« Si la tendance actuelle se poursuit, en l'an 2000 le monde sera plus encombré, plus pollué, moins stable écologiquement parlant et plus vulnérable à l'éclatement... à moins que les nations dirigeant le monde n’agissent de façon décisive pour modifier les tendances actuelles. »
C'est sur cette sombre perspective que se conclut une étude alarmante réalisée à la demande de l'ancien président des États-Unis, M. Carter (1). Celle-ci indique clairement que l'expansion industrielle et l'introduction sans cesse accrue de polluants peuvent entraîner des risques majeurs pour notre environnement. Ce type de rapport, allié aux pressions médiatiques et écologiques intervenant à la suite d’incidents tels que ceux de Bhopal, l'affaire des fûts de Seveso, le naufrage du Montlouis... a conduit la majeure partie des pays industrialisés à adopter ou à renforcer diverses séries de mesures indispensables pour limiter les émissions toxiques d'un grand nombre d’industries de fabrication.
Les normes de rejet
En France, un large débat entre le Ministre de l'Environnement et les industriels, notamment ceux du traitement de surface (secteur responsable d’environ 30 % de la pollution industrielle des eaux), a conduit à la mise au point en 1985 d'une réglementation sur les rejets industriels. Comparativement aux anciennes normes datant de 1972 et 1983, ce nouvel arrêté a été fortement renforcé, comme le montre le tableau 1 (2).
Si de nombreux éléments supplémentaires ont été pris en compte, la concentration maximale (tous métaux confondus) reste identique et la norme de rejet spécifique à chaque élément devient plus faible. On constate également que la somme des normes de rejets des différents éléments métalliques dépasse nettement les 15 mg/l autorisés (il est à noter que dans le cas d’ateliers mettant en œuvre d'importantes quantités d’aluminium, ou décapant beaucoup d’acier, une tolérance jusqu’à 20 mg/l sera admise).
De plus, l'arrêté de 1985 prend en compte le débit maximal par fonction de rinçage pour les ateliers de traitement de surface, à savoir un débit maximal de 8 litres/m² par fonction de rinçage (celle-ci comprend les eaux de rinçage des différentes pièces, les vidanges de cuves de rinçage, les eaux de lavage des sols, les effluents résultant du lavage des effluents gazeux...).
Pour espérer atteindre ces normes, de nombreuses techniques peuvent être mises en œuvre, parmi lesquelles on peut citer :
- — la méthode de précipitation puis sédimentation ou filtration des boues formées,
- — les résines échangeuses d'ions,
- — la cémentation,
- — l’osmose inverse,
- — l’ultrafiltration,
- ...
À ces techniques s’ajoutent les méthodes modernes issues de l’électrochimie. Celles-ci peuvent faire directement appel à un processus de dépollution électrochimique ou encore générer in situ par voie électrochimique des
agents dépolluants, méthodes qui se définissent comme suit :
- — électroflottation,
- — électrodéposition,
- — électrodialyse,
- — électro-électrodialyse,
- — action d’agents oxydants générés électrochimiquement comme le chlore ou l’ozone.
L’électrodéposition
L'électrodéposition est une technique particulièrement bien adaptée au traitement d’effluents chargés en métaux lourds (Cd, Cr, Pb, Zn, Ni, Cu, …) ou en métaux précieux (Au, Ag) ; le métal récupéré à la cathode peut en effet être aisément récupéré, purifié et recyclé.
La dissolution d'un électrolyte dans un solvant conduit à la formation d’espèces chargées soit positivement (cations), soit négativement (anions). Le fait d’appliquer une différence de potentiel entre deux électrodes plongées dans la solution d’électrolyte crée un champ électrique orienté, à l'intérieur duquel se produit un mouvement des ions.
Dans des conditions convenables, les électrons peuvent être apportés (pour effectuer une réduction) ou cédés (pour effectuer une oxydation) au moyen de conducteurs électroniques (généralement des métaux plongeant dans la solution).
Les électrons sont échangés entre le métal et les espèces en solution (ou encore avec le solvant) ; il s’agit de réactions électrochimiques et la transformation de l'espèce est appelée électrolyse. L’électrolyse est obligatoirement réalisée entre deux électrodes qui échangent le même nombre d’électrons. La réaction où s’effectue l'oxydation est appelée anode et celle où il y a réduction est appelée cathode ; c’est à cette électrode qu’un ion métallique se réduit pour donner le métal correspondant.
