Le développement d'organismes vivants permet de disposer des procédés d'épuration les plus performants dans l'élimination de la pollution organique et azotée présente dans l'eau ; il peut également assurer une stabilisation poussée des résidus (boues) séparés du milieu liquide et produits par cette épuration.
Les traitements biologiques présentent trois avantages essentiels :
- — À l'intérieur de certaines limites, le « moyen épuratoire » se développe et s’autorégule en fonction de la nature et de la quantité de pollution à éliminer ;
- — la dégradation et l'élimination des polluants dissous sont possibles ;
- — la quantité de boues (exprimée en matières sèches) est plus faible que celle liée aux autres types de traitement comportant l’ajout de produits non biodégradables.
Mais ces traitements, bien entendu, entraînent leurs sujétions et présentent certaines limites d'application. Les développements réalisés depuis quelques années dans le domaine des cultures fixées permettent d’envisager une extension intéressante des modalités de mise en œuvre de l'épuration biologique. Il est important, en particulier pour les maîtres d'œuvre, d'apprécier correctement ces possibilités.
1. - LES TECHNIQUES D'ÉPURATION PAR CULTURES LIBRES
Les techniques d’épuration biologique généralement utilisées reposent sur le développement d'une flore bactérienne. Dans les procédés les plus fréquemment mis en œuvre, les micro-organismes ainsi que les matières non dissoutes contenues initialement dans l'eau brute demeurent en suspension dans le milieu liquide au sein du réacteur.
Normalement, la production de l’effluent traité entraînera la mise en œuvre complémentaire de procédés de clarification : décantation, flottation, filtration, mais cela n'est pas absolument systématique ; en particulier si le rendement d'épuration souhaité n'est que partiel ou si le taux de dégradation de la masse de matière organique contenue dans le réacteur biologique est très élevé.
La séparation sera facilitée par les phénomènes de « floculation biologique » par lesquels les cellules s'agglomèrent les unes aux autres quand leur potentiel électrocinétique et donc leur niveau d’énergie sont faibles. Cette floculation n'est possible que si la flore bactérienne a largement dépassé sa phase de croissance exponentielle et se trouve en phase de croissance très ralentie.
L'habitude a été prise d'appeler « cultures libres » ces cultures bactériennes restant en suspension dans le milieu liquide. Cette appellation n'est sans doute pas des plus heureuses car le terme de « liberté » ne décrit que, bien mal, le seul aspect physique des phénomènes. Nous la conserverons cependant.
En épuration biologique aérobie, les « boues activées » constituent la famille la plus connue de ces cultures libres. Les procédés les mettant en œuvre comportent une phase de séparation et nécessitent une bonne floculation biologique. « L'âge » des boues
[Figure : Schéma d'épuration par cultures libres avec clarification et recyclage.]Les charges appliquées aux boues activées doivent être élevées ainsi donc que la concentration en micro-organismes de la liqueur ; d'où le double intérêt de la séparation du floc bactérien qui permet également le recyclage de celui-ci dans le réacteur biologique.
Le lagunage est également un procédé typique d'épuration par cultures libres, mais il ne comporte généralement pas de phase de clarification. Cette disposition se justifie alors le plus souvent par les raisons suivantes :
- — l'âge élevé de la culture bactérienne est obtenu essentiellement en adoptant de très grands volumes de réacteur biologique et non pas en augmentant la concentration en micro-organismes dans celui-ci ;
- — ce procédé est le plus souvent adopté pour des rendements d'épuration partiels et la séparation des matières en suspension n'est pas alors indispensable ;
- — cette séparation des matières contenues dans un effluent « laguné » est difficile du fait de la très faible dimension et de la dispersion des particules et colloïdes.
