En France, les sécheresses successives associées à l’activité humaine (agricole et industrielle) entraînent une raréfaction ainsi qu’une baisse de la qualité des ressources en eau provenant de nappes ou de barrages. Dans ce contexte, la Réutilisation des Eaux Usées Épurées (REUE) devient un outil de plus en plus pertinent dans la préservation des ressources naturelles.
Contexte et objectifs
La REUE permet de protéger les milieux sensibles en diminuant les prélèvements, de réaliser des économies sur la consommation en eau potable, de diminuer voire de supprimer les taxes sur les rejets industriels et, également, d’améliorer l'image des collectivités et des industries. C’est une action qui
[Photo : Figure 1 : Déclinaisons des recommandations de l’OMS dans différents pays.]
s’inscrit dans une démarche de Développement Durable.
Cependant, les applications de la REUE restent relativement disparates en Europe et peu d’études scientifiques tendent à appuyer ce concept. L’apport de données scientifiques concrètes sur les filières de traitement doit permettre de lever les verrous technico-économiques et réglementaires qui, aujourd’hui, freinent l’expansion de la REUE en France et en Europe.
En outre, les applications industrielles ou domestiques ne sont pas citées dans les textes de lois français, contrairement à d’autres pays (cf. figure 1). Pourtant, les applications possibles de la REUE sont multiples et correspondent aux besoins actuels en eau d’irrigation, eau industrielle, eau potable :
- • Recharge de nappes
- • Irrigation en agriculture
- • Irrigation des espaces verts et terrains de sport
- • Alimentation de bassins d’agrément
- • Utilisation en eau industrielle
- • Utilisation en eau domestique ou commerciale...
[Photo : Figure 2 : Plan “classique” de la station d’épuration du Guilvinec.]
[Photo : Figure 3 : Plan Aqua-RM® de la station du Guilvinec.]
Aspects réglementaires
Il existe un vide juridique évident en France, et en Europe en général, concernant la REUE. D’autres pays comme les États-Unis (“Guidelines” de l’US EPA, 1992) et le Japon utilisent déjà cette voie dans le cadre d’utilisations agricoles, industrielles et même domestiques.
Ce « retard » vient du fait que la réglementation française décrit uniquement la réutilisation des eaux usées épurées en irrigations et cite, à ce titre, les recommandations de l’OMS de 1989 (Recommandations du CSHPF par circulaire n° 51 du 22/07/1991 et du 03/08/1992 du ministère chargé de la Santé). Des contraintes très strictes régissent les moyens mis en œuvre pour l’irrigation et ne tiennent pas compte des avancées technologiques actuelles.
Elle permet en outre de protéger des milieux récepteurs sensibles (zones conchylicoles, zones de baignades…) en limitant rejets et prélèvements.
En France, les utilisations les plus courantes à l’heure actuelle sont l’arrosage des espaces agricoles, l’arrosage des espaces verts et des terrains de sport et le recyclage d’eaux industrielles au sein de l’industrie concernée. Ce sont en effet des utilisations pour lesquelles les recommandations de l’OMS peuvent s’appliquer, moyennant des précautions d’usage (contraintes de distance, contraintes d’usage, caractéristiques phy-
[Photo : Vue extérieure de la station d’épuration du Guilvinec]
[Photo : Vue du bâtiment d’exploitation de la station du Guilvinec]
[Photo : Vue des bassins de la station du Guilvinec]
physico-chimiques, microbiologiques et parasitologiques des eaux traitées, traitements d'épuration…)
C'est dans l'objectif de développer plus largement le concept REUE en France et en Europe que la Direction R&D du groupe SAUR a mis en place, en 2005, un site expérimental destiné à tester les performances de la filière « Bioréacteur à Membrane (Aqua-RM®) » suivi d'une osmose inverse (OI) sur la station du Guilvinec.
Boue activée et un décanteur tertiaire. Sur la figure 3, on voit la station réellement construite, avec la technologie Aqua-RM®. Les espaces respectivement occupés par le traitement biologique et la séparation tertiaire (décanteur ou membrane) sont entourés en bleu.
- • Très bonne qualité d'eau en sortie : l’Aqua-RM® associe à un traitement biologique poussé, une filtration de l'eau usée et permet ainsi l’abattement des matières en suspension et des microorganismes. L’eau ainsi épurée a une qualité d'eau de baignade (cf. photographie 4).
[Figure : Principe de l’Aqua-RM®]
Choix du site d’expérimentation
La ville du Guilvinec (Finistère) a fait le choix de la technologie membranaire Aqua-RM® de SAUR en 2003 (cf. photographies 1, 2, 3), pour les avantages évidents qu'elle présente :
- • Gain de place : l'Aqua-RM® permet de diviser par trois la surface au sol nécessaire pour le traitement et la décantation des eaux usées. La figure 2 présente l'encombrement surfacique qu’aurait engendré la construction d'une station « classique » avec un bassin de boue activée et un décanteur tertiaire.
