Dans un article récent (1) paru dans cette revue, MM. P.-L. MAZOIT et C. VALIN s’inquiètent de constater que « la vitesse de dégradation des qualités des eaux de surface s’est accélérée… Les eaux souterraines elles-mêmes ne sont plus toujours à l’abri du mal… Les lacs naturels et artificiels sont particulièrement sensibles à la pollution… ».
L’eau douce, si nécessaire à la vie des êtres humains, va-t-elle se raréfier, et même venir à manquer ? Sa consommation augmente irréversiblement alors que sa qualité a tendance à diminuer.
Les problèmes qualitatif et quantitatif font l’objet d’importants efforts de recherche sur le plan mondial, et il fut question de la part française de ces efforts lors des récentes Journées Nationales de Rennes, les 22 et 23 mai dernier.
Dans la panoplie des moyens mis à la disposition des « traiteurs » d’eau ou d’effluents, les « techniques membranes » commencent à prendre une part qui n’ira qu’en grandissant.
Dès 1967, la Société Rhône-Poulenc, dans certains cas avec l’aide financière de la D.G.R.S.T. et la collaboration de l’Université ou d’organismes privés ou publics, a entrepris des recherches dans le domaine des techniques membranes. Elles ont déjà abouti à de nombreuses réalisations ; en dehors de l’ultrafiltration ou de l’osmose inverse qui font l’objet de la présente publication, on se doit de citer la dialyse et l’oxygénation du sang à l’aide de membranes plus communément appelées rein et poumon artificiels. Le premier purifie le sang suivant le principe de la dialyse, le second permet de l’oxygéner au travers d’une membrane poreuse hydrophobe. Dans ces deux techniques, Rhône-Poulenc commercialise des appareils équipés de membranes originales.
Les recherches continuent à être poussées dans le domaine de certaines techniques de pointe qui n’en sont pas encore à la commercialisation, telles que la piézodialyse, la dialyse sélective et la perméation gazeuse.
(1) « L’EAU ET L’INDUSTRIE », n° 1, juin-juillet 1975, page 45.
* Atelier d’Application de Vénissieux – Rhône-Poulenc-Industries, tél. (78) 70 12 34. ** Centre de Recherches des Carrières Saint-Fons – Rhône-Poulenc-Industries, tél. (78) 70 92 34.
I. – PRINCIPES ET DÉFINITIONS
On connaît l’importance des échanges qui s’effectuent, dans les règnes animal et végétal, au travers des parois sélectives naturelles appelées membranes biologiques.
Les progrès réalisés dans l’obtention et la mise en œuvre de matériaux plastiques ont permis la mise au point de membranes artificielles semi-perméables présentant certaines analogies de fonctionnement avec les membranes biologiques.
Qu’entend-on par membrane semi-perméable ?
C’est une paroi de faible épaisseur apte à modifier la composition des mélanges qui la traversent.
Les différents procédés de séparation utilisant de telles membranes se caractérisent par :
- — la dimension des espèces concernées ;
- — la nature de la force permettant le transfert ;
- — la nature physique et chimique de la membrane.
La figure 1 schématise les principaux procédés s’appliquant aux milieux liquides sur la base des deux premiers critères.
[Figure : Schéma des principaux procédés de séparation par membranes (figure 1)]La figure 2 rappelle les différents procédés à membranes :
- — La microfiltration, régie par la taille des particules, consiste à séparer sous une faible pression (quelques dixièmes de bars) des particules en suspension (0,1 à quelques dizaines de microns) de la phase liquide.
- — L’ultrafiltration s’applique à des solutions. Le solvant et les solutés de faibles masses moléculaires traversent la membrane avec un débit directement fonction de la pression appliquée. Sont arrêtées les molécules dont la masse moléculaire est supérieure à un certain seuil, caractéristique de la membrane, et appelé « seuil de coupure ». Les pressions exercées sont de quelques bars.
