La technologie des nez électroniques a été conçue pour mesurer les odeurs à la source et pour modéliser leur dispersion atmosphérique. Associées à des prévisions météorologiques, l'exploitant du site, prévenu jusqu'à 24 heures à l'avance, pourrait alors intervenir efficacement pour parer à toute nuisance olfactive avant même qu'elle ne se produise.
Parmi les paramètres environnementaux que doivent contrôler et maîtriser les stations de traitement des eaux usées, qu’elles soient industrielles ou municipales, figurent les odeurs générées lors du fonctionnement quotidien de ces installations. On observe que 70 % des plaintes sur la qualité de l'air sont dues aux odeurs. Dans tous les pays industrialisés, on assiste à une exigence croissante, dans le domaine des odeurs, sur la conformité réglementaire des installations existantes¹.
Les concepteurs et exploitants présents dans ces secteurs connaissent bien cette problématique. Au cœur même du problème se trouve (ou plutôt, se trouvait) l’absence d'un moyen de mesure en continu mais aussi de mesure et de suivi automatisé des émissions d’odeurs dans l'environnement. Les moyens de mesure ponctuels utilisés jusque-là ne permettaient de cerner que la situation olfactive à un moment précis, situation qui peut complètement changer en quelques minutes. Il était par conséquent très difficile de suivre avec efficacité l'évolution des nuisances olfactives ou celle de la gêne des riverains.
Or, tout cela vient de changer grâce à la technologie de nez électroniques (NE) baptisée OdoWatch, mise au point par la société canadienne Odotech à Montréal et commercialisée en exclusivité mondiale dans le domaine de l'eau par Veolia Water Solutions.
Elle a été conçue pour mesurer les odeurs à la source et pour modéliser leur dispersion atmosphérique. OdoWatch™ permet ainsi à l’opérateur de suivre sur son écran le panache odeur en temps réel.
Suivre le panache odeur en temps réel
Le réseau OdoWatch™ se compose de deux éléments principaux : les nez électroniques (mesure) et la centrale de commande mettant en œuvre le logiciel OdoWatch™ (modélisation de la dispersion atmosphérique). Pour la détermination des niveaux d’odeur, le nez électronique mesure en unités-odeur selon la norme EN 13725 les odeurs provenant des sources d’émission du site. Chaque nez électronique du réseau est placé près d’une des principales sources d’odeurs. Chaque nez électronique comprend un boîtier contenant les systèmes d’aspiration, d’échantillonnage et de transmission. Pour pallier toute panne d’alimentation électrique du réseau, l’ensemble peut être surmonté d'un panneau solaire et comprend alors un second boîtier abritant les batteries indispensables à toute alimentation solaire. Enfin, une tour météorologique équipée d'une transmission hertzienne alimente en données un programme de calcul qui modélise la dispersion des odeurs dans l’environnement.
Dans chaque nez électronique, une micropompe aspire l’échantillon d’air une fois par minute et l’envoie vers la chambre de mesure interne, avec sa matrice de capteurs optimisés non spécifiques, qui réagissent chacun différemment aux odeurs. Les signaux des capteurs sont traités par les cartes de conditionnement de chaque nez électronique, puis acheminés vers le système de transmission, lui aussi interne.
Les nez électroniques mesurent la concentration de l’odeur en unités-odeur à la source, ou près de celle-ci. L’exactitude de la mesure est vérifiable directement, après installation, en comparant, pour un même échantillon olfactif prélevé au point d’aspiration, le résultat olfactométrique et la valeur obtenue par le nez électronique. À partir du système de transmission de signal de chaque nez électronique, les signaux parviennent à la centrale de commande (un ordinateur de bureau) équipée du logiciel OdoWatch™ où ce dernier combine les données odeur aux données météorologiques venant de la tour météo du site, ainsi qu’à d’autres paramètres, pour déterminer le panache d’odeurs.
Grâce à ce panache (voir figure 3) indiquant les différentes concentrations des odeurs et superposé à la photo ou carte aérienne du site, l’opérateur peut suivre très facilement l’impact odeur de son site.
Les résultats sont archivés en mémoire sous forme graphique (panache d’odeurs) et numérique (données brutes) ce qui facilite vis-à-vis du voisinage toute vérification a posteriori en cas de problèmes de nuisances olfactives.
