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Les nouveaux tarifs de l'eau potable

30 juillet 2013 Paru dans le N°363 à la page 92 ( mots)
Rédigé par : Henri SMETS

La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 « visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes » (ci-après la nouvelle loi) contient des dispositions mal connues qui devraient contribuer à faciliter le recours à de meilleurs tarifs pour l'eau et l'assainissement. Cet article décrit les nouveaux tarifs que les municipalités pourront désormais adopter pour satisfaire à des objectifs sociaux ou écologiques.

Les tarifs progressifs de l’eau encouragent les économies d’eau et offrent aux petits consommateurs un peu d’eau à un prix réduit. Ils introduisent parfois une certaine inégalité dans le prix unitaire de l'eau payé par les usagers et ne sont devenus légaux en France qu’à partir de 2010. En 2012, ces tarifs ont reçu le soutien officiel du Gouvernement et le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré : « Nous mettrons en place une tarification progressive avec un double objectif social et écologique ».

Les nouveaux tarifs de l’eau

Contrairement à une idée assez répandue, le tarif progressif de l'eau à lui seul répond assez mal aux attentes des usagers. Un tarif progressif n’est pas un tarif social et ne s’en approche que si ses modalités de fonctionnement sont conçues dans un sens social. Pour promouvoir le tarif progressif, il a fallu libérer ce tarif du carcan juridique qui l’enserrait et lui faisait pratiquement perdre toute utilité. Une loi (dite loi « Brottes », ci-après la nouvelle loi) a été adoptée le 11 mars 2013 et promulguée le 15 avril 2013 après examen par le Conseil constitutionnel. Elle vise notamment à favoriser le recours au tarif social de l'eau. Les principaux progrès rendus possibles par cette loi sont décrits dans l’encadré intitulé : « les nouvelles libertés en matière tarifaire ».

Accessoirement, la nouvelle loi permet d’éviter les critiques selon lesquelles le tarif social de l'eau serait illégal car contraire au principe de l’égalité de traitement des usagers. Cette conception étroite de l’égalité est complètement dépassée, il est parfaitement permis de créer des tarifs plus faibles pour faciliter l’accès à des biens essentiels pour des personnes ayant des revenus plus faibles. Cette approche nouvelle est due à la réduction des subventions et l’abandon des tarifs artificiellement bas de l'eau. Sans attendre l’adoption de cette loi, des municipalités comme Dunkerque se sont dotées en 2012 d’un tarif social de l'eau (voir encadré intitulé « Dunkerque met en place le premier tarif social de l'eau en France » et figure 1). Paris l’avait précédé en aidant dès 2011 un nombre important de ménages démunis à payer leur eau. De nombreuses autres municipalités dis-

[Encart : Les nouvelles libertés en matière tarifaire Grâce à la nouvelle loi, les collectivités ont désormais les libertés suivantes : 1) Créer un tarif réduit pour les ménages et un tarif renforcé pour les autres usagers, 2) Fournir une première tranche de consommation d'eau à un prix très faible pour tous les ménages, 3) Tenir compte du nombre de personnes dans le ménage, 4) Offrir une réduction tarifaire aux personnes démunies (tarif social), 5) Allouer jusqu’à 2 % du montant total des factures d'eau hors taxes à titre d’aide aux usagers démunis, 6) Faire appel à la fiscalité locale (impôt foncier) pour garantir la solidarité pour l'eau potable. En revanche, la nouvelle loi n’impose pas d’obligations nouvelles aux collectivités dans le domaine tarifaire. Il appartiendra aux élus de prendre les initiatives qu’ils jugeront nécessaires pour que l’eau soit à un tarif abordable pour tous.]

Les collectivités n’ont aucune obligation de créer un tarif progressif mais elles ont le devoir moral de contribuer à améliorer l’accès à l’eau potable pour tous. Pour améliorer la tarification, elles devraient ouvrir un débat avec tous les usagers de leur ressort sur les objectifs de la tarification et sur les nouveaux tarifs de l'eau qu’elles pourraient adopter. Les conclusions de ces débats seront différentes dans les différentes collectivités, certaines optant pour un tarif très social et d'autres pour un tarif très égalitaire. Il n'est pas exclu que certaines municipalités continuent de favoriser les gros consommateurs au détriment des petits et de faire subventionner les établissements publics par les usagers privés.