- — L’osmose inverse permet de séparer le solvant, qui traverse la membrane, des solutés, généralement des électrolytes. La taille des molécules n’est plus ici le facteur unique, il s’y ajoute des phénomènes de diffusion. L’arrêt des solutés n’est pas absolu et on définit un taux de rejet :
TR % = (Co − C) / Co × 100
où Co et C sont respectivement les concentrations de la solution à traiter et du perméat.
Dans ce cas, le débit du perméat est fonction des pressions appliquées qui sont en général nettement supérieures à celles utilisées en ultrafiltration : 10 à 100 bars suivant la concentration de la solution à traiter.
- — Piézodialyse : c’est la charge électrique des solutés ioniques qui est ici le facteur régissant leur passage, préférentiellement au solvant, sous l’effet d’une pression (quelques dizaines de bars) ; les membranes ont une structure spéciale : membranes mosaïques (juxtaposition de plages porteuses de groupements ioniques de signes opposés).
- — Dialyse : il s’agit du transfert à travers la membrane de solutés, d’une solution concentrée vers une solution diluée, la vitesse de passage de ces solutés étant fonction du gradient de concentration et de leur taille moléculaire. Comme pour l’ultrafiltration, cette vitesse de passage s’annule pour des solutés dont la taille est supérieure à un seuil donné.
- — Dialyse sélective : c’est un cas particulier de la dialyse ; il vient s’y ajouter le facteur « charge ionique des solutés », les électrolytes diffusant plus rapidement que les espèces non ioniques.
- — Electrodialyse : suivant le type de membrane ionique, cationique ou anionique, seul l’ion de signe opposé la traverse sous l’effet d’un gradient de potentiel électrique.
Parmi les techniques ayant atteint le stade industriel, nous nous limiterons à la description de deux d’entre elles : l’osmose inverse et l’ultrafiltration, dont de nombreux emplois existent ou sont envisageables dans le domaine de l’eau.
II. – LES MEMBRANES D’OSMOSE INVERSE ET D’ULTRAFILTRATION
Les origines de l’osmose inverse (DUTROCHET [2]) et de l’ultrafiltration (MARTIN [3]) remontent au siècle dernier. Les membranes étaient d’origine naturelle ou cellulosique ; leurs performances faibles (débit et sélectivité), leur courte durée de vie et leur emploi dans des appareils mal adaptés limitèrent fortement leur développement industriel.
De nouvelles recherches furent entreprises aux États-Unis et aboutirent à de nombreuses innovations dans le domaine des membranes, le progrès le plus marquant étant, sans aucun doute, la mise au point de membranes d’osmose inverse asymétriques en acétate de cellulose par S. Loeb et S. Sourirajan [4]. Cette membrane est constituée d’une très fine pellicule semi-perméable supportée par une structure de plus en plus poreuse servant de soutien mécanique (figure 3) formée simultanément.
En effet, les membranes avaient jusqu'alors une structure homogène, et l'obtention d'épaisseur inférieure à plusieurs dizaines de microns était peu compatible avec une bonne tenue mécanique, cette contrainte imposant de faibles débits de transfert.
La technique de LOEB et SOURIRAJAN, au contraire, en réduisant considérablement l'épaisseur de la partie sélective tout en conservant de bonnes propriétés mécaniques, a permis des performances rendant compétitifs les procédés à membranes.
Par exemple, un film homogène en acétate de cellulose d'épaisseur 10 µm, présente sur eau de mer et sous 60 bars, un débit de 3 litres/jour.mètre carré (/j.m²) tout en arrêtant 99 % du sel présent ; une membrane asymétrique à base du même matériau a un débit 100 fois plus élevé tout en conservant la même sélectivité.
Cette mise en forme, d'abord appliquée à l'acétate de cellulose pour l'obtention de membranes d'osmose inverse puis d'ultrafiltration, fut étendue à d'autres matériaux. En effet, l'acétate de cellulose, bien que présentant d'excellentes propriétés osmotiques, a l'inconvénient de n'être stable que dans un domaine très étroit de pH et d'être sensible aux attaques bactériennes, d'où la volonté de chercher des matériaux de meilleure tenue. Parmi ceux présentant les qualités requises pour l'osmose inverse, on peut relever (5) :
— les polyamides aromatiques (Du Pont), — la polysulfone sulfonée (Rhône-Poulenc).
