Your browser does not support JavaScript!

Les techniques spéciales de génie civil appliquées à la protection de l'environnement

28 juillet 1989 Paru dans le N°129 à la page 30 ( mots)
Rédigé par : D GOUVENOT, A CHEREL et A BOUCHELAGHEM

Pour lutter contre la pollution des sols et des eaux souterraines, le confinement et la décontamination sont les deux techniques de référence. Dans cet article, nous présenterons la solution du confinement, solution qui consiste à isoler la source de pollution du milieu extérieur et qui peut être obtenue de trois façons différentes :

  • — réalisation d'une paroi étanche ancrée dans un substratum imperméable autour de la zone contaminée,
  • — injection du sol pollué,
  • — enrobage des déchets.

Les matériaux de confinement, appelés « coulis », sont des mélanges fluides à base d'argile et de ciment, ayant la caractéristique de se rigidifier au cours du temps. Ils sont alors stables sous l’action de l'eau et confèrent ainsi à l'ouvrage réalisé une forte imperméabilité.

L'ajout de constituants spécifiques peut leur permettre d’acquérir en outre des caractéristiques de rétention de polluants. Ils prennent alors la dénomination de « coulis sorbeurs » destinés à la protection de l’environnement.

La première partie de notre propos sera consacrée à ces matériaux dont nous détaillerons la composition, ainsi que les propriétés, tant d’étanchéité que de rétention.

[Photo : Figure 1 : Confinement par écran étanche autour d’un dépôt de déchets.]

Dans la seconde partie, nous nous intéresserons aux techniques de mise en place de ces coulis au sein des trois différentes sortes d’ouvrages mentionnés ci-dessus. Nous donnerons aussi des exemples concrets et récents de réalisations.

LES COULIS SORBEURS

Principe

Les coulis sorbeurs sont des coulis classiques à base de liants hydrauliques, fluides au moment de leur fabrication et se rigidifiant au cours du temps.

Aux constituants de base ciment-bentonite, on ajoute des composants spécifiques qui, en plus de caractéristiques propres d’étanchéité et de durabilité, confèrent à ces matériaux des propriétés de rétention vis-à-vis des polluants du sol. Ces composants secondaires peuvent être constitués par des argiles spéciales, des ajouts siliceux ou encore des agents chimiques ciblés. Les résultats obtenus dépendent des mélanges utilisés, eux-mêmes fonction de la nature de la pollution recensée.

Cette nouvelle génération de coulis (Écosol) est susceptible de retenir des polluants tant inorganiques (cadmium,

[Photo : Figure 2 : Rétention du plomb en laboratoire par le coulis ECOSOL.]

plomb, chrome, mercure...) qu’organiques (phénol, solvants chlorés, H.A.P., pesticides, hydrocarbures...).

Propriétés

Trois caractéristiques majeures expliquent l'intérêt de ces coulis.

  • Une forte imperméabilité : par rapport aux coulis classiques, la perméabilité des coulis sorbeurs est nettement diminuée (figure 3) ; deux raisons viennent expliquer cette caractéristique essentielle :

    • une forte teneur en argile,
    • les propriétés hydrauliques des liants dont l'hydratation conduit à la formation de cristaux hydratés insolubles, tels que silicates et aluminates de chaux. Ces cristaux, en se développant et en s'enchevêtrant, forment une matrice solide qui est d’autant plus résistante et imperméable que le rapport ciment/eau est élevé, et qui rend la circulation de fluide difficile, d’où une bonne étanchéité. Les nouveaux coulis sorbeurs sont conçus pour présenter la microstructure la plus compacte possible (figures 4, 5, 6).
  • Une bonne durabilité dans le temps : cette propriété fait logiquement suite à la précédente pour deux raisons :

    • l'étanchéité améliorée limite la circulation de l'eau à travers la microstructure, et réduit de ce fait les risques de dissolution des hydrates,
    • l'hydratation du ciment en présence d'ajouts siliceux conduit à la formation d'aluminates et de silicates de chaux insolubles et entraîne la disparition totale de la chaux libre soluble (figure 5).

Des capacités de rétention : cette caractéristique qui a déjà prouvé, à travers de nombreuses réalisations, l'adéquation des coulis sorbeurs à la protection de l'environnement, englobe trois types de phénomènes selon le type de constituants secondaires considéré.

