Le réseau des rivières françaises s’étend sur environ 300 000 km ; mis à part quelque 14 000 km de rivières domaniales, ces cours d’eau appartiennent à des propriétaires privés qui sont responsables de leur entretien.
Le mode de gestion de nos rivières, qui avait été peu à peu mis en place à une époque caractérisée par une population plus nombreuse, intéressée par les possibilités de valorisation économique des bois et taillis coupés lors de l’entretien, et utilisatrice de l’énergie de l’eau (moulins, petites usines artisanales), a été remis en question. En effet, l'abandon progressif de ce mode de gestion, qui a commencé il y a près de soixante-dix ans, a été lié dans un premier temps à la saignée de la guerre de 1914-1918 et dans un deuxième temps, après 1945, à la rapidité des transformations de l’agriculture française : celle-ci s’engagea alors dans un processus généralisé d’intensification de la production, accompagné d'une forte réduction des actifs agricoles permise par la mécanisation.
En même temps que l’intérêt direct du riverain pour sa rivière s’amenuisait, la pression de la communauté villageoise pour faire respecter les règles d'une gestion patrimoniale des rivières et obliger les propriétaires riverains à exécuter les travaux d’entretien diminuait. Les défaillances dans la gestion des rivières ont ainsi entraîné une dégradation lente et continue des conditions d’écoulement des crues, le lit vif, ou lit mineur, étant encombré de barrages de végétation morte ; par ailleurs les berges envahies de broussailles sont devenues impénétrables, la rivière elle-même étant parfois recouverte d’une véritable forêt-galerie, rendant ce milieu hostile et inaccessible. Les inondations qui ont résulté de l’encombrement du lit de la rivière sont d’autant plus mal ressenties que l’urbanisation et les cultures intensives se rapprochent des cours d’eau et en colonisent de plus en plus le lit majeur, inondable par définition. Il a donc fallu intervenir dans un nombre de cas de plus en plus important pour maîtriser les inondations.
Dans un premier temps, dans les années soixante, la priorité donnée aux problèmes hydrauliques a conduit les techniciens à effectuer des travaux de terrassement lourds, inspirés de considérations purement hydrauliques :
- — le recalibrage, qui consiste à agrandir les dimensions du lit mineur, en largeur et en profondeur, pour augmenter sa capacité d’écoulement ;
- — le reprofilage ou la rectification qui remplacent un tracé sinueux, avec méandres, par une ligne droite, augmentant ainsi la pente du cours d’eau.
Ces deux opérations étaient généralement exécutées simultanément ; la rivière se retrouvait avec un lit (fond et berges) nouveau, sans végétation donc fragile, uniforme donc peu favorable à la reconstitution des habitats aquatiques. Localement le problème d’inondation était résolu, le débit qui pouvait alors s’écouler sans débordement étant nettement accru. L’inconvénient est que, d’une part cela oblige en général à continuer les travaux vers l’aval, où les inondations sont aggravées et que, d’autre part, localement, le flot plus rapide retrouvant de l’énergie se recharge de matériaux arrachés aux fonds et aux berges, ce qui provoque une érosion accélérée du nouveau lit.
Ces phénomènes de réajustement ont souvent été ressentis par les techniciens comme un échec partiel, du fait qu’ils ne les avaient pas prévus et qu’il a souvent fallu installer des protections coûteuses (enrochements de berges, épis) pour limiter l’érosion due à l'aménagement. Par ailleurs, la dégradation paysagère et écologique provoquée par ce type de travaux a suscité de vives oppositions de la part de certains riverains et de divers utilisateurs de ces rivières, en particulier les pêcheurs. Cela a même, dans certains cas, empêché toute intervention alors qu’il fallait vraiment intervenir d’urgence, à cause des inondations liées à l’absence d’entretien.