Pour l'ultrafiltration, citons les polyélectrolytes complexes : — à base de polystyrène (Romicon), — à base de copolymères d'acrylonitrile (Rhône-Poulenc).
Les membranes asymétriques peuvent présenter différentes formes : — soit planes, renforcées ou non par un support textile (DDS, Roga, Rhône-Poulenc), — soit tubulaires sur un support rigide ou souple (Abcor, Patterson-Candy, Rhône-Poulenc), — soit fibres creuses ou microtubes : le diamètre très faible (0,1 à 1 mm) évite d'avoir à supporter la membrane, ce qui permet une grande compacité (Romicon, Dow, Du Pont).
Nos études nous ont conduits à la préparation et à l'examen d'un certain nombre de polymères à caractère ionique ou hydrophile, dont la solubilité facilite la mise en œuvre.
Deux familles de polymères ont été particulièrement retenues : — celle à base de polysulfone pour osmose inverse, — celle à base de copolymères d'acrylonitrile pour ultrafiltration.
Dans le cas de l'osmose inverse :
Le polymère de base utilisé est la polysulfone sulfonée (6) obtenue par sulfonation d'un produit commercial, la Polysulfone d'Union Carbide, polycondensant de bisphénol A et de bischlorophényl-sulfone :
CH₂ — SO₃H O ═ O
À partir d'un collodion concentré de ce polymère dans un mélange de solvants, on coule un film d'épaisseur voisine de 0,2 mm qui est ensuite immergé dans un bain précipitant (7) (8), on obtient de cette façon une membrane présentant une structure asymétrique.
On donne à ces membranes différentes formes en les coulant sur des supports variés : — support textile plan, — tube rigide (diamètre : 15 à 20 mm), — tresse textile (diamètre : 3 mm).
Ces techniques sont employées en continu et il est possible d'obtenir ainsi des surfaces importantes de membranes avec des caractéristiques reproductibles.
Deux types de membranes sont accessibles : — l'un en cours d'industrialisation : IRIS 2205* pour eaux saumâtres, présente un débit de 600 l/j.m² et un taux de rejet de 95 % sous 30 bars avec une solution de chlorure de sodium à 5 g/l. — l'autre en développement : IRIS 2201* pour eau de mer, présente un débit de 250 l/j.m² et un taux de rejet de 99 % sous 60 bars avec une solution de chlorure de sodium à 35 g/l.
Contrairement aux membranes en acétate de cellulose, celles-ci sont stables dans une gamme étendue de pH (pH 1 à 12) et résistent à l'action des oxydants (eau de Javel) et des bactéries.
(*) Nom de marque des membranes Rhône-Poulenc.
Divers essais de longue durée ont été effectués sur des modules équipés de membrane tubulaire à surface active externe, les expérimentations sont faites sur des solutions de NaCl, 5 g/l à 20 °C sous 30, 40 ou 50 bars, et sur eau de nappe à 30 bars. Actuellement, après 15 000 heures de fonctionnement, les débits et taux de rejet sont très stables.
Dans le cas de l’ultrafiltration :
On utilise dans ce cas des copolymères ioniques de l’acrylonitrile de signes opposés et associés dans le même collodion (polyelectrolytes complexes) (9) :
— Copolymères acrylonitrile-méthallylsulfonate de sodium
CN CH₃ | | (— CH₂ — CH —)ₙ — (— CH₂ — C —)ₙ' | CH₂ — SO₃Na
— Copolymère acrylonitrile-méthyl-2 vinyl-5 pyridine quaternisé par le sulfate de méthyle
CN | (— CH₂ — CH —)ₙ (— CH₂ — CH)ₙ' | CH₃ — N⁺ | CH₃SO₄ — CH₃
Ces polymères sont obtenus par copolymérisation en continu d’acrylonitrile.
Comme pour la polysulfone sulfonée, on obtient des membranes asymétriques dont on peut faire varier les performances dans une large mesure en jouant principalement sur les proportions des deux polymères (figure 5).
