À l’instar de ce qui a été fait pour la dépollution de l’ancienne usine à gaz de Nantes, nous avons, en 1991 et 1992, été chargés de déplacer 300 000 m³ de déchets existant dans la décharge de Fretin, située sur le tracé du TGV Nord.
L’existence de cette décharge présentait en effet des risques multiples :
- — risques pour les salariés de l’entreprise chargés de la construction du TGV, qui pouvaient être contaminés par des déchets d’origines diverses ;
- — risque de déstabilisation du sol sur le tracé même, rendant impossible la réalisation de la voie ferrée à grande vitesse ;
- — risque de pollution souterraine due à l’infiltration des eaux de percolation.
Une expérience pionnière en Europe
Implantée sur un terrain d’environ 7,5 ha près de l’aéroport de Lesquin, à 10 km au sud-ouest de Lille, la décharge de Fretin, exploitée de 1967 à 1982 sur l’emplacement d’une ancienne carrière de calcaire, a accueilli environ 3 400 000 m³ de déchets domestiques et industriels banals. Le tracé du TGV Nord nécessitait sa traversée et il était impossible de dévier l’itinéraire… La seule solution technique conduisait donc à déplacer d’environ 300 000 m³ de déchets.
Les études préliminaires menées par le BRGM Impact, l’ANRED, Ecopoll, ainsi que les indications du gestionnaire de la décharge (TRU), les résultats des analyses d’eau effectuées par l’Institut Pasteur et le réseau de surveillance de la décharge fournirent de précieuses informations quant à la maîtrise du chantier.
La mission confiée à CEP a nécessité la mobilisation de compétences variées dans les domaines de l’analyse physico-chimique du site pour déterminer les pollutions potentielles et en vue de la mise en œuvre d’une méthodologie à définir.
Il fallait également mettre au point la conduite des travaux sur le site, afin de différencier les déchets banals et consolidables sur place et ceux présentant des dangers pour la santé du personnel de l’entreprise.
Il était également nécessaire de rechercher un site approprié au traitement des déchets ou localiser l’emplacement d’un centre d’enfouissement adapté.
Déroulement des travaux
L’arrêté préfectoral d’autorisation prévu par les rubriques 167 B et 322 B 2 de la nomenclature des installations classées dressa le cadre du déroulement des opérations. Celles-ci comportaient les tâches ci-après, que nous évoquerons sans plus entrer dans les détails techniques :
- • classification des déchets évacués en fonction de la nomenclature parue au Journal officiel du 16/05/1985 ;
- • réalisation d’un Centre d’Enfouissement Technique étanchéifié (CET) récepteur des déchets évacués ;
- • aménagement des accès, facilitation des communications téléphoniques et radio ;
- • définition de la circulation intérieure, des locaux de chantier ;
- • prévention de la pollution de l’eau par :
- — un réseau de surveillance de la nappe ;
- — une dérivation des eaux de ruissellement autour du site ;
- — l’étanchéification du CET ;
- — l’évacuation des eaux de percolation ;
- — l’aménagement final ;
- • capture des gaz de fermentation ;
- • définition de l’organisation des travaux :
- — mode d’exploitation ;
- — registre d’exploitation ;
- — acceptation des déchets, déblais et gravats ;
- — interdictions ;
- — mesures contre les perturbations radio-électriques (en raison des risques de parasitage des communications radio de l’aéroport de Lesquin) ;
- — lutte contre les nuisances et les odeurs ;
- — hygiène et sécurité des travailleurs ;
- • établissement du cadre de l’autosurveillance :
- — analyse des eaux souterraines (avant les travaux et au cours de ceux-ci par prélèvements périodiques ;
- — vérification de l’efficacité du système de drainage et d’élimination des gaz ;
- • prévention des incendies, des accidents, des incidents, du bruit et des trépidations ;
- • prévisions concernant l’aménagement final et la période de post-exploitation.
[Photo : Compactage d’un casier.]
La réalisation
Les dispositions de l’arrêté préfectoral devaient être précisées pour maîtriser les risques et assurer la protection des personnes et de l’environnement.
Les outils suivants furent élaborés à cet effet :
- • Plan de qualité particulier (SNCF) ;
- • Plan d’hygiène et de sécurité (CEP) ;
- • Méthodologie de contrôle (CEP).
Ils définissaient : l’organisation en place pour le suivi de l’exploitation, les dispositifs d’hygiène et de sécurité, la méthodologie d’exploitation et la gestion des déchets.