Différentes applications existent dans le domaine du traitement de surface ; on peut faire à leur sujet les observations suivantes :
- — en matière de récupération des métaux dans les rinçages statiques une cellule placée dans le circuit du rinçage mort permet de voir la longévité de celui-ci augmenter de manière appréciable. Il est également à considérer que l'efficacité du rinçage traité est plus élevée et que la pollution créée par l’entraînement de bain pollué via les pièces rincées est plus faible, d’où diminution de la teneur en métaux lourds en sortie d'usine. De plus, une économie notable peut être ainsi réalisée sur le poste eau ;
- — placée en amont d'une installation de dépollution par résines échangeuses d’ions, une unité d’électrodéposition permet de réduire notablement le coût de fonctionnement (accroissement de la longévité du système entraînant une diminution du poste régénération) des systèmes échangeurs ;
- — la régénération du chrome III en chrome VI peut être effectuée en continu dans un bain sulfochromique d'attaque de matières plastiques ;
- — la récupération par électrodéposition des métaux précieux dans des eaux de rinçage permet la confection de cathodes qui sont ensuite réutilisées comme anodes dans la chaîne de galvanisation (figure 1) (3).
Coût de fonctionnement
Comme pour l'ensemble des techniques épuratoires, un suivi de l'évolution de la concentration de l'effluent est nécessaire. La méthode analytique d’usage simple la mieux adaptée est le dosage colorimétrique par spectroscopie visible de l’élément électrodéposé.
Le changement périodique des électrodes est incontournable dès qu'un dépôt s’y effectue. La périodicité de ce changement dépendra essentiellement de la concentration initiale de la solution.
Le coût énergétique est fonction de l'état initial de la solution (conductivité, concentration de l’élément à électrolyser) et de la concentration finale à atteindre. Il sera d’autant plus important que cette dernière sera plus faible. Si l'on prend l’exemple du traitement d'une solution faiblement concentrée (par exemple 60 mg/l à amener à 2 mg/l) la consommation propre à l’électrolyse est voisine de 3 kWh/m³ de solution traitée. Il va de soi que dans le cas du traitement d'un rinçage statique de type bain mort où l’espèce est fortement concentrée la consommation énergétique est nettement inférieure.
L’électrodialyse
Si l'électrodéposition permet l'élimination de composés dissous en solution, l'électrodialyse constitue avant tout une technique de reconcentration d’espèces ioniques.
Principe
Sous l’influence du champ électrique, on observe une migration des ions présents dans la solution, migration entravée par la présence de membranes sélectives placées perpendiculairement à l'axe du champ électrique orienté. Selon la nature des groupements greffés, les membranes peuvent être de deux types :
- — anioniques, perméables aux anions et imperméables aux cations,
- — cationiques, perméables aux cations et imperméables aux anions.
Si ces membranes sont alternées, un phénomène de concentration-dilution se produit selon le principe illustré par la figure 2.
Les applications de l'électrodialyse
Les applications essentielles de l’électrodialyse concernent le traitement des eaux saumâtres et l’élimination des sels et acides du lactosérum. Citons parmi les applications relatives à l'électrodépollution :
- — le traitement des eaux usées de papeterie (élimination des hypochlorites),
- — le traitement des bains de galvanoplastie (cuivre, nickel, fer, zinc, cyanures, …).
Dans une chaîne de dépôt en traitement de surface, on pourra de même intégrer avec bénéfice une unité d’électrodialyse entre le bain de dépôt et le rinçage statique consécutif, comme il est indiqué sur la figure 3 (4).
