L'ORIGINE DES NITRATES DANS LES EAUX SOUTERRAINES ET LEUR TOXICITÉ VIS-A-VIS DE L'HOMME
L'azote est un des éléments principaux de la matière vivante dans laquelle il se trouve associé à des molécules organiques plus ou moins élaborées. Dans les eaux, cet élément peut être présent soit sous la forme complexe de composés organiques, soit sous des formes minérales plus simples — ion ammonium* (NH₄⁺), nitrites* (NO₂⁻), nitrates* (NO₃⁻) — sans que chacune de celles-ci constitue un état immuable. En présence de conditions physico-chimiques ou biochimiques favorables, l'azote peut passer réversiblement d'un état à un autre.
Dans les eaux souterraines, cet élément est le plus souvent rencontré sous forme d'ions nitrates. Au cours des dernières années, il a été noté une augmentation sensible des teneurs dans l'eau de nombreux aquifères. Dans un certain nombre de régions, on note même des concentrations supérieures à 50 mg/l (norme européenne de potabilité), ce qui pose un problème pour l'utilisation de ces eaux à des fins alimentaires.
Origine des nitrates dans les eaux souterraines.
Les divers travaux entrepris pour mieux connaître les différentes origines possibles de l’azote mettent en évidence plusieurs sources d'inégale importance. Au niveau national, le tableau ci-dessous [1] en indique les ordres de grandeur :
Catégories | Quantité de N (en Mt) |
---|---|
1 Minéralisation des matières organiques du sol...................... | 3,0 |
2 Déjections : humaines....................................................... | 0,2 |
animales.......................................................... | 2,0 |
3 Précipitations atmosphériques : fixations symbiotiques et non symbiotiques............................................................ | 1,8 |
4 Engrais minéraux............................................................... | 2,0 |
5 Divers : | |
N d'origine industrielle...................................................... | 0,1 |
N résultant du bilan importation-exportation...................... | –0,1 |
*Dénominations équivalentes : azote ammoniacal, azote nitreux, azote nitrique.
Ce schéma fait apparaître que la minéralisation des matières organiques azotées des sols agricoles est la source la plus importante d’azote minéral. Par contre, si l'on se place au niveau de la parcelle cultivée (grande culture), la minéralisation des composés organiques azotés est du même ordre de grandeur que les apports d’engrais minéraux.
Des chiffres cités, on peut retenir deux conclusions :
— l’importance des flux d’azote dans le sol cultivé montre que l'agriculture est une des principales causes potentielles de la dégradation de la qualité des eaux lorsqu’on se place à l’échelle du territoire. Cependant à l'échelon local, il peut en aller différemment, certains flux tels que ceux provenant des rejets domestiques pouvant être d'importance non négligeable vis-à-vis de ceux occasionnés par l'activité agricole. En général, il s'agit de rejets ponctuels pour lesquels des solutions à court terme peuvent être trouvées afin d’y remédier. Il en est tout autrement des reliquats d’azote nitrique dus à l'activité agricole. Leur principale caractéristique est d’être diffus, ce qui rend beaucoup plus complexe la lutte pour la protection de la qualité des eaux souterraines.
— pour ce qui est spécifique à l’agriculture, on constate que l’utilisation des engrais minéraux n’est pas la seule source de nitrates. C'est en fait l'ensemble du système de culture qui détermine le devenir et la dynamique du cycle de l’azote et par voie de conséquence les possibilités d’accumulation dans le sol de nitrates susceptibles d’être entraînés vers les eaux.
Nuisances des nitrates vis-à-vis de l'homme.
Dans cet article, il n'est pas dans nos intentions de présenter de manière détaillée la toxicité des nitrates. Pour plus de précision, le lecteur pourra se reporter à certains ouvrages ou articles spécialisés (2), (3), (4). Des études faites, il apparaît que bien que les nitrates en eux-mêmes ne sont pas directement toxiques, leurs effets indirects sont tels qu'il est essentiel d’éviter dans notre alimentation l’ingestion de quantités trop importantes. Une des composantes de notre alimentation est l’eau de boisson dont la législation transitoire actuelle (jusqu’en août 1985) est la suivante :
— la teneur en nitrates des eaux conditionnées doit être toujours inférieure ou égale à 44 mg/l.
