En France, beaucoup de réseaux de distribution d'eau sont anciens et demandent à être refaits ; certaines installations nouvelles doivent aussi être établies pour répondre à des besoins croissants. Il existe, pour résoudre ces problèmes de desserte, des solutions techniques compatibles avec les financements, pour peu que l'on veuille bien prendre conscience de l'importance des infrastructures hydrauliques dans la vie du pays.
UN CONSTAT INQUIÉTANT
Milieu rural
Lors du dernier inventaire du ministère de l'Agriculture, datant de 1981, il ressortait que près d'un million de sédentaires ruraux ne recevaient pas encore l'eau à partir d'un réseau collectif de distribution et que près de deux millions d'habitants saisonniers se trouvaient dans le même cas, mais cette situation est très inégale suivant les secteurs géographiques : par exemple, sur les 416 communes rurales qui n'ont encore aucun réseau d'adduction d'eau, 57 d'entre elles se trouvaient dans le même département en 1984 et 24 dans un autre. Pour permettre d'accroître encore le taux de desserte de la population rurale, des travaux d'adduction d'eau s'avèrent donc toujours nécessaires, tandis que, simultanément, on voit se développer une détérioration des réseaux existants : vétusté, inadaptation aux exigences de protection de la qualité de l'eau et de la sécurité, mauvaise qualité du service, etc.
Tout ceci permet de penser qu'en 1985, contrairement à une idée généralement répandue, le problème de l'adduction et de la distribution de l'eau potable en milieu rural est loin d'être résolu dans sa totalité. Signalons simplement que, pour maintenir à un niveau convenable la situation existante, il aurait fallu investir chaque année de 1981 à 1986 3 milliards de francs de travaux (valeur 1981) alors que l'on a seulement disposé de 2,4 milliards en 1981, et moins encore en 1982 et 1983.
Milieu urbain
Le constat aboutit à des conclusions voisines : en effet, 60 % du réseau d'eau urbain a été mis en place avant la dernière guerre, tandis que la population de l'ensemble du territoire est passée de 41,2 à 54,3 millions d'habitants, la plupart du temps au détriment des campagnes.
D'autre part, une étude récente menée par des cabinets privés indépendants constate qu'en 1980, on a remplacé en moyenne 2,5 kilomètres de canalisations pour 100 000 habitants alors que l'analyse des besoins moyens montre qu'il serait nécessaire de porter ce chiffre à 3,5 kilomètres.
Les réseaux urbains sont touchés ainsi par l'âge, la vétusté et sont l'objet de nombreuses réparations.
UNE ÉVOLUTION À PRENDRE EN COMPTE
Au niveau des mouvements de population.
De nos jours et après la croissance sensible de la population constatée depuis la dernière guerre, on assiste surtout à des migrations dont les effets sont les suivants :
— la population rurale, qui s'est stabilisée, serait d'après le dernier recensement, en très légère augmentation ;— la taille des communes se modifie : si la population des « villes-centres » a tendance à diminuer, celle des villes de ceinture s'accroît.
Au niveau des habitudes.
Traditionnellement, la consommation d'eau unitaire par habitant du secteur rural était inférieure à celle du secteur urbain.
On y relève maintenant une explosion des comportements : de nouvelles utilisations apparaissent ; des installations nouvelles, pour l'agriculture, pour l'élevage, deviennent consommatrices d'eau.
Certes, en milieu urbain, la consommation des industries est en baisse (recyclage, diminution d'activité, etc.), mais celle des particuliers s'accroît encore très légèrement, malgré la crise.
On a déjà pu constater d'ailleurs que l'Europe, avec un certain décalage, suit l'exemple des États-Unis : c'est ainsi qu'en France, la consommation d'eau potable a atteint en 1980, 300 litres par jour et par habitant contre 600 litres outre-Atlantique.
Il y a donc déplacement des besoins nécessitant en corollaire une adaptation des réseaux. Enfin, le développement des villes de ceinture, déjà évoqué, permet de mieux répondre aux souhaits d'une grande majorité de Français qui préfèrent vivre en pavillon individuel avec jardin. Mais ceci amène au problème de l'arrosage que l'on retrouve également dans de nombreuses expériences d'amélioration du cadre de vie urbain par le développement des espaces verts, jardins publics, parcs, et voies piétonnières.
Une population nouvelle qui consomme souvent davantage d'eau, le déplacement de la population, la modification des habitudes, contribuent à la nécessité d'investissements nouveaux, mieux adaptés.
