Après avoir souffert d'une mauvaise image de marque pendant de longues années, la méthanisation des déchets ménagers prend un nouvel essor sur le territoire français. Des efforts importants en matière de recherche et de développement ont permis d'élaborer des technologies dont les références industrielles démontrent la fiabilité et confirment le niveau élevé des performances atteintes. Comparée aux autres modes de traitement des déchets ménagers, la méthanisation présente beaucoup d'avantages aussi bien dans les domaines environnementaux, agricoles ou encore énergétiques. Cet article vise à montrer tous les atouts de cette technique de valorisation des déchets tout en illustrant cette présentation à l'aide d'une application industrielle éprouvée.
Dans le cadre des projets de valorisation de leurs déchets, on observe actuellement une demande croissante des collectivités locales pour une prise en compte plus importante du traitement biologique. Les objectifs gouvernementaux et réglementaires vont dans le même sens (circulaire Voynet d'avril 1998). Une autre circulaire destinée à promouvoir la valorisation biologique des déchets doit paraître très prochainement. Par ailleurs, l'ensemble de nos concitoyens est également très demandeur de filières de traitement permettant de valoriser les différents composants des déchets dans les meilleures conditions pour l’environnement.
Toutes les conditions sont réunies pour un fort développement du traitement biologique de nos déchets. Techniquement, il peut être réalisé de deux manières : par compostage ou par méthanisation.
Celle-ci est apparue pour le traitement des déchets ménagers à la fin des années 80 et a connu quelques déboires d’ordre technologique qui ont freiné son développement commercial.
Depuis 6 à 7 ans, les différentes technologies de méthanisation ont bien évolué et on trouve maintenant sur le marché des procédés fiables et éprouvés qui rendent tout à fait attractif ce mode de traitement.
État des lieux de la méthanisation :
À la différence du compostage, réalisé par
voie aérobie, c’est-à-dire en présence d'air, la méthanisation se déroule en milieu anaérobie, c’est-à-dire en l'absence d’air. Cette transformation biologique est réalisée par différentes bactéries qui vont permettre de stabiliser la matière organique contenue dans les déchets, voire dans certains cas, de l’hygiéniser, et de produire un biogaz facilement valorisable (réf ©).
Pour assurer ce mode de fermentation, il existe plusieurs types de procédés qui vont différer par la mise en œuvre de la digestion.
« La teneur en eau du substrat pendant la fermentation varie selon les technologies utilisées. On distingue ainsi les procédés secs ou humides, la limite entre les deux se situant vers 15 à 20 % MS. Les procédés humides conviennent plutôt pour des déchets à forte teneur en eau. Les progrès technologiques accomplis en matière de brassage et de manutention de produits plus secs ont permis un fort développement de cette autre catégorie de procédés. Dans le cas des déchets ménagers, ce sont par conséquent des procédés secs qui sont utilisés dans la grande majorité des installations récentes et qui ont en général la faveur des décideurs.
« La température du substrat dans le réacteur est un autre paramètre de fonctionnement. Dans la plupart des procédés, les conditions de température sont soit mésophiles (25 °C à 40 °C), soit thermophiles (45 °C à 60 °C). Les procédés thermophiles tendent à s’imposer car à ces niveaux de température, les micro-organismes pathogènes sont détruits, ce qui évite une étape complémentaire d’hygiénisation, nécessaire dans le cas des procédés mésophiles. D’autre part, en milieu thermophile, la cinétique des réactions de dégradation de la matière organique est plus élevée.
- * Selon les procédés, la méthanisation peut se dérouler en une ou deux étapes. Dans ce dernier cas, l’acidification et la méthanisation proprement dite sont effectuées dans des réacteurs séparés. De nombreux travaux ont été menés dans ce domaine. Ils montrent que l’ensemble du traitement peut être réalisé dans le même réacteur et qu’il existerait même une certaine interdépendance biologique entre ces étapes de la fermentation, justifiant l’intérêt d’une digestion mono-étagée. Ces conclusions simplifient grandement la conception du procédé.