Les collectivités distribuent dorénavant des “chèques eau” aux plus démunis pour leur permettre de payer leurs factures d’eau (Encadré 3). Les chèques eau viennent en supplément des aides curatives pour les dettes d'eau (Encadré 4).

Grâce à la nouvelle loi, les collectivités organisatrices des services d’eau potable et d'assainissement (ci-après les collectivités) pourront adopter une nouvelle tarification de l'eau qui dépendra à la fois de la composition du ménage et de ses revenus. Chaque municipalité pourra créer au moins deux tarifs pour l'eau dont l'un réservé aux ménages. L'unicité tarifaire qui avait prévalu sera remplacée par la diversité tarifaire.

La fixation des tarifs de l'eau est bien évidemment du ressort des collectivités organisatrices qui bénéficient de larges possibilités pour introduire les réformes tarifaires nécessaires. Elles peuvent mettre en place des tarifs proportionnels, des tarifs binômes, des tarifs progressifs, des tarifs saisonniers et des tarifs sociaux qui répondent aux nécessités sociales et écologiques d’aujourd’hui. Elles peuvent modifier la répartition des coûts des services d'eau et d’assainissement entre les ménages et entre les usagers domestiques et les usagers non-domestiques.

[Figure : Les tarifs de l'eau à Dunkerque. Le tarif progressif à trois tranches AEFG est proche d'un tarif proportionnel dans la tranche 50-200 m³. Les usagers démunis bénéficient du tarif social ABCD qui comporte un prix unitaire réduit pour la première tranche (0,3 €/m³ au lieu de 0,8 €/m³). L’écart maximum entre les tarifs est de 30 €/m³.]

Les contraintes dans la tarification

La tarification de l'eau potable et de l’assainissement qui relève de la collectivité organisatrice doit respecter certaines règles générales. Elle doit contribuer à garantir la pérennité des services d’eau potable et d’assainissement et à assurer une juste répartition des dépenses de ces services entre tous les usagers. Les collectivités devront équilibrer les recettes et les dépenses des services d'eau et d’assainissement (objectif financier inscrit dans la loi) ; elles devront donner à tous un accès à l'eau potable et à l’assainissement à un prix abordable (objectif social inscrit dans la loi). De plus, elles auront des préoccupations d’ordre environnemental et chercheront à réduire les gaspillages de la ressource hydrique. Lorsque la consommation est plus importante à certaines périodes de l’année, elles pourront augmenter le prix de l'eau pendant ces périodes pour éviter les consommations abusives (tarif saisonnier).

La tendance actuelle consiste à créer des tarifs différents pour différentes catégories d'usagers afin de satisfaire des objectifs divers.

De même qu'il y a divers prix pour un même voyage en train ou en avion, il y aura dans l'avenir différents prix pour une même quantité d’eau potable servie dans un même lieu. Cet ouvrage identifie les progrès encore nécessaires pour parvenir à mettre en place une tarification de l'eau qui soit équitable.