L’exemple de la station d’épuration de Montréal
À la station d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal, où un système OdoWatch™ est installé et opérationnel depuis deux ans, on utilise ce système de manière proactive : par un vent de 5 km/h (affiché par le système), on sait qu’à partir du moment où OdoWatch™ signale l’arrivée d'un problème, le responsable a une demi-heure pour réagir avant que les voisins situés à 2,5 km ne sentent l’odeur qui avance vers eux. Diverses étapes du process peuvent alors faire l'objet d’une intervention ponctuelle pour éviter toute gêne dans l’environnement.
Et si l'on disposait non pas des données météorologiques en temps réel reçues de la tour météorologique du site, mais plutôt des prévisions météorologiques provenant de l’aéroport le plus proche? L’exploitant du site, prévenu jusqu’à 24 heures à l’avance,
pourrait alors intervenir efficacement pour parer à toute nuisance olfactive avant même qu'elle ne se produise. La société Odotech met actuellement au point cette fonctionna- lité qui sera intégrée sous peu à tous les sys- tèmes OdoWatch™.
De plus, OdoWatch™ sait distinguer les odeurs d’un site générateur d’odeurs de celles générées par les sites industriels voi- sins. Il arrive souvent que des STEP, par exemple, soient critiquées pour les émana- tions d’odeurs qu’elles génèrent. En effet, en mode dit passif, “entraînement” olfactomé- trique d'un système OdoWatch™, pour pou- voir reconnaître les odeurs d'un site, identi- fie toute autre odeur comme étant “incon- nue”, donc d'origine externe. En mode actif, le système peut être entraîné à reconnaître des odeurs spécifiques de pollueurs olfactifs voisins. Toujours dans le cas de la STEP de Montréal, une extrémité du site est proche d’une autoroute à forte circulation ; de l’autre côté de l’autoroute se trouvent des zones d’épandage de lisier de porc avec un fort potentiel odorant. Pour les automobi- listes et les voisins, les bâtiments imposants de la STEP attiraient leur attention et ils
concluaient que les odeurs provenaient de la STEP. Grâce à un nez électronique posi- tionné en périphérie du site, la preuve a été faite de l’origine étrangère à la STEP des odeurs émises.
Modéliser le panache de la dispersion atmosphérique des odeurs
Pour produire par modélisation le panache de la dispersion atmosphérique des odeurs, le système utilise un modèle spé- cifique aux odeurs prenant en compte la perception réelle des odeurs. Ce modèle combinant le modèle gaussien standard et celui de Gifford s’avère plus précis sur de faibles distances, car il tient compte des méandres du panache émis qui se produisent à proximité de la source d’émission. Ce dernier phénomène est une caractéristique importante de la dis- persion des odeurs. En plus de ces modèles validés d’usage courant, le logi- ciel OdoWatch™ peut s'adapter à toutes sortes de modèles de dispersion atmo- sphérique, au gré du client, lorsque ce dernier veut utiliser un modèle spécial ou s'il doit se conformer à des exigences réglementaires particulières.
L'“entraînement” pourrait aussi être quali- fié d’“étalonnage” visant à caractériser l'odeur (c’est-à-dire à l'identifier et à la quantifier en unités odeur). Pour cet éta- lonnage, on prélève des échantillons d’air odorant au moyen d'une chambre de flux ou autre dispositif approprié, près de la prise d’air du nez électronique ; ensuite on les analyse par olfactométrie à dilution dynamique selon la norme EN 13725, puis on procède à l’étalonnage proprement dit au moyen d'un calcul de corrélation portant sur un minimum de 1 000 points. Ce nombre de points, déjà très élevé et donnant une bonne précision, peut encore être majoré mais seu- lement au prix d’une grande complexité informatique dont l'intérêt économique n'est pas du tout évident.