L'une des autres applications les plus intéressantes des cultures libres est celle de la digestion anaérobie des boues de stations d'épuration ou d'effluents très concentrés. Elle permet une excellente dégradation de la matière organique, condition d'une bonne stabilisation. Cette digestion anaérobie peut se mettre en œuvre avec ou sans phase de séparation. La phase de séparation ultérieure ne sera alors intéressante que si la liqueur à traiter est relativement peu concentrée en matières organiques ou si un taux d’épuration exceptionnellement élevé est souhaité avec élimination poussée des matières en suspension résiduelles. Sur des effluents très concentrés, la production de boues dans le réacteur peut arriver à compenser la perte de matière dans l'effluent traité non clarifié.
2. – LES LITS BACTÉRIENS À RUISSELLEMENT
On donne le nom de « cultures fixées » aux cultures bactériennes se développant sur des supports fixes et y restant agglomérées tant que des forces extérieures, d'origine mécanique ou hydraulique, ne les ont pas physiquement entraînées en dehors du réacteur biologique. Là encore, le terme de « fixation » ne veut décrire que l'aspect extérieur des phénomènes.
Dans le domaine de l'épuration des eaux résiduaires, le principe des cultures fixées a été appliqué depuis très longtemps dans les lits bactériens à ruissellement ou alvéolaires. L'arrosage continu en eau usée d'un lit de matériau caverneux non immergé et oxygéné par simple tirage d'air à travers la masse permet le développement sur les cailloux d'un film biologique épurateur. Un décanteur placé à l'aval assure la séparation (et l'élimination) des particules de film biologique entraînées naturellement par l'autocurage du lit. Cette technique d'épuration a été très largement développée pendant des décennies au moyen de lits chargés de pouzzolane, coke métallurgique ou autre matériau minéral de remplissage. Les éléments constitutifs du lit présentent des dimensions de 4 à 8 cm et les espaces libres constituent des « alvéoles » de quelques centimètres de diamètre moyen. La surface de contact est d’environ 70 m²/m³ ; la charge organique applicable sur ce type de lit ne peut guère être supérieure à 1 kg DBO/m³ et les eaux à traiter doivent subir une décantation préalable. Si l'on ne respecte pas…
Ces conditions, l'encombrement des alvéoles par les matières introduites avec l'eau brute ou produites par le développement bactérien est tel que non seulement l'autocurage du lit n'est plus possible mais le colmatage de celui-ci est inévitable à plus ou moins brève échéance.
Par ailleurs, des rendements d'épuration supérieurs à 80 % ne peuvent être obtenus qu'au prix de charges volumiques faibles et de taux de recyclage élevés (fig. 2) entraînant, par la même, des investissements importants.
La limitation impérative de ceux-ci, de façon à concilier les exigences de la protection de l'environnement et les disponibilités budgétaires, a conduit, depuis 20 ans, à la mise en œuvre quasi exclusive des techniques d'épuration par boues activées, pour assurer l'épuration biologique des eaux usées urbaines, tout au moins pour les grandes stations.
D'autre part, les techniques par cultures libres présentent les avantages d'une plus facile insertion dans le site et d'une grande souplesse de redémarrage en cas de défaillance grave.
D'importants efforts ont cependant été déployés depuis 10 ans pour répondre aux objections présentées contre l'emploi de ces lits bactériens traditionnels.
Les deux techniques les plus remarquables ainsi mises au point dans ce domaine des lits bactériens « alvéolaires » ont été celles des lits bactériens à remplissage plastique ordonné et les systèmes biologiques tournants.
Les lits bactériens à remplissage plastique ordonné présentent des surfaces spécifiques de 100 à 250 m²/m³, tout en réservant des canaux internes de ruissellement ayant des diamètres moyens de plusieurs centimètres et continus. Ils permettent, si le dessin et l'assemblage des « packs » sont bien étudiés, d'atteindre des charges de 5 kg DBO/m³/j et de traiter des effluents fort chargés. Le recyclage direct d'aval en amont du lit sans clarification intermédiaire est possible.