Depuis les années 1970, l’évolution du contexte économique et social et la prise…
en compte de facteurs plus qualitatifs, notamment sous la pression de mouvements écologistes, modifient la situation. De nombreux ingénieurs remettent en cause leur pratique et s’orientent vers des aménagements moins traumatisants pour la rivière et moins coûteux : ils utilisent de plus en plus des techniques qui ne mettent en jeu que des terrassements légers et un traitement de la végétation, les terrassements lourds et systématiques étant réservés à la protection des habitations, des voies de communication et des installations industrielles, ainsi que des cultures intensives, lorsque leur valeur justifie l’installation de protections coûteuses. Cette nouvelle pratique suppose une appréhension globale de la rivière et de son environnement, ce qui demande des investigations plus fines et plus variées que lorsque l’on ne traite que l’aspect hydraulique. Cela implique l’intervention, à côté de l’hydraulicien qui garde un rôle prépondérant, de spécialistes d’autres disciplines (des hydrobiologistes en particulier). Les coûts d’études sont plus importants que dans le cas de travaux purement hydrauliques et le maître d’œuvre, responsable de la conception et de l’exécution des travaux, doit assurer une présence plus suivie sur le chantier. Par contre, des économies substantielles sont faites sur les terrassements.
Le simple traitement de la végétation (enlèvement des éléments ligneux qui encombrent la rivière, faucardage, débroussaillement des berges) permet déjà une amélioration considérable de la capacité d’écoulement ; complété par des opérations telles que curage du lit, réparation d’ouvrages, éventuellement terrassements légers… il permet de restituer à la rivière, de façon homogène, sa capacité potentielle d’écoulement. Ainsi s’est dégagée peu à peu, à côté des aménagements mettant en œuvre systématiquement des terrassements lourds modifiant le gabarit ou la pente du lit, la notion de restauration des cours d’eau. Peu coûteuse, elle vise à optimiser les capacités de débit de la rivière en respectant son environnement biologique et paysager ; souvent suffisante pour atteindre l’objectif hydraulique visé, elle a en outre l’avantage de ne pas induire des dépenses inconsidérées pour stabiliser un lit et des berges redevenus instables et soumis à l’érosion.
*
*
*
Depuis quelques années, en complément des actions menées dans le domaine de l’eau par les autres directions du ministère de l’Environnement, la délégation à la qualité de la vie participe à l’évolution des pratiques d’aménagement de rivières en cherchant à promouvoir une appréhension plus globale de la rivière et de son environnement, tant au niveau de son aménagement ou de sa restauration que de son entretien. En effet, sous nos climats, les rivières de plaine et de coteaux, aux faibles pentes et au régime irrégulier avec des étiages souvent prononcés, sont rapidement envahies à nouveau par la végétation après leur aménagement. Un entretien régulier, c’est-à-dire le débroussaillement des berges et l’enlèvement des branchages tombés dans la rivière, le renforcement éventuel de berges soumises à l’érosion, de petites interventions mécaniques et l’entretien des seuils sont nécessaires pour assurer la pérennité des résultats de l’aménagement.
Pour promouvoir cette approche globale, qui pour l’essentiel consiste à concilier l’objectif hydraulique (écoulement satisfaisant des crues et assainissement des terres agricoles) et l’objectif « écologique » (maintien de la qualité hydrobiologique et paysagère de la rivière), la délégation à la qualité de la vie a choisi de mettre en valeur des cas d’aménagement que l’on peut considérer comme réussis de ces deux points de vue, et qui sont perçus comme tels par les acteurs de cet aménagement.
En effet, si la notion d’approche globale, de gestion intégrée, est admise par la plupart des décideurs (des élus le plus souvent) la mise en application pratique est loin d’être évidente. À la multiplicité des objectifs correspond une multiplicité des acteurs, qu’il s’agisse des utilisateurs de la rivière (agriculteurs, pêcheurs, industriels, touristes…) ou des divers spécialistes qui participent à l’élaboration du projet. De plus les contraintes économiques obligent à faire un choix, tant au niveau des études que des aménagements : on a rarement le temps et les moyens financiers d’étudier en détail la rivière dans toutes ses composantes et de tout protéger contre les inondations les plus exceptionnelles !
Les choix techniques sont difficiles à faire et les structures de gestion de la rivière, qu’il s’agisse de l’aménagement ou de l’entretien, sont délicates à mettre en place. Dans ces conditions, il nous a semblé que faire connaître, grâce à des publications largement diffusées, à des audiovisuels, à l’organisation ou à la participation à des journées de formation et d’information, des cas réussis que l’on peut visiter et dont on peut rencontrer les responsables, pouvait contribuer efficacement à la généralisation de cette gestion intégrée tant souhaitée : une nouvelle « gestion patrimoniale » adaptée au contexte de notre société actuelle.