Ces membranes renforcées par un support textile sont fabriquées industriellement.
Deux types de membranes sont retenus :
— IRIS 3038 : débit à l’eau pure sous 2 bars : 20 000 l/j·m². Leur seuil de coupure déterminé à l’aide de protéines est de 15 000.
— IRIS 3042 : débit à l’eau pure sous 2 bars : 7 000 l/j·m² avec le même seuil de coupure, présentant par rapport à la précédente une meilleure résistance au colmatage ; elle est réservée au traitement des solutions plus concentrées.
Elles sont utilisables dans des milieux de pH compris entre 1 et 10 et jusqu’à 40 °C, ce qui autorise l’emploi de solutions de lavage variées. De plus, elles résistent à la plupart des solvants courants.
III. – APPAREILS SÉPARATEURS À MEMBRANES
La mise en œuvre des membranes d’ultrafiltration et d’osmose inverse nécessite un appareillage adapté.
L’obligation de travailler sous pression conduit, d’une part, à supporter mécaniquement la membrane, d’autre part, à concevoir une enveloppe ou un système de serrage capable de maintenir la géométrie de l’ensemble tout en assurant les étanchéités interne et externe. La structure de soutien de la membrane doit, en outre, permettre la collecte du diffusat et son transport à l’extérieur de l’appareil sans perte de charge excessive.
Le flux de liquide à traiter doit être distribué uniformément sur les membranes, à la plus forte vitesse tangentielle possible. Il est en effet important de noter que, lorsqu’une solution circule sous pression le long d’une membrane, il se produit à la surface de celle-ci une accumulation de solutés constituant une couche à concentration élevée. La figure 6 schématise le phénomène, par exemple, dans le cas de l’ultrafiltration. Cette couche, dénommée couche limite ou aussi couche de polarisation, résulte de l’effet d’un équilibre entre la quantité de soluté accumulée sur la membrane sous l’effet du débit de diffusat et celle qui est entraînée dans le courant liquide. Dans tous les cas, il conviendra de la réduire au maximum, par exemple en augmentant la vitesse tangentielle de la solution.
La figure 7 représente le schéma simplifié de fonctionnement d’un appareil séparateur à membranes :
La solution à traiter est alimentée dans l'appareil au moyen d’une pompe permettant d’obtenir la pression réglable à l'aide d’une vanne de détente et le débit souhaité. Au cours de son passage dans l'appareil, la solution se divise en deux fractions : le diffusat qui contient les molécules traversant la membrane et le concentrat qui contient celles qui sont rejetées.
Il convient d’ajouter à ces considérations techniques des impératifs d'ordre économique : la réalisation au meilleur prix, l'encombrement minimum et le coût d’exploitation le plus bas.
La facilité de démontage de l’appareil et de remplacement des membranes, peut également présenter un avantage.
Ces divers impératifs ont conduit les constructeurs à réaliser des appareils de conceptions variées mais que l'on classe généralement en deux familles distinctes selon leur pression d'utilisation :
- — les appareils ou modules d’ultrafiltration travaillant à des pressions le plus souvent comprises entre 1 et 6 bars,
- — les appareils d'osmose inverse travaillant à des pressions plus élevées de 20 à 100 bars.
APPAREILS D’ULTRAFILTRATION
Rappelons que la couche limite joue, dans le cas de l'ultrafiltration des solutions concentrées, un rôle important. Elle peut constituer une deuxième membrane dont la perméabilité vient modifier le fonctionnement de la membrane proprement dite.
La figure 8 montre dans le cas de l'ultrafiltration de lait écrémé sur membrane Rhône-Poulenc IRIS 3042, la réduction de l'importance de cette couche par augmentation de la vitesse tangentielle, réduction qui se traduit par la croissance du débit d'ultrafiltrat.
Dans le cas des solutions diluées, la couche limite n’entraîne qu'une faible limitation du débit d'ultrafiltrat.
La conception des appareils d'ultrafiltration doit donc obligatoirement tenir compte de ce phénomène. Ils doivent notamment être capables de fonctionner à des vitesses tangentielles d’autant plus élevées que la solution à traiter est plus concentrée, dans la mesure des pertes de charges admissibles économiquement.