Afin de maximiser la précision de la mesure, les nez électroniques sont toujours position- nés à la source d’odeurs ou près de celle-ci pour augmenter au maximum le ratio entre la concentration mesurée et le seuil de sen- sibilité du nez électronique. En effet, plus on s'éloigne de la source olfactive et plus l’er- reur de mesure est importante en particulier à cause de la dispersion atmosphérique. Grâce à une connexion Internet, il est pos- sible de diagnostiquer à distance le fonction- nement de chaque NE et même de chacun de ses composants. De construction modu- laire, ces éléments sont facilement rempla- çables au besoin. Le lien Internet, sécurisé par un code d’utilisateur, permet au client de visionner en continu et en temps réel son panache d’odeurs – et donc l'impact des odeurs – à partir de n'importe quel ordina- teur de bureau.
Sur tout site, et particulièrement ceux situés en environnement olfactivement chargé, un OdoWatch™ multi-nez sera installé en posi- tionnant les nez électroniques stratégique- ment en amont et aval par rapport au vent. Connaissant la direction instantanée du vent grâce à la tour météorologique, le logiciel permet de quantifier le “bruit de fond” olfac- tif, ce qui fait qu'un NE sert de référence pour déterminer la situation olfactive sans prendre en compte celle de l’installation.
elle-même. Cet aspect ingénieux du système OdoWatch™ facilite la mise en évidence de l’impact des odeurs dues au site en faisant abstraction de la charge olfactive environnante. Dans la mesure où il s’agit de mesurer les odeurs, le système OdoWatch™ dont les nez électroniques perçoivent les odeurs comme le nez humain, représente une nouvelle évolution technologique qui va au-delà des tentatives de faire corréler l’odeur avec sa composition chimique. À partir du moment où il faut rendre compte des odeurs et des nuisances qu’elles génèrent dans toute leur complexité, OdoWatch™ peut le faire de manière réaliste et directe, plutôt que de procéder par analyse physico-chimique, cette dernière méthode cernant bien l’éventail de composés chimiques en présence mais pas l’odeur résultante. Or, pour le voisinage, c’est avant tout l’olfactif qui compte et non sa composition physico-chimique.
Veolia Water Solutions et Technologies a donc conclu un accord mondial avec Odotech pour commercialiser OdoWatch dans le domaine de l’eau. ■
Références bibliographiques
1 Industrial Foul Odors: Management Response to Community Discontent, M.P. Perry, R.C. Pleus, 90th Annual Meeting AWMA, paper #97-FA159.02, Toronto (1997).
2 Comparisons of French and Canadian landfill odour impact assessment results, T. Pagé, T. Lagier, and D. Chereau, Proceedings Sardinia 10th Int. Waste Management & Landfill Symposium, Italy (October 2008).
3 Continuous Real-Time In Situ Odour Monitoring System for Odour Impact Assessment, Douaire, G. and Giasson, F., In 2nd IWA International Workshop and Conference on Odour and VOCs, IWA, Singapore (September 2003).
4 NF EN 13725 Octobre 2003, Qualité de l’air – Détermination de la concentration d’une odeur par olfactométrie dynamique.
5 Automated electronic nose network for measuring industrial odours, C. Guy & F. Giasson. Proceedings of the European Conference on Environmental Odour Management, 17-19 November 2004, VDI-Berichte Nr. 1850.
6 Suivi des odeurs à la Station d’épuration des eaux usées de la ville de Montréal, Purenne P., Journées techniques nationales sur les pollutions olfactives des installations classées : de l’évaluation de la gêne aux techniques de réduction, p. 117-124, ADEME Éditions, Angers, 7-9 février 2005.
7 Techniques de contrôle des odeurs – Station d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal, Purenne P. et Renyi P., Vecteur Environnement, 2004, 37 (1), 33.
8 Berechnung der Geruchsausbreitung aus bodennahen Quellen nach Gifford für mäandrierende Fahnen, T. Pagé, P. Deprelle, Gerüche in der Umwelt: Innenraum und Aussenluft, Bad Kissingen, VDI DIN Kommission Reinhaltung der Luft (KRdL), Allemagne, 4-6 mars 1998.
9 Odor Dispersion Modeling for Odor Impact Study, T. Pagé & S. Vigneron, Air & Waste Management Association’s 90th Annual Meeting & Exhibition, Toronto, Canada, 8-13 juin 1997.
10 Odour Impacts & Abatement Management: Using a Network of Electronic Noses for Real-Time Monitoring of Odour Dispersion, P.G. Micone, A. Nake, B. Dubreuil, T. Talou, & L. Patria, CIWEM (August 2004).

