De récents articles parus dans la grande presse et des revues spécialisées mettent en doute très fréquemment la qualité des eaux de distribution publique ; celle-ci n'est pas toujours satisfaisante et certaines ne répondent pas à ce que les consommateurs attendent de l'eau utilisée à l’alimentation.
Certes, la demande en eau croît avec le niveau de vie de populations de plus en plus exigeantes pour les caractères qualitatifs de l'eau alimentaire, aussi les pouvoirs publics ont dû se pencher sur le problème de la potabilité des eaux. Pour la France, le décret du 1ᵉʳ août 1961 paru au Journal Officiel du 26 août 1961 précise que « toute eau livrée à la consommation doit être potable ; elle remplit cette condition lorsqu'elle n’est pas susceptible de porter atteinte à la santé de ceux qui la consomment ». Cette exigence implique qu'une eau, pour être potable, doit avoir une composition chimique convenable et être exempte de tout micro-organisme suspect (pathogène ou indice de pollution). De plus, elle devrait être agréable à consommer et présenter un certain nombre de caractères organoleptiques :
- - absence d’odeur et de saveur désagréables,
- - être limpide et incolore.
Ce sont là des critères d’appréciation subjectifs, surtout pour ce qui est de l’odeur et de la saveur. Il est bien connu que notre goût et notre odorat de consommateurs européens ont des sensibilités différentes de celles des populations d’outre-Atlantique vis-à-vis du chlore et de certains haloformes par exemple.
Si la distribution publique de l’eau a permis, en principe, de faire disparaître le risque microbiologique d'origine hydrique, il devient de plus en plus difficile aux fournisseurs d'eau d’adduction dans nos pays à économie avancée de concilier quantité et qualité, car cette dernière dépend de celle des ressources, des traitements dont l'eau est l'objet, des réservoirs et des réseaux de distribution. Devant les impératifs de quantité, l'utilisation des eaux superficielles (rivières, fleuves) s'est imposée et dans plusieurs cas il en est résulté une détérioration progressive et certaine des caractères organoleptiques de l’eau dite « du robinet ». Ces insuffisances sont à l'origine, d'une part, de la consommation accrue d’eaux de sources et d’eaux minérales embouteillées et, d’autre part, de l’épuration de l'eau aux points d'utilisation. C’est ce dernier aspect que nous traiterons ici étant donné la prolifération dans le commerce d'appareils domestiques raccordés à un robinet d'eau potable généralement dénommés « purificateurs d’eau » et l'accroissement de la demande de ce type de matériel de la part de consommateurs insatisfaits de l'eau de distribution publique pour leur alimentation et trouvant là une source d’économie et la suppression de la corvée des bouteilles.
D'autre part, cette préparation d'eau potable à l’utilisation répond aussi à la demande d’individus ou de groupes confrontés à des problèmes d’approvisionnement en eau alimentaire. Ce sont : les compagnies aériennes qui ne trouvent pas toujours un ravitaillement en eau convenable pour leurs appareils faisant escale dans des pays tropicaux ou en voie de développement, les armées en campagne, les randonneurs, les explorateurs, les navigateurs, les ouvriers sur les chantiers, etc. Ces utilisateurs attendent de l’épurateur d'eau qu'il soit un appareil de terrain leur fournissant une eau présentant une bonne qualité organoleptique, mais surtout une garantie sanitaire les mettant à l’abri des risques microbiologiques.
Étant donné le nombre de « purificateurs d’eau » proposés sur le marché (une quarantaine au moins) par des fabricants qui ne conçoivent pas toujours très bien le milieu hydrique, l'utilisateur averti est désemparé et le non-initié ne peut être que la victime de publicités alléchantes. Tous ces appareils procédant par filtration, notre propos est ici, compte tenu des réalisations existantes et des résultats obtenus dans notre laboratoire, d'essayer de dégager les notions générales qui devraient, à notre avis, présider à la conception et à l'utilisation d’épurateurs d'eau individuels.