¹ http://www.editions-johanet.com

[Encart : Dunkerque met en place le premier tarif social de l’eau en France À Dunkerque, le tarif de l'eau des ménages est progressif depuis octobre 2012 (Figure 1). Sur un total de 84 600 ménages abonnés à l'eau, les 8 600 ménages qui bénéficient gratuitement de la couverture médicale universelle complémentaire (CMU-C) bénéficient en outre d’un tarif réduit pour l'eau. Pour une consommation d’eau de 75 m³/an, ils reçoivent une réduction de 38 € sur une facture ordinaire de 88 €, soit une aide de 43 %. La liste des bénéficiaires de la CMU-C est transmise par les caisses d'assurance-maladie, ce qui permet de distribuer à tous les abonnés démunis, sur une base automatique, les déductions tarifaires liées au tarif social. Le financement du tarif social est effectué par solidarité entre les abonnés domestiques. Les informations sur la composition des ménages n’étant pas disponibles, il a fallu introduire pour les familles nombreuses un système correctif du tarif progressif sous forme de chèques eau obtenus sur demande avec justificatifs. Un total de 1 800 foyers de plus de cinq personnes bénéficieront d'un chèque eau de 12 €/an par personne au-delà de la cinquième. Dans les immeubles avec compteur collectif (20 % des abonnés), un chèque eau de 40 € sera remis directement aux ménages démunis faute de pouvoir introduire une déduction sur la facture d'eau d'un abonné collectif. Le changement de tarif à Dunkerque s'est traduit par une réduction tarifaire pour 80 % des abonnés non bénéficiaires de la CMU-C. Ainsi, une famille de quatre personnes consommant 90 m³ par an bénéficiera d'une réduction de 8,86 €/an par rapport au tarif initial. Si elle est bénéficiaire de la CMU-C, elle bénéficiera d'une réduction de 48,42 €/an. L’aide pour l'eau deviendra plus importante lorsqu’elle portera aussi sur l’assainissement.]
[Encart : texte : Encadré 3 : Mesures de solidarité pour l’eau mises en œuvre en France En France, plus d'un million de ménages doivent dépenser un montant jugé excessif pour payer l'eau et l'assainissement. Aider ces ménages, soit trois pour cent de la population, à couvrir leurs dépenses serait un objectif parfaitement réaliste, objectif qui a d'ailleurs été dépassé dans plusieurs villes en France. Les solutions adoptées sont les suivantes : A) Versement d’une aide préventive/chèque eau aux ménages démunis Dans de nombreuses municipalités, le distributeur d'eau ou la municipalité verse au FSL ou au CCAS des subventions qui sont réparties ensuite entre les abonnés individuels et les abonnés collectifs qui ont besoin d'une aide pour payer leur eau (aide préventive). Ainsi le SEDIF qui dessert 4 millions d'habitants de la banlieue parisienne verse 1 M€ de chèques eau ou de subventions, soit l'équivalent de 50 € versés par les CCAS et les FSL à 20 000 ménages (lorsque le système sera pleinement opérationnel, il devrait aider environ 1,1 % des habitants). Vingt-sept délégations de service public gérées par Veolia ont un Programme Eau pour Tous avec un volet d'aide préventive. À Limours (6 500 habitants), le CCAS verse une aide de 46 € par an à 120 foyers (6 % des habitants). À Vannes (33 545 habitants), le CCAS verse une aide de 77 € par ménage à 670 ménages (4,6 % des habitants). À Libourne, le délégataire verse 1 % des redevances eau au CCAS. À Beauvais (55 000 habitants), le délégataire donne 25 000 € de chèques eau au CCAS. En 2011, 1 485 ménages démunis ont été aidés. B) Allocation eau liée à l’aide municipale au logement Paris (2,2 millions d’habitants) aide 44 000 ménages (3 M€) sur un total de 1 million de ménages desservis, soit 4,4 % des ménages qui reçoivent en moyenne une aide de 68 € pour l'eau. C) Tarif social de l'eau À Dunkerque, 8 600 ménages reçoivent une aide sur un total de 84 600 ménages. Le critère de sélection pour bénéficier du tarif social est de bénéficier à titre gratuit de la CMUC. L’aide est de 38 € par ménage consommant 75 m³/an (0,5 €/m³). Des dispositions additionnelles sont prises pour aider plus particulièrement les familles nombreuses ainsi que les personnes démunies qui n’ont pas d’abonnement individuel (immeubles avec compteur collectif). D) Réduction pour les frais annexes (branchement, frais d'accès, etc.) Les communes de Varces, Allières et Risset ont diminué sensiblement les frais annexes pour les titulaires de l'APL. NB : Pendant longtemps, on s'est contenté de prendre partiellement en charge les impayés d'eau des personnes démunies. Le système des abandons de créances (38 800 dossiers en 2011) a été mis en œuvre par les délégataires dans plus de 73 départements (2,5 M€/an). Le Trésor public inscrit en non-valeur les dettes irrécouvrables des clients des régies lorsque les factures d'eau sont perçues par le Trésor public (les non-valeurs représentent environ 2,8 % du montant des factures mais la précarité du ménage n'est pas la cause principale des impayés). Les statistiques nationales sur les aides pour les impayés font apparaître une contribution des FSL (10 M€), pour 67 000 ménages dans 73 départements, soit environ 0,2 % des ménages. S'il fallait aider 3 % des ménages dans le cadre des FSL, il faudrait multiplier les actions des FSL pour l'eau par un facteur 15.]

