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Les principes à observer en matière de contrôle des eaux d'alimentation

28 decembre 1982 Paru dans le N°70 à la page 34 ( mots)
Rédigé par : A.-j. MONTIEL

L’eau d’alimentation peut-elle nuire à la santé ?

Historique

« Quiconque désire étudier la médecine comme il faut, devra considérer les rapports entre les saisons de l’année, les vents et les eaux, la santé et la maladie ». Cette phrase, toujours d’actualité, a été prononcée par Hippocrate (460-354 av. J.-C.). Dès cette époque, on avait déjà constaté des corrélations entre certaines épidémies et l’eau. Cependant, c’est au XIXᵉ siècle, bien avant la découverte des germes, que Moreau de Jonnès a pu démontrer en 1828, avec statistiques à l’appui, que le choléra, par exemple, suivait le cours des fleuves. En 1831, les Anglais démontraient le rôle de la pompe communale à eau de Broad Street (Londres) au cours de l’épidémie de choléra ou, comme le pratiquaient les paysans russes, il suffisait de faire bouillir l’eau « d’alimentation » pour se protéger. C’est cependant Snow qui, en 1855, fut le premier à produire une étude prouvant que l’eau de boisson était à l’origine d’épidémies. Cette étude a été suivie de près par celle de Budd qui a montré le rôle de l’eau dans les épidémies de fièvre typhoïde.

Après le développement du microscope pendant les années 1880, voici un siècle, il y eut un flot de découvertes de bactéries particulières et leur rôle dans le développement de nombreuses maladies contagieuses fut confirmé ; Koch isolait en 1883 le vibrion du choléra des selles de malades à Alexandrie.

Ce concept nouveau de bactéries pathogènes ouvrit une ère nouvelle de diagnostics et de traitements médicaux. Il en découla de nouvelles méthodes d’évaluation de la qualité de l’eau et de nouveaux procédés pour le traitement dans les usines d’eau.

Escherichia isole le colibacille en 1885. Schroeter retrouve l’année suivante le bacille déjà vu par Eberth ; puis les découvertes s’accélèrent pour en arriver de nos jours à la notion de virus pathogènes non encore cultivables (hépatite A, par exemple).

Situation actuelle

La manifestation des maladies contagieuses diffusées par l’eau est devenue chose rare dans bien des pays, mais lorsqu’une épidémie se déclare, et même s’il ne s’agit que d’un seul cas, l’événement fait la « une » des journaux.

Les maladies d’origine hydrique restent cependant un problème en de nombreuses parties du monde, même aujourd’hui, surtout dans les régions subtropicales et tropicales ; ce sont bien souvent des maladies gastro-intestinales caractérisées par des diarrhées, des crampes abdominales, occasionnellement des vomissements ou des fièvres. Contrairement aux auteurs australiens qui ironisent en parlant de la « complainte mondiale des diarrhées aiguës », au moins 200 millions de personnes souffrent de cette affection dans le monde, et leur comparaison est éloquente : « le volume des diarrhées par jour est comparable à la quantité d’eau des chutes Victoria en une minute ».

Cependant, nous pouvons reprendre une étude faite aux U.S.A. en 1973 faisant ressortir que les diarrhées correspondraient à 62 % des maladies dues à l’eau et que 60 % des cas sont enregistrés en été, ce qui conduit à incriminer la qualité des eaux dans les lieux de vacances. Les maladies provenant d’erreurs de branchements y sont très faibles : on n’a relevé en 1973 que 200 cas dans l’ensemble du pays.

L’EAU ET LA SANTÉ DE L’HOMME

Dès 1913, Henderson affirme que l’eau est ingérée en plus grande quantité que toutes les autres matières combinées, qu’elle est également la principale excrétion et qu’il n’y a guère de processus physiologiques où l’eau n’ait pas une importance fondamentale. Selon Wolf, l’homme consomme journellement en moyenne 2 200 g d’eau, soit 3,1 % de son propre poids ; pour lui être utile, cette eau ne doit pas contenir de matières contaminantes préjudiciables à sa santé ; en outre, elle doit comporter certains éléments entrant dans sa constitution physique (les proportions données ici pour l’homme adulte changent considérablement pour le nourrisson, qui absorbe 500 g par jour pour un poids de 4 kg).