MENACES SUR L’APPROVISIONNEMENT
Les pollutions
L’eau destinée à la consommation des particuliers et des industriels provient de cours d'eau dans 14 % des cas, de sources pour 43 % et de forages pour 43 % également. Si les eaux souterraines sont particulièrement affectées par des teneurs élevées en nitrates, (selon l'Organisation Mondiale de la Santé, cela concerne en France près de 20 % de la population), les eaux de surface sont, elles aussi, menacées par des pollutions accidentelles comme par certains types de rejets, à tel point qu'en 1984, à la suite de plaintes, 5,5 % des communes françaises ont déclaré leurs eaux polluées. Certes, si ce pourcentage reste encore modeste, encore faudrait-il prendre en compte le nombre d’habitants concernés, car on connaît les conséquences graves et les répercussions dans le public que le moindre cas peut présenter.
De plus, l'augmentation du trafic routier, le rejet des industries vers la périphérie des villes et l'unicité des points de captage d’eau accroissent encore les risques. Une prise de conscience de ces problèmes est nécessaire et des mesures vont devoir suivre, d’autant que les directives anti-pollution élaborées par la C.E.E. vont prochainement entrer en application et que pour s'y conformer, il va devenir urgent de procéder à des investissements.
Le manque d’investissements
Le freinage observé depuis plusieurs années en matière de travaux d’assainissement, notamment en milieu rural, ne facilite pas la lutte contre les pollutions.
La France n’investit dans ce domaine chaque année que 3,5 milliards de francs alors qu’il aurait fallu atteindre 5 milliards dès 1985 pour espérer se rapprocher de nos partenaires européens (R.F.A., G.B.). Face au grave problème des pollutions, la sécurité des approvisionnements en eau potable est périodiquement menacée et au problème de la qualité de l’eau vient s’ajouter celui des quantités disponibles. Nous connaissons en effet une sécheresse nationale tous les dix ans en moyenne, au cours de laquelle il n’est pas toujours possible de répondre aux besoins.
Or, une interruption ponctuelle dans la distribution de l'eau potable peut toujours se justifier. Par contre, une carence dans ce domaine est mal comprise par les populations.
La protection incendie
Pour être complet, il convient d’évoquer la « sécurité incendie », grosse consommatrice d'eau, dont les techniques évoluent également. En effet, si dans certaines régions, on peut constater le maintien d'une technique visant à disposer rapidement d'un fort volume d’eau en cas d'incendie de hangars, de fourrages, de fermes ou de locaux industriels, dans d'autres régions, on estime qu'il s’agit d'un problème de pression, plus facile à résoudre à l'aide d'engins nouveaux mis à la disposition des services d’incendie. Or, de nombreux réseaux ne sont pas en mesure de satisfaire ces exigences de quantité et de pression et de nombreux élus en sont conscients, puisqu’en 1980, un sondage révélait que 44 % des responsables cantonaux de services d’incendie reconnaissaient qu'ils avaient constaté des insuffisances de cette nature à l'occasion de sorties « au feu » au cours des quelques années précédentes.
Ajoutons que la raréfaction des financements et le niveau d’endettement des communes pourraient se ranger dans ce chapitre en titre des menaces qui pèsent sur les actions en faveur du développement des adductions d’eau ; nous y reviendrons.
LES SOLUTIONS TECHNIQUES
Les intervenants dans le domaine de l'eau sont, dans leur majorité, conscients de toutes ces difficultés et n'ignorent rien des solutions possibles. Pour l’essentiel, chaque problème possède la sienne, techniquement au point. Il peut s’agir premièrement de la création de nouvelles adductions, pour terminer la desserte des communes – même s'il s'agit d'atteindre des hameaux isolés, des groupements d’habitations situés dans des lieux d'accès difficile – ou encore pour renforcer cette desserte et éviter des zones polluées.
Il peut s’agir ensuite de la mise en place de moyens de traitement adaptés aux différentes sortes de pollutions avec la difficulté de prévoir toute pollution accidentelle (phosphates, pesticides, nitrates, lindanes,...) y compris celles mettant en cause des produits inhabituels (contre lesquels il n'existe pas toujours de parade).
Il peut s’agir aussi de mettre en place une politique nationale et régionale plus affirmée de protection de la ressource d’eau pure avec l’extension ou le développement de périmètres de protection. Mais cette solution a ses limites et les problèmes législatifs et juridiques soulevés sont quelquefois difficiles à surmonter.
Il peut s’agir enfin d’opérations plus systématiques de maillages, d'interconnexions ou de rénovation préventive et là, les solutions ne manquent pas.
Récemment encore, un élu de la banlieue parisienne, à la suite de deux pollutions estivales d’affluents de la Seine, rappelait l’importance de la sécurité des ressources en eau potable destinée à ses administrés et concluait à la « néces-
sité d’organiser une riposte au moyen d’un réseau en bonne santé avec des interconnexions encore plus nombreuses et une diversification plus grande des sources d’approvisionnement (cours d’eau, sources et nappes).