Les systèmes biologiques tournants sont constitués de disques ou d'autres types de supports assemblés en « modules », dont l'axe de rotation se trouve juste au-dessus d'une cuve traversée par l'effluent à traiter. Ils permettent le développement de la flore bactérienne sur le corps de contact qui est successivement immergé puis ruisselant. Avec ces dispositifs, il est possible d'atteindre des charges volumiques de 2 à 3 kg DBO/m³/j et de répondre à certaines objections faites aux lits bactériens statiques sur le plan des nuisances immédiates.
Si les techniques d’épuration d'eaux résiduaires par cultures fixées mises en œuvre dans les lits bactériens à ruissellement ne nécessitent pas le recyclage dans le réacteur du floc biologique entraîné avec le courant d'eau, comme c'est le cas avec les techniques d'épuration par cultures libres, la mise en œuvre d'un ouvrage de clarification demeure indispensable pour éliminer ces boues en excès.
Cette sujétion est importante et peut paraître excessive, en particulier lorsque l'épuration biologique, qui se développe sur le corps de contact, ne conduit qu'à une production faible de matières en suspension.
Par ailleurs, la mise en œuvre d'un corps de contact finement divisé permet de disposer de surfaces spécifiques (m²/m³) très élevées et de pouvoir ainsi fixer de très importantes quantités de micro-organismes par unité de volume de réacteur.
Ces deux constatations sont à l'origine et soulignent l'intérêt des réacteurs biologiques immergés chargés de matériau granulaire, qui constituent le développement le plus récent des techniques d'épuration par cultures fixées.
3. - L’INTERET DES LITS BACTÉRIENS GRANULAIRES (IMMERGÉS)
Ces réacteurs biologiques sont chargés de matériau granulaire sensiblement uniforme et présentant des tailles effectives comprises, suivant les types et suivant les applications, entre 0,3 et 3,5 mm. La surface spécifique de contact est ainsi considérablement accrue par rapport à celle des lits bactériens « alvéolaires ». Elle peut atteindre environ 1 500 m²/m³ avec un sable de 1 mm de taille effective nominale. La fixation dans le lit de 10 à 30 grammes de matières sèches par litre est alors possible tandis que, par exemple, la concentration moyenne des boues activées est de 3 g/l et ne peut que très rarement atteindre 10 g/l.
Si l'on admet que la concentration en matières sèches est représentative de celle en micro-organismes, à charge massique égale (rapport poids de pollution appliquée/poids de matières sèches dans le réacteur), les lits bactériens granulaires permettent donc d'envisager pour l'épuration des eaux résiduaires des charges volumiques deux à cinq fois supérieures à celles appliquées sur des boues activées ou des lits bactériens alvéolaires, pour des rendements d’épuration égaux.
Les techniques de mise en œuvre des lits bactériens granulaires, qui sont toujours immergés, peuvent se diviser en deux familles principales :
- — celle des lits bactériens granulaires fixes,
- — et celle des lits bactériens granulaires mobiles.
Dans les lits bactériens granulaires fixes (fig. 3), le réacteur joue également un rôle de filtre « physique ». La masse de contact est aussi un médium filtrant qui retient tout ou partie des boues en excès produites et des matières en suspension non dégradables présentes dans l’effluent à filtrer ; et cela à la différence des lits bactériens alvéolaires conçus pour un seul autocurage naturel du lit. L'accumulation de matières dans la masse de contact nécessitera le lavage périodique de celle-ci, afin d'éviter la crevaison du lit filtrant ou son blocage par augmentation exagérée de la perte de charge. La masse de contact est « régénérable ».
L'effluent sortant du lit bactérien granulaire ne nécessite plus de décantation complémentaire. Dans le cas d'épuration d’eaux usées, le rejet direct au milieu naturel sera normalement prévu. Dans le cas de traitement d'eau potable, un traitement d’affinage pourra être nécessaire (filtration sur charbon actif par ex.).