- * Enfin, le mode de fonctionnement dans le digesteur peut être effectué en batch, c’est-à-dire en discontinu, ou de façon continue, dans des réacteurs en mélange total ou en flux piston. Le mode discontinu n’est plus utilisé de nos jours que dans quelques cas isolés.
Selon les procédés utilisés et le degré de stabilité recherché, le substrat déshydraté après digestion doit subir une maturation plus ou moins longue en phase aérobie. Cette étape est absolument nécessaire pour les procédés mésophiles.
Le biogaz produit contient 55 à 60 % de volume de méthane (CH4), le reste n’étant principalement que du gaz carbonique (CO2). Ce biogaz peut être valorisé de différentes façons :
- * Pour produire exclusivement de la chaleur, il sera brûlé dans une chaudière ou utilisé comme apport d’énergie dans un four.
- * En alimentant un moteur à gaz, il permettra la production simultanée de chaleur et d’électricité (cogénération). Ce mode de valorisation est le plus fréquent.
- * Enfin, moyennant un traitement complémentaire consistant d’une part à extraire le gaz carbonique et donc à concentrer le méthane, et d’autre part à éliminer les composés indésirables (sulfure d’hydrogène H2S, polluants organiques présents en très faible dose), le biogaz peut être utilisé comme carburant automobile ou injecté dans le réseau. La capacité des unités de méthanisation existantes peut atteindre 100 à 120 000 tonnes/an. Cependant, 75 % des installations en fonctionnement en Europe traitent annuellement moins de 25 000 tonnes/an (réf ©), ce qui correspond tout de même à une population d’environ 200 000 habitants dans le cas d'une collecte séparative de déchets fermentescibles.
Par ailleurs, beaucoup de collectivités commencent à s'intéresser à la méthanisation pour la réhabilitation de leurs installations de compostage, en particulier pour des petites et moyennes capacités (10 à 20 000 t/an).
Les atouts de cette technologie
La méthanisation des déchets ménagers a de nombreux atouts, et cela, dans différents domaines :
L’environnement
« La méthanisation est adaptée pour traiter une large gamme de déchets organiques. En effet, de par son principe, elle peut accepter des déchets très humides comme c’est le cas de certaines fractions fermentescibles de déchets ménagers ou de déchets d'origine agro-alimentaire ou commerciale (70 % d’humidité). De tels déchets ne pourraient pas être traités par compostage sans un apport complémentaire de produits structurants. De plus, ces déchets ayant en général une teneur en azote élevée (présence de pro-
téines), leur compostage pourrait générer des nuisances olfactives importantes.
Pour ce qui concerne les déchets plus secs, leur traitement ne pose pas de problèmes particuliers puisqu’il suffit alors de les humidifier.
Environ 75 % du tonnage traité par méthanisation en Europe provient de la collecte séparative de déchets fermentescibles, le reste étant des déchets “gris” (fraction restante des ordures en mélange après collecte multi-matériaux) (réf.). Le tonnage de déchets “gris” ainsi traité tend à augmenter chaque année en proportion de l'ensemble des déchets. Le traitement de déchets “gris” nécessite un prétraitement, voire un affinage plus complet que dans le cas de déchets fermentescibles.
- * Comparée au compostage, la méthanisation permet de réduire sensiblement la durée du traitement pour un résultat identique en termes de qualité du compost. Ainsi, un compost obtenu après un traitement aérobie de 6 à 7 semaines a le même degré de stabilité qu'un digestat après 3 à 4 semaines de méthanisation (maturation incluse). Cette réduction permet de concevoir des unités de méthanisation beaucoup plus compactes que dans le cas du compostage à capacité égale. Ce taux de réduction varie de 3 à 4,5 selon le type de la taille des installations.
La compacité des installations de méthanisation et la maîtrise des odeurs due principalement au fonctionnement en réacteur fermé et au principe même de la digestion facilitent leur insertion dans l'environnement.
« La méthanisation est également une solution élégante pour la stabilisation biologique de déchets avant leur mise en centre de stockage. Cette technique permet d’extraire la matière organique fermentescible sous forme d'un biogaz valorisable énergétiquement et d'un digestat stabilisé. On observe de plus en plus fréquemment cette nouvelle méthode de traitement en particulier en Allemagne.