- — l'utilisation d'un nouveau captage ne doit être autorisée que si l'eau produite a une teneur en nitrates inférieure ou égale à 50 mg/l,
- — l'eau d'une distribution existante contenant plus de 100 mg/l ne doit pas être consommée,
- — l'eau d'une distribution existante dont la teneur en nitrates est comprise entre 50 et 100 mg/l peut être utilisée pour la consommation, sauf pour les femmes en période de gestation et les nourrissons âgés de moins de six mois.
À compter d'août 1985, toutes les eaux destinées à la consommation humaine devront présenter une teneur en nitrates inférieure à 50 mg/l.
L'augmentation des teneurs constatées depuis quelques années dans de nombreuses nappes d'eau souterraine ainsi que les niveaux atteints pour certaines eaux de distribution font que le problème des nitrates est d’une importance extrême ; ceci explique les études et recherches entreprises ces dernières années sur ce sujet par les pouvoirs publics et les divers organismes techniques concernés. Citons notamment les travaux de la Commission interministérielle « Hénin » [1] et l'enquête menée par le Ministère de la Santé [3] sur la teneur en nitrates des eaux destinées à la consommation humaine.
LA TENEUR EN NITRATES DES NAPPES D’EAU SOUTERRAINE DU TERRITOIRE NATIONAL
Comme cela a été indiqué précédemment, une des principales sources de production d’azote est l’activité agricole intensive, ce qui signifie que l’émission des nitrates se fait à partir des couches superficielles du sol. Pour cette raison, ce sont essentiellement les nappes libres (communément appelées nappes phréatiques) qui font l'objet de contamination, les nappes plus profondes étant protégées par des niveaux imperméables jouant le rôle d'écran.
De nombreuses études plus ou moins étendues géographiquement ont été menées depuis une dizaine d’années pour déterminer les teneurs en nitrates des eaux souterraines ainsi que leur évolution au cours des ans. Pour sa part, le BRGM en a réalisé un certain nombre avec le plus souvent un double objectif : constat de l’état des nappes et recherches sur l'origine des composés azotés détectés dans les eaux, notamment par l’emploi des techniques isotopiques basées sur la mesure du rapport ¹⁵N/¹⁴N [5]. Les principales sources possibles d’azote (humus, engrais minéraux…), ont des compositions isotopiques bien différenciées. Suivant la valeur du ratio ¹⁵N/¹⁴N mesuré sur un échantillon d'eau prélevé, il est possible d’attribuer une origine aux nitrates contenus dans cet échantillon. Toutefois, cette technique présente des limites lorsque l’azote nitrique présent dans l'eau provient simultanément de diverses origines.
Pour la plupart, ces études sont géographiquement localisées dans la partie du territoire située au nord de la Loire, ce qui n’a, a priori, rien de surprenant du fait de l’intense activité agricole dans ce secteur et de la présence de grandes nappes libres. Ainsi la fréquence des interventions réalisées sur certaines zones plus particulières telles que celles de la Beauce, la Brie, la craie de Champagne ou du nord de la France… indique clairement l'acuité du problème dans ces secteurs qui sont d’ailleurs à l'origine de la sensibilisation des pouvoirs publics et de l'opinion en général à ce phénomène généralisé d’augmentation des teneurs en nitrates dans les aquifères libres. Ainsi, une carte des concentrations [6] représentant l'état 1971 de la nappe de calcaires de Beauce montre qu’à cette époque l’étendue des zones contaminées (> 40 mg/l par exemple) représentait environ 10 % de l'ensemble de la nappe.
Les études d’évolution au cours des ans des teneurs en nitrates de quelques captages ou sources représentatives pour ces secteurs contaminés indiquent une augmentation moyenne annuelle depuis les 10 ou 20 dernières années de l’ordre de 1 à 3 mg/l. À titre d’exemple la figure 1 [7] visualise ce phénomène. Entre 1955 et 1975, les teneurs ont progressé de 20 mg/l.
Cette évolution a d’ailleurs pu être mise en corrélation avec l’évolution de l'occupation agricole des sols sur le bassin étudié : raccourcissement des rotations par suppression des herbages entre 1950 et 1955, suivi d'une simplification des rotations conjointement à une intensification des cultures.
