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Les wateringues : des territoires menacés ?

30 mars 2012 Paru dans le N°350 à la page 94 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Entièrement façonnés par l'homme à l'issue de quinze siècles d'histoire, les wateringues représentent un patrimoine culturel et naturel exceptionnel. Produit de l'action conjuguée de l'homme et de la nature, ils se présentent comme une zone d'équilibre fragile entre terres agricoles fertiles et zones humides naturelles. Un équilibre qui n?est maintenu que grâce à une parfaite maîtrise de l'eau'

Situés en Flandre maritime et protégés par un mince cordon dunaire, les wateringues représentent un vaste triangle d’environ 900 km² dont les sommets sont matérialisés par Dunkerque, Calais et Saint-Omer. Près de 100 000 hectares de basses terres qui se trouvent sur l’embouchure de la rivière Aa, fleuve côtier désormais canalisé.

Les wateringues, des « cercles d’eau » ou water-rings, sont parcourus par des chemins d’eau, les watergangs, qui déroulent plus de 1 600 km de canaux de drainage ou d’irrigation. Le tout est situé à une altitude moyenne inférieure au niveau de la haute mer, de sorte qu’à l’origine, plus de 60 km de littoral se trouvaient submergés à chaque marée sur une profondeur pouvant atteindre 15 km. Produits de l’action conjuguée de l’homme et de la nature, les wateringues se présentent donc comme une zone d’équilibre fragile entre terres agricoles fertiles et zones humides naturelles. Cet équilibre n’est maintenu que grâce à une parfaite maîtrise de l’eau. Mais cette maîtrise est le fruit de savants compromis entre agriculteurs, mariniers et

[Photo : Les wateringues, des « cercles d’eau » ou waterrings, sont parcourus par des chemins d’eau, les watergangs, qui déroulent plus de 1 600 km de canaux de drainage ou d’irrigation.]

propriétaires fonciers. L'ensemble du dispositif hydraulique, bâti et perfectionné au fil des siècles, représente les différentes facettes de cette maîtrise.

Évacuer les crues à la mer, faire barrage aux entrées d'eau marine à marée haute, maintenir le plan d'eau à niveau constant en période humide, retenir l'eau douce en période sèche, et permettre la navigation sur les canaux principaux, telles sont les préoccupations des 430 000 habitants des wateringues.

Un passé mouvementé

Les premières tentatives d'assèchement débutèrent au VIIᵉ siècle mais ce n'est qu’au XIIᵉ siècle que furent entrepris les premiers grands travaux de protection contre la mer. Un préalable pour la mise en valeur de cette région dont l'altitude varie entre –2 et +5 mètres par rapport au niveau de la mer. C’est Philippe d’Alsace qui, par ordonnance de 1169, décide l'assèchement du littoral. Il commence par définir avec précision la « Terra nova », c'est-à-dire la « terre qui sera soustraite à l'impétuosité des flots de la mer et des inondations par l'homme et avec ses deniers ».

Il divise ensuite le territoire en wateringues dont il confie l'administration aux abbés des abbayes de Saint-Omer, Furnes, Dunes et Bergues.

Après la construction de la digue entre Dunkerque et Gravelines par Jean-sans-Peur, l'abbé de Saint-Omer envoie des ingénieurs en Hollande étudier le système employé pour assécher les polders. C’est l’origine, dès 1426, du premier dispositif de pompage avec l'installation d'un moulin d’épuisement.

L'organisation des wateringues va peu à peu se perfectionner au fil des siècles malgré de nombreux retours en arrière provoqués par les inondations stratégiques que les militaires utiliseront de manière récurrente, ruinant le pays pour tenter de vaincre l’ennemi. C’est le cas en 1658, quand les Français partent à la conquête de Dunkerque : les Espagnols provoquent des inondations pour se protéger. La même mesure défensive est adoptée en 1793 quand la ville est menacée par l’armée anglo-hanovrienne. Puis à nouveau en 1914, 1918, 1940 puis 1944 lorsque les Allemands inondèrent la zone dès le 6 juin pour prolonger le Mur de l'Atlantique et faire face au débarquement.