Tableau I
Texte de référence | Concentration maximale | Métaux pris en compte |
---|---|---|
Circulaire de 1972 | 15 mg/l | Cd, Cu, Cr, Fe, Ni, Zn |
Arrêté de 1985 | 15 mg/l | Al, Cd, Cu, Cr, Fe, Ni, Pb, Sn, Zn |
Tableau II
Caractéristiques du fonctionnement d’un électrodialyseur Aqualyzer pour la récupération de cyanure de cuivre dans une chaîne d’argenture
Caractéristiques de l'appareil (1981)
Nombre de cellules : 260
Tension appliquée : 195 V (puissance 15,7 kW)
Tension par cellule : 0,75 V
Intensité du courant : 45 A
Quantité de cyanure de cuivre récupérée : 32 kg/j
Rendement de récupération du cyanure de cuivre : 95 %
Coût de fonctionnement annuel (1981)
— dépense énergétique : 9 420 F
— entretien (électrodes, filtres) : 15 600 F
— provision pour renouvellement de membranes (durée de vie 3 ans) : 13 340 F
Total : 38 360 F
Conditions de fonctionnement
Teneur en cuivre (g/l) / Teneur en cyanure (g/l)
Bain de dépôt : 57,1 / 14,7
Circuit concentré (cuve tampon) : 60,3 / 17,15
Circuit dilué (rinçage statique) : 0,69 / 0,34
Coût d'investissement (1981) : 462 600 F
Économies annuelles (1981)
— économies sur le cyanure de cuivre : 202 393 F
— économies sur la détoxication : 329 947 F
TOTAL : 532 340 F
On peut citer sur ce thème l'expérience industrielle menée par la société SRTI avec les établissements Legrand pour la récupération du cyanure de cuivre dans une chaîne d'argenture. Le tableau II donne les caractéristiques économiques de cette opération (5) (6).
L’électro-électrodialyse
Principe
L'électro-électrodialyse combine les avantages de l’électrodialyse et de l'électrolyse. À la migration des ions à travers une membrane sélective (anionique ou cationique) sous l’effet d'un champ électrique s’ajoutent des réactions d'oxydation et de réduction aux électrodes. Si l’électrodialyse est avant tout un procédé de reconcentration, l'électro-électrodialyse permet, grâce à l’action de l’électrolyse, d’éliminer ou de générer certains produits.
La différence majeure entre ces deux techniques membranaires réside dans la non-similarité des cellules unitaires. Dans le cas de l’électrodialyse, la cellule unitaire est composée d'une membrane anionique, d'un espaceur et d'une membrane cationique ; en électro-électrodialyse, elle se compose de deux électrodes (une anode et une cathode), d'une membrane ionique et d’espaceurs. Le choix de la membrane (anionique ou cationique) dépend de la nature de l’espèce à faire migrer.
Les caractéristiques de cette technique présentent de nombreuses similitudes avec celles décrites précédemment pour l'électrolyse et l’électrodialyse ; en effet, les mêmes problèmes de polarisation, de tenue chimique et mécanique de la membrane et de colmatage sont rencontrés. Comme pour l'électrolyse, le choix d'une électrode inattaquable permet d’augmenter la longévité de l’unité. Les électrodes utilisées en électro-électrodialyse sont des électrodes planes de façon à uniformiser les densités de courant.
Les applications
La seule application industrielle connue est la régénération de l'acide chromique par traitement des bains de rinçage en galvanoplastie (figure 4). La membrane utilisée est une membrane anionique qui autorise la migration des ions CrO₄²⁻. Les réactions couplées à ce transfert ionique sont l'oxydation du chrome III en chrome VI à l'anode, et l'élimination du chrome III et des impuretés métalliques présentes dans le compartiment cathodique, par réduction à la cathode.
L’unité d'électro-électrodialyse est placée entre le bain de chromage et le rinçage statique consécutif, ce qui permet, par une injection régulière de solution reconcentrée dans le bain de chromage, un maintien de l'efficacité du bain de galvanisation (figure 5).
D'autres applications font actuellement l'objet d'études : citons parmi elles le traitement des effluents salins avec régénération d’acide et de base. Cette technique nécessite trois compartiments (figure 6) :
- — un compartiment destiné à la reconcentration de l'acide,
- — un compartiment destiné à la reconcentration de la base,
- — un compartiment central où l’effluent salin est progressivement épuisé.
Dans cette application, les problèmes à résoudre sont : la tenue des membranes en milieu acide ou basique concentré et la tenue des anodes en milieu acide oxydant. Si, dans le cas de la membrane cationique, la stabilité chimique de la membrane est connue (les conditions sont similaires à celles rencontrées dans l'industrie du chlore/soude), il en va autrement pour la tenue de la membrane anionique. Ce sont les récents progrès effectués dans ce domaine qui ont réactualisé cette étude.
L'électro-électrodialyse demeure encore un vaste sujet d’expérimentation. Les récents progrès accomplis sur les propriétés et l’efficacité des membranes (sélectivité, longévité, stabilité chimique et mécanique) ainsi que la réalisation de pilotes industriels crédibles devraient permettre à cette technique de prendre son essor en raison du vaste champ d'applications possibles.