Les nombreux appareils qui existent actuellement sur le marché peuvent être classés en quatre catégories.
Module à membrane tubulaire
Les membranes tubulaires sont situées à l'intérieur d’un tube support poreux de 10 à 25 mm de diamètre, percé de petits trous. Elles peuvent être formées in situ. Le liquide à traiter circule sous pression à l’intérieur du tube et l'ultrafiltrat est collecté, par le poreux ou les trous du tube support (Abcor, Patterson-Candy).
Module à microtubes
La réalisation de membranes d’ultrafiltration sous forme de tubes de faible diamètre (environ 1 mm) à peau interne, permet de proposer un appareil à volume réduit constitué d'un faisceau de microtubes placé à l'intérieur d’une enveloppe cylindrique. Le liquide à traiter circule sous pression à l'intérieur des tubes dont l'épaisseur est comprise entre 50 et 150 microns (Romicon).
Module à lames
Un collecteur plan poreux est recouvert sur ses deux faces d’une couche membranaire. Le liquide à traiter circule parallèlement aux membranes et l’ultrafiltrat est évacué par la tranche de la lame non recouverte.
Plusieurs cartouches comportant chacune un certain nombre de lames sont placées dans un dispositif de contention résistant à la pression (Dorr-Olivier) (10) (figure 9).
[Figure 9. — Module à « lames ».]
Modules plans
Ils font appel au principe du filtre-presse, mais avec une différence essentielle : les circuits hydrauliques autorisent une grande vitesse de circulation du flux liquide à traiter.
La circulation peut être du type radiale (DDS, figure 10) ou parallèle. C’est cette dernière solution que Rhône-Poulenc a choisie pour ses avantages : démontage aisé et grande facilité de nettoyage (figure 11).
Figure 10. — Module plan à circulation radiale.
Figure 11. — Module à circulation parallèle.
Dans tous les cas, la membrane est supportée par une structure poreuse capable de drainer le diffusat en introduisant le minimum de perte de charge.
Pour l'ultrafiltration de solutions diluées où de grandes vitesses de circulation ne sont plus nécessaires, la compacité peut être augmentée, mais le même principe d’empilage de membranes et de supports est conservé.
La figure 12 représente l'appareil de ce type proposé par Rhône-Poulenc.
APPAREILS D’OSMOSE INVERSE
Le rôle de la couche limite est, dans le cas de l’osmose inverse, tout aussi important que dans celui de l’ultrafiltration.
* Nom de marque des modules Rhône-Poulenc.
La forte concentration en soluté qui en résulte près de la membrane a pour effet d’augmenter localement la pression osmotique de la solution, d’où une diminution de la pression motrice de transfert du diffusat à travers la membrane. Cette surconcentration peut entraîner la formation de cristaux sur la membrane (tartre).
Il est donc très important là aussi, pour réduire la concentration de la couche limite, d’avoir une vitesse importante tangentielle.
Les pressions élevées de fonctionnement des appareils d’osmose inverse conduisent le plus souvent à disposer les membranes et leurs supports dans un tube de forme cylindrique.
L’arrangement interne peut être très variable selon les constructeurs. Il n’existe cependant qu’un petit nombre de dispositions type.
Module à fibres creuses
La réalisation de membranes sous forme de tubes capillaires de très faible diamètre (20 à 100 microns) permet de réaliser un appareil d'une très grande compacité (figure 13). Les fibres sont assemblées en un faisceau de plusieurs milliers ou parfois de plusieurs millions disposé à l’intérieur d'une enveloppe. Le liquide à traiter circule à l’extérieur des fibres tandis que l’osmosat est recueilli à une extrémité de celles-ci (Du Pont, Dow).
Module à enroulement spiralé
Membrane plane, support poreux et intercalaire sont enroulés en spirale à spires jointives (figure 14).
Le liquide à traiter circule parallèlement aux génératrices tandis que le perméat est collecté dans l’axe (Roga) (13).
Module à tubes support
— Rigides à membrane interne.