Indispensable à la santé et à l’hygiène de l’homme, l’eau peut être aussi à l’origine de maladies de façon indirecte : l’enfant qui se frotte les yeux avec ses mains sales peut y faire entrer le virus du trachome ; l’emploi et le réemploi d’objets d’usage courant dans les maisons, les établissements et lieux publics, sans nettoyage ni désinfection suffisants peuvent aussi être incriminés. Sans pousser aussi loin la responsabilité de l’eau, nous pouvons distinguer trois types de circonstances pouvant provoquer des maladies ou des malaises :

  • le contact direct avec l’eau et les polluants aquatiques à l’occasion de bains ou de soins d’hygiène : c’est le cas des baignades ;
  • l’ingestion d’eau d’alimentation : eau de boisson ou de préparation d’aliments (thé, café, potages, boissons fraîches…), d’aliments lavés avec une eau souillée ou impropre à la consommation ;
  • le contact indirect : l’eau sert à la multiplication d’insectes ou de parasites qui vont transmettre des maladies à l’homme ; c’est le cas des moustiques et de certaines mouches.

Le tableau I donne une liste de maladies transmissibles à l’homme par des insectes ou animaux qui se multiplient dans l’eau.

Un deuxième risque est la concentration des polluants contenus dans l’eau soit par des animaux, soit par des végétaux ; c’est le cas de la concentration de bactéries et de virus par les coquillages, ou de la concentration du mercure par les poissons (maladie de Minamata au Japon) ou du cadmium par le riz (maladie d’Itai-Itai). Il est donc logique de prévoir des contrôles tout à fait différents pour une eau de baignade, de consommation ou pour la conchiliculture.

Dans la suite de cet exposé, nous ne nous intéresserons qu’à l’eau destinée à la consommation humaine.

TABLEAU I

Maladie Chaîne de transmission
Clonorchiase hépatique animaux → mollusque → poisson → homme
Dengue homme → moustique → homme
Parasitose par bothriocéphales animaux → crustacé → poisson → homme
Encéphalite animaux → moustique → homme
Distomatose intestinale à Fasciolopsis animaux → mollusque → plante aquatique → homme
Filariose homme → moustique → homme
Filaire Loa loa homme → mouche → homme
Malaria homme → moustique → homme
Onchocercose homme → mouche → homme
Paragonimiose animaux → mollusque → crabe → homme
Fièvre de la vallée du Rift animaux → moustique → homme
Fièvre jaune homme → moustique → homme

TABLEAU II

Organismes – Maladie – Principal site atteint
1 / BACTÉRIES
- Salmonella typhi, paratyphi A, B, C – Fièvre typhoïde – système gastro-intestinal
- Shigella spp. – Fièvres entériques – système gastro-intestinal
- Vibrio cholerae – Dysenterie – système gastro-intestinal
- Escherichia coli – Choléra – intestin
- Francisella tularensis – Gastro-entérites – système gastro-intestinal
- Bacillus anthracis – Respiratoire, système gastro-intestinal, ganglions lymphatiques –
- Leptospira interrogans – Charbon – leptospirose généralisée
- Mycobacterium tuberculosis – Tuberculose – poumons et autres organes
2 / PROTOZOAIRES
- Entamoeba histolytica – Amibiase – système gastro-intestinal
- Naegleria fowleri – Méningite encéphalitique – système nerveux central
3 / HELMINTHES
- Ascaris lumbricoides – Ascariase – intestin grêle
- Schistosoma haematobium – Schistosomose – rein
- Necator americanus – Ancylostomose – système gastro-intestinal
- Ancylostoma duodenale – Ancylostomose – système gastro-intestinal
- Diphyllobothrium latum – Diphyllobothriase – système gastro-intestinal
- Echinococcus granulosus – Échinococcose – foie et poumons
- Anisakis sp. – Anisakidose – système gastro-intestinal