Mais d'autres dangers guettent les wateringues, notamment les risques de submersion marine lors de violentes tempêtes qui provoquent la rupture des digues. Celles du 1ᵉʳ mars 1949 puis celle du 1ᵉʳ février 1953 resteront gravées dans la mémoire collective : des brèches dans la digue de l'Est ayant entraîné une entrée d’eau de mer par le canal exutoire et l’inondation de plusieurs quartiers d’habitation. Enfin, les crues décennales constituent un autre péril nécessitant l'intervention soutenue de stations de pompage.

Au plan administratif, la Révolution française aura pour effet, entre autres, de démanteler l’organisation des sections de wateringues et d’y substituer une division administrative par départements. Malheureusement, cette nouvelle organisation se révélera incapable de financer et de maintenir les équipements nécessaires à l’équilibre de cette zone fragile. Sous l'Empire, elle sera modifiée sous une forme proche de ce qu'elle est aujourd'hui.

Un avenir incertain

En 1974 puis 1975, des crues sévères occasionnent des dégâts considérables notamment dans le marais audomarois. Elles vont conduire les conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais à créer, en 1977, une institution interdépartementale chargée de réaliser des ouvrages d’évacuation de ces eaux à la mer puis d’assurer la gestion de 12 stations de pompage.

Le territoire des wateringues est alors divisé en 13 sections, 5 dans le Nord et 8 dans le Pas-de-Calais.

[Photo : Le système hydraulique des wateringues fonctionne gravitairement lorsque les niveaux le permettent. Mais le recours aux stations de pompage est de plus en plus fréquent.]
[Photo : Les portes de l’ouvrage Tixier Dunkerque sont ouvertes à marée basse pour permettre l’évacuation des eaux de ruissellement et fermées à marée haute pour empêcher la submersion d'un territoire situé sous le niveau des hautes mers.]

Pas-de-Calais. Les associations de propriétaires fonciers doivent s’acquitter d'une taxe d’asséchement et assurer l'entretien du réseau de watergangs (1600 km) ainsi que la création et la gestion d'une centaine de stations de relèvement intermédiaires. Dans la région de Dunkerque, l'évacuation des eaux de l'arrière-pays est assurée par le canal exutoire des wateringues, par l'intermédiaire de l'ouvrage Tixier comprenant cinq pertuis fermés par des vannes, ouvertes à marée basse et fermées à marée haute. Au fil du temps, les stations de pompage vont être modernisées : toutes sont aujourd’hui automatisées et équipées de postes de supervision.

Mais les inondations de 2000, 2001, 2002 et 2009 vont, une fois encore, rappeler aux uns et aux autres la vulnérabilité de la zone des wateringues. Et conduire les élus locaux et les représentants de l'État à une réflexion sur la manière d’optimiser son fonctionnement. Conséquences du changement climatique, des précipitations de plus en plus fréquentes et violentes soumettent le réseau des wateringues à rude épreuve. Les derniers travaux d’envergure remontent à 1995 et la capacité des 12 stations de pompage principales, jusqu'à 120 m³ par seconde au total, s'avère très insuffisante.

En 2010, les différents acteurs du dossier vont parvenir à un premier consensus sur le montant de l’engagement financier nécessaire au fonctionnement des wateringues : entre 7 et 9 millions d’€ par an. Une modification du mode de gouvernance sera également évoquée avec la création éventuelle d'un syndicat mixte, permettant une meilleure coordination des acteurs et la mutualisation des moyens. L'avenir des wateringues repose aujourd'hui sur la recherche de solutions visant à accroître son efficacité en prévision du réchauffement climatique et de la montée du niveau des mers. Seule la pérennisation des investissements dans le cadre d'une gouvernance rénovée permettra d’éviter une catastrophe majeure. Et de sauver les wateringues et ses habitants...

[Photo : Les inondations de 2000, 2001 et 2009 vont, une fois encore, rappeler aux uns et aux autres la vulnérabilité de la zone des wateringues. Et conduire les élus locaux et représentants de l'État à une réflexion sur la manière d’optimiser son fonctionnement.]
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