Les lits bactériens granulaires mobiles (fig. 4) sont conçus pour utiliser à fond les possibilités d’augmentation de la masse bactérienne disponible par fixation sur une masse de contact granulaire. Un effet filtrant, ou plutôt un effet d’agglomération et tamisage des particules demeure mais moins important qu’avec les lits fixes. Leur fonctionnement est ascendant (au moins de façon cyclique) avec expansion du lit de.
façon à mieux favoriser le contact de l'effluent avec toute la masse bactérienne enrobant les grains. Une séparation (bien entendu sans recyclage) des boues en excès entraînées avec l'effluent est normalement associée à ce réacteur. Il sera également prudent de prévoir un système de nettoyage périodique de la masse de contact car l'autocurage ne sera généralement pas suffisant, mais ce nettoyage sera évidemment beaucoup moins fréquent que sur les lits granulaires fixes ou pourra ne porter que sur une partie du lit à chaque séquence. Les vitesses de traversée des lits mobiles dépasseront fréquemment les vitesses de fluidisation et pourront atteindre 40 et 50 m/h. Cette technique se rapproche de celle utilisée par exemple en décarbonatation catalytique où il est commun d’atteindre des vitesses ascensionnelles de 60 m/h dans des réacteurs-décanteurs.
Le matériau de remplissage des différents lits bactériens granulaires sera soit du silex, soit un corps à porosité externe : Biolite, chamotte. Les corps macroporeux facilitent l'accrochage du film bactérien ; ils doivent être préparés ou sélectionnés de manière à être nettoyés efficacement par le dispositif de lavage choisi. Le charbon actif peut aussi être utilisé, mais il paraît surtout adapté au traitement de finition en eau potable. Dans le cas d’épuration essentiellement biologique, avec formation de films importants, ce matériau semble présenter plus d’inconvénients que d’avantages.
Les lits bactériens granulaires ont déjà été utilisés, à échelle industrielle, depuis de très nombreuses années, dans le traitement des eaux potables, en particulier pour la nitrification de l’azote ammoniacal (ex. installation d'Aubergenville, débit 6000 m³/h). Leur mise en œuvre dans le traitement des eaux usées urbaines est plus récente.
4. - LES MODES DE MISE EN ŒUVRE DES LITS BACTÉRIENS GRANULAIRES
Théoriquement, le vaste domaine de tous les traitements d'eau de nature biologique est ouvert à cette technique de cultures fixées, qu'il s'agisse de l'élimination de la pollution organique à prédominance carbonée, de celle de la pollution azotée ou encore de certaines pollutions minérales telles que celles liées à la présence de fer ou de manganèse (si des organismes autotrophes adaptés peuvent être développés).
Les traitements envisageables sont de type aérobie ou anaérobie. Les traitements aérobies sont mis en œuvre principalement pour l'élimination de la pollution carbonée et pour l'oxydation de l’azote ammoniacal (nitrification). Les traitements anaérobies le sont pour la dénitrification, ou également pour la dégradation de la pollution carbonée d'effluents concentrés.
Dans les traitements aérobies, l'apport d'oxygène peut être réalisé par prédissolution ou par dissolution directe, avec soufflage, dans le réacteur proprement dit. On aura alors dans le premier cas un système à deux phases : support solide granulaire + fluide à épurer, et dans le deuxième un système à trois phases : support granulaire + effluent + gaz oxygéné.
La capacité de dissolution d'oxygène dépend de trois facteurs essentiels :
- la teneur en oxygène du gaz porteur ;
- la concentration en oxygène dans la phase liquide ;
- le coefficient global de transfert du système de diffusion.