Les études les plus récentes et les plus importantes du point de vue de l'étendue géographique concernée ont été réalisées par l'Agence financière de Bassin Seine-Normandie [8] sur l'ensemble du domaine dont elle est responsable et par le Ministère de la Santé [3] qui a publié récemment les résultats d'une enquête relative aux teneurs en nitrates des eaux destinées à la consommation. Cette enquête qui couvre l'ensemble du territoire n’avait pas exactement pour objectif de dresser un état nitrates des eaux souterraines ; néanmoins, certains résultats apportés par cette enquête permettent d’approcher cet aspect si l'on analyse la répartition des teneurs en nitrates suivant la localisation géographique des différentes unités de distribution ayant fait l'objet de l'enquête.
La figure 2 visualise sommairement la répartition géographique de l’azote nitrique par tranche de teneurs. On constate ainsi que dans 53 départements, il existe au moins une unité de distribution pour laquelle la teneur est supérieure à 50 mg/l. Les résultats de l'enquête montrent également que la plupart des unités de distribution concernées sont de petites tailles : 68 % desservent une population de moins de 1 000 habitants et 95 % une population de moins de 10 000 habitants. De ces deux chiffres relatifs au nombre de départements concernés et à la taille des unités, il ressort que l'augmentation des teneurs en nitrates dans les eaux souterraines concerne plus particulièrement les zones rurales et que ce phénomène tend à se généraliser.
Il serait d'ailleurs particulièrement intéressant, à partir des données de cette enquête, de compléter l'information en cartographiant l’état nitrates des principaux aquifères utilisés. Ce travail permettrait de visualiser pour l'ensemble du territoire l'importance de la ressource contaminée, ce que ne rend que très imparfaitement le document existant puisqu’il ne fait apparaître que des teneurs ponctuelles (unités de distribution) sans en préciser l'origine hydrogéologique (nature de l’aquifère).
Les résultats de l'enquête font également mention de l'évolution prévisible des teneurs d'ici à 1985. Les chiffres indiqués corroborent ceux mentionnés ci-dessus, à savoir une augmentation annuelle en nitrates qui se situe le plus souvent dans une fourchette de 1 à 3 mg/l. Ceci aura pour conséquence qu’environ 500 unités de distribution actuellement entre 40 et 50 mg/l seront susceptibles de desservir une eau hors des normes de potabilité dans un proche avenir.
Tous ces chiffres montrent l'acuité du problème et la nécessité d'y remédier ou tout au moins d’en limiter les effets. Les recherches sur les origines de ce phénomène ont fait l'objet de nombreux travaux : il ressort que parmi les diverses causes possibles, l'activité agricole tient une place importante, ce qui rend la lutte particulièrement difficile d'une part en raison de la nature même de la pollution émise (pollution à caractère diffus et ainsi difficilement maîtrisable au moins à court et moyen terme), et d’autre part en raison des implications économiques que peut entraîner la mise en œuvre de certains remèdes.
La mise en œuvre de solutions efficaces nécessite de connaître de manière suffisamment approfondie les causes et les mécanismes de la contamination. Ce n’est qu’au prix de cette connaissance que l'on pourra lutter efficacement contre les phénomènes mis en jeu.
ÉLÉMENTS SUR LES PROCESSUS DE CONTAMINATION DES NAPPES D’EAU SOUTERRAINE
Le milieu physique dans lequel se propagent les nitrates.
Pour une meilleure compréhension des mécanismes, on peut schématiquement découper le sous-sol en trois « compartiments » :
- • une zone superficielle correspondant au sol dans laquelle l’activité biochimique est généralement intense. Cette zone colonisée par le système racinaire des plantes comporte un stock d’azote d’origine diverse : azote naturel du sol (humus), azote provenant des résidus de récolte et des fumures organiques ou minérales apportées pour satisfaire aux besoins de la plante. Une partie de ce stock est exportée sous forme d'ions nitrates par les plantes. L'excédent d’azote nitrique (forme très mobile) qui se trouve disponible dans le sol est alors susceptible après les récoltes d’être lessivé par les eaux d’infiltration qui percolent à travers cette couche vers les horizons plus profonds. La période la plus propice au lessivage correspond à celle de l'alimentation des nappes d'eau souterraine, c’est-à-dire en général entre octobre et avril.