Ce type d’appareil est l'un des plus anciens. La solution circule sous pression à l'intérieur du tube membranaire et l’osmosat est recueilli à l’extérieur du tube support soit par des canaux de drainage, soit par ruissellement. Son diamètre est généralement compris entre 5 et 25 mm (Patterson-Candy, Havens, Philco-Ford).
— Rigides à membrane externe.
La membrane est ici disposée à l’extérieur d’un tube de diamètre 15 à 20 mm (figure 16) et l’osmosat est recueilli à l’intérieur. Les tubes de 1,5 m de longueur sont assemblés en un faisceau parallèle placé dans une enveloppe cylindrique résistant à la pression (Rhône-Poulenc).
— Semi-rigides ou souples.
Il s’agit de variante du type précédent. Le plus faible diamètre du tube peut permettre d’augmenter la compacité de l'appareil.
Rhône-Poulenc a mis au point un support textile original permettant d’obtenir à la fois une grande souplesse et
une bonne résistance à la pression, ce qui autorise la confection de modules alliant une grande compacité et de bonnes conditions de fonctionnement.
IV. – APPLICATIONS DES PROCÉDÉS DE SÉPARATION PAR MEMBRANES AU TRAITEMENT DES EAUX
Les applications de ces procédés de séparation sont très variées et occupent une place sans cesse croissante. Nous ne retiendrons que les principales actuellement connues et, pour plus de clarté, nous effectuerons ici encore la distinction entre ultrafiltration et osmose inverse bien que, suivant la nature de l'eau à traiter, ils puissent quelquefois être utilisés ensemble, de façon complémentaire.
APPLICATIONS DE L’ULTRAFILTRATION
Du fait des vitesses tangentielles nécessairement élevées, la durée de contact de la solution avec la membrane est faible, ce qui conduit dans la plupart des cas, pour améliorer le rendement de la séparation, à créer une recirculation du liquide à traiter.
Plusieurs schémas d’installation peuvent être envisagés : le plus simple consiste en une concentration du liquide à traiter en discontinu en circuit fermé.
— UltrafiltreLiquide à traiterTube ultrafiltréPompe
La figure 18 représente une plate-forme permettant de réaliser des essais d’orientation selon ce principe, à l’échelle du laboratoire.
Dans le cas d’installation de surfaces importantes, on préfère séparer la fonction circulation dans l'appareil de la fonction recyclage à la cuve. Plusieurs boucles de concentration de ce type peuvent être installées en parallèle sur une même cuve.
Notons que ce système peut être facilement adapté à un fonctionnement semi-continu par cycles successifs de concentration en réalisant une vidange et un remplissage automatiques de la cuve à chaque fin de cycle.
La figure 20 représente une installation industrielle de ce type comportant quatre modules type UFP. Dans le cas d’une concentration en continu, les boucles, en parallèle ou en cascade suivant le degré d’épuration souhaité, sont alimentées par pompe doseuse.
La concentration constante dans les différentes boucles est fixée par le débit d'alimentation et le débit d’ultrafiltrat.
Le liquide concentré est dans ce cas directement utilisé en sortie du dernier étage.
Les applications de l'ultrafiltration sont en général de deux types, selon la concentration des solutions à traiter :
— dépollution organique dans les cas de fortes teneurs (1 à 100 g/litre),— filtration bactérienne de l'eau.
Dans le cas des industries alimentaires où les rejets contiennent des protéines, le procédé d'ultrafiltration peut permettre une récupération pratiquement totale de ces substances et leur valorisation et, du même coup, il diminue la pollution oxydable de l'effluent.
C’est notamment le cas des industries laitières où l'ultrafiltration permet dès maintenant de récupérer les protéines du lactosérum et, en les concentrant, de les utiliser pour l'alimentation. Les débits de lactosérum déprotéinisé sont compris entre 30 et 100 l/h/m² selon les températures de travail.
La pollution des industries du papier et notamment des fabrications de pâte constituent une part importante de la
* Nom de marque de Rhône-Poulenc.
