Mesurer, contrôler, réguler : il existe toujours une solution « ultrasons ». Sans reprendre en détail la longue bibliographie concernant le sujet, nous nous proposons de faire connaître à nos lecteurs dans le présent article les modalités pratiques de la mesure des débits liquides au moyen des ultrasons.
BREF RAPPEL DES PRINCIPES
Considérons deux sondes à ultrasons S₁ et S₂, alignées et servant alternativement d’émetteur et de récepteur, telles qu’elles sont représentées sur les figures 1a et 1b, donnant l'exemple d’installations comportant des sondes disposées soit à l'intérieur, soit à l’extérieur des conduites (les secondes faisant appel à la réfraction des ondes).
Les sondes étant disposées dans le sens de l’écoulement, la composition des vitesses du son et du milieu porteur provoque une dissymétrie des temps de parcours entre les ondes de sens inverse à l’écoulement, ce qui permet de déterminer le débit du fluide au moyen de la formule ci-après, dans laquelle on a :
R = nombre de Reynolds Q = débit Ø = diamètre C = vitesse du son Vᵢ = vecteurs vitesse de l’écoulement D = distance axiale des capteurs
ΔT = t₁,₂ − t₂,₁ = −2 Σ Vᵢ × D / C² = f (R, Q, Ø, C)
avec, pour les sondes intérieures :
T = t₁,₂ + t₂,₁ = 2 √(ز + D²) / C (calcul pour sondes intérieures)
I, mesure de l’intensité de sortie, est donnée par le rapport :
ΔT / T² = f (Q, Ø) = K × débit
qui permet de définir le débit, K étant un coefficient constant de proportionnalité caractérisant le capteur.
La mesure de débit est généralement conditionnée sous forme de sortie d'un courant 4-20 mA proportionnel. L'affichage numérique à lecture directe est possible ainsi que la totalisation des volumes écoulés.
Le traitement électronique des signaux ultrasonores peut être effectué par mesure directe du temps (méthode la plus souple), par mesure de phase (méthode la plus sensible) ou par mesure de fréquence. Il en ressort un procédé de mesure des débits qui reste linéaire, avec une précision meilleure que 1 %, même si le nombre de Reynolds évolue dans un rapport de 1 à 10. La mesure est assurée dans les deux sens.
Le capteur n’amène généralement pas de perte de charge.
MODES D’INSTALLATION DES SONDES
Les sondes peuvent être mises en place suivant diverses modalités, en fonction des mesures à effectuer ; nous les décrirons ci-dessous.
1) Mise en place de sections calibrées ou manchettes
Souvent réservées aux petits diamètres (inférieurs à 150 mm) avec un coût d’insertion faible, elles correspondent à des critères définis (photos) :
- tenue en pression (jusqu’à 500 bars) ;
- tenue en température (jusqu’à ± 200 °C) ;
- résistance aux agents chimiques (aciers spéciaux, PVDF...).
La figure 2 donne un exemple d’application dans le traitement de l’eau, où l’on a utilisé une manchette en PVC pour mesurer le débit d’injection d’eau de Javel suivant le taux de traitement désiré ; le débit normal de 10 l/h à 1 m³/h avec une précision meilleure que 2 %. Cette grande sensibilité est obtenue par dérivation du débit dans une section rétrécie.
2) « Piquages » sur une conduite en charge en acier ou en fonte
Cette méthode, qui est utilisable jusqu’à des pressions de 80 bars, est pleine d’avantages : la production n’est pas interrompue, les risques de casse sont quasiment nuls et le système peut être étalonné in situ avec une précision supérieure à 2 % par simulation des données géométriques et hydrauliques, en tenant compte des erreurs de montage.
La technique de pose est simple :
- soudage de deux bossages ou mise en place de deux colliers de prise en charge placés comme sur la figure 1, à gauche, avec généralement d = Ø, les sondes ayant leur face sensible inclinée à 45° ;
- montage des vannes ;
- mise en place de la machine à percer et perçage en charge, démontage de l’outil ;
- montage des supports de sondes et insertion de celles-ci.
Le temps requis est de l’ordre de deux heures.
Ce type d’équipement connaît un grand succès dans le domaine de l’eau et tend à remplacer les débitmètres mécaniques ou électromécaniques dès que le diamètre des conduites dépasse 200 mm. En effet, le prix d’une installation est indépendant du diamètre ; le calibre du mesureur n’est pas figé et peut être adapté aux évolutions futures du réseau. Son absence de perte de charge et sa mesure à double sens sont d’autres avantages. Nous citerons parmi les utilisations les plus courantes :
- le comptage d’eau brute ou traitée ;
- le pilotage des processus de traitement ;
- la surveillance des réseaux de distribution, avec alarme de survitesse.
3) Piquages hors charge
L’installation décrite ci-dessus peut bien sûr être effectuée hors charge en gardant la possibilité future de retirer les sondes en charge. Cette possibilité est aussi offerte par la mise en place de « doigts de gant ».
Par contre, l’installation sur tuyaux en béton doit être exécutée hors charge, le procédé usuel étant le suivant :
- mise hors eau pendant 10 heures environ ;
- traçage, puis perçage par carottage ou par fusion à l’aide d’une lance thermique ;
- scellement des bossages à l’aide d’un ciment époxy (figure 4).