- * Le coût du traitement par méthanisation est attractif notamment par rapport à l'incinération. Sans tenir compte des possibilités de subventions pour ce mode de valorisation des déchets, on peut en effet estimer ce coût compris entre 300 et 400 FRF/t pour traiter 15 000 à 30 000 t/an. Il est sensiblement le même dans le cas du compostage, mais la répartition des charges est différente. Le montant de l'investissement d'une unité de méthanisation est en général plus élevé mais les recettes de la vente d’énergie (chaleur et/ou électricité) réduisent le coût final du traitement.
- * Les différentes filières traditionnelles de traitement ont fait l'objet d'écobilans relativement poussés (réf.). Ces écobilans sont beaucoup plus favorables aux traitements biologiques qu’à l'incinération. Par ailleurs, sur la plupart des critères (effet de serre, éléments traces, énergie renouvelable…), la méthanisation apparaît comme étant la solution la mieux adaptée pour le traitement des déchets.
L’énergie
« Les réactions de dégradations de la matière organique produisent pendant la digestion anaérobie un biogaz qui est une énergie renouvelable facilement réutilisable avec un rendement très élevé (85 %). La quantité de biogaz par tonne traitée en digestion varie en fonction de la nature des déchets entrants, et en particulier de leurs teneurs en matière organique dégradable : elle se situe entre 85 Nm³ pour un mélange à base de déchets verts à 170 Nm³ pour de la fraction fermentescible des ordures ménagères avec peu de déchets verts. Sur la base d'un PCI du biogaz de 5,8 kWh/Nm³, cela représente une énergie comprise entre 500 et 1000 kWh/t.
- * Dans la plupart des cas, cette énergie est valorisée sous forme de chaleur et d’électricité avec un rendement de l’ordre de 85 %. La chaleur est réutilisée en partie pour les besoins du process, l’excédent peut être revendu à un industriel.
L’électricité est reprise par EDF à environ 30 c/kWh. Les conditions de reprise vont évoluer d'ici fin 2001. Sur les aspects techniques, un projet de décret est en cours de finalisation pour faciliter le raccordement au réseau des petites puissances (< 250 kW). Par ailleurs, des négociations sont en cours actuellement pour relever sensiblement le prix du rachat du kWh produit par ce type d'énergie renouvelable.
- * Un autre débouché est promis à un bel avenir : il s’agit de la production de carburant pour véhicules. Ce mode de valorisation est intéressant pour les collectivités locales notamment pour leurs flottes captives que sont les bus, les bennes de collectes ou les véhicules municipaux. Pour des unités de méthanisation traitant 15 000 à 20 000 t/an, l'unité de fabrication de carburant est amortie en 4 à 5 ans. Cette même installation permettrait ainsi à 2 000 voitures de parcourir 7 500 à 10 000 km/an :
Par ailleurs, ce carburant est beaucoup plus propre que l’essence ou le diesel et limite donc l'usure du moteur. Pour cette même raison, les émissions atmosphériques sont
extrêmement faibles en comparaison avec les normes EURO actuelles et futures (réf.). Selon les polluants considérés, cette réduction se situe entre 76 et 97 %. Enfin, il faut rappeler que ce carburant est neutre vis-à-vis de l’effet de serre puisque le carbone utilisé provient de la biomasse.
Agriculture
Après maturation, le digestat, plus ou moins affiné selon son débouché en agriculture, est un véritable amendement organique au même titre que le compost. Leurs caractéristiques physico-chimiques et agronomiques sont d’ailleurs assez proches.
Toutefois, compte tenu du process de digestion (teneur en eau minimale de 65 %), on note une baisse de la salinité et de ses teneurs en métaux lourds par rapport au compost aérobie. Une partie de ces composés se trouve en effet dissoute dans les eaux de procédé. Le digestat sera plus volontiers utilisé dans des domaines tels que le maraîchage.
Un exemple d’application industrielle : le procédé Kompogas
Ce procédé de digestion anaérobie de déchets organiques a été développé au début des années 90 par la société suisse W. Schmid. C’est certainement la technologie la plus référencée en Europe avec 19 installations.