Le chantier « Déchets » s’est déroulé du 23 mai 1991 (ouverture des travaux) au 21 février 1992 (mise en place finale des couches de limon en surface).
Seules pouvaient entrer dans la décharge les personnes autorisées et vaccinées (tétanos, hépatite, leptospirose, polio, diphtérie, typhus), lesquelles, après avoir été dûment identifiées, devaient, en entrant : se protéger en se revêtant d’une combinaison jetable, de bottes, de gants et d’un masque anti-odeurs, puis en sortant : jeter la combinaison dans un sac et nettoyer bottes et gants.
Après avoir assuré la formation du personnel exécutant, sur les plans de l’hygiène et de la sécurité de l’environnement, la mission de CEP dans ces domaines fut la suivante :
- • vérification de l’application des consignes d’hygiène et de sécurité ;
- • contrôle du triage correct des déchets ; chaque camion de transfert vers le CET fut pourvu d’un bordereau de suivi de déchets (conformément à l’arrêté du 4 janvier 1985) indiquant la nature globale de son chargement (près de 20 000 bordereaux furent émis) ;
- • contrôle de la marche des travaux de création du CET, qui comportaient la mise en place en fond de fouille et sur les parois de couches étanches de 5 m d’épaisseur de matériaux limoneux et argileux imperméables ;
- • vérification des oxymètres et méthanomètres ;
- • vérification de la propreté du chemin de liaison établi entre la décharge et le CET ;
- • préanalyses en cas de présence de déchets douteux au titre de la norme NF X 31-010 (prélèvement, caractérisation et analyses de déchets) ;
- • réaliser des préanalyses d’eau de fond de fouille (pH, DCO, Plomb, Fer, Nickel, Chrome, MES, Turbidité, Redox, Conductivité) grâce au laboratoire mobile CEP installé sur le terrain ;
- • établir les liaisons entre les Administrations, la SNCF et les sociétés BTP présentes sur le site (Deschiron, Quillery, GTM, Campenon-Bernard, Sogea).
[Photo : Prélèvement d’eau en fond de fouille.]
Constatations synthétiques sur les risques potentiels et réels du chantier
Le chantier « déchets » s’est déroulé sans incidents majeurs, à la satisfaction de tous ses acteurs ; cependant certaines observations sont à formuler :
- • lorsque la vitesse du vent n’atteignait pas 1 m/s, la teneur en méthane était supérieure à la limite d’explosivité (LIE), ce qui s’est produit à deux reprises en fond de fouille, où l’air stagnait, entraînant à chaque fois l’arrêt momentané des travaux, dont la reprise a été possible par l’arrivée providentielle d’une bise qui a stoppé l’alarme émise par le méthanomètre ;
- • l’absence de rats et de mouettes en bandes a souligné l’absence de matières nutritives dans la décharge (la présence de lièvres à proximité confirmant l’absence de rats) ;
- • la stabilité du terrain était acceptable ;
- • absence de stockage massif de fûts, de boues pâteuses suspectes, de poches d’hydrocarbures ;
- • de rares cas de diarrhées ont été constatés, ce qui a confirmé la nécessité de l’application stricte des consignes d’hygiène et de sécurité.
Conclusion
Cette mission a montré qu’il est extrêmement difficile de traiter les déchets industriels dits banals par la stabilisation, laquelle ne peut être obtenue qu’après de nombreuses années de surveillance, qui se situent au-delà des délais raisonnables d’exploitation.
Les travaux que nous avons réalisés doivent conduire les aménageurs à devenir extrêmement prudents quant à la connaissance du site sur lequel ils font réaliser leur projet.
On peut penser notamment que les techniques « zéro » faisant appel aux méthodes utilisées habituellement en matière de géologie et de pédologie, ainsi que des études préalables de l’environnement plus globales devraient conduire à limiter les sinistres constatés dans certaines circonstances.
Un certain nombre de réalisations européennes (en Allemagne et en Hollande) et internationales (États-Unis) montrent que la réhabilitation des sites utilisés pour les décharges s’avère possible à condition de mettre en place des instruments de surveillance et de suivi.
Il n’est pas impensable que certains anciens dépôts de déchets industriels et hospitaliers ou autres, perdus de vue au cours des années, ne posent de graves problèmes dans un avenir proche ou lointain, ce qui justifie notre mission de « Certificateur de l’état de l’environnement ».