EAU DESTINÉE À L’ALIMENTATION HUMAINE

HIÉRARCHISATION DES RISQUES

Le but du contrôle de l'eau est de mettre en évidence toute anomalie qui fera courir un risque pour la santé de l'homme. Il est évident qu’il est impossible de les rechercher toutes, tous les jours ; il est donc indispensable de classer ces risques, en fonction de leur nuisance pour la santé de l'homme, en distinguant :

  • — les risques à court terme, nuisibles après une seule absorption d'eau polluée,
  • — les risques à moyen terme, nocifs après un à six mois de consommation,
  • — les risques à long terme, qui ne se révèlent qu’après un à dix ans d'utilisation de l'eau.

a) Risques à court terme

Il s’agit de risques essentiellement microbiologiques, causés par les bactéries, les virus, les levures, les champignons, les protozoaires et les helminthes (tableau II), dont nous examinerons certains aspects ci-dessous.

Les bactéries : les risques résultant de leur présence permettent de les classer en deux groupes principaux. Le premier groupe rassemble des bactéries de caractère biologique assez proche, dont l'habitat normal est l'intestin de l'homme ou de certains animaux à sang chaud. La contamination se fait par les matières fécales. Ce sont : le vibrion cholérique, les salmonelles, les shigelles, les escherichia coli, les streptocoques (groupe D), les pseudomonas...

Le deuxième groupe rassemble des bactéries susceptibles de provoquer des infections cutanées ou cutanéo-muqueuses. Ce sont : les pseudomonas, les staphylocoques, les streptocoques...

Ces micro-organismes peuvent provenir de matières fécales, mais ce n’est pas systématique.

Les virus : par opposition aux microbes, les virus ne se reproduisent pas ; ils sont nécessairement synthétisés par une cellule vivante dont ils détournent les mécanismes normaux de synthèse. Ce sont des parasites absolus ; la cellule support en meurt généralement. Ce sont les entérovirus, les rhéovirus, les adénovirus, les virus de l'hépatite A dite « épidémique » ou « infectieuse ».

Les levures et champignons : certaines de ces mycobactéries peuvent être à l'origine d'affections cutanées ; quelques-unes ont une origine fécale : candida-albicans.

Les helminthes : ce sont des vers parasites tels que les ascaris, les trichuris, pathogènes après infection orale, ou les ankylostomes et strongyloides (anguillules) après infection cutanée.

b) Risques à moyen terme

Cela ne concerne que des risques chimiques provoqués en particulier par les nitrates, les nitrites, le fluor, le sulfate de magnésium, le sodium et la dureté des eaux.

Les nitrates : ils peuvent être à l’origine de la nitroso-méthémoglobine chez les nourrissons de moins de six mois, la flore intestinale permettant une réduction des nitrates en nitrites qui bloquent les échanges gazeux au niveau du sang ; la dose de 50 mg/l ne doit pas être dépassée. Mais, là aussi, cette norme s’applique plus à des personnes de pays développés que de ceux en voie de développement. En effet, les nitrates sont donnés aux nourrissons par l’intermédiaire de l'eau qui sert à préparer le lait à partir de lait en poudre. Dans le cas d’un nourrisson allaité, le problème ne se pose pas ; ceci explique que dans certains cas de doses de 100 mg/l de nitrates dans l'eau ne produisent aucun accident.

Lorsque les teneurs en nitrates sont de l’ordre de 100 mg/l, on peut constater la formation de nitrosamines qui sont des composés cancérigènes, tératogènes et mutagènes à la dose de 1 mg/l. Les nitrosamines peuvent être générées à l'intérieur des intestins. Des corrélations entre nitrates, nitrosamines et cancer ont été établies en Colombie et en Illinois.

Les nitrites : quel que soit l’âge de l’individu, ils bloquent les échanges respiratoires au niveau du sang. Les eaux ne doivent pas contenir plus de 50 µg/l de nitrites.

