Robert LOUBOUTIN
Société Degremont
Il y a environ une dizaine d’années, le développement de l’utilisation des moyens de l’informatique industrielle, dans la conduite et le contrôle automatiques des installations de traitement des eaux marqua le pas, sans doute parce que la récolte escomptée de la mise en œuvre de ces moyens fut généralement loin de répondre aux promesses, et un certain désenchantement succéda assez vite à l’enthousiasme (parfois teinté de naïveté) qui avait marqué la conception des premières réalisations. Cela tient sans doute au fait que, dans l’état de la technologie de l’époque, on ne disposait que de systèmes centralisés surpuissants qui, à l’expérience, se sont révélés assez mal adaptés à la résolution des problèmes posés par la gestion automatique des usines de traitement des eaux et de plus, difficiles à rentabiliser.
L’avènement du microprocesseur et le développement parallèle des mémoires électroniques, qui devaient donner naissance à la micro-informatique, ont totalement bouleversé les données du problème en mettant à la disposition du concepteur d’installations de traitement des eaux, qui peut-être n’en a pas tout de suite pris la parfaite conscience, de nouveaux moyens se caractérisant par :
- — une excellente adéquation à la résolution des problèmes que pose la gestion automatique des procédés de traitement des eaux,
- — une très bonne fiabilité qu’il est possible d’appréhender a priori avec une très faible marge d’incertitude,
- — un coût compatible avec celui des installations à gérer et modulable en fonction de leur importance, ce qui permet leur rentabilisation même lorsqu’ils sont utilisés pour la gestion automatique d’installations d’importance relativement modeste.
L’utilisation de ces moyens capables de résoudre de manière élégante les problèmes de logique séquentielle, de calcul et de régulation automatique, tels qu’ils se posent dans les installations de traitement des eaux, permet de concevoir des systèmes organisés en « structures hiérarchisées décentralisées » dès qu’il s’agit de gérer ce type d’installations, caractérisées généralement, tout au moins dans le cas du traitement des eaux potables ou des eaux résiduaires, par une certaine dispersion géographique. Nous rappellerons que de telles structures correspondent schématiquement à l’implantation locale auprès des procédés d’automates comportant une unité centrale à microprocesseur qui doivent en assurer le pilotage automatique et à la mise en place dans une salle de contrôle d’un système central de gestion et de surveillance, lequel peut être relié à un système encore plus centralisé assurant la télésurveillance de plusieurs usines.
La mise en œuvre de tels systèmes de contrôle centralisé et de commande automatique réparties au niveau des procédés permet de concevoir des structures au contenu évolutif en fonction des nécessités de l’exploitation et/ou des possibilités financières de l’exploitant.
Les figures 1 et 2 illustrent à titre d’exemple l’implantation de tels systèmes respectivement dans une installation de traitement d’eau potable et dans une installation d’épuration d’eau résiduaire. Il apparaît à l’évidence que ces systèmes se prêtent particulièrement bien à une élaboration en plusieurs étapes, la première consistant en la mise en œuvre complète ou partielle d’automates locaux spécialisés, la seconde, si nécessaire, en la réalisation complète du réseau d’automates, la troisième en la mise en place du contrôle centralisé dont le contenu peut être également évolutif par l’étalement dans le temps du raccordement des différents périphériques.
Si nous avons placé en dernier lieu la réalisation du système de contrôle centralisé, c’est parce qu’il faut bien constater que si actuellement la contribution des automates à microprocesseurs à la simplification et à la sécurité du fonctionnement des usines de traitement des eaux est bien admise, il n’en est pas toujours de même du contrôle centralisé qui très souvent est perçu plus comme un élément de confort que comme une nécessité. Cela est sans doute inhérent au fait que l’objectif visé, qui est en premier lieu la mécanisation des opérations déplaisantes par leur banalité et leur répétitivité ou encore dangereuses, est atteint par l’automatisation des procédés, laquelle n’est pas subordonnée à la présence d’un contrôle centralisé. Cette situation
n'est certainement que temporaire car on peut raisonnablement penser que dans un avenir relativement proche on assistera à une meilleure prise de conscience de la contribution que peuvent apporter les systèmes de contrôle centralisé à la sécurité du fonctionnement des installations automatisées et de leurs potentialités en matière d'optimisation de la gestion de ces installations, ce qui devrait se traduire normalement par un accroissement sensible de leur développement.
La mise en œuvre de structures d'automatisme et de contrôle telles que définies pose cependant un certain nombre de problèmes tant au niveau des automates que des systèmes de contrôle centralisé, problèmes que nous allons examiner brièvement à la lumière des expériences que nous avons pu faire dans ce domaine.
Automates
La recherche de la sécurité maximale de fonctionnement d'un processus complexe automatisé de traitement des eaux conduit à le découper en un certain nombre de procédés considérés comme indépendants, mais pouvant être interconnectés et qui sont alors asservis à des automates locaux capables de dialoguer entre eux pour éviter toute situation conflictuelle aux interconnexions.