Pollution française. Certains effluents « papetiers » présentent une forte coloration peu ou pas biodégradable. D’intéressants résultats ont été obtenus dans la réduction de la couleur par ultrafiltration, les débits d’ultrafiltrat étant avec ce type d’effluent de l’ordre de 100 à 150 l/h/m².
Une bonne part de la pollution des industries du cuir provient du rejet de bains de pelanage dont l’épuration est rendue indispensable par leur forte teneur en protéines et en sulfures. Les études sont actuellement en cours et des résultats prometteurs ont d’ores et déjà été obtenus, faisant apparaître la compétitivité de l’ultrafiltration vis-à-vis des procédés biologiques et physico-chimiques du fait de la possibilité de récupération des protéines et de recyclage de l'effluent traité.
Un autre exemple typique est celui des industries mécaniques utilisant des huiles de coupe. Une concentration préalable des huiles émulsionnées de ce type permet, en rendant possible la séparation huile-eau par simple décantation, de récupérer des calories par brûlage de l’huile et de réduire la pollution organique du rejet.
On peut également citer l’exemple de l’ultrafiltration des peintures par électrophorèse, désormais largement répandue en particulier dans l'industrie automobile.
Dans le domaine des eaux, on utilise également la propriété intéressante des membranes d'ultrafiltration d’arrêter les bactéries et les germes. Cela permet pour certaines applications hospitalières et pharmaceutiques, d’obtenir une eau d'une excellente qualité bactériologique.
Ce procédé est déjà en application dans l’industrie électronique où le lavage de certains composants tels que transistors, thyristors, nécessite une eau à forte résistivité d’excellente qualité bactériologique. L’appareil représenté sur la figure 12 permet d’obtenir de cette façon 500 à 600 l/h d'eau d’une grande pureté.
APPLICATIONS DE L’OSMOSE INVERSE
La pression motrice de transfert et donc le débit d'eau diffusée à travers la membrane seront d’autant plus grands, pour une membrane donnée, que l’écart entre pression de fonctionnement et pression osmotique de la solution sera plus élevé. Cette dernière caractéristique joue donc un rôle important dans le procédé.
tion de sa concentration. Une eau salée contenant 1 à 5 g/l de NaCl sera traitée à environ 30 bars, tandis que l'eau de mer à 35 g/l devra être dessalée à une pression au moins égale à 60 bars.
Les schémas de circulation utilisés en osmose inverse sont dans leur principe très voisins de ceux utilisés en ultrafiltration. La solution saline peut être traitée en dis continu avec recyclage ou en continu en un ou plusieurs étages. Un exemple typique est celui de la figure 22 qui représente un schéma d'installation de traitement d'eau de mer. Notons que l’osmose inverse nécessite presque toujours une filtration préalable de l'eau pour éviter un colmatage rapide des membranes. Malgré ces précau tions, il est nécessaire d’opérer un nettoyage dont la fré quence dépend de la composition de l'eau à osmoser et de l'efficacité de la filtration amont. Le choix des pro duits de nettoyage est bien entendu guidé par la résis tance chimique de la membrane. Les membranes IRIS 2201 et 2205 de Rhône-Poulenc présentent à cet égard l’avantage de pouvoir être nettoyées avec des solutions de pH compris entre 1 et 14.
Le procédé de séparation par osmose inverse présente le gros avantage de n’utiliser que des moyens mécaniques, ce qui lui confère une grande souplesse d'utilisation.
Il existe deux champs importants d’application de l’os mose inverse :
— la déminéralisation des eaux pour usages domesti ques ou industriels ;
— la dépollution organique et surtout minérale et toxi que.
Le dessalement de l'eau de mer, auquel la plupart des pays industrialisés consacrent une part croissante de leurs recherches, est l’une des applications les plus spectacu laires de ce procédé. Il est généralement réalisé en deux étapes, du fait de la très forte salinité de cette eau, qui est ainsi réduite de 35 g/l à moins de 0,5 g/l.
Dans le cas des faibles capacités, quelques centaines de m³/j, l'osmose inverse est d’ores et déjà compétitive avec la distillation ou l’électrodialyse.
