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L'irrigation dans les pays du bassin méditerranéen : gestion durable et coopération nord-sud

29 decembre 2000 Paru dans le N°237 à la page 33 ( mots)
Rédigé par : Alexandra DELMOLINO

Depuis quelques années, la sonnette d'alarme est tirée. Les conférences internationales se succèdent depuis la première conférence euroméditerranéenne de Barcelone en 1995. Le problème de la ressource en eau prend en cette fin de siècle une ampleur bien réelle. Actuellement, 29 pays, essentiellement localisés en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Afrique Subsaharienne sont confrontés à des pénuries chroniques d'eau. On estime ainsi, que le volume d'eau par habitant disponible dans les régions méditerranéennes aura diminué de 80 % entre 1960 et 2025. Toujours liée aux manques de précipitations, la diminution de la ressource en eau ne pourra être contrebalancée que par une gestion durable et solidaire.

BASSIN MÉDITERRANÉEN - IRRIGATION

Irrigation in the countries of the mediterranean basin : sustainable management and north-south cooperation

[Photo]

Par , Technoscope

Depuis quelques années, la sonnette d’alarme est tirée. Les conférences internationales se succèdent depuis la première conférence euroméditerranéenne de Barcelone en 1995. Le problème de la ressource en eau prend en cette fin de siècle une ampleur bien réelle. Actuellement, 29 pays, essentiellement localisés en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne, sont confrontés à des pénuries chroniques d’eau. On estime ainsi que le volume d’eau par habitant disponible dans les régions méditerranéennes aura diminué de 80 % entre 1960 et 2025. Toujours liée au manque de précipitations, la diminution de la ressource en eau ne pourra être contrebalancée que par une gestion durable et solidaire.

Les pays du bassin méditerranéen, soumis à des climats arides, ont toujours traditionnellement utilisé l’irrigation pour leurs cultures. Mais le poids d’une pression démographique croissante, lié à une augmentation de la consommation par habitant, a nécessité une transition agricole, évoluant d’une agriculture de subsistance à une agriculture intensive irriguée. Ainsi, depuis quarante ans, la croissance de la superficie mondiale irriguée a quasiment suivi celle de la population. Les pays situés au nord du Sahara, pourtant sur-irrigués, accusent une chute de leur taux démographique d’irrigation, malgré une forte augmentation de la pression démographique sur les ressources en eau. Ceci s’explique par une exploitation particulièrement élevée des ressources. Par exemple, depuis la construction du barrage d’Assouan, le Nil ne déverse plus que 2 % d’eau dans la mer, alors qu’autrefois 38 % des eaux collectées par son bassin se jetaient dans la Méditerranée. GAP (Great Anatolian Pro-

[Encart : Au sud : une réutilisation des eaux usées encore loin d’être systématique Si Israël se démarque par une utilisation à échelle industrielle de techniques de recyclage des eaux pour l’irrigation, pour la majorité des pays du bassin méditerranéen — en Égypte, au Maroc, où le seul projet d’envergure a été implanté dans la palmeraie de Marrakech, à Malte, qui privilégie le dessalement de l’eau de mer, mais encore en Irak, en Iran ou en Jordanie — la réutilisation des eaux usées traitées reste souvent au stade de projet pilote. BRL ingénierie, bureau d’études français, réalise actuellement une étude de faisabilité pour la réutilisation des effluents urbains traités en Tunisie. Ce projet, baptisé « Tunis Ouest » et financé par la Banque mondiale, prévoit la construction, en 2002, d’une nouvelle station d’assainissement à Tunis qui produira 200 000 m³/jour d’effluents urbains traités. Elle sera couplée à l’irrigation d’une zone agricole de 6 000 hectares située au sud de Tunis d’ici à 2010. « Tunis Ouest » se distingue par la création, dans la zone irriguée, de retenues de stockage permettant de moduler le débit d’eau en provenance de la station selon les saisons et les besoins en eau des cultures. Israël est pionnière dans la mise en place de ces retenues collinaires qui permettent des contrôles précis de la qualité de l’eau (taux de nitrate, de sel). D’autres techniques utilisent des bassins de lagunage dans lesquels l’eau est épurée par les UV du soleil et certaines algues ; les eaux usées traitées peuvent aussi être réinjectées dans les nappes souterraines avant réutilisation. L’usine israélienne de Tel-Aviv recourt au couplage de ces deux techniques : les effluents urbains passent dans deux lagunes avant d’être réinjectés dans les nappes et utilisés pour l’irrigation au goutte-à-goutte.]

