Ibisco » elle incinère à la fois les ordures ménagères et les boues produites par les
stations d'épuration, résolvant ainsi simultanément le problème difficile du stockage de ces deux types de déchets.
5. Autres opérations liées à la dépollution
On peut citer ici :
— la mise en service sur le lac en 1978 d'un navire de type « Pélican » spécialement équipé pour l'élimination des déchets flottants ; — le projet relatif au soutirage gravitaire éventuel des eaux profondes du lac (particulièrement riches en éléments nutritifs) avec rejet par le tunnel déjà creusé pour les eaux épurées ; — le projet de stabilisation du niveau du lac dont la réalisation sera liée à celle des barrages construits par la Compagnie Nationale du Rhône sur le Haut-Rhône.
6. Urbanisme et aménagement
Enfin, la régénération de la qualité des eaux du lac sera précédée et accompagnée de mesures d'aménagement destinées à préserver les rives du lac et à en orienter la mise en valeur (schéma de secteur, zone de protection du site, politique foncière...).
Coût des opérations de dépollution dans le bassin versant du lac depuis 1965
Opérations (MF courants) | Total |
---|---|
1. Réseaux d’assainissement | |
Région de Chambéry | 30 |
Région d’Aix-les-Bains | 17 |
2. Stations d’épuration | 24 280 |
3. Opération de rejet | 170 |
4. Usine d’incinération | 38 |
5. Pélican | 1 |
EPURATION DES EAUX USÉES
La station d’épuration de Chambéry est une installation classique de traitement biologique des eaux usées par boues activées. Elle a été réalisée par le département « EPURATION DES EAUX USÉES » de la Société Luchaire, lequel a été repris depuis par STEREAU.
Sa capacité de traitement est la suivante :
• Charge polluante : 300 000 habitants/équivalents ;
• Débit : 1 100 l/s, soit 95 000 m³/jour d’effluent.
Les boues fraîches, après passage dans des épaississeurs qui ramènent à 95 % leur teneur en eau, sont éliminées dans la station d'incinération des résidus urbains.
Le premier effort, considérable, consenti par les communes du bassin versant du Lac du Bourget dans le domaine de l’assainissement, a été la mise en place de réseaux de collecte des eaux usées.
Sur les territoires des Syndicats Intercommunaux de l'Agglomération Chambérienne et du Lac du Bourget, 400 km environ de canalisations ont été posés, pour un coût global de l’ordre de 47 millions de francs.
La quasi-totalité des habitants et des établissements industriels non agricoles est ainsi desservie.
Dans le même temps, huit stations d'épuration étaient construites : Albens, Saint-Félix, Chindrieux, Abbaye de Hautecombe, Base Aérienne du Bourget-du-Lac, Le Bourget-du-Lac, Aix-les-Bains et Chambéry.
Une somme de 24 millions de francs a été consacrée à ces stations d'épuration qui traitent la totalité des effluents résiduaires collectés par les réseaux d'égouts.
Mais l'originalité du système d'assainissement se trouve dans les deux particularités suivantes :
— les eaux épurées au sortir des stations de traitement de la Base Aérienne, du Bourget-du-Lac, d’Aix-les-Bains et de Chambéry sont rejetées hors du bassin versant du Lac du Bourget, dans le Rhône ; — tandis que les boues des stations d’épuration de Chambéry, d’Aix-les-Bains et du Bourget-du-Lac sont brûlées dans la station d’incinération intersyndicale de résidus urbains, située sur le territoire de la commune de Chambéry.
La station d'épuration d'Aix-les-Bains est également une installation classique de traitement biologique des eaux usées par boues activées. Elle vient d'être agrandie par la Société Degrémont.
Sa capacité de traitement est la suivante :
- * Charge polluante : 70 000 habitants-équivalents ;
- * Débit : 290 l/s, soit 21 000 m³/jour d’effluent.
Les boues, après déshydratation mécanique qui ramène leur teneur en eau au-dessous de 85 %, sont amenées à Chambéry pour être éliminées dans la station d'incinération des résidus urbains.
INCINÉRATION DES RÉSIDUS URBAINS
La station d'incinération des résidus urbains, construite à Chambéry sur le même terrain que la station d’épuration, reçoit les déchets domestiques et industriels des deux Syndicats Intercommunaux de l’Agglomération Chambérienne et du Lac du Bourget, représentant une population d’environ 130 000 habitants.
Cette installation, réalisée par la Société Eau et Assainissement (Socea), est surtout remarquable par le fait que, brûlant les résidus urbains, elle récupère l'énergie thermique produite pour traiter et détruire les boues des stations d'épuration de Chambéry, d'Aix-les-Bains et du Bourget-du-Lac.
Elle est constituée par deux lignes d’incinération identiques fonctionnant en parallèle, avec possibilité d’en installer une troisième dans le futur.
Chaque ligne d’incinération est composée :
- * d'un four d'incinération des résidus urbains ;
- * d'une tour d'incinération des boues des stations d’épuration ;
- * de séchoirs calorifiques des boues des stations d’épuration (cinq séchoirs pour les deux lignes d’incinération) ;
- * d'une tour de refroidissement des fumées ;
- * d'un dépoussiéreur électrostatique.
Les caractéristiques de ces ouvrages sont les suivantes :
Four : capacité nominale de 5 tonnes/heure pour un pouvoir calorifique inférieur des déchets compris entre 1100 et 2100 kilocalories/kg — grille de combustion constituée par 7 éléments disposés en gradins — température d’exploitation de 1 000 °C.