- • une zone dite non saturée entre le sol et la nappe d’eau souterraine. Cette zone intermédiaire de nature physique très diverse suivant les types de roches concernés et d’épaisseur variable (de quelques mètres à plusieurs dizaines) conditionne en grande partie les temps de transfert vers la nappe : de quelques jours à plusieurs années. Suivant que la roche sera à porosité d’interstices (sables, grès…) ou de fissures (calcaires…) les circulations seront plus ou moins rapides.
- • le milieu saturé qui constitue l’aquifère. Dans cette zone, les transferts d'eau et des composés présents dans celle-ci sont essentiellement latéraux par opposition aux transferts verticaux de la zone non saturée.
Exemples d’études récentes réalisées par le BRGM.
Face à ce phénomène qu’est l’augmentation des teneurs en nitrates dans les eaux souterraines, un certain nombre de questions se posent, notamment :
- la contamination mise en évidence dans un certain nombre de secteurs peut-elle s’étendre géographiquement dans les années à venir ?
— jusqu’à quel niveau de concentration vont évoluer les teneurs dans les zones actuellement contaminées ?
Pour tenter de répondre à ces questions, le BRGM a lancé un programme d’études in situ de « l'état nitrate » du sous-sol sous divers contextes suffisamment typés tant aux points de vue hydrogéologique qu’agricole. L’étude in situ, lorsqu’elle est possible, est à notre sens la meilleure manière de cerner la réalité des phénomènes et de les quantifier. C’est ainsi qu’une dizaine de sondages ont été réalisés sur toute l’épaisseur comprise entre le sol et la nappe ; ils ont permis d'établir, en fonction de la profondeur, les profils de l’azote nitrique contenu dans les eaux interstitielles, et de montrer ainsi une corrélation entre les dosages relevés et l'activité agricole de ces dix ou vingt dernières années (types de cultures pratiquées et quantités de fertilisants utilisés). Cette démarche a par ailleurs été mise en œuvre depuis 1976 en Angleterre par le Centre de recherches sur l'eau et a apporté un certain nombre de résultats particulièrement intéressants. Certes, dans notre cas, le nombre de profils réalisés (une dizaine ayant chacun une profondeur d’environ quinze mètres) est très modeste pour pouvoir généraliser les résultats obtenus ; néanmoins ces derniers sont riches d’informations et apportent des éléments de réponse aux questions posées. Deux exemples de profils sont présentés à titre d’illustration.
* Programme cofinancé par le Comité Eau (Ministère de l’Environnement).
** Sondages effectués par carottage, prise d'échantillons tous les 50 centimètres, extraction des eaux interstitielles en laboratoire et dosage des nitrates contenus dans ces eaux. Régions concernées : Champagne, Picardie, Touraine, Bretagne, Midi-Pyrénées.
1. Craie de Champagne.
La Champagne crayeuse est une zone de grande culture où les assolements sont en général pratiqués à raison de deux années de betterave-blé et trois années de luzerne. Or, dans certains secteurs, on n’observe pas d’accroissement notable de la teneur en nitrates des eaux malgré l'importance de l’activité agricole. Afin d’en rechercher le pourquoi, des profils nitrates ont été réalisés sous un champ mis en culture depuis 1955 (fig. 3). Le premier sondage a été effectué par carottage en juin 1979. Les autres profils ont été obtenus grâce à l'installation d'un système permanent d’extraction in situ des eaux interstitielles des terrains par mise en dépression de bougies poreuses implantées à différentes profondeurs (fig. 4).
• Profil de juin 1979.
À l’aide d'un programme de simulation des transferts de solutés dans le sol mis au point par le Centre de Recherches sur l’Eau, une correspondance a pu être établie entre les teneurs trouvées dans la zone non-saturée et l'historique des cultures pratiquées depuis 1955.
Le premier « pic » rencontré à 8 mètres de profondeur présente une teneur de 85 mg/l en nitrates. Il correspond aux effets conjugués du déboisement et de la mise en culture qui lui a été consécutive.
Ce phénomène a été également observé par ailleurs : le déboisement, tout comme le retournement de friches ou de prairies permanentes, a pour effet de libérer d’importantes quantités d’azote dans les deux ou trois années qui suivent l'opération et parfois plus longtemps.
Les temps de transfert sont très lents (de l’ordre de 0,3 m/an). Si l’on ne considère que l’effet de l’activité agricole (pic situé à 3 mètres de profondeur), les concentrations dans les eaux interstitielles sont d’environ 65 mg/l.