[Figure : Filtration des particules par les membranes plaque Kubota de l’Aqua-RM®]
Sur la station du Guilvinec, l'eau traitée est également utilisée pour de multiples usages internes : préparation de réactifs, nettoyage des sols, arrosage des plantes, alimentation d'un bassin d’agrément, chauffage des locaux par pompe à chaleur… etc.
En raison de la très bonne qualité d’eau produite par sa station, la ville du Guilvinec a également obtenu une autorisation préfectorale, sur accord de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, pour réutiliser cette eau à des fins d’arrosage des espaces verts et de nettoyage des voiries.
[Photo : Aspect des eaux en entrée (EB), dans le bassin de boues activées (BA) et en sortie des membranes de l'Aqua-RM® (ET)]
Dans le cadre d’un programme de recherche, un pilote d’osmose inverse a été installé sur la station d’épuration du Guilvinec, en sortie des membranes de l'Aqua-RM®. La mise en place de cette unité pilote de traitement d’affinage fait ainsi entrevoir d'autres potentialités de REUE pour cette collectivité à forte activité portuaire, en économisant la consommation d’eau potable par l'utilisation d'eau de qualité osmosée.
[Photo : Vues des modules contenant les plaques de filtration KUBOTA]
La filière Aqua-RM® – osmose inverse
Le procédé Aqua-RM® consiste en un traitement biologique poussé, fonctionnant avec une concentration élevée en boue (10 – 15 g/l) suivi d'une filtration par membranes plaques immergées Kubota (cf. figure 5). L’eau ainsi traitée et filtrée présente les caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques d'une eau de baignade. La figure 4 illustre le principe de traitement de l’Aqua-RM®. Les photographies 5 et 6 présentent des vues des modules contenant les plaques de filtration membranaire.
L’osmose inverse (OI) est un procédé de fil…
[Photo : Schéma du pilote d’osmose inverse installé au Guilvinec.]
La filtration membranaire sous pression permet de séparer l'eau de la matière organique, des sels dissous, mais également des microorganismes, dont les virus. Les molécules ainsi retenues ont une taille inférieure à 10 Å (1 Å = 10⁻¹⁰ m). Ce procédé est déjà utilisé dans le dessalement d’eau de mer ou la production d’eau de process en agro-alimentaire.
Au Guilvinec, l'unité pilote (cf. photographie 7) est alimentée avec l'eau traitée de l’Aqua-RM® à raison de 1,5 m³/h environ et permet de produire 1 m³/h d’eau osmosée. Le mode de fonctionnement est illustré dans la figure 6.
Le pilote est constitué de 3 modules membranaires, contenant chacun 2 membranes DOW Filmtec™ XLE 4040, pour une surface totale de filtration d'environ 48 m². La mise en pression est assurée par une pompe d’alimentation basse pression suivie d'une pompe haute pression, permettant de travailler à des pressions supérieures à 10 bar. Une préfiltration est nécessaire pour protéger les membranes en cas d'introduction de poussières dans le circuit ou dans la bâche de stockage intermédiaire.
Performances
Étant donnés la complexité des polluants contenus dans les eaux usées et l'objectif de réutilisation de ces eaux après traitement, il est indispensable d’élargir le panel de mesures traditionnellement réalisées en traitement des eaux. Ainsi, en sus des analyses physico-chimiques classiques, des dosages de micropolluants (organotaneux, phénols et œstrogènes) et des mesures de microorganismes ont été réalisés.
Les paramètres microbiologiques suivis en priorité sont les virus, dont la taille est nettement inférieure à celle des bactéries retenues par la membrane de microfiltration Kubota. Les entérovirus permettent d'évaluer l'état de contamination d'une eau. Les coliphages sont des virus de bactéries totalement inoffensifs pour l’homme mais présents en grande quantité dans les eaux usées. Leur abattement est donc particulièrement significatif des performances de la filtration.
La toxicité a également été évaluée. Cette analyse est classiquement réalisée dans le cadre des études d’agrément de membranes utilisées en eau potable. Le principe de la mesure est simple : il s'agit de mettre en présence l’échantillon à tester avec des cellules humaines. Le pourcentage de synthèse d’ARN est ensuite mesuré et reflète l'état des cellules (un pourcentage de 100 % indiquant que toutes les cellules sont en bon état). La toxicité est un indicateur global de la qualité de l'eau qui complète les analyses ciblées listées précédemment.