Ainsi que les tarifs spécifiques. L'objectif d’encourager les économies d'eau potable des ménages est reconnu mais cela ne doit pas conduire à pénaliser les familles nombreuses par des tarifs dissuasifs. Bien que la loi ne le dise pas, un bon tarif de l'eau devrait garantir aux ménages de deux à cinq personnes de payer un prix « normal » pour l'eau. Des dispositions particulières devraient être prises en faveur des ménages d'une personne car il serait anormal de pénaliser ce groupe important de ménages par un tarif conçu pour les ménages moyens.

La mise au point d'un tarif progressif est relativement simple pour les ménages, car la consommation d'eau par personne varie assez peu. En revanche, elle pose problème pour les autres catégories d'usagers pour qui il est difficile de calculer une consommation « normale ». Dès lors que les ménages sont soumis à un tarif progressif, il serait peu cohérent d'utiliser un tarif dégressif pour les autres usagers. Mais rien n’empêche de créer des tarifs différents pour des catégories d'usagers différents (PME, grandes entreprises, etc.).

Les différents tarifs pour les ménages

Créer une première tranche de consommation d’eau à un prix réduit permettra de garantir à tous l’accès à l'eau potable. Cette mesure égalitaire consiste à faire payer une partie de l'eau consommée à un prix inférieur au prix coûtant quitte à augmenter le prix payé pour les consommations les plus élevées. Elle implique généralement de réduire le prix de l’abonnement (part fixe) et le prix unitaire des premiers mètres cubes consommés. L'objectif poursuivi est que le prix moyen payé par les petits ménages pour la première tranche de consommation d'eau ne dépasse pas le prix moyen de l'eau pour les consommateurs faisant partie de ménages standards. Cet objectif peut être atteint en abandonnant le tarif binôme utilisé actuellement et en choisissant un tarif progressif. Dans cet esprit, on pourra même inclure dans le tarif une petite tranche quasi gratuite pour satisfaire les besoins vitaux des ménages. Ces mesures tarifaires recueilleront un fort soutien dans la population, car elles réduiront la facture d'eau de la majorité des abonnés.

Le cas particulier des immeubles collectifs

Dans les immeubles avec un seul compteur collectif, il sera difficile de créer un tarif progressif qui soit équitable sans connaître au minimum le nombre de logements. Lorsque l'on connaît ce nombre, il est possible d’appliquer un prix « normal » pour la consommation moyenne d’eau des différents logements. Comme la taille des logements n’est pas proportionnelle à la taille des ménages, les petits ménages dans de grands appartements continueront de subventionner l'eau des grands ménages dans de petits logements (effet de la répartition des charges communes au prorata des surfaces occupées).

En revanche, si l'on connaissait le nombre de personnes desservies dans les divers logements, il serait possible de faire appel à un tarif progressif plus équitable malgré l’absence de compteurs individuels dans la mesure où la consommation par personne varie peu d'un ménage à l'autre. Cette méthode est déjà mise en œuvre avec succès en Espagne, au Portugal et en Belgique et devrait être transposable en France grâce à la nouvelle loi qui permet de connaître le nombre de personnes pour chaque logement. À Dunkerque, les familles nombreuses ont reçu une allocation spéciale pour effacer l’effet négatif du tarif progressif dans leurs cas.