On l’utilise donc le plus souvent sur des sites où les ressources en eau douce sont inexistantes. Certaines petites îles de l’Atlantique ou de la Méditerranée sont dès à présent alimentées en eau potable par des unités d’osmose inverse, à fonctionnement automatique. Citons également, comme application du même type, la produc tion d’eau douce à bord des sous-marins de la Marine nationale française. Dans ce cas l’eau douce est obtenue par un seul étage d’osmose à l'aide de modules Rhône- Poulenc équipés de membrane en acétate de cellulose, sans prétraitement d’eau de mer.
Les eaux saumâtres de teneur en sel comprise entre 3,5 et 5 g/l sont aisément déminéralisées en un seul étage jusqu'à des salinités inférieures à 0,5 g/l. La compétitivité du procédé s'en trouve accrue et avec elle le champ d’applications.
Certaines industries ont besoin d’une eau de grande qualité exigeant une déminéralisation poussée. C'est le cas des eaux destinées à la fabrication des bains de dia lyse, au rinçage de certains composants électroniques, à l’alimentation des chaudières de centrales thermiques, au conditionnement d’air. L’osmose inverse peut, dans ce cas, être combinée aux traitements de déminéralisation et augmenter avantageusement la durée de vie des résines.
Nous terminerons ce tour d’horizon rapide par des applications de l'osmose inverse à la dépollution des eaux :
— Réduction de la pollution organique d'abord où ce procédé permet d’arrêter la plupart des molécules non arrêtées par l’ultrafiltration. C’est le cas du traitement du lactosérum qui, après ultrafiltration, possède encore une teneur importante en lactose facilement arrêté par les membranes d’osmose inverse.
— Réduction de la pollution non oxydable ensuite, minérale le plus souvent, par diminution de la teneur en sels dont certains éventuellement toxiques, sels de zinc, cuivre, chrome, etc., dans les industries des traitements de surface.
La réglementation française exige en effet une neutra lisation des effluents industriels, ce qui a pour consé quence évidente, avec l’augmentation des besoins, une croissance parallèle de leur salinité qui, elle, n'est pas réglementée.
Il s’agit là d'un problème préoccupant si l'on songe que la consommation française d’eaux pour tous les usa ges avoisine déjà le quart de la totalité des eaux super ficielles de notre territoire.
Dans certains pays moins privilégiés que le nôtre en matière de ressources en eau, des projets importants sont d'ores et déjà mis en application. Aux États-Unis par exemple, on prévoit le traitement par osmose inverse d’un affluent du Colorado (400 000 m³/j) avant son passage au Mexique, du fait des nuisances importantes qu'il apporte dans ce pays.
CONCLUSION
Les procédés de traitement des eaux par ultrafiltration et osmose inverse paraissent maintenant bien maîtrisés et
font l'objet de réalisations industrielles en expansion rapide : ils apportent un moyen supplémentaire de purification d'une grande souplesse sans créer de pollution supplémentaire et qui présente l'avantage d'une faible consommation d'énergie (essentiellement mécanique). Les installations les utilisant ont un encombrement réduit, comparé aux installations d'épuration classique, et un fonctionnement simple.
Les membranes qui sont le cœur du procédé font l'objet de progrès constants. À côté des membranes cellulosiques, les plus anciennes et toujours utilisées, on voit progressivement apparaître de nouvelles membranes en polyamide, polyacrylonitrile, polysulfone, etc., de résistance chimique accrue, et dont les performances et la durée de vie ne cessent de s'améliorer, diminuant du même coup les frais d'exploitation des installations.
L'augmentation de la fiabilité des matériels ne peut qu'accroître encore les possibilités de cette technique.
Parallèlement, le durcissement progressif de la lutte contre la pollution entraîne une multiplication des problèmes à résoudre.
Rhône-Poulenc, qui a conscience d'apporter dès maintenant des solutions, s'emploie à élargir, par un gros effort de recherche, le champ d'application de ces techniques nouvelles.
» A.G. Bundgaard, O.I. Olsen, R.F. Madsen
BIBLIOGRAPHIE
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