SAUR a réalisé ce suivi analytique en partenariat avec le CRECEP (Centre de Recherche d’Expertise et de Contrôle des Eaux de Paris) et le laboratoire PAE (Pôle Analytique des Eaux) de Brest.
Les indices de colmatage, Silt Density Index (SDI) et Modified Fouling Index (MFI), ont été mesurés afin d’évaluer le pouvoir colmatant de l'eau traitée par l’Aqua-RM® et de vérifier que celle-ci pouvait être affinée par osmose inverse. Le SDI est défini comme étant la réduction moyenne sur 15 minutes, en % par minute, du débit à travers un filtre de 0,45 µm en écoulement frontal, à une pression constante de 2,1 bar (ASTM, 1982). L’eau d’alimentation d’un module spiralé ne doit pas dépasser 5 en SDI. Le MFI repose également sur la filtration d'une eau sur filtre de 0,45 µm à pression constante (2 à 2,2 bar) en mesurant le volume écoulé en fonction du temps. Le MFI est défini comme la pente de la droite 1/Qv = f (V), avec Qv débit de filtration moyen et V volume filtré cumulé au temps t. Les valeurs sont exprimées en s/l². Des valeurs de MFI inférieures à 10 s/l² indiquent un bon potentiel de filtration.
Les résultats obtenus sur l'eau en sortie des membranes Kubota de l’Aqua-RM® montrent un SDI systématiquement inférieur à 4 et un MFI inférieur à 2. L’eau est donc tout à fait adaptée à une filtration tertiaire par osmose inverse.
Tableau 1 : Performances de la filière Aqua RM® sur les paramètres ERU classiques (%)
COT (mgC/l) : |
> 90 % |
DCO (mgO₂/l) : |
> 95 % |
Ammonium (mgN-NH₄/l) : |
> 99 % |
Azote Kjeldahl (mgN-NTK/l) : |
> 95 % |
Phosphore total (mgP/l) : |
> 95 % |
Turbidité (NTU) : |
> 95 % |
[Photo : Modules du pilote d’OI]
Les résultats montrent que la plus grosse partie des polluants est éliminée dans l’Aqua-RM® (cf. tableaux 1, 2, 3). Le carbone, l’azote et le phosphore sont éliminés à plus de 90 %, voire 95 %. L’Aqua-RM® présente également des abattements importants sur les micropolluants, éliminés à plus de 95 %, et sur les virus, dont l’élimination dépasse 3 log. L’osmose inverse élimine les polluants et les sels. L’eau produite étant totalement dépolluée et quasiment déminéralisée, les polluants et micropolluants suivis sont souvent non détectables en sortie d’OI.
Conclusion
La qualité de l’eau produite par la filière Aqua-RM® + OI à partir d’eaux usées est exceptionnelle. La filière permet un abattement des polluants et micropolluants à des seuils de concentration non détectables par les méthodes analytiques actuelles. 90 % de l’épuration se déroule dans l’Aqua-RM®, produisant ainsi une eau de qualité « eau de baignade », réutilisable en arrosage d’espaces verts, en irrigation de culture ainsi que pour le lavage des voiries. L’eau affinée par osmose inverse est totalement épurée et déminéralisée. Avant de l’injecter dans un circuit, elle devra être légèrement reminéralisée (une eau dépourvue de minéraux est particulièrement corrosive pour les réseaux). Cette eau pourrait donc être utilisée dans l’industrie, et réalimenter des nappes ou des barrages destinés à la production d’eau potable dès que la réglementation le permettra.
La REUE est donc une voie prometteuse et durable. L’application de filières de traitements plus ou moins poussées sur les stations d’épuration permettra de produire une eau de qualité en fonction de l’usage envisagé et limitera ainsi notre consommation d’eau potable et nos prélèvements dans les ressources.
Tableau 2 : Performances de la filière Aqua-RM® + OI sur l’abattement des micropolluants (%)
Micropolluant |
Aqua-RM |
OI seule |
MBT |
98 % |
99 % |
DBT |
98 % |
99 % |
TBT |
99 % |
99 % |
Para-ter-octylphénol |
91 % |
98 % |
Para-nonylphénol |
> 99 % |
> 99 % |
Bis-phénol A |
96 % |
99 % |
Hormone E1 |
99 % |
99 % |
Hormone E2 |
99 % |
99 % |
Hormone EE2 |
99 % |
99 % |
Hormones E1+E2+E3 |
99 % |
99 % |
Tableau 3 : Performances de l’Aqua-RM® sur l’abattement des microorganismes
Microorganisme |
Résultat |
Coliphages |
> 3 log d’abattement /100 l en sortie |
Entérovirus |
> 3 log d’abattement /100 l en sortie |
Flore totale |
< 55 /100 ml en sortie |
Coliformes |
< 55 /100 ml en sortie |
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