Le but primordial de la régulation est d’assurer la maîtrise du mouvement de l’eau tout le long de l’adduction, pour satisfaire les besoins sans défaillance, ni gaspillage, mais il est aussi de faciliter la tâche des exploitants et de procurer une sécurité de fonctionnement qui est d’autant plus appréciable que les quantités d’eau transportées sont plus importantes. Nous examinerons ici les différents systèmes de régulation qui concernent les canaux à surface libre.
Autrefois, tous les canaux étaient régulés suivant le principe très simple et très connu de la « commande par l’amont » puis, il y a une quarantaine d’années, des vannes automatiques à commande purement hydraulique ont été mises au point pour la régulation des niveaux dans la commande par l’amont ainsi que pour deux nouveaux systèmes de régulation :
— la régulation à commande par l’aval simple ;— la régulation avec vannes mixtes.
Enfin, depuis une quinzaine d’années, le développement de l’électronique a abouti à deux autres systèmes modernes de régulation qui sont :
— la régulation à niveaux croisés ;— la régulation dynamique.
On dispose donc actuellement de cinq systèmes de régulation qui peuvent éventuellement être combinés pour former des systèmes mixtes.
RÉGULATION À COMMANDE PAR L’AMONT
On doit distinguer deux aspects dans la régulation à commande par l’amont : la régulation des débits et la régulation des niveaux.
La régulation des débits
La régulation à commande par l’amont des débits est tout simplement la méthode qui consiste à régler par un système de vannage le débit en tête du canal.
La régulation commande par l’amont des débits ne peut fonctionner correctement, c’est-à-dire sans pertes ni déficits, que sous les conditions suivantes :
— la distribution de l’eau aux différentes prises alimentées par le canal doit être opérée suivant un programme bien défini et connu à l’avance afin de pouvoir établir en conséquence les horaires de manœuvre de la vanne de tête ;— les débits des différentes prises d’eau doivent également être connus et correctement réglés ; les ouvrages de prises doivent donc comporter les équipements nécessaires pour le réglage et la mesure du débit ;— l’exploitant doit également connaître le temps de réponse du canal, c’est-à-dire le temps de propagation des ondes de débits pour que, lors des changements de régime, il puisse manœuvrer la vanne de tête au bon moment et que le débit arrive en temps voulu au niveau des différentes prises. Le temps de propagation peut être dégrossi avec une assez bonne approximation par le calcul, ou mieux encore dans un canal existant par des mesures au limnigraphe ;— des réserves doivent être prévues sur le parcours du canal en des points judicieusement choisis pour stocker les fronts et les queues des ondes de débit pendant les durées de mise en régime (temps de stabilisation).
La régulation des niveaux
Dans les régions plates il faut souvent que le niveau de l’eau dans le canal adducteur soit suffisamment haut et peu variable pour que les prises d’eau puissent
Être correctement alimentées, et dans un canal non équipé de régulateurs, le niveau risque d’être trop bas aux régimes intermédiaires.
La régulation des niveaux dans un canal se faisait autrefois par des déversoirs transversaux réglables en hauteur par des batardeaux mais cela nécessitait des manœuvres souvent difficiles à réaliser en eau et nécessitant d’intervenir en différents points du canal dans des délais très brefs lors des changements de régime. Actuellement on utilise deux types de régulateurs de niveau qui ne nécessitent aucune intervention manuelle.
Les régulateurs dits « becs de canard » ou « Giraudet »
Ces ouvrages sont constitués par deux déversoirs obliques qui convergent par une passe centrale équipée d’une vanne pour les vidanges ou les chasses.
La solution des deux déversoirs obliques divergents est aussi quelquefois utilisée (bec de canard avec pointe vers l’amont), mais elle nécessite deux vannes latérales pour les chasses en cas de dépôt.
Avec ce type d’ouvrage la variation du plan d’eau amont entre les débits maxima et un débit faible est sensiblement égale à la hauteur de la lame d’eau déversante. La longueur de l’ouvrage dépend donc non seulement du débit mais de la précision de l’ouvrage que l’on veut obtenir.
Les vannes à niveau amont constant
Ces vannes automatiques sont constituées par un tablier trapézoïdal solidaire d’un flotteur moteur qui plonge dans le niveau amont, d’une charpente métallique et d’un contre-poids de réglage. Elles sont conçues pour que le niveau amont soit pratiquement constant quel que soit le débit : si le débit augmente, le niveau a tendance à monter mais le flotteur fait ouvrir la vanne et rétablit le niveau de consigne et inversement si le niveau diminue. Le niveau constant passe par l’axe de rotation de la vanne.
Les avantages de ces vannes sur les régulateurs « bec de canard » sont leur faible encombrement, leur faible perte de charge (quelques centimètres), et de plus l’absence de risque d’envasement (puisque l’écoulement se fait à grande vitesse sous le tablier). Par contre, les inconvénients de ces vannes sont qu’elles nécessitent un entretien, qu’elles sont plus fragiles (risque de blocage) et qu’elles doivent être importées (dans la plupart des pays étrangers).