L'échange cationique, premier phénomène impliqué, concerne essentiellement les argiles dont les cations compensateurs (Ca²⁺, Na⁺) pourront être échangés avec les cations polluants. L'équilibre susceptible de s'établir est fonction d'un certain nombre de variables, telles que la capacité d’échange de l'échangeur, les concentrations respectives des ions en compétition, ou encore le coefficient de sélectivité de l'échangeur.

Le deuxième phénomène jouant un rôle dans les mécanismes de rétention, est la précipitation chimique. L’ajout de produits chimiques sélectionnés dans les coulis bentonite-ciment, conduit à la formation de composés insolubles au contact des cations polluants à retenir, et contribue à diminuer la concentration du polluant dans la solution.

[Photo : Évolution de la perméabilité d’un coulis ÉCOSOL en fonction du temps]
[Photo : Cliché d'une microstructure de coulis classique à l'aide de MEB (G = 7000)]

Caractéristiques

Situation des terrains Superficie m² Épaisseur m Profondeur m Année Maître d’ouvrage Description sommaire
Meadow Lands USA (État de New-York) 11 160 0,90 9 86 Hackensack Meadow Lands Development Commission Slurry trench pour coupure étanche autour d'une décharge d'ordures ménagères
Laramie, Wyoming, USA 32 500 0,90 24 (max.) 86 Canadian Pacific Rail Écran étanche (slurry trench) contre la pollution chimique due au traitement des traverses bois de chemin de fer au créosol
Gand Geuzenhoek, Belgique 21 230 0,08 21,5 88 Ministère Bruggen on Wegen GENT (B) Paroi mince, Écosol, contre la pollution due aux résidus de dragage du canal du Grand Terneuzen
Erpe Mere, Belgique 8 370 0,08 11,5 88 NV Donckaert Stortbemeer (B) Paroi mince, Écosol, contre la pollution d’une future décharge (type 2)
Alost, Belgique 5 900 0,6 16,6 88 Intercom NV (B) Paroi au coulis, Écosol, pour la protection de la nappe phréatique
EMK, Pays-Bas 8 100 0,5 27 88 Provincie Zuid-Holland (NL) Écran étanche, Écosol, contre la pollution due au phénol, naphtaline, benzopyrène

Enfin, on parlera de l’adsorption comme troisième et dernier mécanisme de rétention considéré. Les constituants secondaires impliqués par ce phénomène sont certaines argiles ou des agents spéciaux, mais dans tous les cas, l'adsorption est fonction de la surface spécifique du matériau adsorbant. L’équilibre mis en jeu (figure 6) est attribué à des forces d’interaction entre la surface du solide et le polluant à retenir.

De nombreux tests de rétention ont été réalisés en laboratoire ; ils ont consisté à faire percoler des solutions de concentration connue en polluant à travers des échantillons de coulis de formulation variable, puis à analyser le percolat. Les courbes de rétention de cadmium et de plomb, que nous présentons (figure 7), font apparaître la très nette amélioration apportée par les coulis sorbeurs. L'irréversibilité de la rétention a été démontrée grâce à des essais systématiques de lixiviation conformément à la norme en vigueur.

De plus, de nombreuses réalisations « sur le terrain » selon les techniques de mise en œuvre qui vont être développées ci-dessous confirment l'utilisation de ces coulis comme une solution pour la protection de l'environnement.

[Photo : Cliché d’une microstructure de coulis ÉCOSOL à l'aide de MEB (G = 10000).]
[Photo : Énergies mises en jeu dans les phénomènes d’adsorption au sein d’un coulis ÉCOSOL.]

MÉTHODES D'EXÉCUTION

Parois d’étanchéité

Sous ce vocable sont réunis les procédés qui permettent de réaliser un écran étanche à partir d'une coupure, tranchée ou simple entaille, qui est ensuite remplie par un matériau présentant les propriétés suivantes :

— déformabilité suffisante pour que l'écran puisse supporter des déformations sans se fissurer,

— stabilité et durabilité sous l’action de l'eau de la nappe phréatique qui percole à travers l'écran,

— pour les applications concernant la protection de l’environnement, la perméabilité doit être renforcée, ainsi que la rétention des agents polluants. Ce résultat peut être obtenu soit par l'utilisation des coulis sorbeurs déjà cités, soit par la mise en place d'une membrane dans la paroi.