Une simulation des quantités de nitrates arrivant à la nappe pour les 50 ans à venir a montré qu’à partir des années 2020, les concentrations pourraient se stabiliser aux alentours de 50 mg/l.
Profils successifs (décembre 1979 - mars 1982).
Quatre profils ont été réalisés entre décembre 1979 et mars 1982. Leur position les uns par rapport aux autres met en évidence une progression en profondeur des pics nitrates vers la nappe et ceci sans diminution de leur intensité. Les déplacements seraient compris entre 0,6 et 1 mètre par an, c’est-à-dire supérieurs à ceux observés sur le profil initial. Cette différence s’explique par l'épandage d’effluents de sucrerie (environ 80 mm) qui s’est additionné entre octobre 1979 et mars 1980 à l'infiltration naturelle et par les hauteurs d'eau infiltrées beaucoup plus importantes qu’à l'habitude pendant l'année hydrologique 1981-1982. Les épandages ont eu également pour effet d’augmenter le stock d’azote entre 1,5 et 3 mètres.
teneurs en nitrates 5 29 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 130 140 150 160 170 180 190 200
profondeurs (m)
—— Nitrates en mg/l (eaux interstitielles)
——— Humidité (%)
teneurs en eau pondérable (%)
2. Craie en Touraine.
Le profil réalisé concerne une parcelle sur laquelle sont pratiquées des cultures céréalières (blé-orge) avec intercalations de prairies temporaires, ceci depuis plus de 30 ans (fig. 5). Ce profil est sensiblement différent du précédent puisqu’il montre une succession de pics sans que l’on note de différences notables d’amplitude des uns par rapport aux autres. Notre expérience nous laisse à penser que cette succession de pics n'est pas due à des « événements agricoles » précis mais davantage à l'hétérogénéité du terrain (nombreux niveaux marneux de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur matérialisés sur le profil par des variations de teneur en eau).
Sur ces hypothèses vraisemblables on est amené à considérer que l’activité agricole, telle qu'elle est menée sur cette parcelle, produit un flux sensiblement constant de nitrates qui sont entraînés en profondeur. Les concentrations des eaux interstitielles varient entre 45 et 65 mg/l.
Synthèse des éléments apportés par l'ensemble des profils.
Sous réserve que chacun des différents profils soit une image fidèle de l'impact de l’activité agricole sur les teneurs en nitrates des eaux du sous-sol, la synthèse de l’ensemble des résultats apporte quelques éléments intéressants.
- - Sous toutes les parcelles cultivées, il a été mis en évidence un stock de nitrates qui migre vers les nappes et ceci sans qu'il soit relevé d’atténuation notable de son importance lors du déplacement en profondeur. La figure 3 illustre bien ce phénomène. La même observation a été faite en Angleterre par le Centre de Recherches sur l'Eau en comparant l'évolution de profils réalisés successivement dans le temps.
L’éventuelle diminution des teneurs en nitrates au cours du déplacement en profondeur qui a parfois été avancée est fondée sur le fait que la concentration est susceptible de décroître par effets physiques (diffusion, dispersion) et/ou biochimiques (essentiellement perte de nitrates par dénitrification). En ce qui concerne les premiers, les résultats montrent que, pour les cas de figure étudiés, les effets sont réduits ; il en est de même pour ce qui concerne les possibilités de dénitrification. Ceci d’ailleurs n’a rien de surprenant puisque la zone non saturée est le plus souvent un milieu oxydant (roche-eau-air), alors que les conditions de réalisation d’une dénitrification nécessitent d’être en milieu réducteur. Ces conditions réductrices peuvent cependant se rencontrer dans le sous-sol, principalement dans la zone de battement de la nappe (interface zone non saturée/zone saturée) ou dans la nappe elle-même. À notre connaissance, très peu de recherches ont été menées sur l’importance de ces phénomènes dans le sous-sol, notamment en ce qui concerne ceux pouvant se produire dans la zone de battement. On peut penser toutefois que cette dénitrification est limitée à quelques contextes bien particuliers.