Le cas particulier des usagers démunis

La nouvelle loi permet d’introduire dans le cas des ménages une modulation du prix de l'eau selon la taille du ménage et ses revenus (tarifs sociaux). De ce fait, malgré la présence d'un tarif progressif, les ménages payeront un même prix unitaire pour l’eau quelle que soit leur taille. Les ménages démunis bénéficieront d'un tarif réduit pour une même consommation d'eau. Cette modulation tarifaire déjà utilisée dans d'autres pays avait été longtemps proscrite en France car elle introduisait une variation de prix en fonction des caractéristiques socio-économiques des usagers. Avant 2013, il était permis d’introduire au bénéfice des familles démunies un tarif réduit pour les cantines scolaires ou pour l’électricité, mais pas pour l'eau.

Le tarif abordable de l’eau en France

Le prix de l’eau potable a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies au point que l'eau occupe désormais une part non négligeable des budgets des ménages.

[Photo : Dans ce village pyrénéen, la mairie vient d’installer des points d’eau modernes de sorte que chacun ait accès à l'eau. En poussant sur le bouton-pression en laiton, l'eau potable du réseau municipal devient disponible pour chacun sans avoir à souscrire un abonnement.]

démunis. Le consensus social en France est que les ménages ne devraient pas dépenser plus que 3 % de leurs revenus pour les dépenses d'eau et d’assainissement, c’est-à-dire pas plus de trois fois ce que supporte un ménage médian.

Malgré la présence éventuelle d'un tarif progressif avec une première tranche à bas prix, le prix de l'eau payé par certains ménages risque de dépasser cette limite. Pour les usagers les plus démunis, il faudra sans doute instaurer un tarif très réduit, dit tarif social, ou leur donner une aide préventive pour payer leur eau. Les bénéficiaires de ces mesures sociales seront assez peu nombreux. Si 3 % des ménages recevaient une aide de 33 % de la dépense moyenne d'eau, l'incidence sur les autres usagers serait une augmentation de prix de l'eau d’environ 1 %. Une telle action sociale peut être financée par l'ensemble des usagers par péréquation, ce qui causera une légère augmentation de prix de l’eau. Elle pourrait aussi être absorbée dans le cadre des baisses de prix liées à la renégociation des contrats.

Pendant longtemps, on s'est contenté de venir en aide aux seules personnes qui avaient accumulé des dettes d’eau car ils ne parvenaient plus à payer leurs factures d’eau (aide curative). Les fonds de solidarité pour le logement (FSL) au niveau départemental et les centres communaux d’action sociale (CCAS) au niveau municipal ont été chargés de verser une aide à ceux qui le demandaient et déclaraient qu'ils ne pouvaient pas payer leur eau du fait de leur état de grande précarité. Dans la réalité, ces organismes n'ont aidé qu’une très faible proportion des personnes démunies car les bénéficiaires potentiels hésitaient à avouer leur état de précarité ou étaient rebutés par les lourdeurs bureaucratiques. Alors que la demande potentielle d'aide préventive pour l'eau était officiellement évaluée à environ un million de ménages, moins de 100 000 ménages ont effectivement été aidés pour honorer leurs dettes d’eau. Les autres ménages ont eu le choix entre se priver de biens essentiels pour payer leur eau ou ne pas la payer en espérant que les impayés seront effacés.

Comme la loi française a reconnu le droit de chacun de disposer d’eau potable à un prix abordable pour satisfaire ses besoins essentiels, les collectivités devraient en principe choisir des modalités tarifaires ou d’assistance telles que chacun paye pour l'eau potable un montant qui ne soit pas excessif par rapport à ses moyens. Or il n'en est rien car la loi n'impose pas de créer des tarifs sociaux ou des mécanismes d'aide et, surtout, elle ne désigne pas quelle autorité devrait le faire. Même avec la nouvelle loi, une commune peut parfaitement ignorer les problèmes sociaux causés par le prix élevé de l'eau pour des ménages démunis. Elle peut favoriser les usagers industriels et soumettre les ménages à des tarifs élevés.

