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Les procédés de nettoyage des conduites d'eau potable et leur planification en banlieue parisienne

30 mai 1989 Paru dans le N°128 à la page 55 ( mots)
Rédigé par : Bertrand CHARPENTIER et Charles DUQUESNE

Le nettoyage systématique des canalisations d'eau potable est une opération de plus en plus pratiquée par les distributeurs d'eau : des opérations régulières d’entretien interne des réseaux sont en effet indispensables pour maintenir une qualité irréprochable du service rendu aux consommateurs.

La Compagnie Générale des Eaux mène pour le compte du Syndicat des Eaux d'Ile-de-France, une politique d’entretien systématique intense et efficace.

L'objet de cet article est de présenter les techniques employées dans le cadre de cette politique, la méthode de planification des interventions et les développements en cours. Au préalable, nous tenons à rappeler l'importance de l’entretien systématique des canalisations.

Importance de l’état interne des canalisations

La plupart des réseaux de distribution d'eau potable utilisent des canalisations en fonte. En France, depuis les années 1970, le fournisseur principal de ce type de produit propose des tuyaux revêtus intérieurement de ciment. Cependant, compte tenu des durées de vie habituellement très longues des conduites, la plus grande partie des réseaux actuellement en service comporte encore aujourd'hui des tuyaux non revêtus intérieurement. La fonte est alors directement en contact avec l'eau. Des phénomènes de corrosion se développent très rapidement, selon des mécanismes dépendant de l'équilibre minéral de l'eau transportée (1).

[Photo : Les dépôts fournissent de nombreux sites propices à la colonisation bactérienne...]

En cas de corrosion interne importante, les turbulences peuvent décrocher des particules rougeâtres qui affectent gravement l’aspect de l'eau. Dans certains cas, cette contamination peut rendre l'eau distribuée impropre aux usages courants (cas de l'eau « rouge » qui tache le linge par exemple). Les désordres, parfois graves, sont assez classiques. Ils sont faciles à diagnostiquer car très visibles.

Plus délicat peut-être est le problème de la prolifération microbiologique dans les réseaux. Plusieurs recherches en cours montrent que l’essentiel des phénomènes biologiques en réseau se développent au niveau des parois (2) à (9).

Dans ces conditions, on conçoit que les dépôts (qu'ils soient du type corrosion ou autre) puissent favoriser les développements de biomasse fixée en fournissant de nombreux sites propices à la colonisation bactérienne (figure 1).

Ces bactéries fixées constituent ce qu’on appelle le biofilm, qui se trouve participer très activement à la consommation de résiduel de chlore dans le réseau. Des études in situ faites sur le réseau du Syndicat des Eaux d'Ile-de-France, ont montré que la cinétique de disparition du chlore résiduel est beaucoup plus élevée dans les tuyaux de petit diamètre, du fait d'un ratio « surface / volume » supérieur.

La présence de dépôts dans les réseaux de distribution d'eau potable est donc un facteur important de risques en matière de qualité de l'eau, en particulier sur le plan bactériologique (10).

Techniques de nettoyage utilisées en banlieue de Paris

Trois techniques sont actuellement utilisées pour entretenir le réseau de distribution du SEDIF.

La plus fréquente est du type eau-air-eau. Sa mise en œuvre est schématisée sur la figure 2. Après avoir prévenu les abonnés de l'arrêt de la distribution d'eau, on isole le secteur à nettoyer en l'alimentant d'un seul côté. On injecte, par saccades, dans la conduite en pression de l'air comprimé sous 7 bars ; simultanément, on crée un débit en ouvrant un appareil sur la conduite. L'air injecté se déplace à travers le courant d’eau et y provoque un effet de turbulence considérable. Chaque bulle d'air qui se déplace est suivie d’un vide qui se remplit immédiatement avec l'eau environnante. Si la bulle atteint la paroi du tuyau, l'eau de poursuite sera de ce fait projetée isolément contre la paroi. Ce phénomène provoque un effet pulsatoire de l'eau de rinçage, entraînant pratiquement tous les dépôts amovibles de la conduite.

l'eau,

[Photo : Principe du nettoyage d’une conduite par la technique « eau-air-eau ».]

Cette technique est productive : une équipe de cinq personnes munies du matériel approprié peut traiter plusieurs kilomètres de canalisation par jour.

La deuxième technique consiste en l'utilisation de racleurs souples de type polypig. Après avoir prévenu de même les abonnés de la coupure de la distribution d'eau, on sectionne la canalisation de façon à installer les gares d'introduction et de réception des racleurs souples. Ces derniers sont introduits dans la canalisation à l'emplacement de la gare et propulsés à l’intérieur de la conduite par l'eau (figure 3). Le racleur souple étant légèrement surdimensionné par rapport au diamètre de la conduite, il se crée une force de frottement causée par la réaction de la force pressante appliquée à l’arrière du bouchon par la pression de l'eau. La face arrière fait office de piston et, lorsque la pression lui est appliquée, le corps se comprime longitudinalement tout en s’expansant radialement de toute sa surface contre la paroi de la conduite, assurant ainsi une étanchéité et un raclage forcés.

Parallèlement, il se crée un débit de fuite à faible volume mais à forte pression qui gicle entre la paroi de la conduite et le corps du racleur d’amont en aval. Ce débit de fuite est important car il facilite le glissement du racleur tout en le refroidissant. Il favorise également la désintégration des dépôts de la paroi et provoque, à l'avant du bouchon, des turbulences qui entraînent les débris tout en les maintenant en suspension dans l'eau. Le tout sera évacué à la gare de réception.

L'opération est renouvelée quatre ou cinq fois avec des racleurs ayant des possibilités de raclage de plus en plus importantes. On effectue ensuite une désinfection de la conduite raclée en y injectant une solution chlorée. Après avoir vidangé la conduite, on procède au rétablissement de cette dernière en déposant les gares d’introduction et de réception.

Cette seconde technique est à l’évidence plus lourde que la première. Elle est réservée aux cas où les dépôts paraissent trop incrustés pour être éliminés par la méthode habituelle eau-air-eau. Son inconvénient majeur réside dans la nécessité de réaliser des « gares » d’entrée et de sortie. De plus, il arrive que le racleur souple se coince de façon très gênante, ce qui peut obliger à ouvrir la chaussée en un troisième point pour y remédier.

C’est pourquoi, au cours des dernières années, nous avons effectué des recherches pour mettre en place une troisième technique dite « par gouttes ».

Elle constitue dans son principe une variante de la technique précédente, le racleur étant ici constitué par une « goutte » en mousse de polyuréthane (ou une « boule » selon l'application).

De par sa forme spécialement étudiée, cette goutte peut être introduite au niveau des poteaux d’incendie. Elle est recueillie de même en sortie à un poteau d'incendie d’arrivée.

En conséquence, la mise en œuvre de ce nouveau système s’apparente plus au nettoyage eau-air-eau, très productif, qu’au cas des polypigs, lequel nécessite des ouvertures de chaussée ; de plus, les « gouttes » de polyuréthane ne se coincent jamais dans les canalisations, ce qui constitue un avantage supplémentaire.

Mise au point très récemment, cette troisième technique passe actuellement au stade de l’exploitation industrielle.

Planification de l’entretien systématique

Le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France bénéficie d’une politique de nettoyage particulièrement intensive, puisque chaque canalisation est traitée une fois tous les quatre ans.

Compte tenu de la grande taille du territoire syndical (figure 4) et du très important linéaire de conduite (8 300 km), cette fréquence représente un effort d’entretien considérable mais justifié (11).

La planification est assurée par les services d'exploitation. Elle nécessite de prévoir, sur plan au 1/5000 des réseaux, les tronçons à traiter pour chaque intervention. Cette opération, assez délicate, nécessite des remises à jour périodiques afin de tenir compte des extensions de réseaux.

Développements en cours

Compte tenu de l’importance du problème, des recherches sont effectuées en permanence pour améliorer l’entretien du réseau, tant sur le plan des techniques que sur celui de la planification.

En ce qui concerne les techniques, nous avons évoqué plus haut la mise au point récente de la méthode par « gouttes ».

En matière de planification, un procédé d’évaluation quantitative in situ a été défini. Il est fondé sur l’analyse de prélèvements effectués à fort débit sur bouche d'incendie (figure 5). Les échantillons ainsi recueillis sont analysés en termes de matière en suspension (MES) et de turbidité (12). Ce protocole de mesure constitue bien une évaluation quantitative des dépôts présents dans les canalisations. En effet :

— les valeurs de MES et de turbidité ainsi obtenues sont nettement plus élevées que celles mesurées sur des échantillons prélevés à débit normal ; il y a donc bien mobilisation de particules ordinairement sous forme de dépôts ;

[Photo : À gauche quelques racleurs souples de type « polypig » ; à droite « boule » et « goutte » en polyuréthane.]
[Photo : Le réseau de conduites du Syndicat des Eaux d’Ile-de-France est long d’environ 8 300 km.]

— des mesures faites avant et après divers nettoyages ont nettement mis en évidence l’amélioration liée à l'entretien.

Cette évaluation des dépôts est un outil prometteur. L’équipement d'une camionnette permettant le prélèvement et l'analyse automatique des échantillons grâce à un appareillage original est en cours. Son utilisation systématique, prévue pour l'année 1990, permettra les applications suivantes :

  • — amélioration de la planification des nettoyages : la période habituelle de quatre ans entre chaque nettoyage d'un même point pourra être modulée en fonction de l'état d’encrassement réel de la zone concernée. L'efficacité de la politique d’entretien systématique sera donc accrue ;
  • — choix préalable de la technique la mieux adaptée au type de dépôts : la prise en compte des deux paramètres MES et turbidité donne une bonne indication sur la nature des dépôts : une valeur de MES élevée indique une forte corrosion et requiert un nettoyage intense (polypig ou gouttes). Les points à forte turbidité demandent plutôt le nettoyage eau-air-eau, et de façon urgente (présence de dépôts « mobiles » susceptibles de gêner le consommateur).

Conclusion

Le nettoyage systématique des conduites de distribution fait maintenant partie du programme d’entretien d'un réseau d'eau potable.

Les techniques employées par la Compagnie Générale des Eaux pour le compte du SEDIF sont assez variées pour résoudre l'essentiel des désordres dans les meilleures conditions de coûts (13).

La nouvelle technique d’évaluation des dépôts in situ, dont l'utilisation industrielle est prévue pour 1990, viendra renforcer l'efficacité d'une politique préventive rigoureuse en améliorant la planification des interventions.

[Photo : Schéma d’un prélèvement à fort débit pour l’évaluation des dépôts.]

BIBLIOGRAPHIE

  1. 1 – Legrand L., Leroy (P.). L’eau dans les réseaux de distribution publique. s.l., novembre 1985, 71 p.
  2. 2 – Characklis W.G. Bacterial regrowth in distribution systems. Denver, AWWA Research Foundation, 1988. Research Report n° 90532, 364 p.
  3. 3 – Lechevallier M.W., Cameron S.C., McFeters G.A. New medium for improved recovery of coliform bacteria from drinking water. Appl. Environ. Microbiol., 45, 1983, 484-492.
  4. 4 – Lechevallier M.W., Cawthon C.D., Lee R.G. Factors promoting survival of bacteria in chlorinated water supplies. Appl. Environ. Microbiol., 54, 1988, 649-654.
  5. 5 – Lechevallier M.W., Babcock T.M., Lee R.G. Examination and characterization of distribution system biofilms. Appl. Environ. Microbiol., 53, 1987, 2714-2724.
  6. 6 – Haudidier K., Paquin J.L., Hartemann P., Grappin G., Colin F., Jourdain M.J., Block J.C., Cheron J., Pascal O., Miazga J. Biofilm growth in drinking water network : a preliminary industrial pilot plant experiment. IAWPRC conference « Microbiology of water and wastewater », Newport Beach, February 8-11, 1988.
  7. 7 – Colin F., Grappin G., Cheron J., Levi Y., Pozzoli B., Miazga J., Pascal O. Étude de l'évolution de l'eau potable dans les réseaux de distribution : une approche et des moyens nouveaux. Techniques, Sciences, Méthodes, n° 12, décembre 1987, 565-574.
  8. 8 – Levi Y., Damez F., Grimaud M., Colin F. Étude sur pilote du comportement de l’eau en réseau. L’Eau, l'Industrie, les Nuisances, n° 126, mars 1989, 27-29.
  9. 9 – Maul A., Vagost D., Block J.C. Stratégies d’échantillonnage pour analyse microbiologique sur réseaux de distribution d'eau. Méthodes et programmes informatiques. Paris, Techniques et Documentation, 1988.
  10. 10 – Damez F. Évolution de la qualité de l'eau dans les réseaux de distribution. Techniques et Sciences Municipales. L'Eau, vol. 77, n° 1, janvier 1982, 11-23.
  11. 11 – Halpern O. Renouvellement et réhabilitation des réseaux. Techniques et Sciences Municipales. L'Eau, vol. 80, n° 10, octobre 1985, 445-454.
  12. 12 – Charpentier B. Méthode d’évaluation des dépôts dans les canalisations d'eau potable. In : 68 Congrès de l'AGHTM, Avignon, 18-20 mai 1988, 292-300.
  13. 13 – Charpentier B. Water quality maintenance in a large-scale network supplied by a biological treatment line. Présenté à Wasser Berlin, 10-16 avril 1989, 4 p.
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