Le fluor : une carence en fluor provoque des caries dentaires chez les enfants ; par contre, un excès peut être à l'origine de l'émail marbré. Les eaux suivant la latitude ne doivent pas contenir plus de 0,7 mg/l de fluor pour les pays chauds et 1,5 mg/l pour les pays froids.

Le sulfate de magnésium : il a la propriété de rendre l'eau laxative. Cet effet se fait sentir pour des dosages supérieurs à 30 mg/l de Mg²⁺ et à 125 mg/l de sulfate.

Le sodium : bien que le problème soit imparfaitement éclairci, il semble que la présence exagérée de sodium dans les eaux ne soit pas à négliger complètement sur le plan sanitaire. Il se pourrait en effet que le sodium affecte certaines populations critiques (sujets souffrant de néphrites, d’hypertension), mais il semble aussi qu'il puisse affecter certains sujets normaux (augmentation de la tension sanguine chez les adolescents aux U.S.A. avec une eau à 107 mg/l de sodium). Selon l’auteur de cette étude, la teneur de 100 mg/l ne devrait pas être dépassée.

La dureté de l'eau : lorsqu'elle est excessive, elle constitue un inconvénient pour de nombreux usages domestiques ou industriels. La correction des eaux dures peut cependant s'imposer dans certaines circonstances pour des raisons de convenance technologique.

Divers procédés sont utilisés parmi lesquels l'échange d'ions occupe une large place, mais une correction de ce type, excessive et mal contrôlée, modifie considérablement l'équilibre de l'eau. Il ne semble pas qu'une telle pratique soit souhaitable au plan sanitaire pour plusieurs raisons probablement liées :

  • — enrichissement de l'eau en ions sodium,
  • — enrichissement de l'eau en éléments indésirables ou toxiques par corrosion des canalisations (Cu, Zn, Fe...),
  • — mise en évidence épidémiologique d'un (ou de) facteur(s) « eau », lié(s) à la fréquence de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires.

Le déficit en magnésium semble être le principal facteur, mais des études doivent être poursuivies et incitent cependant à la prudence.

c) Risques à long terme

Ces risques incluent les phénomènes d'accumulation des métaux toxiques et les risques de cancer. On classera ces composés en deux groupes :

Les éléments indésirables tels le fer, le zinc, le manganèse qui peuvent être responsables de mauvais goûts, de coloration de l'eau, ou de post-précipitations qui favorisent les post-précipitations bactériennes.

Ces éléments, mis à part le manganèse, peuvent être dus à des phénomènes de corrosion. Ils ne posent pas à proprement parler de problèmes toxicologiques, encore que le zinc ne soit pas exempt de propriétés biologiques et qu'il puisse être accompagné de cadmium.

Ces éléments peuvent par voie indirecte rendre l'eau impropre à la consommation. Leur accumulation dans le réseau de distribution peut soit neutraliser l'agent oxydant et bactéricide, et ainsi favoriser la prolifération des bactéries, soit rendre l'eau réductrice et permettre la présence d'éléments toxiques tels les nitrites.

Les éléments toxiques tels que :

Les métaux directement toxiques :

  • — selon certaines études, l'arsenic est cancérigène ; il convient de limiter sa teneur dans les eaux,
  • — le mercure : l'accident de Minamata en 1953 nous a rappelé les très hauts risques toxiques du mercure, surtout dus à son accumulation,
  • — le cadmium : comme le mercure, il s'accumule et a été responsable d'une intoxication collective au Japon ; la maladie est appelée maladie d'Itai-Itai,
  • — le plomb : la maladie causée par l'absorption de doses trop importantes durant des années, est le saturnisme,
  • — le chrome : il est suspecté de potentialité cancérigène à l'état hexavalent.

D'autres éléments sont encore à suivre tels le sélénium, l'antimoine ; ils ont été à l'origine de maladies hydriques.