Dans le cas de prédissolution en amont du réacteur, le potentiel épuratoire est limité directement par la concentration en oxygène dissous de l'effluent préoxygéné. En introduisant de l'air à la pression atmosphérique, il ne sera guère possible alors, aux conditions de température habituelles, de dépasser une concentration de 7 à 8 g/m³ d'oxygène dissous correspondant à une élimination de l’ordre de 15 g/m³ de DBO, ou à une nitrification d'environ 1,8 g/m³ d’azote ammoniacal. Ce potentiel épuratoire peut être amélioré par les dispositions suivantes utilisées séparément ou en combinaison (fig. 5) :
- — recyclage de l’effluent traité en amont de la cuve d'oxygénation ;
- — mise en pression de l'ensemble de l'installation ;
- — utilisation d’oxygène pur ou d'un gaz enrichi en oxygène pour l'oxygénation préalable ;
- — augmentation de la seule pression d’insufflation (la cuve de préoxygénation est constituée par une tour ou un puits de grande profondeur).
Dans le cas de dissolution d'oxygène au sein même du réacteur, de tels aménagements ne sont normalement pas nécessaires et il n'y a d'autres limitations, à la satisfaction des besoins en oxygène du film biologique, que celles liées à la quantité d’oxygène insufflé et au coefficient de transfert. Toutefois, nous verrons plus loin que d'autres contraintes physiques existent cependant sur les débits maximaux d’air insufflé.
Il est à noter que, dans les lits granulaires fixes, les coefficients de transfert d’oxygène sont, à profondeur d'immersion égale, supérieurs à ceux le plus souvent obtenus dans des réacteurs à cultures libres, et cela du fait du cheminement des bulles à travers la masse de contact et le renouvellement des interfaces gaz-eau. En conditions réelles, des rendements d'utilisation de l’oxygène de l'air, de l’ordre de 20 %, sont atteints relativement aisément. Dans les lits granulaires mobiles, par contre, on se rapproche des conditions de transfert des réacteurs à cultures libres.
Le sens de l'écoulement des fluides caractérise aussi les différents modes de mise en œuvre des lits granulaires. On distingue ainsi les réacteurs à flux descendant et ceux à flux ascendant ; dans le cas d'injection d’air dans la masse de contact, la marche à flux descendant est aussi dénommée à « courants croisés » (de l'air et de l'eau) et celle à flux ascendant à « co-courants » (fig. 6).
En traitement anaérobie, on adoptera généralement des lits à flux ascendant, de façon à faciliter le dégagement des bulles de gaz (azote en dénitrification, gaz carbonique et méthane en digestion anaérobie).
5. - CONTRAINTES PRATIQUES DANS L'APPLICATION DES LITS GRANULAIRES
Le tableau 1 rassemble les différents modes de mise en œuvre des lits bactériens granulaires envisageables en traitement d'eau. Les études menées durant les cinq dernières années sur ces techniques d'épuration par cultures fixées ont permis une meilleure connaissance et une modélisation des équilibres biocinétiques ; elles ont confirmé sur pilote la possibilité, dans de nombreux cas, et parfois de façon spectaculaire, de réduire les temps de séjour nécessaires à l'épuration biologique.
Toutefois, l'application des lits bactériens granulaires sur des installations de taille industrielle à fonctionnement continu, en routine, doit prendre nécessairement en compte des contraintes d'ordre technologique et économique. Les réalités de l'exploitation industrielle, tôt ou tard, « ont toujours raison ». Une bonne technique est un procédé reposant sur des bases scientifiques solides, appliqué avec bon sens et discernement.
Les difficultés à surmonter ou à éviter dans cette mise en œuvre industrielle ont deux origines principales :
— la présence dans l'effluent à traiter et la formation durant le process épuratoire de matières en suspension dont la concentration peut être élevée et le pouvoir colmatant plus ou moins marqué ;
— les problèmes hydrauliques soulevés par la conception de grandes unités pouvant traiter des centaines ou des milliers de m³/h à partir de pilotes n'ayant travaillé au mieux que sur quelques dizaines de m³/h.
D'autre part, les injections ou dégagements de gaz au sein même des lits granulaires, durant les phases de traitement proprement dites, créent des sujétions d'exploitation particulières.