FILTRATION ET TRAITEMENT DE L’EAU
La filtration est une opération qui consiste à reproduire l’épuration naturelle dont sont l'objet les eaux souterraines lorsqu’elles percolent au travers de terrains plus ou moins perméables : elle consiste donc à forcer l'eau à passer au travers de milieux poreux et perméables. En filtrant l'eau, l'homme essaie tout simplement de l’épurer en copiant la nature. Une figure rustique de cette opération nous est fournie par la citerne collectrice d’eau de pluie comportant à sa partie inférieure des lits superposés de gravier, de sable et de charbon de bois au travers desquels l'eau s’écoule lentement par gravité avant d’être recueillie pour l'usage alimentaire. Ce processus de filtration lente a été transposé à l’échelle industrielle pour le traitement des eaux destinées à l’adduction publique.
La qualité des eaux filtrées dépend des paramètres suivants :
- - Caractéristiques du milieu poreux :
- - nature du matériau constitutif qui peut être inerte ou actif,
- - perméabilité de ce matériau : elle dépend de la granulométrie pour les filtres particulés et des dimensions des pores pour les membranes filtrantes.
- - Vitesse de filtration : une vitesse excessive entraîne un abaissement des rendements en quantité et en qualité de l'opération, conséquence d'un colmatage prématuré du média filtrant conduisant à une augmentation de la perte de charge dans le filtre, d'une part, et à une altération des caractères de l'eau filtrée, d'autre part. Le filtre se comporte alors comme un véritable réacteur physico-chimique et biologique induisant des pollutions secondaires.
En général, les épurateurs d'eau se rangent dans la catégorie des petits appareils ménagers. La plupart peuvent être fixés au robinet et fonctionner sous la pression du réseau de distribution. Certains sont portables, associés à un réservoir pressurisable ou reliés à une pompe centrifuge pour forcer l'eau à passer au travers du milieu filtrant. Récemment, un constructeur a cru bon d'utiliser la centrifugation pour introduire l'eau sur un filtre remis ensuite à l'air libre ; l'échec était inévitable, des développements bactériens et des moisissures proliférant sur le filtre humide : illustration d'une conception d’appareillage erronée et de l'ignorance de l'importance des conditions de milieu dans le comportement d’un média filtrant.
Quelle que soit sa nature, un filtre constitue une interface ; celle-ci peut être active (phénomènes d’adsorption) ou inerte, mais susceptible de s’activer par les matières retenues en son sein. En effet, les matières en suspension et les germes microbiens fixés sur le filtre ou dans son épaisseur constituent une solution de continuité entre liquide initial et liquide filtré. Dans cette interface peuvent prendre alors naissance des réactions physico-chimiques et microbiologiques. Nous citerons par exemple :
- - la filtration d'une eau ferrugineuse conduisant à la formation de dépôts d’hydroxyde et de carbonate ferriques dans les mailles du filtre, où s'établissent des processus d’oxydo-réduction conduisant à une redissolution du fer et à un enrichissement de l’eau filtrée par cet élément qui reprécipite ensuite ;
- - la précipitation de carbonate de calcium au contact de filtres lors de la filtration de certaines eaux calcaires.
Compte tenu du faible encombrement que doivent présenter ces épurateurs d’eau, on fait appel à des médias filtrants offrant un rapport surface de contact/volume total maximal ; pour ce faire, on procède par microfiltration sur des membranes organiques ou des céramiques poreuses (rétention des matières en suspension et des bactéries). On leur associe généralement une filtration sur charbon actif pour l'élimination du chlore et des micropolluants organiques et minéraux.
Nous allons examiner maintenant ces procédés et leur conséquence sur la qualité de l'eau.