— Les teneurs en nitrates des eaux interstitielles sont très rarement inférieures à 45 mg/l. Pour la craie de Touraine où les amplitudes de variations sont faibles, les concentrations se situent entre 45 et 65 mg/l. Le profil réalisé en Bretagne sous culture maraîchère dans la région du Léon montre que les eaux contenues dans la zone non saturée ont une teneur moyenne de l’ordre de 130 mg/l. Il semble donc que l’activité agricole pratiquée sur les sites observés soit difficilement compatible avec la sauvegarde de la qualité des eaux des nappes phréatiques.
— Un certain nombre de calculs effectués sur les différents profils ont permis de mieux approcher les effets de certains assolements ou pratiques agricoles. On a ainsi pu estimer :
• que, dans les zones de grandes cultures, la fourchette des reliquats annuels de nitrates susceptibles d’être lessivés se situe entre 30 et 85 kg de N par hectare ;
• que, sous les cultures maraîchères en Bretagne, les reliquats calculés à partir d’un bilan agronomique sont tels que les eaux de la nappe montrent une teneur de l’ordre de 130 à 170 mg/l. Ce chiffre concorde avec les valeurs du profil et la teneur en nitrates des eaux de la nappe au droit de la parcelle étudiée qui est de 130 mg/l ;
• que les retournements de prairies permanentes ou de friches libèrent dans le sous-sol un stock important d’azote nitrique. Pour chacun des trois profils pour lesquels cette pratique a eu lieu, les quantités d’azote ainsi libérées ont été estimées à 200, 235 et 400 kg de N par hectare. Par contre, ce phénomène ne semble pas être très marqué si le retournement concerne des prairies de quelques années (2 ou 3 ans) s’insérant dans un assolement.
Les chiffres mentionnés, notamment ceux relatifs aux zones de grandes cultures, doivent retenir notre attention. En effet, si l’on considère la limite inférieure de la fourchette (30 kg de N par ha) qui correspond au profil dans la craie en Touraine, on constate que cette perte a pour effet de produire des concentrations de l’ordre de 50 à 60 mg/l. Or les quantités totales d’azote mises annuellement en jeu sont de l’ordre de 200 à 250 kg/ha (azote du sol et apport en fertilisants). Cela tend à indiquer que les fuites d’azote vers les nappes devraient être inférieures à 15 % de l’ensemble du stock annuel contenu dans le sol pour assurer un maintien de la qualité de nos eaux souterraines. Ainsi, même si l’on parvient à ajuster au mieux la fertilisation azotée aux besoins des cultures, il semble que les effets produits sur la qualité des eaux seront tels que les teneurs se situeront autour de la norme de 50 mg/l.
À notre sens, l’origine de l’augmentation des teneurs en nitrates n’est pas uniquement due aux doses de fertilisations azotées pratiquées, mais tout autant aux modifications apportées aux assolements depuis quelques années et surtout à l’accroissement important des surfaces cultivées. Une étude réalisée sur la Beauce [11] conforte également cette hypothèse. En effet, les bois ou prairies correspondent à des zones où l’eau souterraine est de bonne qualité et peut diluer les eaux plus chargées provenant des secteurs agricoles situés en amont hydraulique. Or, l’accroissement des surfaces productives est tel que, de nos jours, les volumes disponibles d’eau à faible teneur en nitrates sont insuffisants pour jouer leur rôle antérieur.
CONCLUSION : LES REMÈDES ENVISAGEABLES
Toutes les études faites sur la teneur en nitrates des nappes d’eau souterraine, ainsi que les quelques profils réalisés entre le sol et la nappe, montrent que l’on doit s’attendre dans les années à venir à la fois à une augmentation des concentrations et à une extension des zones contaminées, là où les aquifères actuellement à faible teneur en nitrates sont situés sous des surfaces cultivées. Face à ce phénomène, nos connaissances actuelles ne nous permettent d’envisager qu’un nombre restreint de remèdes dont, pour certains, on ne mesure que très imparfaitement l’efficacité réelle.
Parmi les solutions envisageables, on peut mentionner les suivantes :
• Meilleure gestion de l’activité agricole par une modification des
pratiques culturales, notamment en optimisant les fumures azotées afin que le stock d’azote mis annuellement à la disposition d’une culture soit le moins excédentaire possible par rapport aux besoins. Des recherches sont actuellement faites en ce sens. Il faut toutefois être conscient que les effets ne seront souvent sensibles qu'à long terme du fait de l’inertie du « système géologique » et que, par ailleurs, il ne faut pas s’attendre a priori à un retour à une situation équivalente à celle d’il y a 20 ou 30 ans.