Le GAP (Grand Projet anatolien), projet turc pour l'irrigation de 1,7 million d'hectares, réduira de près de 40 % les débits du Tigre et de l'Euphrate, dont l'eau est utilisée en aval par la Syrie et l'Irak. La Libye construit la « Grande rivière artificielle », soit 4 500 km de canalisations. Elle irrigue le pays entier en puisant dans une nappe d’eau fossile résultant de l’accumulation de plusieurs dizaines de milliers d’années de pluies. Si le court terme est assuré, ces stratégies extrêmes risquent fort, à terme, d'amplifier le problème, puisque dans ces régions le taux de renouvellement des eaux souterraines est extrêmement faible (1 400 ans) et le risque de surpompage réel. La politique de construction de barrages géants instaurée dans les années 70 est désormais supplantée par des barrages plus petits, comme en Tunisie où près de 500 petites retenues ont été construites entre 1991 et 2000. Si certains pays du Moyen-Orient peuvent toujours recourir, dans l'avenir, à des procédés de dessalement de l'eau de mer (membranaires ou distillation) pour faire face à la pénurie d’eau douce, leurs coûts très élevés n’en font que des techniques d’appoint pour la majorité des pays du bassin méditerranéen.

Outre les limites des ressources en eau renouvelables, l'efficience réduite de la gestion de l'eau d'irrigation fait que l'agriculture des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée représente environ 80 % de leur consommation en eau.

Économiser la ressource

Dans ces pays, la solution durable passera nécessairement par la voie des économies d’eau liées à une gestion intégrée, notamment le recyclage des eaux usées pour l’irrigation. Les techniques agricoles devront aussi mieux s'adapter au problème par une systématisation de la récupération des eaux de drainage et un meilleur captage.

[Photo : Actuellement, 29 pays, essentiellement localisés en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Afrique Subsaharienne sont confrontées à des pénuries chroniques d’eau.]
[Encart : texte : L’Espagne : le recyclage en plein essor Sur la rive européenne de la Méditerranée, l’investissement dans le recyclage des eaux usées se développe. En Espagne, dans la région d’Almeria, l’eau destinée à l’irrigation subit une désinfection à l’ozone au sortir des usines de traitement des eaux usées. Actuellement, la Costa Brava lance un projet d’envergure portant sur le recyclage d’eau pour l’irrigation de 4 terrains de golf, de zones agricoles et d’une réserve naturelle situés près de Gérone. En 1999, la région a recyclé 1 100 000 m³ d’eau usée, destinée à 40 % pour l’irrigation des terrains de golf, 10 % pour l’irrigation agricole et 50 % pour la préservation de réserves naturelles. Dans cette région catalane, 6 usines de traitement des eaux usées réalisent déjà le recyclage en aval, et 4 unités supplémentaires devraient être opérationnelles d’ici à 2001.]

Actiflo, le procédé d’OTV pour le traitement primaire des eaux usées

Actiflo, the OTV process for primary wastewater treatment

OTV a réalisé en 1998 un chiffre d’affaires de 158 M francs au Proche-Orient dans la construction d’usines d’eau potable et de traitement des eaux usées. La filiale de Vivendi Water Systems développe également depuis sept ans le système Actiflo, un procédé de clarification ultrarapide, qui ne représente qu’un premier stade de traitement des eaux usées mais reste une alternative au manque de ressources économiques de certains pays. Ce traitement physico-chimique primaire, dix fois plus rapide qu’une décantation lamellaire, est basé sur une coagulation et une floculation lestée au microsable permettant la précipitation de près de 90 % des matières en suspension. L’eau traitée peut perdre jusqu’à 50 % de DBO et DCO mais contient encore certains agents pathogènes, des nitrates et des phosphates. En fonction de la nature des eaux usées, Actiflo peut rendre leur réutilisation acceptable aux normes de l’OMS pour une irrigation locale de cultures non consommables. En couplant ce procédé à une filtration sur sable, suivie d’une désinfection au chlore, à l’ozone ou aux UV, il est possible d’atteindre des critères de pureté suffisants pour une eau à usage de service, une irrigation de cultures consommables ou par aspersion. À Mexico, l’installation de pilotes Actiflo a permis l’obtention, au bout de six mois, d’une qualité d’eau répondant aux critères de l’OMS pour une réutilisation en agriculture. L’Égypte utilise également ce procédé pour l’irrigation des terrains de golf.

La mauvaise efficience de la gestion de l’irrigation signifie que l’agriculture dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée représente environ 80 % de leur consommation d’eau.