Il en résulte bien entendu un certain nombre d'avantages :
- — raccourcissement des câblages de liaison du fait de la proximité (parfois il est vrai, relative) des automates et des appareils commandés,
- — facilité de localisation d'une défaillance et limitation du personnel nécessaire à une reprise en manuel du fait de la probabilité quasi nulle d'une panne simultanée de plusieurs automates,
- — possibilité de l'extension de l'automatisation des procédés au fur et à mesure des besoins et/ou des possibilités budgétaires.
Cette disposition conduit généralement à une analyse au coup par coup de l'ensemble du procédé qui tient compte de ses particularismes, à la programmation de l'automate pour toute la logique séquentielle et la régulation, au déverminage du programme implanté ensuite dans l'automate. Lorsque le procédé est complexe, le coût des opérations d'analyse et de déverminage devient relativement lourd dans le prix de l'automatisme et il est donc hautement souhaitable d'en minimiser l'effet.
Généralement, la mise en application du procédé tel qu'il résulte du découpage réalisé est assurée grâce à un certain nombre d'appareils dont plusieurs d'ailleurs peuvent être identiques et dont le fonctionnement, quel que soit son degré de complexité, est bien connu et stabilisé. Par contre, le mode d'association de ces appareils ou celui de fonctionnement de leurs annexes est la plupart du temps particulier à chaque installation.
Dans ces conditions, on peut se demander si pour réduire le prix du « soft » et accroître encore la fiabilité du système, il ne faut pas aller encore plus loin dans la décentralisation et imaginer que le pilotage automati-
que de chacun de ces appareils soit assuré par un mini-automate spécifique programmé à cet effet et qui tendrait vers la « boîte noire » dont le fonctionnement serait quasi transparent pour l'utilisateur qui aurait toutefois accès à la modification des valeurs de temporisations et de consignes de régulation introduites dans la machine. L’expérience nous a en effet montré qu'après mise en service d'un appareil de traitement des eaux, seuls ces paramètres étaient parfois modifiés par l’exploitant et que celui-ci ne procédait jamais de sa propre initiative à des modifications touchant aux programmes de logique séquentielle ou aux algorithmes de régulation. On peut d’ailleurs concevoir que lorsqu’un appareil est susceptible de différents modes de fonctionnement, plusieurs programmes soient implantés à demeure dans l'automate et appelés par l’exploitant avec la même simplicité qu’il fixe une valeur de consigne de régulation.
De tels automates devraient comporter obligatoirement une liaison série normalisée permettant leur insertion dans une structure du type « maître-esclave » dans laquelle un automate, prenant en compte les particularités du procédé, assurerait leur coordination et la gestion des annexes ou encore leur surveillance par un système central de contrôle, ce qui impose leur équipement d'un dispositif du type « chien de garde ». Compte tenu de la faible taille de cet automate, et donc de son coût réduit, sa redondance pourrait être envisagée, ce qui bien entendu accroîtrait encore la fiabilité de l'automatisme. En outre, cette machine située au centre de gravité d’une zone fonctionnelle pourrait, dans le cas de l’existence d’un contrôle centralisé, jouer le rôle de concentrateur diffuseur des informations concernant le procédé à la commande duquel il est affecté.
Ainsi, par exemple, dans une installation de traitement d'eau potable dont la commande est schématisée par la figure 1, la filtration est considérée comme un procédé indépendant et la commande ainsi que la régulation automatique des appareils de mise en œuvre de ce procédé, en l'occurrence les filtres, sont assurées par un ou deux automates. Il est évident que, si à chaque filtre était associé un mini-automate réalisant sa régulation et le déroulement séquentiel de son lavage, l'ensemble de ces mini-automates étant relié par des liaisons séries à un automate en charge en particulier de la gestion des organes communs de lavage, la sécurité de fonctionnement du procédé serait considérablement accrue. D’autres exemples d'appareils de traitement des eaux susceptibles d’être ainsi automatisés pourraient bien entendu être cités (échangeurs d’ions, ozoneurs, appareils de déshydratation, etc.).
Contrôle centralisé
Même lorsque son besoin est ressenti, la mise en œuvre d'un contrôle centralisé est souvent abandonnée, eu égard au surcoût qu’elle induit.
Nous pensons toutefois que l'utilisation des moyens de la micro-informatique pour la réalisation d’un tel contrôle doit permettre, actuellement, de concevoir des systèmes dont le coût s’inscrit dans les possibilités budgétaires du moment, et dont l’extension dans le temps peut se faire au fur et à mesure des dotations en crédits.
Ainsi, pour les installations où des contraintes budgétaires imposent en première étape un contrôle centralisé d’importance réduite, on peut concevoir un système organisé autour d'une unité centrale constituée par un micro-ordinateur du commerce du type « multitâches », disposant d'un maximum de logiciels de gestion de périphériques, tel qu'il est présenté à la figure 3.