LA MICROFILTRATION
Le point en a été fait récemment par P. Schaegis (1). Nous ne reprendrons donc ici que l’essentiel. C'est une opération mécanique, les particules contenues dans un fluide (liquide ou gaz) étant éliminées par passage de ce fluide au travers d'un milieu microporeux défini qui réalise un véritable tamisage en fonction de la taille des particules (figure 1). La constitution des médias filtrants permet de distinguer la microfiltration en surface, d'une part, et en profondeur, d’autre part :
- - en surface, le filtre se comporte comme un écran ; les particules de taille supérieure aux dimensions des pores du milieu filtrant sont arrêtées à sa surface où elles viennent constituer une couche plus ou moins compacte peu adhérente. Le décolmatage est donc aisé (en procédant à contre-courant, par exemple). Autres avantages :
- - le pouvoir d'arrêt n’est pas affecté par les variations de débit et de pression ;
- - les phénomènes d’absorption et d’adsorption sont réduits du fait de la faible épaisseur et de l'inertie des membranes filtrantes utilisées.
– grande sélectivité dans la rétention des particules (rétention absolue) (figure 2) ;
En profondeur, les particules sont arrêtées dans la masse du milieu filtrant où elles restent bloquées.
Les filtres en profondeur présentent un certain nombre d’avantages :
- — ils permettent des débits élevés par suite de leur porosité (volume des interstices très important par rapport au volume total du matériau),
- — porosité étagée, fonction de la texture du media et de la tortuosité des pores.
Ils ont, par contre, des inconvénients qui nous paraissent majeurs si on les destine à la filtration de l'eau :
- — absorptions et adsorptions importantes du fait de leur grande surface spécifique interne, susceptibles d'introduire des processus bactériens et chimiques au sein du filtre,
- — texture et structure irrégulières évoluant en fonction de la matière particulée retenue, d’où résulte la formation de chemins préférentiels,
- — relargage éventuel de particules sous l’effet de variations brutales de débit,
- — décolmatage à contre-courant impossible.
FILTRATION SUR CHARBON
La plupart des épurateurs d’eau associent à la microfiltration la filtration sur charbon actif pour éliminer le chlore, les mauvais goûts, les odeurs et les micropolluants chimiques.
Le filtre charbon actif constitue un milieu de filtration en profondeur dont le pouvoir de rétention dépend à la fois d’effets mécaniques (rétention de particules fonction de la porosité du media) et de phénomènes d'adsorption sur les grains de charbon (rétention d’espèces moléculaires ou ioniques). Il en résulte, au sein du filtre, la formation d'une masse organo-minérale constituant un milieu nutritif au niveau duquel les micro-organismes concentrés par filtration vont se développer. Cette croissance bactérienne est tout particulièrement favorisée à température ambiante moyennement chaude (20-30 °C) lorsque le débit de l'eau est faible et au cours des périodes de non-utilisation.
Ces phénomènes sont accrus lorsqu'il y a mise à l'air du charbon sur lequel vont être piégés les micropolluants et les micro-organismes atmosphériques. De plus, la déshydratation partielle de ce milieu favorise les développements de bactéries, de moisissures et de levures. Il découle de ces événements une dégradation des caractères qualitatifs de l'eau, pouvant conduire à une altération de sa potabilité d’autant plus grave que les agents antiseptiques introduits pour maintenir sa qualité microbiologique ont été éliminés sur le charbon actif.
Des tests ont montré l'aptitude des coliformes à survivre et à proliférer sur les filtres à charbon (3) (4). De plus, des cas de contamination de ces filtres par des germes pathogènes (pseudomonas aeruginosa, par exemple) ont été observés.
L'introduction sur le marché de filtres bactériostatiques renfermant de l'argent n'a pas résolu ces problèmes et semble même, au contraire, les aggraver. En effet, l'argent aurait une action bactériostatique sélective, notamment vis-à-vis des coliformes dont escherichia coli, des agents pathogènes n’étant pas touchés. Ainsi, les principaux germes recherchés comme présomptifs de souillures fécales et indicateurs de non-potabilité seraient inactivés dans ces appareils, alors que la flore bactérienne générale n’est pas affectée. Ces filtres présentent un réel danger en sécurisant à tort l'utilisateur, le risque hydrique passant inaperçu (3) (4).