Cela ne signifie nullement que des « solutions agronomiques » ne doivent pas être recherchées et mises en œuvre. Les profils réalisés en Bretagne par exemple montrent que des efforts sont à mener dans cette voie. Se pose également dans cette région le problème de l'épandage des lisiers dont la pratique intensive est également, avec celle des cultures maraîchères, une des principales causes de la dégradation de la qualité des eaux dans certains secteurs.
Gestion appropriée du patrimoine foncier, en recherchant les zones pour lesquelles l'eau de l’aquifère sous-jacent est de bonne qualité et susceptible de la conserver. La localisation de ces secteurs doit être accompagnée de leur protection par un contrôle de l’activité ayant lieu en surface. C'est dans cet esprit d’aide à la décision pour les aménageurs que le BRGM a réalisé dernièrement une étude pilote sur le département de l'Indre-et-Loire dont l'objet a été de dresser une carte de vulnérabilité des nappes d’eau souterraines aux nitrates d'origine agricole. Dans le cadre de ce travail effectué à la demande du Ministère de l’Environnement (Service de l’Eau), le document cartographique élaboré (échelle 1/100 000) fait ressortir les endroits où l'eau est supposée conserver ses faibles teneurs en nitrates si l’affectation des sols n’évolue pas dans les années à venir.
Utilisation d'autres ressources, lorsque cela est possible, telles que les eaux superficielles (rivières, lacs) ou les aquifères plus profonds. Cependant ces eaux peuvent présenter d'autres inconvénients du fait de l’éventuelle présence de composés indésirables nécessitant alors la mise en œuvre de traitements d’épuration, préalablement à la distribution publique. Il faut également savoir qu’à terme l'eau des sources et des émergences qui drainent les grandes nappes libres, c’est-à-dire l'eau superficielle des cours d'eau à l’étiage, aura une composition chimique voisine de celles des nappes.
Approfondissement des forages ou puits existants en misant sur le fait probable que c’est essentiellement la partie supérieure de l’aquifère qui est contaminée. On ne dispose actuellement que de peu d’exemples et d’expérimentations sur ce sujet permettant d'en évaluer l'importance. Des recherches sont en cours, notamment en Beauce, Picardie et Champagne, pour mettre en évidence une stratification verticale des nitrates et définir les modalités d’exploitation des couches à faible teneur tout en évitant d’appeler par le fait du pompage celles à concentration plus élevée.
Dénitrification des eaux en station de traitement. Des procédés de dénitrification des eaux à des fins de potabilité, autorisés par le Conseil Supérieur d’Hygiène de France, ont fait récemment leur apparition sur le marché. Cependant il semble, tout au moins pour le présent, que le coût du mètre cube d'eau épuré est élevé et ceci d’autant plus que les quantités d’eau à traiter sont faibles. Or c’est précisément dans les petites communes rurales que se pose le problème des nitrates.
Suppression des causes ponctuelles de contamination (dépôts de déchets, rejets d’eaux résiduaires dans le sous-sol), notamment à proximité des captages utilisés pour la distribution publique. La mise en place de périmètres de protection permet de lutter efficacement contre ces types de pollution qui, s’ajoutant parfois au « bruit de fond » d’origine agricole, sont susceptibles de déclasser certains captages.
À citer également comme aide à la lutte contre la contamination des eaux souterraines, la poursuite des recherches et études sur ce sujet. En effet, ce n’est qu’en essayant de connaître le mieux possible les mécanismes mis en jeu que les solutions les plus adéquates pour maîtriser la qualité de nos eaux pourront être élaborées. L’enjeu est suffisamment d'importance pour que l'on s’en donne les moyens.
BIBLIOGRAPHIE
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(7) LAPIERRE (J-C.), 1978. — Journ. de l'Association de pharmacie et d’hydrologie.
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(9) LANDREAU (A.), MORISOT (A.), 1982. — Rapport BRGM 83 SGN 026 Eau.
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(11) SOUMAGNAT (M. de), 1981. — Origine et lessivage des nitrates dans les sols de Beauce. — Doc. Chambre d’Agriculture du Loiret et A.F.B., Loire-Bretagne.