Matières en suspension : la présence de celles-ci a pour conséquences :
— le colmatage progressif de la masse de contact si celle-ci a un effet filtrant important, comme c'est le cas par exemple des lits fixes. La perte de charge créée par le réacteur n'est jamais stabilisée ;
— les risques de bouchage des dispositifs de répartition hydraulique : orifices, tuyauteries, grilles, diffuseurs, etc. Ceux-ci sont particulièrement gênants lorsque la répartition hydraulique dans l'unité de traitement est fondamentale. Tel est le cas par exemple de lits expansés.
Le processus épuratoire conduit lui-même à synthétiser de la matière ; cet apport est de l'ordre [...]
Tableau 1
Modes de mise en œuvre envisageables des lits granulaires à cultures fixées
Légende :
FD = Flux descendant
FA = Flux ascendant
AR = Anaérobie
SR = Système 3 Phases
St = Système 2 Phases
(*) Dispositions les plus adoptées
de 0,3 kg de matière sèche par kg de DBO soluble éliminé, de 0,2 kg par kg d'azote ammoniacal nitrifié et de l'ordre de 0,65 kg par kg d'azote des nitrates dénitrifié. À cette production s'ajoute l'apport des matières en suspension contenues dans l'eau alimentant le réacteur. Une eau résiduaire urbaine prédécantée présente par exemple une quantité de matières en suspension non biodégradables environ deux fois supérieure à celle produite par l'élimination de sa pollution organique.
L'effet colmatant varie suivant la nature du substrat et le type d'activité biologique. Celui-ci, par exemple, est élevé avec les boues de type ferrique formées par un traitement de déferrisation. Les boues dénitrifiantes, constituées essentiellement de micro-organismes, sont également très adhérentes.
D'autre part, le pouvoir de rétention d'un lit filtrant est limité. La perte de charge acceptable est, au plus, de quelques mètres de colonne d'eau. Dans le cas de lits fixes, et spécialement si le flux est descendant, deux dispositions importantes sont donc généralement prises :
- — la granulométrie du matériau est relativement élevée (taille des grains d'au moins 1 mm) pour éviter le blocage de la couche supérieure du lit ;
- — un dispositif de lavage automatique, qui doit être très efficace, est mis en place. Après lavage, le redémarrage de l'activité biologique est d'ailleurs rapide car la masse de contact reste très largement ensemencée, surtout si sa macroporosité de surface est élevée.
Le pouvoir de rétention des matières sèches d'un lit filtrant dépasse difficilement quelques kg/m³ pour conserver un rendement d’élimination acceptable. La nécessité de retenir par exemple 200 grammes de matières sèches par m³ d'eau épurée peut conduire, pour un fonctionnement à seulement 2 m/h, à prévoir plusieurs lavages par jour du lit filtrant. Pour être efficaces, ces lavages, nécessitant un soufflage d’air et de forts débits d'eau, doivent souvent être répétés plusieurs fois. Il s'ensuit une réduction non négligeable du temps de fonctionnement utile du réacteur et surtout des dépenses d'énergie importantes.
Dans le cas de réacteurs à lits mobiles, de fortes concentrations en matières en suspension dans l'effluent à traiter peuvent causer des désordres dans le système de répartition, si ceux-ci sont munis d'orifices de passage trop petits ou comportent des zones à faible vitesse facilitant les dépôts. Dans les réacteurs à lits fixes à flux ascendant, la qualité de la répartition est certes moins fondamentale que dans les réacteurs à lits mobiles, mais les risques d'encrassement du milieu granulaire ne peuvent être négligés.
Aménagements hydrauliques : Ceux-ci sont particulièrement importants dans les réacteurs à lits mobiles. En effet, s'il est relativement aisé, sur une surface de quelques dm², de réaliser en flux ascendant des systèmes d'équirépartition d'eau éventuellement visitables et nettoyables, il en est différemment sur des surfaces de quelques dizaines de mètres carrés.
Même sur des réacteurs à flux descendant, le passage à l'échelle industrielle n'est pas sans nécessiter des aménagements particuliers. Les systèmes à plancher filtrant, par exemple, doivent être conçus et équipés de façon à éviter ou pouvoir supprimer les perturbations provoquées par le développement de zooglée sur les buses de reprise.