4) Mise en place de sondes extérieures à la conduite (procédé clamp-on)
Cette méthode est largement utilisée dans le domaine pétrolier et remplace avantageusement les systèmes ponctuels du type moulinet ou différence de pression (figure 1b). La mise en œuvre est immédiate et permet une précision de mesure meilleure que 3 %.
La procédure d’installation comporte trois étapes :
- une phase de calcul prenant en compte les dimensions de la conduite, les divers angles de réfraction, l’échelle de débit désirée et la nature du liquide à mesurer ;
- — une simulation en laboratoire des grandeurs calculées ;
- — la mise en place des sondes aux cotes calculées ; ces sondes seront couplées et sanglées à la conduite.
Cette application est toutefois limitée aux conduites peu encrassées ou entartrées et les conduites en fonte ou en béton en sont exclues (en cas de doute sur les conditions de mesure, un rapide essai de faisabilité est recommandé).
Il existe des versions portables adaptées pour une mise en œuvre très rapide (en moins de deux minutes) ; le CEA utilise de tels systèmes pour le contrôle du débit dans des tuyauteries en inox et dans une gamme de diamètres allant de 15 à 200 mm.
Cette technique permet aussi les mesures sur des conduites à haute température (jusqu’à 300 °C).
5) Installation dans les collecteurs d’effluents d’eaux usées ou d’eaux de pluie
Les conduites en charges seront équipées par piquage ; mais, d'une façon générale il s'agit de conduites non remplies, à faible pente et très ramifiées, ce qui présente les inconvénients suivants :
- - l'influence de l'écoulement aval interdit de déduire le débit d’une mesure de niveau ;
- - les perturbations hydrauliques et le manque de sections droites ne permettent pas d’obtenir une mesure précise par différence de hauteur amont/aval du plan d'eau ;
- - la mise en place d’une section calibrée serait trop coûteuse et provoquerait des pertes de charge gênantes.
Il reste donc à mesurer conjointement la vitesse de l’effluent et sa hauteur, puis à calculer le débit.
La mesure de hauteur est généralement effectuée par mesure de pression ; elle peut aussi être issue d'un système à ultrasons avec sonde, soit immergée soit extérieure, et visant le plan d’eau.
Les ultrasons permettent la mesure de vitesse moyenne sur un ou plusieurs plans, afin d'intégrer au mieux les évolutions hydrauliques depuis le flot de temps sec jusqu’aux crues.
L'installation préconisée est la suivante :
- - dérivation des eaux pendant 3 h minimum ;
- - perçage de deux trous en paroi ;
- - positionnement des sondes à l'aide de l'outillage représenté sur la figure 5 ;
- - scellement par mortier rapide ;
- - lissage autour des sondes pour éviter l'accrochage des corps flottants.
L'expérience d'une centaine d'installations dans la région parisienne permet d'affirmer que l'encrassement des capteurs n’a aucune influence sur la qualité de la mesure de vitesse (ce qui n'est pas le cas des systèmes mécaniques ou électromagnétiques). La mesure peut quelquefois être perturbée lors de crues au cours desquelles l'effluent devient trop chargé en bulles d’air ou en sable. Dans ce cas, il convient de combiner la mesure précédemment décrite avec une autre mesure à ultrasons analysant la vitesse des particules par effet Doppler. Le système devient donc très fiable.
Les mesures par ultrasons, qui dans une première phase ont servi à la mesure des vitesses dans les canaux, se sont révélées indispensables dans les programmes d’automatisation des réseaux collecteurs d’eaux usées.
6) Courantométrie des rivières et canaux
Cette application est proche de la précédente et permet l'étude des rivières, le contrôle dynamique des stockages d’eau, la mise en place de stations d’analyse de pollution...
Sauf dans le cas particulier de sections cimentées (passage sous un pont), les sondes sont attachées à des pieux préalablement battus et qui servent à la fois de support et de protection.
Un exemple de réalisation est celui du dispositif de mesure de la vitesse d’écoulement et du débit de la Marne, mis en place à Gournay-sur-Marne en amont de l'usine de Neuilly-sur-Marne du Syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les Eaux (Compagnie Générale des Eaux, régisseur), dans lequel deux pieux placés sur la rive gauche reçoivent les sondes et un pieu implanté sur la rive droite reçoit un réflecteur. Le trajet des ultrasons permet une double intégration des vitesses d’écoulement. Trois niveaux de sonde sont installés afin de permettre une meilleure mesure lors des crues. La mesure de hauteur du plan d'eau, également à ultrasons, détermine le nombre de plans de mesure à interroger.
CONCLUSION
Cet article, limité aux problèmes de la mesure du débit des liquides, est trop court pour permettre de décrire toutes les applications des ultrasons en ce domaine (les possibilités prometteuses de mesure des débits gazeux n’ont pas été évoquées).
Beaucoup de progrès peuvent encore intervenir au fur et à mesure de l'affinage des techniques à la suite de leur confrontation aux problèmes posés par les utilisateurs.