Pour améliorer la situation à laquelle les ménages démunis doivent faire face, deux approches ont été mises en œuvre :

a) Création d'un tarif réduit réservé aux usagers démunis (appelé tarif social), et/ou,

b) Distribution d’aides préventives ou d’allocations eau qui permettront aux usagers démunis de payer leurs factures d’eau.

Il existe aussi d'autres solutions comme, par exemple, la fourniture d’un volume

[Encart : Un exemple d’aide curative pour l’eau Les aides pour l'eau sont en principe versées à des ménages démunis qui demandent cette aide car ils ne parviennent pas à payer leurs factures d'eau. Bien qu'une telle aide soit un droit reconnu par la loi et non pas une faveur ou un acte de charité, elle n’est pas utilisée par la plupart des bénéficiaires potentiels. Très souvent, les ménages endettés pour l'eau « s’arrangent » pour consacrer au paiement de leurs factures d'eau les ressources qu'ils auraient dû consacrer à la nourriture et à d'autres dépenses nécessaires. En 2009, les FSL ont accordé 67 653 aides au plan national. L’exemple qui suit est typique de la situation d’ensemble en France métropolitaine. Selon son rapport pour 2011, le FSL de Seine-et-Marne (77) a consacré 2 % de ses ressources aux dettes d'eau (abonnés individuels) et a contribué au maintien dans les lieux d’abonnés collectifs (non-paiement de la part eau dans les charges). En 2011, il a aidé 1 475 ménages pour les dettes d’eau (aide curative) et 1 956 ménages pour le maintien dans les lieux sur une population de 1,3 million d’habitants (un ménage aidé par 1 000 habitants ou 0,6 % des ménages). Le nombre des dossiers d'aide pour l’énergie est plus important (6 088), ce qui dénote une sous-déclaration des besoins d'aide pour l'eau. Les aides pour l'eau sont en moyenne de 177 €/an par abonné aidé et proviennent du Conseil général (150 000 €) et des distributeurs d'eau (abandons de créances des distributeurs : 72 000 €). Les bénéficiaires de ces aides sont essentiellement des personnes sans activité professionnelle (72 %), des familles monoparentales et des ménages de 1 à 3 enfants. Pour évaluer les besoins d'aide, il faut savoir que la Caisse d'allocations familiales 77 a 205 000 allocataires et verse une allocation de rentrée scolaire à 51 000 familles démunies. Le nombre de bénéficiaires de la CMU gratuite est de 57 235 personnes (45 460 ménages), soit 4,3 % de la population (moyenne métropolitaine : 6 %). On constate que seule une petite partie des personnes bénéficiant de la CMU-C bénéficie de l'aide curative pour l'eau (7,6 %). Conclusion : l'aide curative pour l'eau concerne moins du dixième des ménages qui devraient bénéficier d’une aide pour payer leur eau.]
[Figure : Financement des aides pour l'eau des usagers démunis. A. Versements par les services de l'eau aux FSL ou aux CCAS. B. Subventions municipales pour l’eau. C. Aides tarifaires et aides directes par les services de l’eau (financement des aides pour l’eau par des subventions croisées et par des subventions municipales). D. Financement des FSL et CCAS par les contribuables. E. Chèques eau remis par les FSL et les CCAS. NB : La nouvelle loi a autorisé la subvention B et l’augmentation de la subvention A mais n'a pas créé de financement au niveau national ou de taxes sur la consommation d'eau.]

AIDESPOURUSAGERSDÉMUNIS

Aides tarifaires indirectes, tarif social et aides directes des abonnés

facture d’eau ou des charges communes du logement en immeuble collectif incluant la fourniture d’eau. Ces chèques pourront être distribués aux personnes démunies par les CCAS, les FSL, les CAF ou les distributeurs d’eau.