Avantages et inconvénients de la régulation à commande par l’amont
Les avantages de la « commande par l’amont » sont sa simplicité et le coût global nettement inférieur aux autres systèmes décrits ci-après. Ce mode de régulation convient bien pour les réseaux où l’eau est distribuée sur programme ou lorsque le canal coule à débit pratiquement constant pendant de longues périodes et ne nécessite ainsi que des manœuvres de vannes peu fréquentes. Par contre, lorsque la distribution de l’eau est effectuée à la demande, comme cela est souvent le cas dans les réseaux d’irrigation par aspersion, ce système devient très compliqué à exploiter et conduit inévitablement à des pertes d’eau à cause du caractère aléatoire de la demande et de la difficulté d’établir un programme de manœuvre des vannes.
RÉGULATION À COMMANDE PAR L’AVAL
On a vu que dans un canal en commande par l’amont on aboutit à un semi-automatisme car si l’on obtient bien un réglage automatique des niveaux, il n’en est pas de même pour les débits. Dans la régulation « à commande par l’aval » on obtient un automatisme complet à l’aide de vannes qui, par l’intermédiaire d’un réglage automatique du débit en fonction de la demande. Pour arriver à ce résultat, le canal est divisé en un certain nombre de biefs par des vannes réglant à leur aval un plan d’eau constant. Ces vannes sont constituées par un tablier amont de vannes de forme trapézoïdale, d’une charpente métallique et d’un flotteur moteur qui plonge dans un bac en communication avec le niveau aval.
Pour comprendre le fonctionnement supposons qu’une demande se manifeste à l’aval, le plan d’eau va avoir alors tendance à baisser dans le bief et le flotteur va ouvrir la vanne qui appelle ainsi dans le bief amont le débit demandé dans le bief aval. À son tour, le niveau dans le bief amont baisse et la vanne suivante ouvre et ainsi de suite jusqu’en tête du canal. À débit maximum, les vannes sont grandes ouvertes et le plan d’eau est parallèle au radier. À débit nul, le plan d’eau entre deux vannes est horizontal ; les deux plans passent par l’axe de rotation de la vanne. Les berges du canal doivent donc être horizontales entre deux vannes et le profil en long de celle-ci se présente en forme de marches d’escalier.
AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DE LA COMMANDE PAR L'AVAL
L'avantage primordial de la commande par l'aval est évidemment l'automatisme complet dans le réglage des débits et des niveaux, avec des vannes qui fonctionnent sans source d'énergie extérieure. Par contre, l'inconvénient majeur est le coût plus élevé que la commande par l'amont, à cause de la surélévation des berges. D'autre part, ce mode de régulation ne peut être adopté pour des canaux dont la pente dépasse 0,30 à 0,50 m/km car, dans le cas contraire, les vannes seraient trop rapprochées les unes des autres et, outre le coût prohibitif qui en résulterait, les conditions de stabilité risqueraient de ne plus être remplies en raison de l'insuffisance des volumes d'onglet.
RÉGULATION AVEC VANNES MIXTES
Ce mode de régulation a été imaginé pour les aménagements où le débit en tête du canal suit un programme qui est indépendant des besoins en aval : c'est le cas d'une centrale hydro-électrique fonctionnant essentiellement aux heures de pointe, qui alimente un réseau d'irrigation, ou encore d'un canal desservi par une station de pompage qui, par économie, doit fonctionner aux heures creuses. Dans ces deux cas, et avec un canal équipé en commande par l'aval simple, la première vanne fermera de plus en plus et le premier bief ne tardera pas à déborder lorsque le débit introduit en tête deviendra supérieur à la demande.
Inversement, si le débit envoyé dans le canal devient inférieur aux besoins, toutes les vannes vont ouvrir en grand de l'amont vers l'aval, le plan d'eau va baisser et tout se passera comme s'il n'y avait pas de régulation : seules les premières prises d'eau seront desservies et celles de l'aval seront privées d'eau.
Pour éviter ces inconvénients on utilise des vannes mixtes, c'est-à-dire des vannes équipées d'un double flotteur dont l'un est en communication avec le niveau aval et l'autre avec le niveau amont, le flotteur qui commande la vanne dépendant des niveaux relatifs amont et aval.
Ces vannes ont plusieurs fonctions :
— niveau aval constant lorsque le débit en tête du canal correspond au débit de la demande ; — niveaux associés lorsque le débit du canal est supérieur à la demande ; le niveau aval suit alors la montée du niveau amont avec un certain décalage et il y a stockage d'eau dans les biefs ; — fonction « crue » : si le niveau amont monte au-dessus d'une certaine limite, les vannes exécutent le surdébit de bief en bief jusqu'à un exutoire ; — répartition de la pénurie : lorsque le débit en tête du canal est inférieur à la demande et que le niveau amont baisse en dessous d'une cote minimum, les vannes se ferment de l'amont vers l'aval en maintenant dans chaque bief un certain volume d'eau ; la pénurie est ainsi également répartie entre toutes les prises d'eau.