Tout ceci a conduit, au Canada, la direction générale de la Protection de la Santé à recommander que « des mesures soient prises pour interdire la vente de dispositifs au point d'utilisation utilisés à domicile pour le traitement de l'eau de boisson et contenant du charbon activé, du charbon activé granulé ou du charbon de bois, mais non des dispositifs qui désinfectent l'eau après son passage à travers la couche de charbon. À ces fins, l'action bactériostatique de l'argent n’est pas considérée comme désinfectante (5) ».
En plus de ces risques microbiens qui peuvent être pallies si l'on prend soin d’introduire en aval du filtre à charbon une microfiltration à pouvoir d’arrêt 0,2 µm (taille de la plus petite bactérie), il faut noter que ces filtres sont aussi à l'origine de relargages, soit de certains de leurs propres constituants (ions phosphate, par exemple, voir figure 3), soit d’entités chimiques qu’ils ont fixées ou qui se sont formées à leur contact (chlore, haloformes..., voir figure 4). Leur utilisation nécessite donc de toute façon d’être attentif à leur durée de vie, fonction du volume d’eau percolée et des caractères physico-chimiques de l'eau.
DISCUSSION ET CONCLUSION
Il ressort de ce qui vient d’être dit qu’il est difficile de réaliser l’épurateur d’eau idéal, comme on peut en juger aussi par le nombre de solutions et d’appareils proposés.
Pour tous ceux que nous avons examinés, nous avons noté une altération de la qualité de l’eau en fonction du temps d’utilisation et de l’accumulation de matière au niveau de l’élément filtrant (figure 5). Tous ces appareils, en effet, ne faisaient pas intervenir :
- - soit une filtration écran finale à 0,2 µm (taille de la plus petite bactérie),
- - soit un dispositif de désinfection convenable des voies terminales de l’appareil.
Avec la règle absolue de ne pas mettre le média filtrant en contact avec l’atmosphère, ce sont là, à notre avis, deux points essentiels à respecter.
De plus, un dispositif d’appréciation ou de mesure du volume d’eau percolée ou du degré de colmatage du filtre nous paraît indispensable pour assurer un emploi convenable et hygiénique de l’épurateur, surtout si celui-ci fait intervenir une filtration sur charbon.
Le processus de microfiltration en surface sur membrane poreuse présente un intérêt tout particulier, surtout si on utilise une membrane à surface parfaitement lisse qui évite un colmatage rapide et persistant, le décolmatage à contre-courant étant possible — Nuclepore, par exemple (1).
Pour nous, l’idéal serait de réaliser un épurateur faisant intervenir sur ce type de membrane une filtration de l’eau en flux tangentiel, toute adhérence de particules solides sur le média filtrant étant ainsi évitée.
En conclusion, il nous semble que la matière filtrante existe actuellement pour réaliser l’épurateur d’eau idéal tant attendu par les consommateurs.
Nous espérons, grâce à ce propos, que le bon sens ne fera plus défaut aux constructeurs évitant ainsi que les systèmes individuels d’épuration de « l’eau du robinet » ne conduisent à sa dégradation, et que cette opération finale ne soit paradoxalement plus UN MAL, mais UN BIEN.
BIBLIOGRAPHIE
(1) P. SCHAEGIS (1982) : La microfiltration sur membranes en surface ou en profondeur. Comment ? Pourquoi ? Spectra 2000, 10 (75), 22-25.
(2) F. CLIFFORD, J. R. FRITH (1981) : Membrane filters in Industry in Membrane Filtration. Applications, techniques and problems (Ed. Berard J. Dutka. Marcel Dekker, INC, New York and Basel), pp. 567-606.
(3) Publication du Bureau des dangers des produits chimiques du Canada (1980) : Les risques liés aux dispositifs de traitement d’eau au point d’utilisation qui emploient du charbon actif.
(4) R. H. TAYLOR, M. J. ALLEN, E. E. GEIDREICH (1979) : Testing of home use carbon filters. J.A.W.W.A., 71 (10), 577-579.
(5) Lettre de renseignements de la direction générale de la Protection de la Santé du Canada (1981).