Agents dépolluants générés électrochimiquement
L’ozonation
L’ozone est un oxydant chimique puissant (le plus puissant après le fluor) apte à détruire un grand nombre de composés oxydables présents dans les eaux résiduaires. Il convient d'ajouter à cet aspect les effets bactéricides et antiviraux bien connus de ce gaz.
Contrairement à l'utilisation des dérivés chlorés, l'application de l’ozone à la réduction de la demande chimique en oxygène (DCO) ne génère pas de sous-produits chlorés toxiques (3). Le tableau III donne la liste des principaux composés organiques détruits par action de l’ozone. Ce gaz permet également la destruction par oxydation des cyanures (ils sont transformés en cyanates puis décomposés en ammoniac et en gaz carbonique).
Tableau III Exemples de composés détruits par ozonation
Détergents |
Alkyl benzene sulfonate |
Anionic Detergent |
Non-ionic Detergent |
Phénols |
Phenol |
o-, m- et p-cresols |
Cathechol |
Xylenols |
Hydrocarbures chlorés |
Chlorobenzenes |
Pesticides |
DDT |
α-BHC |
Dieldrin |
Malathion |
Methyl parathion |
Aldrin |
Aromatiques |
3,4-Benzpyrene |
Pyrene |
1,2-Benzanthracene |
3,4-Benzfluoranthene |
11,12-Benzfluoranthene |
Biphenyl |
L'ozone est utilisé en très faible concentration (environ 1 ppm) et il est possible d’augmenter l’efficacité du traitement en lui adjoignant un rayonnement ultra-violet. En effet, ce rayonnement catalyse la réaction d’oxydation et, de plus, élimine l’excès d’ozone en solution.
La chloration
La grande question : combien de temps les traitements épuratoires à base de chlore seront-ils encore autorisés ? En effet, le pouvoir chlorant du chlore est supérieur à son pouvoir oxydant, ce qui entraîne notamment la formation de dérivés organiques chlorés (par exemple des trichloroalcanes, des chlorophénols…) présentant des risques sérieux pour la santé. Cela fait que le traitement de l'eau basé sur l'utilisation du chlore tend à être remplacé par des procédés utilisant soit l'ozone, soit le bioxyde de chlore (ce composé ayant un caractère plus oxydant que chlorant) ou encore l'eau oxygénée.
Une des applications du chlore en électrodépollution concerne la destruction des cyanures : en effet, si l'élimination directe par électrolyse est difficile en raison de la lenteur de la réaction, la génération électrochimique de chlore permet, par la formation de radicaux Cl ou ClO très réactifs, une élimination rapide des ions cyanures.
Conclusion
On constate au vu de cette énumération que les techniques électrolytiques sont remarquablement bien adaptées à la réduction de la pollution. Elles offrent des méthodes de séparation ou de reconcentration aisément dimensionnables, généralement peu encombrantes, le tout lié à une facilité et une souplesse d'emploi plus importantes que celles observées avec les techniques traditionnelles.
De plus, ces méthodes permettent une diminution effective de la pollution : elles ne génèrent pas de sous-produits polluants nécessitant des stockages en décharge classée ou d'éventuels traitements extérieurs.
On peut, dans le cas d’installations de dépollution classiques utilisant notamment des résines échangeuses, des méthodes d'évaporation, d’osmose inverse, leur adjoindre avec bénéfice des procédés électrolytiques.
La prise de conscience des pouvoirs publics et des industriels alliée à une évolution de ces techniques assure aux procédés de dépollution électrolytique un avenir riche de promesses.
Bibliographie
1. Global 2000. A report to the President. United Nations Press.
2. G. RICHARD — Ateliers de traitement de surface. La nouvelle réglementation.
3. Association Canadienne de l'Électricité — Incidence des nouvelles technologies et procédés électrochimiques sur la demande en énergie électrique, septembre 1986.
4. EDF/DER — Plaquette : le recyclage des métaux dans les traitements de surface par électrodialyse, janvier 1985.
5. A. BONIN — L’électrodialyse — Techniques de l’ingénieur, J 2840.
6. E. TOURNEUX — Concentration des effluents de rinçage par électrodialyse. Colloque Technologies propres en traitement de surface — Senlis, les 18 et 19 novembre 1982.