Dans le domaine de l'épuration des eaux usées, ces sujétions contrarient la réalisation de très grandes unités, en particulier dans le domaine des réacteurs à lits mobiles où, tout au moins pour l'instant en épuration d'eaux résiduaires, il semble difficile d'envisager des réacteurs de surface unitaire supérieure à 10 m² correspondant à des débits traversiers de l'ordre de 400 à 500 m³/h.
En lits fixes, des surfaces supérieures sont possibles mais les vitesses de fonctionnement sont beaucoup plus basses et les débits unitaires envisageables sont du même ordre ; encore les valeurs les plus élevées ne correspondent-elles qu’à des eaux très peu chargées avec faible production de boues en excès, comme c'est le cas par exemple des traitements de nitrification d'eau destinée à la consommation domestique. La mise en œuvre de ces techniques d'épuration par cultures fixées sur lits granulaires conduit donc aujourd'hui, d'une manière générale, pour les grandes stations d'épuration d'eaux résiduaires, à une augmentation du nombre des unités de traitement, par rapport aux techniques à cultures libres.
Réacteurs triphasiques : L'injection de gaz (air pour nitrification) ou le dégagement de gaz (méthane
et gaz carbonique en traitement anaérobie, azote gazeux en dénitrification, à l’intérieur des lits bactériens granulaires, peuvent être l’origine des difficultés non négligeables en exploitation industrielle :
— un débit d’air trop important dans un réacteur à lit fixe destiné à l’élimination de la pollution organique et/ou ammoniacale d’une eau résiduaire peut réduire par trop l’effet filtrant, par suite d’une agitation mécanique excessive.
Dans un réacteur à lit mobile, un débit de gaz trop important peut causer un entraînement exagéré de masse biologique en dehors du réacteur et conduire à une baisse de rendement.
— Dans le cas de lits fixes, le gaz injecté peut, à certains régimes, rester bloqué au sein même de la masse et conduire ainsi à des pertes de charge inadmissibles. Tel est le cas par exemple de réacteurs à lit filtrant descendant où, à partir d’un certain état d’encrassement, une partie du lit filtrant peut se trouver en dépression et fixer ainsi certaines quantités d’air.
Avant de fixer des orientations dans le choix des meilleures combinaisons « traitement-réacteur » dans le domaine des lits granulaires, il convient encore de noter que sur des lits fixes, en système triphasique notamment avec injection d’air, les systèmes à co-courants (flux d’eau ascendant) présentent une biocinétique sensiblement meilleure que les systèmes à contre-courants. En nitrification par exemple le gain sur le volume de réacteur est de l’ordre de 20 %.
6. CONCLUSION
On peut ainsi établir les lignes directrices qui doivent aujourd’hui guider le projeteur et le maître d’ouvrage dans l’optimisation et la mise en œuvre industrielle des techniques d’épuration biologique par cultures fixées sur lits granulaires :
a - Ces techniques conviennent spécialement au traitement d’eau contenant peu de matières en suspension avec production de boues biologiques relativement faibles (donc à pollution principalement dissoute). Si leur application peut être généralisée sans difficulté en traitement d’eau potable, les précautions suivantes sont à prendre dans l’épuration des eaux usées,
b - Les lits fixes à flux descendant avec préoxygénation sont surtout adaptés au cas :
° d’affinage d’eau usée (élimination de DBO₅ et MES résiduelles) après traitement secondaire ou après traitement de floculation-clarification si l’eau brute est peu concentrée. En cas d’emploi d’oxygène, cet affinage peut être complété d’une nitrification.
c - Les lits fixes aérés à flux descendant ou les lits fixes aérés à flux ascendant, pour des débits inférieurs à 100 – 200 m³/h, sont surtout adaptés aux cas de :
* nitrification d’eau usée sortant d’un traitement secondaire ;
* élimination de la pollution carbonée (et nitrification) d’eau usée après traitement physico-chimique de floculation-clarification.
d - Les lits mobiles, pour des débits à traiter inférieurs à 200 m³/h, sont surtout adaptés au cas de :
* dénitrification avec apport d’élément carboné d’eau prénitrifiée.
e - Pour la digestion anaérobie d’effluents concentrés en pollution organique biodégradable, les lits à flux ascendant sont à préférer.