Les éléments minéraux divers, toxiques dans des cas particuliers

  • — le lithium : il peut être à l'origine de modifications psychiques,
  • — les nitrates : à des doses supérieures à 100 mg/l ils peuvent conduire à la formation in vivo de nitrosamines cancérigènes,
  • — l'aluminium : en dialyse rénale il a été le facteur d'encéphalopathies,
  • — l'amiante : en inhalation, c'est un cancérigène ; le doute existe lorsqu'il est ingéré,
  • — les radionucléides : leur danger potentiel est lié au risque de contamination interne, avec effet sur les organes cibles et leur rétention biologique.

Les micropolluants organiques

Leur liste est trop importante pour pouvoir tous les citer (entre 1965 et 1972, un million de molécules nouvelles ont été synthétisées). Ces composés peuvent s'accumuler et être cancérigènes. On pourra donc soit rechercher des composés spécifiques, soit effectuer des tests biologiques de cytotoxicité ou de mutagénèse. On peut citer :

  • — les détergents : il n'est pas impossible que leur présence en traces dans l'eau d'alimentation puisse favoriser la pénétration et la digestion de certains autres composés et particulièrement, de dérivés toxiques tels que les hydrocarbures polycycliques aromatiques,
  • — les phénols et leurs dérivés : en présence de chlore, ils conduisent à la formation de chlorophénols très sapides,
  • — les résidus de biocides : le risque aigu lié à l'utilisation de ces molécules est relativement bien connu chez l'animal et chez l'homme. On ne sait que peu de choses sur le risque à long terme dû à l'ingestion de microdoses de ces composés,
  • — les hydrocarbures : certains composés peuvent être cancérigènes tels les hydrocarbures polycycliques aromatiques,
  • — les haloformes : ce sont des composés du type chloroforme pouvant être formés lors de la chloration des eaux. Des études épidémiologiques essaient de déterminer leur potentiel toxique.

ÉVALUATION DU RISQUE À COURT TERME :

RISQUE BIOLOGIQUE

Indicateurs microbiologiques de pollution

Il est souvent difficile et très long de dénombrer les micro-organismes pathogènes dans une eau, en raison surtout du petit nombre de ceux-ci. Il paraît donc préférable de dénombrer des micro-organismes indicateurs, non pathogènes, en général plus faciles à mettre en évidence et dont la présence correspond à la possibilité de trouver un pathogène ou un groupe de pathogènes donnés.

Les indicateurs de pollution ont été définis à différentes reprises et rappelés en 1972 à Stockholm lors de la conférence organisée par les Nations Unies. Il n’existe pas d’indicateur idéal ; le meilleur reste celui dont la densité présente la corrélation la plus élevée avec des manifestations morbides associées.

Le témoin de pollution doit être mesurable avec un maximum de garanties, présenter une certaine résistance aux influences extérieures (notamment aux désinfectants les plus courants) de façon que l’absence de ces germes tests corresponde bien à une élimination totale des pathogènes quels qu’ils soient.

Les témoins de pollution doivent être détectés et dénombrés grâce à des méthodes simples, à la portée de tout laboratoire d’analyses, si possible peu coûteuses. Il sera fait un choix de techniques aussi précises que possible, jouissant toutefois d’une spécificité élevée.

Dans les eaux de boisson, en fait on ne se borne qu’à rechercher un groupe d’indicateurs, celui des bactéries indicatrices de pollution fécale (coliformes fécaux, ou Escherichia coli, streptocoques fécaux). Aucune méthode n’a réussi à se substituer à la colimétrie systématique et au dénombrement des streptocoques fécaux. Dans l’état actuel de la science et de la technique, ces méthodes vieilles de plus de 80 ans restent les plus simples et les moins onéreuses :

— indicateurs de traitement de désinfection : streptocoques fécaux (plus résistants qu’Escherichia coli), tolérance : 0 dans 100 ml,

— indicateur de traitement physico-chimique (filtration) : Clostridium (sporule) sulfito-réducteur, tolérance : 5 dans 100 ml.