Suivant la nature du sol, la profondeur à atteindre, la perméabilité résiduelle recherchée, les délais d’exécution, différents types de parois peuvent être réalisés.

La paroi classique en béton :

il s’agit d'une méthode courante pour l’exécution de parois de soutènement dans le génie civil : murs latéraux de tunnels, parkings souterrains, murs de quai, etc. La réalisation d'une telle paroi comporte plusieurs phases (figure 8) :

— creusement sous boue bentonitique à l'aide de bennes hydrauliques ou mécaniques,

— après dessablage de la boue, mise en place des dispositifs de joints,

— substitution de la boue par du béton mis en place par gravité à l'aide de tubes plongeurs.

Pour obtenir une paroi étanche et résistante, pouvant reprendre de fortes poussées, des cages d’armature peuvent être mises en place avant la substitution (béton armé). Si la paroi ne doit pas jouer le rôle d’élément résistant, mais uniquement d'écran étanche susceptible de se déformer en fonction, par exemple, des différentes couches de terrains, la substitution s’effectue avec un béton plastique.

Slurry Trench, ou paroi en bentonite :

cette méthode est couramment appliquée aux États-Unis. La tranchée que dessine le futur écran est creusée sous la boue bentonitique. Le matériau excavé est mélangé avec de la bentonite et reversé dans la saignée quand l’excavation est suffisamment avancée (figure 9). L'épaisseur de la paroi ainsi réalisée varie de 1,5 à 3 m.

Paroi au coulis :

contrairement à la paroi classique en béton décrite ci-des…

[Photo : Percolation de différentes solutions cationiques (Cd, Pb) à travers un échantillon ÉCOSOL.]
[Photo : Schéma d’exécution d’une paroi classique en béton.]
[Photo : Schéma d’exécution d’une slurry trench.]
[Photo : Schéma d’exécution d’une paroi au coulis.]

…sus, et qui se réalise en plusieurs phases, la paroi au coulis permet l'exécution d'un écran étanche et déformable en une seule phase. En effet, le creusement s'effectue sous la protection d'un coulis autodurcissable, à base de bentonite-ciment, qui constituera le matériau définitif de la paroi, d'où suppression de l'opération de bétonnage et économie du procédé.

La réalisation de la paroi se fait en continu, sans joints, comme schématisé sur la figure 10.

Paroi vibrée : son nom tient à son épaisseur, inférieure à 10 cm. Elle est réalisée par mise en place d'un profilé métallique dans le terrain, par battage ou vibrofonçage. L’extraction des profilés libère une empreinte qui est simultanément injectée par du coulis. La progression de l’écran et sa continuité sont dues au déplacement de la machine d'une longueur légèrement inférieure à la longueur du profilé, comme indiqué sur la figure 11.

Contrairement aux procédés d’excavation, le terrain est ici refoulé. De ce fait, la profondeur est limitée : 20 à 25 m avec les plus puissants outillages. L'avantage d’une telle paroi réside dans sa facilité de mise en œuvre et sa rapidité d'exécution. Elle est donc tout à fait appropriée à des problèmes de pollution nécessitant l'isolation rapide d'un site.

[Photo : Schéma d’exécution d’une paroi mince.]
[Photo : Plan d’un stockage stérile à Tilden (USA, Michigan).]
[Photo : Coupe verticale de la digue de rétention à Tilden.]
[Photo : Coupe verticale du confinement de la décharge de Rose Park (USA, Utah).]

Exemples de réalisations concernant la protection de l'environnement

• Tilden Tailings Project 1976-1977 (USA)

Gribben Basin est un bassin de stockage et de décantation de stériles de la mine d'hérotite de Tilden (Michigan, USA). L'aménagement de ce bassin de 240 000 m³ a nécessité la construction de digues de remblais (figure 12).

Il est apparu nécessaire de limiter les écoulements souterrains afin de protéger l'environnement, du fait de la présence de sols hétérogènes très perméables et d'une nappe phréatique très proche de la surface. Ainsi fut-il décidé la construction d'une paroi au coulis ciment-bentonite autodurcissable (figure 13) : épaisseur = 60 cm, profondeur = 25 m, superficie = 51 000 m².