Tour d'incinération des boues des stations d'épuration : capacité nominale de 6 tonnes/heure environ de boues à 94 % de teneur en eau — température d'exploitation 850 °C — pulvérisateur des boues alimenté par pompes et injection d’air comprimé.
Les boues pulvérisées à 90 % de teneur en eau environ, après passage dans des séchoirs calorifiques, se déshydratent puis brûlent dans le flux des fumées du four.
Tour de refroidissement des fumées : ouvrage dans lequel les fumées sont refroidies, jusqu’à 300 °C environ, par aspersion d'eau.
Dépoussiéreur de fumées : appareil électrostatique permettant un abattement de 99 % de la teneur en poussières et rejetant les fumées dans une cheminée de 53 m de hauteur.
La capacité de destruction de l'usine est la suivante :
- * jusqu’à 240 tonnes/jour de résidus solides ;
- * jusqu’à 300 tonnes/jour de boues à 94 % de teneur en eau.
La station d'incinération des résidus urbains a coûté 38 millions de francs.
REJET DES EAUX ÉPURÉES HORS DU BASSIN VERSANT DU LAC
Le rejet des eaux épurées hors du bassin versant du lac consiste :
- — à amener par des conduites les eaux épurées depuis les stations d’épuration du Bourget-du-Lac, d'Aix-les-Bains et de Chambéry jusqu’au Bourget-du-Lac ;
- — ensuite, à évacuer l'ensemble des eaux épurées vers le Rhône par écoulement gravitaire dans un tunnel percé à travers la Montagne du Chat.
La réalisation en est confiée au groupement lauréat du concours de 1972 associant, d'une part, la Société Générale d’Entreprises et la Société Fougerolle pour le tunnel, et, d’autre part, la Compagnie Générale de Travaux d'Hydraulique Sade et la Compagnie Générale des Eaux pour les canalisations.
Tous les écoulements sont gravitaires et ne consomment aucune énergie de pompage, à l’exception de la canalisation entre Aix-les-Bains et Le Bourget-du-Lac.
Les travaux ont effectivement commencé en 1974, à la suite de l’attribution des premières subventions.
a) Les canalisations
Les eaux épurées de Chambéry sont amenées à la tête du tunnel par une conduite de 1 200 mm de diamètre et de 8,2 km de long avec une dénivelée de 20 m autorisant un écoulement gravitaire pour les débits prévus en l'an 2010 (une mise en pression restant possible si elle s’avérait utile à très long terme).
Les eaux épurées d'Aix-les-Bains sont amenées depuis la station d’épuration par une conduite de 600 mm de diamètre et de 7,6 km de longueur ; en l’absence de dénivelée suffisante, elle fonctionne sous pression (station de pompage).
Ces conduites sont équipées de joints souples, autorisant une certaine adaptation à d’éventuels mouvements de terrain. Elles sont actuellement achevées.
b) Le tunnel
Le tunnel constitue la pièce maîtresse du dispositif. Long de 12 270 m, il parcourt une dénivelée de 10 m avec une pente de 0,83 °/°o et une section de 5 m² environ. Cette section — nécessaire au passage des engins de chantier — permettrait d'écouler par gravité, non seulement le débit prévu pour les eaux épurées (environ 2,3 m³/s vers l’an 2010), mais également le débit supplémentaire (5 m³/s environ) qu'il est envisagé de prélever ultérieurement par siphonnage des eaux profondes du lac.
Le chantier du tunnel fut entrepris simultanément, à la fin de 1974, par trois attaques : l'attaque amont au Bourget-du-Lac, l’attaque aval depuis le Rhône et une attaque intermédiaire à partir d'une descenderie située dans la vallée du Flon. D'importantes difficultés imprévues, d'ordre géologique, entravèrent le déroulement des travaux :
— À l'attaque amont, la traversée des alluvions quaternaires du début nécessita une congélation des 25 premiers mètres à l’azote liquide, puis un traitement de terrain par injections, retardant d'un an environ la progression de l’excavation ;
— À l'attaque aval, un débourrage d'une veine karstique entraîna, en août 1975, la perte de 130 m de galerie et obligea à contourner le karst avec de nombreuses précautions ;
— À l'attaque intermédiaire, la mauvaise tenue des molasses conduisit à renoncer à la méthode d'excavation à l’explosif initialement prévue, au profit d'une machine à attaque ponctuelle (à bras articulé muni d'une fraise). Cette technique d'excavation, associée le plus souvent à un soutènement immédiat par béton projeté, fut finalement utilisée sur plus d'un tiers du linéaire total ;
— À la jonction des attaques amont et intermédiaire, l'aggravation de la tenue de la molasse devenue sableuse obligea, sur près d'un kilomètre, à pratiquer un soutènement très lourd avec utilisation systématique de cintres et de plaques métalliques.
Cependant, l'excavation put être achevée en octobre 1978, les bétonnages (radier et revêtement) devant se poursuivre jusqu’à la fin de 1979.
Sur le plan financier, l'opération est couverte à raison de 35 % par le Ministère de l'Intérieur, 25 % par l’Agence de Bassin, 20 % par le Ministère de l'Environnement, et 20 % par les Collectivités Locales, dont la moitié par le Département.