UNE ORGANISATION PLUS SOUPLE
C’est avec ce même souci que l’on voit se créer et se multiplier des syndicats intercommunaux d’alimentation en eau potable, et même se mettre en place des fédérations départementales de syndicats d’adduction d’eau, formule à la fois efficace et plus souple que celle d’un groupement de communes tentaculaire et unique, au niveau du département.
Sur le plan technique, la conception ou le développement de réseaux complexes, maillés, peut se faire à l’aide de modèles mathématiques récents et de logiciels performants, permettant aux responsables locaux de mieux dimensionner les canalisations, de mieux maîtriser la connaissance des régimes transitoires, de mieux déterminer les éventuels points de prélèvement pour analyses (notamment bactériologiques). Simultanément, des appareils de détection électro-chimique ont été mis au point, permettant de procéder très rapidement et très efficacement au niveau local à une surveillance bactériologique des réseaux d’eau potable.
Du côté de la rénovation préventive, du remplacement de canalisations et éventuellement du renforcement connexe, les solutions sont également nombreuses et certaines habitudes sont prises, par exemple dès qu’il y a création d’une rue piétonnière, ou lorsque d’autres travaux sont programmés dans une même voie.
Remarquons pourtant que, lors d’une enquête nationale réalisée en 1980, si 87 % environ des représentants de services municipaux se disaient favorables au remplacement systématique de réseaux défectueux ou anciens, seulement 14 % d’entre eux avaient établi un plan de rénovation préventive.
Il y a donc encore beaucoup de chemin à parcourir dans cette direction et peut-être que des études économiques plus poussées et un calcul plus systématique de la rentabilité et du rendement des réseaux contribueraient à améliorer cette situation.
QUELS FINANCEMENTS ?
Finalement, si les solutions techniques existent, ou se mettent en place, les freins se situent surtout au niveau des moyens financiers mis à disposition des communes, tout particulièrement dans le domaine de l’eau et de l’assainissement.
Si l’on prend l’exemple de l’électrification rurale, on voit qu’après le premier équipement, réalisé en très grande partie, ce secteur connaît maintenant l’ère des renforcements. Ils sont importants et les financements correspondants suivent et progressent régulièrement, alimentés par un compte spécial du Trésor, le FACE, lui-même constitué par une redevance d’EDF et des entreprises du secteur non nationalisé, redevance constituée par une taxe des usagers sur le kW/h fourni.
Dans le domaine de l’eau, il règne une plus grande insécurité en matière de financements. Dans le secteur rural, le FNDAE (compte spécial du Trésor comme le FACE) n’a pas une continuité de progression identique en raison de sa composition même. D’une façon plus générale, tandis que les subventions d’État ont disparu, seules subsistent les subventions des départements, parfois des régions, ou encore les aides des Agences financières de bassin. Mais tout cet ensemble est soumis à bien des aléas politiques ou conjoncturels et la spécificité de l’eau n’y trouve pas toujours sa place.
Enfin, remarquons qu’un certain nombre de collectivités publiques sont fortement endettées et ne peuvent fournir les compléments de financement : elles se voient donc obligées de refuser des subventions. Plusieurs cas récents témoignent de cette situation.
C’est donc l’intégralité des montages financiers de ces opérations qui demande à être revue. Les solutions dans ce domaine existent, et de leur côté, les usagers sont prêts bien souvent à payer le juste prix du service de l’eau, tout au moins si des charges accrues se traduisent par de nouveaux investissements aux résultats tangibles. Certes l’acte de blocage ou de libération du prix de l’eau présente un effet psychologique certain, mais dans la pratique, une augmentation de quelques centimes du prix de l’eau peut être qualifiée de presque « indolore ».
Par ailleurs, une certaine solidarité à l’égard de ceux qui manquent d’eau, s’exprime par le FNDAE. Une consolidation de son financement devrait permettre dans une certaine mesure d’enrayer la baisse des investissements.
D’autres solutions peuvent encore se dégager, dans le cadre de la décentralisation actuellement mise en place et qui laisse une large initiative aux élus locaux.
Les problèmes de l’eau ont sans doute un peu perdu de leur spécificité et s’insèrent plus généralement dans un vaste projet d’aménagement de l’espace.
Le thème de l’espace rural est d’ailleurs repris avec un grand intérêt par les spécialistes du ministère de l’Agriculture et c’est dans ce contexte moins étroit où l’irrigation trouve d’ailleurs sa place, qu’il faut replacer les préoccupations fondamentales que sont une bonne desserte en eau et son complément indispensable, un bon système d’assainissement.