La configuration représentée peut très bien, si besoin est, se réaliser par exemple en trois étapes successives :
- — la première correspondant à une amorce de contrôle centralisé peut être limitée à la mise en place d'une console d'exploitation courante permettant la visualisation des états des automates locaux et la transmission d’ordre à ces automates,
- - la seconde peut consister au raccordement d'une imprimante d’édition d'un journal de bord donnant tous les événements au fur et à mesure de leur apparition sur l’installation et également les modifications volontaires dotées de valeurs de paramètres.
Elle
[Figure : Figure 3]peut également consigner les changements de configuration tels que adjonction ou suppression d’informations, modification du libellé, etc., restituer des informations ne transitant pas nécessairement par les automates,
- — l’étape définitive correspond à la mise en œuvre d'une mémoire de masse et à l’adjonction de périphériques supplémentaires et aboutit à un système relativement performant, car permettant une analyse du fonctionnement des procédés à partir du stockage permanent de leurs paramètres caractéristiques en vue de tendre vers leur fonctionnement optimal.
L’exploitation courante est également grandement facilitée grâce à la présence d'une visualisation en couleur de présentation de schémas synoptiques animés et de courbes de mesures stockées après un éventuel traitement mathématique. Dans le même ordre d’idées, des consignes d’entretien programmé peuvent être éditées quotidiennement par l’imprimante du journal de bord.
Une imprimante graphique permet des recopies de courbes, l’édition de bilans : totalisation de débits, consommation d’énergie, temps de marche de certains organes, etc. et donne donc la possibilité d’une analyse en temps différé du fonctionnement de l’installation.
Le système que nous venons d’évoquer est évidemment limité tant quantitativement que qualitativement, aussi lorsque des problèmes de capacité et de rapidité d’exécution se posent, recourons-nous à une structure de contrôle centralisé plus performante développée par la Compagnie d’Engineering Electronique qui se caractérise par l'utilisation de cartes systèmes à microprocesseurs de 8 à 16 bits fonctionnant en système multiprocesseurs et permettant l’accès à un champ mémoire important de 1 M octets.
Une telle structure est typiquement représentée à la figure 4 et peut donc comporter au niveau de son unité centrale :
- — un microprocesseur 8 bits de pilotage d’un ensemble de coupleurs synchrones destinés à l’acquisition des informations,
- — un microprocesseur 16 bits de traitement des informations et de gestion des périphériques,
- — un microprocesseur 8 bits de gestion de la mémoire de masse.
Ce système moins coûteux et plus souple d’emploi qu'un système bâti autour d’un mini-ordinateur unique, permet un fonctionnement en « mode dégradé » au niveau des périphériques, dont l’installation peut être répartie dans le temps. Il gère à la fois des tâches en temps réel et des tâches de gestion proprement dites dont le logiciel est « configurable » à la demande, le système continuant à assurer ses tâches en temps réel durant le temps de la création de nouveaux programmes de gestion, ce qui est particulièrement intéressant. Dans une extension du système, le dialogue de création de ces programmes peut s’établir en langage évolué tel que le PL/M ou le Pascal.
La procédure de dialogue, tant de conduite en exploitation courante que de création de programmes, réalise un bon compromis entre la rapidité et la clarté, l’expérience nous ayant montré la nécessité de la concision des dialogues pour un opérateur qui, ayant bien le système en main, souhaite un déroulement des séquences aussi rapide que possible.
Nous terminerons ce survol rapide de la commande automatique et du contrôle des installations de traitement des eaux par les moyens de la micro-informatique, en disant quelques mots de l’incidence au plan humain que peut avoir la mise en œuvre de ces moyens.
Leur utilisation impose des mutations considérables au plan des méthodes de travail des exploitants qui doivent être convaincus de la nécessité de ces systèmes et bien les accepter, car le rôle de l’exploitant de base n’est plus alors de se contenter de constater puis de rendre compte (la « machine » le fait pour lui), mais de réfléchir aux décisions à prendre devant une situation donnée, de rechercher l’explication aux anomalies constatées et d’agir pour y remédier. Il est essentiel que l’opérateur n’ait pas l’impression de subir une machine qui complique plus sa tâche qu’elle ne la simplifie, et il faut donc que les possibilités du système soient telles qu’il le ressente vraiment comme un outil à son service.
Le bon fonctionnement de ces systèmes étant lié à celui des capteurs et des transmetteurs d’informations, la maintenance qui, à ce niveau, est le plus souvent curative, doit nécessairement évoluer vers une maintenance préventive constante. Le système de contrôle centralisé peut d’ailleurs l’aider également dans ce domaine en lui rappelant chaque jour sur le journal de bord les opérations programmées de maintenance qu'il doit assurer.
C’est à ces conditions que les objectifs de sécurité de fonctionnement, d’optimisation, d’efficacité et de réduction des coûts d’exploitation peuvent être atteints.