Dans beaucoup de cas, le dépôt à la décharge reste donc la seule solution envisageable ; cependant, ces boues présentent souvent une teneur en eau atteignant 60 %, ce qui interdit un épandage pur et simple en décharge. On est donc obligé soit de les assécher, soit d’y ajouter d’autres produits (chaux, ciment, cendres volantes) qui modifient leur consistance de façon à permettre l’opération. En général, les boues sont épandues dans des bassins d’asséchement pour diminuer leur teneur en eau.
Des essais ont également été entrepris avec des installations de déshydratation (utilisant par exemple des filtres à bande). Cependant, les corps étrangers contenus habituellement dans les boues posent alors de gros problèmes ; de plus, ces installations de déshydratation ne fonctionnent de façon vraiment efficace que lorsqu’on y ajoute de l’eau. Une grande partie des substances toxiques se retrouve alors dans les eaux d’essorage qui doivent ensuite subir un traitement d’épuration onéreux ; la raison principale pour laquelle cette méthode est peu utilisée est due au coût trop élevé du procédé.
Dans la majorité des cas, la boue est extraite du lit de la rivière à l’aide d’une drague, puis transportée sur barge jusqu’à la rive où elle est transférée sur camion au moyen d’une pelle mécanique.
La dilution des boues
On a généralement recours à ce moyen lorsqu’il s’agit de traiter des quantités importantes de boues. La boue est diluée en y ajoutant environ huit fois son volume d’eau, puis transportée au moyen de pompes centrifuges blindées. Il est impératif de respecter des vitesses d’écoulement élevées de 3 m/s minimum
[Photo : Pompe à matières épaisses 2 cylindres à entraînement hydrostatique (du type KOS 1056) avec répartiteur en S, équipée d’un malaxeur-gaveur à double vis.]
Pour éviter la ségrégation des corps solides (notamment dans les tuyauteries verticales) et la formation de bouchons. Ce procédé présente l'inconvénient de transporter un volume multiplié par neuf à grande vitesse, ce qui entraîne des dépenses énergétiques élevées et l'usure rapide des pompes et des tuyauteries.
Il serait souhaitable de renoncer complètement à cette méthode car une grande partie des métaux lourds et des produits toxiques dissous dans l'eau de lavage se trouve dans le milieu aquatique.
Évacuation des boues au moyen de pompes à matières épaisses
Il faut donc trouver une solution qui permette de draguer la boue et de l’évacuer dans l’état où elle se trouve dans le lit de la rivière, c’est-à-dire à un taux de siccité d’environ 50 %.
Ces dernières années, les pompes à matières épaisses ont fait leurs preuves dans les stations d’épuration, dans la chimie et d’autres domaines pour le transport de produits d’une consistance similaire. Ce sont en fait des pompes à béton modifiées, équipées de pompes à pistons deux cylindres à entraînement hydrostatique. Elles sont conçues pour atteindre des débits très importants (jusqu’à 250 m³/h) et des pressions élevées. C’est ainsi que, lors de la construction de la tour de télécommunications de Francfort, une pompe de ce type a permis d’atteindre une hauteur de 310 m, record dépassé de 130 m lors de la construction du tunnel du St-Gothard. Dans ces cas extrêmes, les pressions dans les tuyauteries atteignent 150 bars.
La figure 1 permet d’expliquer le fonctionnement d’une telle pompe à pistons (Kos). Les deux cylindres de refoulement sont entraînés par des vérins hydrauliques. Alors que l’un des cylindres (à l’arrière sur le schéma) aspire le produit, l’autre (à l’avant) le refoule à travers un « répartiteur en S » dans la tuyauterie. Dès que les deux pistons arrivent au point mort, leur mouvement est inversé. Simultanément, le répartiteur en S, grâce à un entraînement hydraulique séparé (deux petits vérins visibles sur le schéma), vient se placer devant l’autre cylindre. La figure montre clairement que le passage du produit se fait toujours à travers une section circulaire. Il n’y a pas, comme dans certaines autres pompes à pistons, de clapets, tiroirs ou autres chicanes qui peuvent gêner le libre flux du produit, plus particulièrement à l’aspiration.
Si le matériau est très épais, la pompe peut être équipée d’un malaxeur-gaveur ; celui-ci permet d’obtenir un bon remplissage des cylindres en établissant une pression d’alimentation d’un demi-bar environ dans la zone d’aspiration. La figure montre un malaxeur-gaveur à double vis. Les vis tournent l’une dans l’autre et se nettoient ainsi d’elles-mêmes. L’entraînement hydrostatique permet un réglage du débit du malaxeur-gaveur en fonction du débit de la pompe.
La pompe et le malaxeur-gaveur sont entraînés par une centrale hydraulique équipée de pompes à pistons axiaux à cylindrée variable qui permettent un réglage en continu du débit de la pompe. La centrale hydraulique peut être équipée de moteurs Diesel ou électriques pouvant atteindre une puissance de 300 kW.