Des contrôles effectués sur des échantillons prélevés intacts dans la paroi ont donné des résultats très satisfaisants : une perméabilité moyenne de 6,6 × 10⁻⁹ m/s et une déformabilité suffisante.

• Rose Park disposal project (1983), Salt Lake City, Utah, USA

La ville de Salt Lake City, en 1976, décida d'aménager et d’annexer à un parc de loisirs voisin un terrain ayant servi de décharge pour les déchets d'une raffinerie de pétrole. Le sous-sol de cette parcelle contenait des résidus chimiques et des détritus divers (barils, tuyaux, etc.). En liaison avec l'Environmental Protection Agency (EPA), la solution suivante fut adoptée : les matériaux ont été enfermés dans une paroi sol-bentonite et le tout a été recouvert de sable, d'une membrane géotextile tissée et d’argile.

Les travaux se sont déroulés en deux phases :

— réalisation d'une paroi en sol-bentonite par la technique « slurry trench » avec excavation à la pelle rétro (figure 14) : longueur : 700 m, profondeur : 9 m, surface : 6 500 m² ;

— réalisation de la couverture (figure 15) : sable, membrane géotextile, argile compactée.

De nombreuses autres références témoignent de l'utilisation des parois d’étanchéité pour lutter contre la pollution des nappes phréatiques, notamment aux USA, aux Pays-Bas et en Belgique pour les réalisations les plus récentes.

Les injections

Ce procédé de traitement des sols, dans lequel le coulis est directement injecté dans les vides du terrain, permet une grande souplesse d’exécution, car il s'adapte parfaitement à toutes les formes géométriques.

Cette technique permet de traiter de grands volumes de terrains afin de les rendre plus imperméables et/ou plus résistants selon l'objectif recherché. L'injection de coulis sorbeurs permet ainsi de conférer des propriétés de rétention à l'ensemble de la zone polluée.

Les écrans injectés sont devenus des réalisations classiques sous les barrages. Il est aussi possible d’injecter suivant un plan horizontal pour créer un fond étanche. Parois d’étanchéité et fonds étanches peuvent ainsi compléter

[Photo : Détail de la couverture du site de Rose Park.]
[Photo : Aménagement du Gabcikovo (Tchécoslovaquie). Coupe de l’enceinte de l’usine.]

Notamment isoler un site du milieu extérieur. À ce titre, l’aménagement de Gabcikovo (82-85, Tchécoslovaquie) représente un record en la matière par les dimensions de l’enceinte étanche réalisée avec un fond injecté de 25 m sous le niveau du Danube (figure 16).

Parmi les réalisations récentes mettant en œuvre des coulis sorbeurs, nous trouvons à Osaka (Japon, 1989) : confinement de la pollution des sols due au ruissellement de solvants chlorés.

Le remplissage et l’enrobage

L’abandon d’installations industrielles, conduites, galeries…, ayant contenu ou contenant encore des déchets dangereux, est aussi un facteur de pollution des nappes phréatiques. Le remplissage des cavités par un coulis sorbeur évite cette contamination.

Le cas s’est présenté lors du démantèlement de la centrale nucléaire de Chinon (France, 1983) où certaines parties n’avaient pu être démontées ni supprimées. Le remplissage des canalisations (figure 17) par un coulis sorbeur (pour les déchets nucléaires) a permis la restitution du site sans risques pour l’environnement.

Une autre façon de tirer parti des capacités rétentrices des coulis sorbeurs consiste à les mélanger directement avec les déchets avant de les mettre en place sur le site de stockage.

Cette technique permet de mettre en décharge certains déchets industriels trop dangereux pour y être stockés sans précautions et ce, sans risques pour l’environnement.

CONCLUSION

Ce rapide aperçu des techniques spéciales de génie civil appliquées à la protection de l’environnement montre bien l’étendue des moyens dont on dispose pour lutter contre la pollution des nappes et des sols.

Ces techniques peuvent être utilisées pour prévenir ou contenir une pollution causée par une installation à risques. Elles sont facilement et rapidement mises en œuvre et peuvent donc servir pour intervenir lors d’un accident écologique. Leur coût est plus faible qu’une solution de décontamination, surtout si la zone à traiter est de grande étendue et que la source de pollution est diffuse et mal isolée. ■

[Photo : Démantèlement de l’usine de Chinon. Plan des canalisations injectées.]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements