L’élimination de l’azote des eaux résiduaires se justifie par le fait que sa présence dans les eaux de surface nuit à la qualité du milieu récepteur (toxicité de l’ammoniac vis-à-vis des poissons) et que la nitrification de l’ammoniaque diminue la quantité d’oxygène dissous disponible dans la rivière ; en outre, elle rend plus coûteux les procédés permettant sa potabilisation. Parmi ceux-ci, les procédés biologiques de nitrification et dénitrification sont certainement les plus adaptés tant aux niveaux des performances que de la fiabilité.
Deux techniques de mise en œuvre de la nitrification/dénitrification biologique de l’azote sont envisageables : les procédés à cultures libres et ceux à cultures fixées.
Nous les examinerons ci-après.
TECHNIQUES À CULTURES LIBRES
Les techniques à cultures libres sont aujourd’hui les plus répandues et elles ont fait preuve maintes fois de leurs performances ; le système de nitrification/dénitrification combiné avec une zone anoxique en tête du procédé est celui qui a été, à ce jour, le plus appliqué.
Le procédé de nitrification/dénitrification avec zone anoxique en tête
Ce procédé comporte trois réacteurs placés en série :
- — la zone anoxique, brassée mais non aérée, où arrivent l’eau brute, les boues en retour et le recyclage de liqueur mixte ;
- — le bassin d’aération ;
- — le clarificateur.
L’azote ammoniacal est nitrifié dans le bassin d’aération et les nitrates ramenés en tête par le recyclage de boues et de liqueur mixte sont réduits en azote gazeux dans la zone anoxique. La pollution carbonée de l’eau brute est utilisée comme source de carbone pour la dénitrification. L’expérience acquise depuis plusieurs années sur les stations d’épuration montre que ce système est bien adapté pour les effluents résiduaires urbains et industriels et d’une exploitation facile. Il a donc reçu de nombreuses applications, tant en eau résiduaire urbaine qu’en eau résiduaire industrielle. En France, parmi les installations les plus récentes en eau résiduaire urbaine, nous pouvons citer celles de Valenton, de Roanne, …
La station de Valenton
La station de Valenton, située dans la banlieue sud-est de Paris, est prévue pour traiter 150 000 m³/jour en première étape. L’épuration biologique doit permettre de délivrer un effluent correspondant au niveau NK₂ pour l’azote, c’est-à-dire NK (azote Kjeldahl) inférieur à 10 mg/l sur un échantillon moyen de 24 heures et ceci pour des températures supérieures à 13 °C. De plus, il a été précisé que l’effluent devait subir également une opération complémentaire de dénitrification, mais sans qu’il soit défini de valeur précise. Le système de nitrification/dénitrification avec zone anoxique en tête a donc été retenu, avec toutefois la possibilité de transformer la zone anoxique en aération, ce qui permettra, l’hiver, de nitrifier avec des températures de 10 °C.
L’installation de traitement des eaux, en cours de mise en service, comprend :
- — un prétraitement ;
- — une décantation primaire ;
- — un traitement biologique comportant deux bassins d’aération de 69 m de diamètre et 8 m de profondeur (la zone anoxique fermée et brassée par recyclage du gaz occupe la partie centrale) ;
- — une décantation secondaire par quatre clarificateurs de 52 m de diamètre (reprise des boues par succion) ;
- — un atelier de traitement des boues comportant : épaississement, digestion anaérobie, déshydratation et incinération.
La station d’épuration de l’agglomération roannaise
La station d’épuration de l’agglomération roannaise, conçue pour traiter 30 000 m³/jour, doit rejeter un effluent correspondant au niveau e, NK₄, 1. Dans ce cas particulier, en plus de l’azote, il était nécessaire d’éliminer le phosphore.
Au système classique de nitrification-dénitrification avec zone anoxique en tête, nous avons ajouté une zone anaérobie permettant une élimination biologique du phosphore, ce qui permet une économie en réactif par rapport aux techniques de déphosphatation classiques par voie chimique. L’installation de traitement comprend ainsi :
- — un prétraitement ;
- — un réacteur biologique de 24 400 m³, composé de deux lignes de traitement comportant chacune zone anaérobie, zone anoxie et bassin d’aération ;
- — deux clarifications à succion des boues de 54 m de diamètre ;
- — un atelier de traitement des boues comportant : flottation, stockage et filtres à bande PressDeg.
En eau résiduaire industrielle, le procédé de nitrification/dénitrification avec zone anoxie en tête est adapté aussi bien aux effluents dilués (ex. Sucrerie de Nassandres : NTK 330 mg/l) qu’aux effluents concentrés (ex. Société Orsan : NTK 1 g/l).
Le cas de la société Eurolysine à Amiens
est particulièrement intéressant, surtout au niveau du flux d’azote éliminé.
Cette société produit de la L. Lysine, acide aminé essentiel, par voie biologique à partir de substrats riches en matière or- ganique. La station d’épuration a été pré- vue pour traiter 7 000 m³ d’effluent/jour correspondant à un flux de pollution de 16 500 kg de DCO, 11 000 kg de DBO₅ et 4 500 kg de NTK (ce qui correspond à 350 000 éq. hab). L’application des normes de rejet conduit à éliminer au moins 88,5 % de la DCO, 97,5 % de la DBO₅, 94 % de l’azote Kjeldahl et 78,8 % de l’azote total.
Un autre exemple d’application de ce procédé est celui de l’usine de fabrication d’engrais (nitrate d’ammonium) de Ros- tock (RDA).
Dans ce cas, l’eau usée présente la par- ticularité de ne pas contenir de pollution carbonée et le carbone nécessaire à la dé- nitrification est ajouté sous forme de mé- lasse ou de méthanol. La solution de ni- trification/dénitrification avec zone anoxique en tête (plus facile à exploiter et moins coûteuse en réactif) a été préférée à la solution nitrification/dénitrification en deux stades en série avec clarification in- termédiaire.
Cette installation a été conçue pour trai- ter 1 800 m³/j d’effluents contenant 5 000 kg de nitrate d’ammonium.
Les résultats obtenus lors de la mise en service sont conformes aux prévisions, c’est-à-dire :
N—NH₄ < 1 mg/l N—NO₃ < 20 mg/l
Le procédé de nitrification/dénitrification avec zone de réactivation en tête
Pour nitrifier dans un système de boues activées, deux conditions doivent être res- pectées :
- — maintenir l’âge de boues supérieur à l'âge minimum ;
- — respecter la cinétique de nitrification.
Dans le cas des effluents urbains, sur- tout lorsque les températures sont faibles, la première condition est la plus contrai- gnante. Ceci se traduit par le fait que la masse de boue présente dans le système permet de nitrifier une quantité d’azote su- périeure à la charge nominale. Dans ce cas, il est possible de prévoir une zone de réactivation en tête, à forte concentration en matière sèche (identique au recyclage), ayant pour but d’augmenter la masse de boue présente dans le système et, par la même, l’âge de la boue. Dans ces condi- tions, vu le temps de séjour dans le bas- sin d’activation et la masse de boue qui y est présente, il sera possible d’éliminer la pollution carbonée et azotée dans ce bassin et de faire face aux pointes de pol- lution.
Le procédé comporte quatre réacteurs en série :
- — la zone de réactivation brassée et aérée où arrivent les boues recyclées (à forte concentration) ;
- — la zone anoxique brassée, mais non aérée, où arrivent la surverse de la zone de réactivation, l’eau brute et le recyclage de la liqueur mixte ;
- — le bassin d’aération ;
- — le clarificateur.
Ce système permet ainsi, pour un même volume, de maintenir une masse de boue plus importante et donc, par la même, lorsque l’âge de la boue est le facteur li- mitant (cas des basses températures), d’utiliser des volumes d’aération limités.
Le procédé a connu plusieurs applica- tions industrielles notamment à Holden- hurst (Angleterre) et à Strasbourg (en cours de réalisation).
L’installation de Holdenurst (construite par Degrémont-Laing) a été conçue pour traiter 55 000 m³/jour. Les normes de rejet imposent une épuration poussée, sur- tout au niveau de l’azote, et un respect des normes suivantes à raison de 95 % du temps : DBO₅ < 15 mg/l, MES < 25 mg/l, N—NH₄ < 5 mg/l
La station de l’agglomération strasbour- geoise, en cours de réalisation, a été pré- vue pour traiter 242 000 m³ d’eau rési- duaire par jour. Le traitement doit permettre de rejeter un effluent correspon- dant au niveau NK₂ pour l’azote et ceci pour des températures supérieures à 12 °C.
L’installation comprend :
- — un prétraitement ;
- — une décantation primaire (5 décan- teurs lamellaires de surface totale de 800 m²) ;
- — un traitement biologique comportant 3 lignes identiques de volume total 103 000 m³ avec zone de réactivation, zone anoxique et bassin d’aération ;
- — décantation secondaire.
Les boues en excès sont incinérées après déshydratation.
Le chenal à boues activées
L’ouvrage se présente sous la forme d’un fossé fermé et circulaire (ou similaire) dans lequel circule l’eau résiduaire. L’en- trée et la sortie sont situées en des points différents de l’ouvrage. L’aération et le brassage (par circulation de la liqueur mixte) sont assurés par une ou plusieurs brosses. Ces ouvrages sont généralement dimensionnés « à faible charge », ce qui permet de maintenir un âge de boue su- périeur à l'âge minimal nécessaire pour la nitrification, et par là même, d’assurer la nitrification. L’aération fonctionnant en discontinu, des zones anoxiques se créent lors de l’arrêt de l’aérateur, ce qui permet d’assurer une certaine dénitrification.
Celle-ci est donc en majorité assurée par la respiration endogène des boues, ce qui nécessite des masses de boues importan- tes et donc des volumes d’ouvrage impor- tants. De plus, cette dénitrification endo- gène est sensible aux variations des paramètres de l’environnement (pH, tem- pérature, O₂,…) et donc difficile à optimi- ser, d’où nécessité d’exploitation très sui- vie (si l’on désire une dénitrification poussée).
Ce procédé, de par les surfaces impor- tantes qu’il nécessite, est plutôt adapté aux petites stations.
TECHNIQUES À CULTURES FIXÉES
Si les cultures libres sont performantes au niveau des rendements, elles sont par contre limitées au niveau des charges spé- cifiques appliquées ce qui, dans le cas de charges importantes à traiter, peut con- duire à des volumes prohibitifs ; de plus, elles sont peu adaptées pour traiter les eaux diluées (cas de la nitrification ter- tiaire) car le risque de lessivage des bac- téries est important (pertes de boues su- périeures à la production). Enfin, les cultures libres nécessitent des temps de démarrage et de redémarrage relativement longs, ce qui constitue un lourd handicap dans le cas des stations à population va- riable (stations balnéaires, stations de ski, etc.).
Pour répondre à ces différents besoins, les constructeurs ont développé les tech- niques d’épuration à cultures fixées qui apportent une solution performante et élé- gante à ces problèmes. Nous en citerons deux :
Nitrification par Biofor
Les bactéries assurant la nitrification sont fixées sur des matériaux granulaires, une injection d’air dans le filtre leur appor- tant l’oxygène indispensable à la réaction. Des études sur pilote sur les sens de cir- culation air et eau à co-courant et contre- courant ont permis de se rendre compte que le fonctionnement à contre-courant est le moins avantageux.
En effet, lorsque le courant d’eau est descendant, l’air injecté a tendance à s’ac- cumuler dans le matériau filtrant et son évacuation vers le haut est freinée par le
contre-courant d’eau ; il y a tendance à « l’embolie gazeuse » : la perte de charge croît plus rapidement et il est nécessaire de laver le filtre plus fréquemment. Les consommations énergétiques en augmentent d’autant. Les alternatives raisonnables se situent donc entre les flux verticaux co-courant, ascendant ou descendant ; il ne semble pas qu’il y ait là une incidence directe sur la cinétique biologique.
Ces différentes études nous ont amenés à développer le procédé Biofor. Dans ce procédé, le matériau est immergé et le réacteur est du type à flux ascendant air et eau. Le matériau support doit répondre à un cahier des charges bien défini concernant sa granulométrie, sa résistance mécanique, sa densité… Le choix du matériau support (sable ou biolite) dépend de l’eau à traiter et du niveau de traitement exigé. Dans le cas d’une nitrification, ce procédé peut être utilisé :
— soit en secondaire en un seul stade (après un traitement primaire permettant d’éliminer les matières en suspension), c’est-à-dire élimination de la pollution carbonée et nitrification dans le même réacteur dans le cas où la pollution dissoute est faible ;
— soit en secondaire, mais en deux stades (lorsque la pollution dissoute est importante : DBO₅ > 80 mg/l), c’est-à-dire avec deux réacteurs fonctionnant en série, le premier servant à éliminer la pollution carbonée et le second assurant la nitrification ;
— soit encore en tertiaire, après un traitement biologique classique ayant déjà éliminé toute la pollution carbonée.
En traitement secondaire, les procédés à cultures fixées ne peuvent être utilisés que lorsque la fraction d’azote organique dans l’eau brute est faible, car le temps de séjour dans le réacteur est trop court pour assurer une bonne ammonification. Le procédé Biofor est adapté pour les eaux usées dont la demande totale en oxygène est inférieure à 400 mg/l. Voici quelques exemples de ses performances.
Station de Métabief (Jura)
2 200 équivalents-habitants en basse saison — 16 000 équivalents-habitants en haute saison. Normes de rejets : NK₂
Surface de filtration : 4 × 10,5 = 42 m² Vitesses de passage de l’eau à traiter : 2,4 à 6 m/h.
Les résultats obtenus sont donnés dans le tableau 1.
Tableau 1
Éléments | Eau brute (mg/l) | Eau traitée (mg/l) | Charges appliquées (kg/m²·j) |
---|---|---|---|
DBO₅ | 85-95 | 0,5-1,6 | |
MES | 60-90 | 0,1-1,1 | |
NTK | 30-40 | 0,17-0,75 |
Essais pilotes de Genève — Nitrification en traitement secondaire en deux stades
Lors de ces essais, nous avons étudié le procédé avec deux Biofor placés en série après une décantation primaire, le premier Biofor éliminant la pollution carbonée et le second assurant la nitrification. Cette disposition a permis d’optimiser les charges appliquées, tant au niveau de la pollution carbonée que de la pollution azotée.
Caractéristiques de fonctionnement des pilotes : — décanteur lamellaire : 10,6 m/h (sans réactif) — 15 m/h (avec réactif) ; — Biofor 1 : 7 à 8 m³/m²·h ; Biofor 2 : 4,5 m³/m²·h (température de l’eau 13 °C).
Les résultats obtenus sont donnés dans le tableau 2.
Tableau 2
Éléments | Eau brute (mg/l) | Eau traitée (mg/l) | Normes de rejet |
---|---|---|---|
DBO₅ | 125-155 | < 10 | < 25 |
MES | 100-130 | 25-40 | |
DCO | 250-310 | 20-35 | |
NO₃ | 130-180 | 3-5 | < 20 |
N-NH₄ | 15-20 | 2-3 | < 3 |
Nitrification en traitement tertiaire — Ville de Paris, station de Colombes
Les essais ont été effectués sur un pilote de 5 m² de surface. Le pilote est alimenté par l’eau sortie d’un clarificateur secondaire.
Les résultats obtenus sont donnés dans le tableau 3.
Tableau 3
Éléments | Eau brute (mg/l) | Charges appliquées (kg/m²·j) | Eau traitée (mg/l) | Rendement % |
---|---|---|---|---|
DBO₅ | 30 | 0,78 | 1,6 | 95 |
DCO | 30 | 0,78 | 1,6 | 94 |
MES | 30 | 0,70 | 18 | 69 |
N-NH₄ | 25 | 0,65 | 1,33 | 94 |
(1) T °C < 14 °C — (2) 19 °C < T °C < 25 °C
Dénitrification par le procédé Nitrazur
La dénitrification peut être réalisée dans des réacteurs à cultures fixées de notre fabrication, dénommés « Nitrazur ». Ceux-ci peuvent être, soit à flux ascendant (up-flow) identique au Biofor mais sans injection d’air, soit à flux descendant (down-flow).
Des comparaisons entre les deux techniques ont montré une efficacité de filtration beaucoup plus importante sur le réacteur down-flow que sur le réacteur up-flow. Dans le cas d’un effluent urbain, le réacteur de dénitrification serait couplé avec un Biofor prévu en nitrification.
Les études effectuées sur pilotes nous ont permis d’obtenir des rendements de dénitrification supérieurs à 90 % (aujourd’hui les réalisations industrielles concernent uniquement l’eau potable).
CONCLUSION
Plus de quinze ans de recherche et de développement consacrés à l’élimination de l’azote nous ont permis d’acquérir une maîtrise incontestée dans ce domaine, aussi bien en cultures libres qu’en cultures fixées : les grandes réalisations industrielles sont là pour en témoigner, mais l’effort de recherche ne s’arrête pas pour autant ; nous avons vu qu’un inconvénient majeur de la nitrification était qu’au-delà de la cinétique réactionnelle, somme toute assez rapide, le temps de génération des micro-organismes nitrifiants est extrêmement long. Nos études portent donc dans deux directions :
— l’une, plutôt à court terme, allant dans le sens d’un découplage « temps de séjour des boues, temps de séjour de l’eau ». Les résultats obtenus sont déjà très prometteurs ;
— l’autre à long terme, avec l’utilisation des bioréacteurs à membranes qui permettent, en travaillant avec des concentrations très élevées en biomasse, de limiter au maximum la production de boues en excès et de réduire le temps de séjour de l’eau, avec, en prime, une eau stérile et totalement débarrassée de ses matières en suspension.
Cependant, cela n’empêche pas que les procédés plus conventionnels, dont nous avons vu précédemment les applications, ont encore un bel avenir devant eux...