Leur rôle est bien sûr de déceler une pollution fécale mais aussi d’en estimer l’importance et, de ce fait, d’évaluer le risque lié aux pathogènes fécaux. On admet en général comme hypothèse que les lois d’élimination des germes pathogènes et des germes-tests sont comparables, et qu’à un abattement important des germes-tests correspond une élimination poussée des germes pathogènes. Cela revient à admettre que les germes-tests retenus comme indice d’une contamination fécale sont également des indices valables de l’efficacité d’une désinfection naturelle ou artificielle. Si cela n’était pas le cas, et que les germes pathogènes soient plus résistants que les germes-tests, des résultats d’analyses satisfaisants ne traduiraient pas une diminution concomitante du risque sanitaire et donneraient une sécurité illusoire.

Indépendamment des indicateurs précédents constitués par des germes ou des groupes de germes, la flore bactérienne aérobie peut être aussi utilisée comme indicateur de traitement ou de pollution. Plusieurs auteurs l’ont proposé, mais leurs travaux ne portaient que sur des eaux distribuées et nous y reviendrons plus tard. Cependant, une étude menée par le Dr Vial a montré que sur des eaux de source, prélevées au griffon, la fréquence de présence de coliformes augmente proportionnellement à la densité bactérienne.

Dans les échantillons où aucun germe n’est dénombré à 37 °C, dans une gélose à l’extrait de levure, la fréquence de présence de coliformes dans 100 ml n’est que de 3 %. Elle passe à 35 % lorsque le dénombrement bactérien est supérieur à 20 germes par millilitre. Dans ces conditions, les Communautés européennes préconisent de ne pas envoyer dans le réseau une eau qui présente par millilitre plus de 20 germes se développant à 37 °C sur milieu sélectif. La législation française en cours d’élaboration prévoit une concentration maximale admissible de 30 germes/ml à 37 °C et de 300 germes/ml à 20 °C. Si ces valeurs peuvent être obtenues à la sortie d’une usine de traitement, il semble difficile de les garantir à l’arrivée chez le consommateur après traversée du réseau de distribution.

De plus, les prélèvements doivent permettre de pouvoir effectuer une extrapolation de l’analyse effectuée sur un litre d’eau ou moins, à une masse d’eau pouvant aller jusqu’à des milliers de mètres cubes. Il faut donc réaliser un nombre suffisant d’analyses.

Spécificité des germes fécaux banals

Dans les climats tempérés, il semble, sauf cas tout à fait exceptionnel, que les germes Escherichia coli, streptocoque fécal du groupe D et Clostridium perfringens correspondent bien à des pollutions fécales. De même, la sélection due à la différence de température entre le corps humain et le milieu eau est constatée pour toutes les espèces, y compris les pathogènes.

Dans les pays chauds au contraire, ces bactéries peuvent survivre dans les eaux et même se multiplier. On ne trouve plus de différence entre Escherichia coli et Citrobacter, Klebsiella, Enterobacter : il est donc difficile de déceler une pollution fécale. En effet, si Escherichia coli correspond à 90 % de la flore des coliformes intestinaux, aux tropiques, Klebsiella et Citrobacter peuvent aussi vivre à 44 °C. Les streptocoques fécaux sont recommandés aussi pour la confirmation d’une pollution fécale surtout aux tropiques.

Par contre, on a proposé la recherche d’autres germes, en particulier Bifidobacterium qui est une bactérie

anaérobie, qui est très spécifique des pollutions fécales aux tropiques. Des exemples montrent les risques que l'on peut encourir lorsque l’on ne retient qu’escherichia coli comme indicateur de pollution et évaluateur de risque.

Des études effectuées sur le rapport coliformes/salmonelles dans les eaux de surface polluées, donnent en pays tempérés : de 66 000/l à 650/l, ce qui montre déjà que la relation n’est pas simple, mais le nombre de coliformes est cependant bien supérieur. Dans des zones chaudes, en Galilée (Israël), on a obtenu des rapports 0/5 et 1/5, ce qui montre que la survie des salmonelles est très influencée par la température de l'eau, ainsi que par la présence de nutriments.