La première application, à l’échelle industrielle, de l’épuration par bactéries fixées sur lits granulaires a été celle de la station de la Barre-de-Monts mise en route en 1973. Celle-ci comportait une filtration sur Biolite après oxygénation d’une eau préfloculée et clarifiée. La charge appliquée sur le matériau était de 4 à 6 kg DCO/m³/j (soit 1,8 à 2,6 kg DBO₅/m³/j) et l’élimination de 40 à 50 g de DBO₅/m³ d’eau a permis la production d’une eau de qualité réglementaire. Une technique semblable a été appliquée ensuite pour l’affinage d’eau usée traitée par boues activées, sur une série d’installations dont certaines traitent plusieurs milliers de m³/jour.
Une application originale de ces techniques est celle de la station d’épuration de Briançon mise en route en 1979 qui a été conçue pour traiter les eaux usées de 45 000 habitants suivant le procédé OXYAZUR B (fig. 5b) : après floculation et flottation, l’eau préoxygénée au moyen de l’oxygène pur passe
sur une batterie de réacteurs sous pression chargés de lits fixes de BIOLITE. Le rendement d’élimination de DCO sur les filtres varie de 55 à 65 %. Il est de 85 à 90 % pour l'ensemble de la station (95 % sur la DBO5).
Pour la production d'eau potable, d'importantes installations de nitrification faisant appel aux techniques d'épuration biologique par bactéries fixées sont en fonctionnement ou en cours de réalisation : Annet-sur-Marne (70 000 m³/j), Rouen-La-Chapelle (50 000 m³/j), Louveciennes (120 000 m³/j). Également dans le domaine de l’eau potable, la station de Hochfelden assure la déferrisation par voie purement biologique sur lits granulaires d'un débit de 500 m³/h; etc.
Les techniques d’épuration biologique par cultures fixées sur lits granulaires sont donc définitivement sorties de la phase expérimentale. Elles permettent de résoudre des problèmes d'épuration biologique dans des cas où les procédés traditionnels sont impuissants (ex. cultures libres pour la nitrification d'eau potable) ou conduisent à des volumes d'ouvrages nettement plus importants (ex. affinage et/ou nitrification d'eau usée après traitement secondaire). Il s'agit là d'un progrès très important.
Mais les sujétions technologiques auxquelles sont soumises ces techniques, dans le cas d’eaux chargées en matières en suspension ou pour de très grandes stations, peuvent alors poser de sérieux problèmes d'exploitation ou conduire à des solutions assez coûteuses (en énergie et même en investissements).
La généralisation hâtive des techniques à lits granulaires à tous les problèmes d’épuration d’eaux usées ne serait donc ni prudente, ni responsable et pourrait conduire ensuite à leur condamnation brutale et injuste. Leur mise en œuvre doit être assurée par des ingénieurs expérimentés.
En plus des enseignements fournis par les installations en service et en construction ainsi que par les essais en cours, les stations pilotes semi-industrielles, en cours de réalisation à Colombes par la Ville de Paris avec l'aide de l'Agence Financière de Bassin « Seine-Normandie », vont aider à bien apprécier la fiabilité des process épuratoires avec les principales dispositions technologiques possibles et sur différents types d’eau résiduaire. Grâce à des tests de routine de longue durée, ces stations pilotes permettront, en connaissance de cause, d'étendre éventuellement le domaine d'application des techniques d’épuration biologique par cultures fixées en milieu aérobie ou en anoxie.
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