RÉGULATION À NIVEAUX CROISÉS
On a vu que l'inconvénient majeur de la commande par l'aval simple était de nécessiter des canaux à berges horizontales. La régulation à niveaux croisés a pour but de minimiser cet inconvénient. Il s'agit également d'une régulation en commande par l'aval, mais ici les vannes sont asservies non pas par un seul niveau situé immédiatement à l'aval, mais à deux niveaux situés aux deux extrémités du bief. Ces deux niveaux sont détectés par deux capteurs et retransmis par câbles ou par radio à un régulateur qui commande le servomécanisme de la vanne.
Avec ce système la vanne commence à réagir dès qu'une variation de niveau due à une augmentation ou à une diminution de la demande se manifeste à l'aval du bief (alors que dans la commande par l'aval simple la vanne ne réagit que lorsque l'onde de variation de régime a remonté tout le bief). Ainsi, lorsque le débit varie, la ligne d'eau pivote autour d'un point situé sensiblement au milieu du bief et, en conséquence, les berges du canal sont parallèles au radier sur la partie amont du bief et ne doivent être horizontales que sur la partie aval. Il est évidemment impensable de laisser des systèmes électriques isolés dans la nature et il est donc nécessaire de relier l'ensemble des équipements à un dispatching de télésurveillance par des lignes de télétransmission.
RÉGULATION DYNAMIQUE
Il s'agit d'un système de régulation qui, à l'aide d'un équipement de télétransmission et d'un ordi-
ordinateur industriel, assure automatiquement les réglages des différentes vannes le long du canal en fonction des besoins à satisfaire. À cette fin, le canal est équipé de régulateurs « bec de canard » avec vannes télécommandées ainsi que de télémesures pour les niveaux d’eau (une à deux mesures par bief) pour les positions des vannes et pour les débits des différentes prises d’eau (équipées de modules à masques pour les canaux à surface libre et de débit-mètres pour les conduites). Toutes ces mesures sont retransmises par câbles, ou par radio, ou encore par ligne P.T.T. louées et reliées à l’ordinateur installé dans un centre général de télécontrôle. La même ligne de télétransmission permet à l’ordinateur de transmettre les ordres aux vannes motorisées. L’ordinateur reçoit ainsi tous les quarts d’heure les informations sur les niveaux d’eau dans les différents biefs, sur les positions des vannes et sur les débits des prises d’eau ; en fonction de ces éléments, il effectue pour chaque bief le bilan des apports, des prélèvements et des réserves du bief. Il détermine pour chacun des biefs les débits nécessaires pour maintenir ou rétablir l’équilibre dans les instants qui vont suivre en fonction des prévisions sur l’évolution des consommations et en tenant compte du temps de réponse du canal ; l’ordinateur calcule ensuite les nouvelles positions des vannes en fonction des débits nécessaires et des lois « ouverture-débit » de celles-ci et il les pilote jusqu’à ce qu’elles aient le degré d’ouverture nécessaire.
Ce mode de régulation présente quatre avantages primordiaux :
- — il ne nécessite pas de berges horizontales pour les canaux, d’où une importante économie de génie civil par rapport à la commande par l’aval ;
- — les ouvrages de régulation sont simplement constitués par des vannes motorisées installées dans les pertuis d’extrémité des régulateurs « bec de canard » ;
- — d’autre part, alors que les systèmes de régulation à commande par l’aval doivent être réalisés en une seule phase pour le stade définitif, les équipements de la régulation dynamique peuvent être échelonnés au fur et à mesure de la progression des besoins et de la mise en service des prises d’eau ainsi qu’en fonction du degré de perfection de la régulation que l’on désire obtenir (suivant la valeur de l’eau et des possibilités d’investissement) ;
- — sur le plan de la sécurité, la régulation dynamique permet une surveillance continue du canal par la visualisation dans un dispatching des niveaux du plan d’eau et des dispositions des vannes ainsi que par les alarmes signalant les anomalies.
CONCLUSION
La régulation à commande par l’amont est le système le plus simple et le plus économique à adopter lorsque l’eau est distribuée au tour d’arrosage avec un programme bien défini et que les débits du canal restent constants pendant de longues périodes.
Les pertes d’eau inévitables pendant les périodes de changement de régime peuvent être cependant récupérées dans des réserves et réutilisées au redémarrage des irrigations.
Si la distribution est faite à la demande, on a le choix entre trois systèmes :
- — la régulation à commande par l’aval ;
- — la régulation à niveaux croisés ;
- — la régulation dynamique.
Dans les deux premiers systèmes, la régulation est définitivement figée au départ et doit être prévue pour le stade d’équipement final ; la régulation dynamique est, par contre, un système évolutif que l’on peut adapter au fur et à mesure des besoins. Elle permet en particulier de moderniser les canaux anciens équipés en commande par l’amont en réutilisant les vannages existant.
Le choix entre ces trois solutions doit résulter d’une étude technique et économique tenant compte de la valeur de l’eau économisée, des possibilités d’investissement et des conditions locales.
La régulation avec vannes mixtes est préférable pour les canaux alimentés par une usine hydroélectrique ou par une station de pompage dont le programme de fonctionnement est indépendant des besoins d’irrigation.