Réaction aux traitements

Des essais de traitement par du chlore sous ses formes HClO et complexes : NHCl₂ et NH₂Cl, montrent les différentes réactions de ces germes à ces oxydants. La dose indiquée correspond au résiduel nécessaire pour une destruction des germes à 99,999 % en 10 min à 25 °C.

Germes Oxydants Kystes d’amibes Bactéries entériques Virus entériques
HClO 3,5 0,02 0,40
NHCl₂ 6,0 1,20 5,00
NH₂Cl 18,6 4,00 20,00

Ces différences expliquent que dans les germes-tests on ait introduit une bactérie sporulante : le clostridium perfringens.

Escherichia coli réagit comme les salmonelles vis-à-vis des traitements ; par contre, les streptocoques fécaux sont beaucoup plus résistants ; il est regrettable qu’en France et en Europe maintenant, des normes plus sévères n’aient pas été imposées pour ces germes qui permettent de montrer que certaines bactéries résistent aux traitements. Ils devraient être recherchés en routine, surtout dans les pays chauds.

Un indicateur de traitement physico-chimique : filtration, floculation-décantation-filtration, est très bien représenté par les clostridium perfringens car ils sporulent et peuvent traverser la chaîne de traitement. Il est satisfaisant de voir que les normes européennes à la différence des normes françaises anciennes ont pris en considération cet indicateur et fixent sa concentration limite à moins de 10 germes pour 100 ml.

Évaluation des risques à partir de la quantité des germes-tests

L’évaluation de la qualité bactériologique des eaux naturelles ne repose pas sur le dénombrement des germes pathogènes, mais sur celui des germes de la flore intestinale banale. Il faut donc établir des corrélations entre les dénombrements de ces germes et la présence de germes pathogènes. Une telle corrélation a été établie dans des eaux de surface et figure dans le tableau ci-après :

Probabilité de présence de salmonelles Nombre d’escherichia coli dans 100 ml d'eau
10 à 30 % < 1 000
70 à 90 % > 2 000

Pour les virologues cette corrélation n’existe pas. Il n’existe donc pas de méthode simple permettant d’apprécier le risque épidémiologique lié aux virus. Cependant, si une eau est polluée par des germes-tests de contamination fécale, le risque de présence de virus pathogènes pour l’homme est grand. Néanmoins, l’absence de germe-test n’est pas une preuve de l'absence de virus. L'épidémie d’hépatite de Delhi a montré que la disparition des germes-tests constatée après désinfection n’assurait pas une bonne garantie contre une épidémie virale.

Il existe cependant un bon critère de contrôle de l'élimination des germes pathogènes et autres, lorsque l’eau est traitée : c’est la mesure très simple de la turbidité de l'eau. En effet, si la turbidité est la plus faible possible < 5 gouttes de mastic ou < 1 unité Jackson, on est certain d’avoir, par filtration ou adsorption sur du floc, éliminé toutes les matières en suspension et les colloïdes ; les micro-organismes ont alors été éliminés, de même que les parasites et leurs œufs. Les argiles sont de très bons adsorbants, en particulier pour les virus, et leur élimination maximale permet de réduire considérablement le risque de passage des virus dans l’eau traitée. Bien sûr, cela n’exclut absolument pas le traitement de désinfection mais permet une étape de réduction supplémentaire efficace dans la chaîne de traitement.

OPÉRATIONS DE BASE DU CONTRÔLE DES EAUX D’ALIMENTATION

Nous venons de voir que le contrôle de l’eau d’alimentation n’est basé que sur un calcul de risques. Cette constatation doit permettre de déterminer la fréquence des analyses : les analyses bactériologiques seront donc effectuées plus fréquemment.

Dans le cas des zones tempérées à haut niveau de vie, il a été assez facile d’établir des normes.

Il faut contrôler toutes les entrées d’eau dans le réseau de distribution et l'intervalle entre deux prélèvements est déterminé par le nombre d’habitants desservis.

Nombre d'habitants desservis Fréquence des prélèvements
- de 20 000 1 mois
de 20 000 à 50 000 2 semaines
de 50 000 à 100 000 4 jours
+ de 100 000 1 jour
[Photo : Un des laboratoires de la Ville de Paris.]