Ce procédé fonctionne en voie sèche, en continu et dans des conditions thermophiles et comporte les principales étapes de traitement suivantes :
Un prétraitement est généralement nécessaire d'une part pour réduire la granulométrie des déchets et donc faciliter leur dégradation par les micro-organismes pendant la digestion, d’autre part pour éliminer les éléments indésirables éventuellement présents (ferrailles, plastiques, verre…).
Ce prétraitement est conçu en fonction de la nature des déchets bruts.
* une fois préparés, les déchets sont ensuite stockés dans un silo tampon pour assurer une alimentation régulière du digesteur, 24 h/24, toute l'année. Ceci permet de produire en permanence un biogaz constant à la fois en qualité et en quantité. Lors de ce stockage intermédiaire, le produit subit déjà le début de la phase d'acidification.
* les déchets sont humidifiés avec de l'eau de pressage et du digestat extrait en sortie de réacteur pour faciliter le démarrage de la fermentation. Le mélange est introduit par pompage via un échangeur de chaleur vers le digesteur.
* la digestion s’effectue pendant 15 à 20 jours. Le réacteur présente la particularité d’être horizontal et de fonctionner en flux piston.
Cette conception garantit le temps de séjour des déchets dans le digesteur et assure un déroulement bien séquentiel de la digestion.
* à la sortie du réacteur, le digestat doit être déshydraté avant de subir une maturation aérobie dont la durée et la technologie vont dépendre du degré de stabilisation recherché et du tonnage à traiter.
* le biogaz produit est le plus souvent valorisé dans une unité de cogénération. Kompogas a développé et breveté un procédé de fabrication de carburant pour véhicules à partir du biogaz. Cette technique est en fonctionnement sur plusieurs unités de méthanisation en Suisse et permet d’alimenter des bus et des voitures particulières.
À l’aide de ce même procédé, il est également possible de produire un biogaz suffisamment propre pour être réinjecté dans le réseau. Cette filière de valorisation sous forme de carburant, unique en Europe à partir de déchets ménagers, rencontre un vif succès dans plusieurs pays et est amenée à fortement se développer dans les années à venir.
Le procédé Kompogas compact est une variante beaucoup plus simple de cette tech-
... technique qui s’adresse plus particulièrement aux unités de petite et moyenne capacité (5 à 20 000 t/an) et qui s’intègre parfaitement dans des projets de réhabilitation d’usines de compostage existantes.
Le passage de la théorie de la méthanisation des déchets ménagers à sa pratique industrielle aura nécessité quelques années de recherche, de développement et de mise au point pour qu’aujourd’hui des technologies puissent être présentes sur le marché avec des références sérieuses et une expérience solide. Grâce à tous ces efforts, cette technique, qui présente de nombreux avantages en comparaison de celles actuellement utilisées, revient en force en France et en Europe. L’importance et la taille des projets et des réalisations montrent bien qu’il ne s’agit pas que d’un simple effet de mode !
Références bibliographiques
© I. Vendeuvre, J.-P. Levasseur, « Bases et techniques des traitements biologiques », Conférence AGHTM/ISWA « Déchets, une solution pour demain : les procédés biologiques », Paris, 11-12 mars 1999.
© C. Couturier, « La méthanisation des déchets ménagers et assimilés », Éditions Solagro, 2000.
© L. De Baere, « Anaerobic digestion of solid waste – state of the art », II International Symposium on Anaerobic Digestion of Solid Waste, Barcelone, 15-17 juin 1999.
© W. Edelmann, K. Schleiss, A. Joss, « Ecologic, energetic and economic comparison of anaerobic digestion with different competing technologies to treat biogenic waste », II International Symposium on Anaerobic Digestion of Solid Waste, Barcelone, 15-17 juin 1999.
© J.-P. Levasseur, « L’expérience de Kompogas pour la valorisation du biogaz comme carburant pour véhicules », Biometa 2000, Barcelone, 30-31 octobre 2000.
© R. Leisner, « Biodegradable waste treatment by digestion in industrial scale plants », ISWA Yearbook 1998/99.