Le tableau 1 donne les caractéristiques et quelques performances d’une pompe du type Kos 1056.
Tableau 1 |
La pompe KOS 1056 |
Caractéristiques |
Pompe à matières épaisses |
Pompe à pistons 2 cylindres avec répartiteur en S, à entraînement hydrostatique |
Ø cylindres/course : 180 mm / 1 000 mm |
Moteur électrique : 90 kW / 1 500 t/min |
Débit (maxi théor.) : 45 m³/h |
Pression (maxi théor.) : 75 bars |
Performances relevées sur le chantier |
Débit : 38 m³/h |
Pression : 20 à 25 bars (avec tuyauterie Ø 125, long. 250 m) |
Puissance absorbée : 60 A |
Taux de remplissage des cylindres : env. 90 % |
Teneur en eau de la boue : env. 60 % |
Viscosité de la boue : pâte épaisse, correspondant à un slump de 15 à 20 cm. |
[Photo : Pompage de boues de rivière en Bretagne. La drague et la pompe à matières épaisses KOS 1056 avec trémie de 2 m sont montées sur radeau.]
[Photo : La trémie est équipée d’une grille actionnée par des vibreurs qui permet d’éliminer les corps étrangers les plus gros. La pompe à matières épaisses KOS 1056 est placée sous la trémie. À droite, la centrale hydraulique à moteur électrique ; au premier plan, les treuils servant à déplacer le radeau.]
Un exemple d’évacuation des boues de rivière par pompage
Les photographies montrent l’utilisation d’une de ces pompes lors du curage d’une rivière en Bretagne : la pompe et la centrale hydraulique à moteur électrique sont montées sur un radeau ; trois treuils dont les câbles sont fixés à la rive permettent d’amener le radeau dans la position désirée ; un groupe électrogène entraîné par moteur Diesel de 150 kW fournit le courant nécessaire pour alimenter notamment le moteur électrique de 30 kW entraînant la centrale de pompage.
Sur le radeau se trouve une drague qui déverse la boue dans une trémie d’une contenance d’environ 2 m³ qui alimente la pompe. La trémie est recouverte d’une grille (écartement environ 100 mm). Disposée en biais, montée sur caoutchouc, elle est actionnée par des vibreurs électriques. Ce dispositif simple s’avère très efficace pour éliminer les corps étrangers les plus gros. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, la pompe est en mesure de passer des corps étrangers jusqu’à Ø 100 mm.
Dans le cas présent, on a creusé le long de la rivière un fossé qui peut recevoir environ 3 m³ de boue par mètre linéaire ; celle-ci est pompée directement du radeau dans le fossé. Lorsque la capacité du fossé n’est pas assez grande, le tuyau de sortie est relié à une tuyauterie Ø 125, longue de 250 m, qui permet de déposer la boue en décharge. Bien sûr, il est également possible de charger la boue sur des camions placés à l’extrémité de cette tuyauterie, lorsqu’on ne dispose pas d’accès direct à la berge.
Le procédé le plus simple consiste à ajouter de la chaux vive à la boue et de déposer ce mélange en couches minces sur la décharge. La boue additionnée de chaux durcit très vite, ce qui facilite l’épandage de la couche suivante.
Les avantages du pompage par rapport au transport par camions sont évidents : les tuyauteries qui sont équipées de colliers rapides sont faciles à poser, même dans les terrains d’accès difficile, les machines étant installées sur un radeau, il n’est pas nécessaire de circuler sur les berges avec des engins lourds ; c’est aussi un facteur important pour la sauvegarde de l’environnement.
Conclusion
Les pompes à pistons à entraînement hydrostatique (appelées pompes à matières épaisses) ont fait leurs preuves dans les stations d’épuration, la chimie et d’autres domaines pour le transport des boues très épaisses. Équipées d’un malaxeur-gaveur, elles sont en mesure de transporter dans des tuyauteries des déblais de dragage à l’état où ils se trouvent dans la rivière (siccité environ 50 %) avec des débits jusqu’à 250 m³/h sur plusieurs centaines de mètres. Grâce à leur conception avec tuyau de répartition, ces pompes admettent des corps étrangers jusqu’à Ø 100 mm. Il est, en outre, loisible de mélanger la boue avec de la chaux vive avant de la mettre sur décharge.
Le procédé de curage des rivières par pompage offre des avantages considérables : par rapport aux procédés classiques, la consommation d’énergie est beaucoup moins importante puisque le volume à transporter est plus réduit. La vitesse de refoulement, de l’ordre de 0,5 à 2 m/s, est plus faible que dans le procédé de dilution (où elle ne doit pas descendre en-dessous de 3 m/s) ; de ce fait, l’usure des pompes et des tuyauteries est plus réduite.
Les substances toxiques et les métaux lourds contenus dans la boue sont éliminés de façon efficace et ne risquent pas de polluer à nouveau la nappe phréatique.