Dans les pays en voie de développement nous devons prendre en compte d'autres paramètres. Bien sûr, le nombre d’habitants est primordial car les risques d’épidémie sont plus grands et l'ampleur des épidémies dépend du nombre d’habitants desservis. Dans une ville, le risque d’épidémie est plus important que dans un petit village. De plus, les phénomènes d'immunité sont plus importants dans un petit village. Le nombre de contrôles dépend aussi du lieu géographique. Par exemple, les contrôles bactériologiques devront être beaucoup plus rapprochés dans un village du Bangladesh en zone de choléra, que dans un village de Tanzanie.

On peut ajouter d’autres éléments permettant de mieux connaître ou cerner les risques microbiologiques : pH, turbidité, formes de l'azote, oxydabilité, oxygène dissous, teneur en bactéricide.

Le pH : l'effet stérilisant du chlore est dû essentiellement à HOCl et peu à OCl- ; dans ce cas, la proportion de HOCl : chlore libre actif, est très importante. La proportion de HOCl est régie par la réaction : HOCl — H⁺ + OCl⁻, et ne dépend que du pH de l'eau. À pH 7,5 la proportion HOCl et OCl⁻ est de 50 % pour chaque forme ; à pH supérieur, nous avons prédominance de OCl⁻.

La turbidité : nous insistons encore une fois sur ce paramètre qui permet, lorsque cette dernière est la plus faible possible, d’être sûr de ne plus avoir de micro-organismes ou de parasites. Les normes O.M.S. sont à mon avis trop tolérantes.

Les différentes formes de l’azote : NH₄, NO₂, NO₃ : l'ion ammonium par sa présence peut diminuer l’effet du chlore par formation de chloramines. La présence de nitrites peut être due à une mauvaise oxydation biologique de l'ion ammonium ou à une réduction des nitrates ; ce phénomène s'observe comme nous le verrons dans les réseaux. Une apparition importante d’ions ammonium peut être une cause de suspicion de pollution fécale.

L'oxydabilité au permanganate de potassium : si cette détermination est effectuée en milieu alcalin, nous prenons en compte les matières organiques azotées : c’est une bonne indication de pollution fécale éventuelle. L'oxydabilité au permanganate de potassium ne devrait pas dépasser 2 mg/l sauf quand celle-ci est essentiellement due à des acides humiques ou des végétaux. Le thé a une oxydabilité de 2 000 mg/l. En milieu acide, les valeurs sont plus élevées, les eaux ne devant pas comporter plus de 5 mg/l, mais dans ce cas, la spécificité vis-à-vis des composés aminés est bien moins grande.

La teneur en oxygène : un manque d’oxygène peut être le signe de la présence de matières réductrices, notamment les matières organiques.

La teneur en bactéricides et bactériostatiques : elle permet de signaler très rapidement un défaut de traitement.

Dans le cadre du contrôle des risques à moyen terme ou à long terme, la fréquence des analyses sera plus faible. Par contre, il est indispensable de connaître toutes les étapes suivies par l'échantillon d'eau du prélèvement au calcul du résultat. Sans cette connaissance aucune conclusion ne peut être tirée d’une analyse.

*

**

Ce sont ces principes qui sont appliqués par le Service du Contrôle des Eaux de la Ville de Paris.

Ainsi la bactériologie est contrôlée journellement et systématiquement par des prélèvements aux sorties d’usines, dans les réservoirs et sur certains points du réseau, ceux-ci variant d’un jour à l'autre afin de couvrir toute l'étendue du réseau de distribution. Outre les analyses bactériologiques, sont effectuées des mesures de saveur, pH, résistivité, alcalinité, teneur en nitrites, nitrates, ammonium. De plus des analyses plus complètes sont effectuées chaque semaine pour mesurer la dureté et tous les anions.

Enfin, tous les paramètres figurant dans les normes de la C.E.E. sont contrôlés mensuellement aux arrivées d'eau et dans les réservoirs.

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