Toute solution durable passe inévitablement par des économies d’eau couplées à une gestion intégrée, et notamment le recyclage des eaux usées pour l’irrigation. Les techniques agricoles devront être mieux adaptées au problème grâce à une approche systématique de la récupération des eaux de drainage et une meilleure collecte des eaux ruisselées. À l’heure actuelle, l’efficience de l’irrigation atteint tout au plus 40 %. Si, en Israël, des techniques sophistiquées d’irrigation au goutte-à-goutte permettent une économie tangible de l’eau, l’irrigation de surface, qui reste la technique la plus utilisée dans les pays méditerranéens, entraîne des pertes d’eau considérables lors de son transport et de sa distribution dans les réseaux d’irrigation traditionnels, ou encore par excédent d’aspersion. Une meilleure information sur les techniques hydro-agricoles permettrait une gestion plus économe de la ressource et éviterait la salinisation des sols africains, responsable de leur stérilité. Quant au recyclage, les réglementations fixées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) pour la qualité de l’eau d’irrigation sont relativement souples ; elles classent l’eau en plusieurs catégories de traite-

[Photo : On estime que le volume d’eau disponible par habitant dans les régions euro-méditerranéennes aura diminué de 80 % entre 1960 et 2025.]

Traitement des eaux usées selon leur utilisation agricole : cultures consommables ou non, technique d'irrigation mise en œuvre. À ce jour, aucun développement systématique n’a été entrepris et les eaux usées sont encore souvent utilisées telles quelles pour l'arrosage des cultures.

[Photo : L'efficience réduite de la gestion de l'eau d'irrigation fait que l'agriculture des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée représente environ 80 % de leur consommation en eau.]

Les comportements culturels favorisent largement cet état de fait, la majorité des exploitants des pays du Sud considérant encore l'eau comme un don du ciel, gratuit et partagé. Une politique basée sur la reconnaissance économique de l'eau, ou une augmentation des prix, pourrait représenter une incitation à utiliser des techniques d'irrigation plus économes. Le Maroc a ainsi instauré depuis 1995 une modulation de la participation directe des agriculteurs selon la taille de leurs exploitations, alors qu'Israël vend l'eau d'irrigation à la moitié de son coût réel.

Aujourd'hui, certains évoquent comme solution durable pour les pays du bassin méditerranéen le commerce « d'eau virtuelle ». L'eau virtuelle correspond à la quantité d'eau nécessaire pour obtenir une tonne de cultures. Certaines céréales (blé dur, orge), des fruits et légumes (tomates, melons) ou des productions « sèches » (lentilles, pois chiches...) nécessitant moins d'eau pour de meilleurs rendements, semblent mieux adaptés aux réalités du Sud. Cependant, à l'heure de la mondialisation, parler d'économie solidaire paraît quelque peu hasardeux. L'échange d'eau virtuelle entre pays du Nord et du Sud génère avant tout une dépendance totale de certains pays envers les États-Unis, principal exportateur net d'eau virtuelle, qui alimente 88 % du marché mondial du maïs, 76 % de celui du soja et 40 % de celui du blé. Les pays arabes acceptent « la mort dans l'âme » ce type d'échanges inégaux, notamment l'Égypte obligée de s'y plier par manque de ressource avec quelques 20 Mrds m³ d'eau virtuelle importée. On estime qu'en 2025, les pays du pourtour méditerranéen n'auront plus les ressources nécessaires pour assurer leurs besoins. Devant l'hégémonie du commerce mondial et en attendant de trouver les compromis possibles à la mise en place d’un partenariat fiable, les pays du Sud de la Méditerranée qui le peuvent, s'assument au prix des nappes fossiles.

Cinq ans après la conférence de Barcelone, le dialogue euroméditerranéen peine à trouver une voie d’entente entre interlocuteurs du

Nord et du Sud.

La reprise des tensions israélo-arabes risque de peser largement sur le déroulement de la quatrième réunion euro-méditerranéenne qui s’ouvre à Marseille le 14 novembre. Les différents partenaires vont-ils pouvoir aborder l’émergence d'un espace régional euroméditerranéen basé sur la solidarité, la sécurité et un partenariat efficace, à l'heure où le processus de paix d’Oslo tombe en miettes ?

En tout cas, l'Union Européenne se doit d’aborder la question de la politique agricole méditerranéenne. Le volet économique des accords comprend en effet la mise en place d’une zone de libre-échange d'ici à 2010. Mais aujourd’hui, si l'Europe inflige toujours aux pays du Sud la levée des droits de douane pour ses propres produits industriels, aucune ouverture progressive des marchés européens en faveur des produits agricoles du Sud n’a été instaurée.

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