Le montant de la réduction tarifaire ou de l’aide préventive attribuée à fournir dépendra de la limite d'abordabilité à ne pas dépasser, du prix local de l'eau, du volume d’eau pour les besoins essentiels et des revenus. D’autres contraintes peuvent intervenir comme le montant total des aides disponibles pour les ménages démunis.

Pour répondre à l’exigence d’un accès à l’eau potable pour tous, il faudra identifier les personnes démunies à qui il conviendra de verser une aide. À Dunkerque, on a choisi tous ceux qui reçoivent la CMU-C (Encadré 1). Mais d'autres choix de bénéficiaires sont possibles comme, par exemple, tous les titulaires d’une allocation de logement sous condition de ressources comme à Paris. Dans d'autres municipalités, on a choisi les titulaires du RSA Socle ou les bénéficiaires du tarif réduit de l’électricité (TPN).

Très souvent, les usagers dans leur ensemble financent les réductions tarifaires attribuées à une petite minorité d'usagers (subventions croisées). Pour les aides préventives, les services publics d’eau et d’assainissement peuvent accorder des subventions aux CCAS et aux FSL ou donner des chèques eau (figure 2). En général, le Conseil général de chaque département et le conseil municipal contribuent aussi à financer l'aide pour l’eau des plus démunis. On pourrait aussi imaginer que les aides soient financées par une petite redevance sur les prélèvements d'eau perçue par les agences de l'eau (1 à 2 c€/m³), mais ce type de financement n’a pas encore été admis.

Bien que diverses possibilités aient été envisagées au cours des dernières années, aucun mécanisme national de solidarité pour l'eau n’a encore été créé. Pourtant la dépense de l’ordre de 50 M€ pour la solidarité, c’est-à-dire 1,35 c€/m³, ne représente pas grand-chose dans la facture d’eau.

Les tarifs de l’eau pour des usages non domestiques

La consommation non domestique d'eau représente selon les cas entre 30 % et 45 % de la consommation totale d'eau potable alors que la proportion d’abonnés professionnels est beaucoup plus faible. Ces abonnés bénéficient souvent de tarifs particuliers ou de contrats négociés directement. Plusieurs tarifs distincts sont envisageables :

  • a) un tarif pour les usagers professionnels assimilables aux usages domestiques ;
  • b) un ou plusieurs tarifs différents pour les usagers à titre professionnel (activités industrielles, agricoles, commerciales, de service, touristiques, etc.) ;
  • c) un tarif pour les établissements et services publics.

Par ailleurs, il faudra sans doute créer un tarif pour les hébergements collectifs (foyers de travailleurs, institutions pour l’accueil des personnes âgées, pensionnats, cliniques, etc.) et

[Photo : Les tarifs de l'eau dépendent de l’existence de compteurs fiables pour mesurer la consommation.]
[Photo : Figure 3 : À Viry-Chatillon (Régie Publique Eau des Lacs de l’Essonne), les ménages bénéficient d’un tarif avec deux tranches à prix réduit sans part fixe. Le tarif pour l’administration est un tarif binôme. Les professionnels ont aussi un tarif binôme mais avec une part variable un peu plus élevée. La tranche supérieure du tarif des ménages n’aura pas beaucoup d’effet incitatif mais constitue un rappel utile pour les consommations élevées sont à proscrire.]

Il faudra sans doute prévoir une catégorie tarifaire pour les résidences secondaires qui ont des consommations différentes de celles des autres résidences. Une intervention du législateur pourrait s’avérer nécessaire car introduire des tarifs très différents peut conduire à une rupture caractérisée de l’égalité devant le service public. Le Conseil constitutionnel veillera au strict respect de cette exigence. En matière d’énergie, il a censuré un traitement différent des habitats collectifs et des habitats individuels.

Un tarif pour les résidences secondaires

La création de ces catégories d’usagers bénéficiant d’un tarif spécial doit répondre à un réel besoin et ne pas être une source de discriminations. Les tarifs doivent être équitables à l’intérieur de chaque catégorie d’usagers et entre les catégories. Ils doivent en particulier respecter le principe d’égalité d’accès, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel. Conformément au droit communautaire, chacune de ces catégories d’usagers devrait en principe couvrir les coûts des services rendus dont elles bénéficient. Les tarifs des ménages peuvent cependant être inférieurs aux tarifs des professionnels au nom de considérations sociales. Les différents tarifs mis en place à Viry-Chatillon ont permis de réduire les dépenses d’eau des ménages (figure 3).

On notera que la jurisprudence administrative interdit la création de certaines catégories d’usagers pour la tarification de l’eau. Il faudrait préciser si les services publics, par exemple les écoles, peuvent bénéficier de tarifs qui diffèrent des tarifs pour des usagers équivalents mais sans statut public.

Le suivi de la gestion tarifaire

La mise en œuvre de tarifs progressifs a généralement pour résultat de traiter différemment des situations similaires alors que jusqu’ici, il y avait une grande uniformité dans les tarifs. Aussi faudra-t-il choisir une démarche prudente et ne s’écarter que progressivement du modèle de la tarification proportionnelle (même prix moyen unitaire de l’eau pour tous les usagers). Introduire une première tranche à prix réduit pour les ménages est une mesure qui plaît et qu’il est parfaitement possible de mettre en œuvre si elle reste limitée. Mais elle pose la question de la solidarité entre les divers usagers de l’eau pour garantir l’accès à un bien essentiel, solidarité qui tend à être limitée si elle se révèle être trop coûteuse. Certains critiqueront ce choix parce qu’il n’y a aucun besoin de fournir de l’eau à prix réduit à des personnes qui n’ont pas besoin d’aide pour payer l’eau.

Un suivi de la mise en œuvre des différents tarifs avec les représentants des usagers permettra de s’assurer que les nouveaux tarifs répondent effectivement à la demande sociale. Pour garantir la transparence et l’équité, il sera utile de rendre publics les divers tarifs applicables et les principales conditions tarifaires des abonnements spéciaux les plus importants. Ces informations pourraient figurer dans le Rapport du maire sur le prix et la qualité du service. L’essentiel est de faire en sorte que les tarifs ne soient pas une source de suspicion.

Conclusions

L’aspect fondamental en matière d’aide pour l’eau n’est pas de rechercher des procédures idéales et nécessairement complexes mais de transférer aux plus démunis des aides pour leur permettre d’avoir accès à l’eau potable et à l’assainissement à un prix abordable pour eux. Il s’agit d’aider tous les usagers en situation de précarité, c’est-à-dire plusieurs pour cent de la population, pas seulement de se donner bonne conscience en donnant une aumône à un très petit nombre de personnes en situation désespérée. Les encadrés n° 2 et 3 montrent que cette action est parfaitement possible.

Sans aller jusqu’à la gratuité de l’eau, il faut agir pour que l’accès à l’eau pour les plus démunis ne soit pas rendu impossible par des considérations de prix liés à des procédures lourdes et tatillonnes. Quoi de plus simple que de multiplier les complexités administratives jusqu’à rendre hors de prix le simple geste d’aider son prochain et de clamer ensuite qu’on ne peut rien faire pour les plus démunis car ce serait économiquement inefficace ?

Les débats qui ont eu lieu depuis six ans sur le financement de l’aide pour l’eau n’ont pas beaucoup progressé. La nouvelle loi a le grand mérite de faire sauter le verrou du tarif social et d’encourager une réflexion sur ce sujet. Elle donne aux municipalités et aux Conseils généraux la possibilité de mettre en œuvre des solutions innovantes. Elles peuvent décider d’aider tous ceux pour qui la facture d’eau dépasse 3 % de leurs revenus, elles peuvent faire appel aux budgets municipaux à cette fin.

Les enjeux financiers sont minimes au niveau du secteur de l’eau mais sont importants pour les plus démunis. Les municipalités comme les départements pourront faire en sorte que l’eau destinée aux besoins essentiels soit disponible pour tous. Il leur reste à faire usage de cette nouvelle liberté et de passer à l’action. Le droit à l’eau doit devenir une réalité pour tous y compris les plus démunis.

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