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Les mesures de débit en rivière

30 novembre 1990 Paru dans le N°141 à la page 51 ( mots)
Rédigé par : Michel FORGEOT

Si l'on veut pouvoir assurer une gestion efficace et rigoureuse des ressources en eau sur l'ensemble d'un territoire, l’un des paramètres les plus importants est la mesure du débit des cours d’eau.

Jusqu’à présent, en France, il n’existait que des méthodes ponctuelles telles que les jaugeages, ou bien des méthodes onéreuses et artificielles telles que les déversoirs. Mais aucune de ces deux méthodes n’est vraiment satisfaisante dans le cadre d'une mesure de débit en continu. Par contre, depuis quelques années, deux autres techniques ont été développées en Europe, particulièrement au Royaume-Uni, permettant une mesure fiable et permanente du débit des cours d'eau.

La mesure du débit nécessite la connaissance de trois paramètres :

  • le profil du cours d’eau à l’endroit de la mesure,
  • la hauteur d’eau,
  • la vitesse d’écoulement.

Le relevé du profil est une mesure qui s’effectue ponctuellement et dont les résultats varient très lentement ; ce n’est pas une mesure qui se fait en continu. À l'inverse, la hauteur d’eau se mesure en continu, opération que l'on maîtrise très bien ; d’ailleurs de nombreux constructeurs proposent des systèmes qui permettent de l’effectuer de façon très précise.

La mesure de la vitesse d’écoulement, quant à elle, qui doit se faire en continu sur toute la largeur du cours d’eau, est la mesure la plus difficile à exécuter de façon précise et fiable.

Pour effectuer cette mesure de vitesse en continu il existe deux méthodes. La première consiste à mesurer la durée des trajets d’impulsions ultrasonores traversant la rivière selon un angle connu par rapport au courant. La deuxième est fondée sur l’induction électromagnétique (loi de Faraday). Dans ce cas, des électrodes posées sur les berges de la rivière mesurent une tension générée par le passage de l'eau à travers un champ magnétique vertical créé par un enroulement électromagnétique. Cette tension est proportionnelle à la vitesse d’écoulement.

Ayant, grâce à l'une de ces deux méthodes, obtenu la vitesse d’écoulement, il suffit d’un calculateur dans lequel est enregistré le profil du cours d’eau et deux entrées, l'une pour la mesure de niveau et l’autre pour celle de la vitesse, pour obtenir le débit. Pour obtenir une mesure précise, le calculateur doit posséder un programme complexe afin d’effectuer toutes les corrections engendrées par les problèmes d’effet de bord ou de courants biais ou transversaux. Le calculateur relié par modem à une ligne téléphonique permet à tout moment et de n’importe quel lieu d’obtenir sur ordinateur (ou sur un Minitel) le débit du cours d'eau.

Le système

Mesure ultrasonique

Plusieurs paires de transducteurs sont montées en opposition sur les rives à différentes profondeurs bien définies, chaque transducteur se comportant alternativement comme émetteur puis comme récepteur d’ondes ultrasoniques. Les ondes ultrasoniques sont émises simultanément par une paire de transducteurs opposés qui constituent un trajet (le trajet présente un angle par rapport à la direction générale de l’écoulement).

Ces ondes sont reçues par les transducteurs opposés de chaque paire après un temps dépendant de la longueur du trajet, de la vitesse du son sur ce trajet et de la composante vitesse de l’eau.

Si l'eau est calme, les deux ondes arrivent simultanément, mais si elle est agitée, l'une des impulsions arrive avant l’autre. L'intervalle entre les ondes est appelé Delta T et les temps de transit relatifs au trajet considéré sont appelés t1 et t2. La vitesse moyenne de la tranche d'eau considérée peut être calculée d’après ces temps.

Pour un trajet ultrasonique, la composante vitesse moyenne de l’eau le long du trajet peut être formulée de la façon suivante :

t1 = L / (C + Vp)  
t2 = L / (C – Vp)

L = longueur du trajet  
C = vitesse du son dans l’eau  
Vp = composante vitesse moyenne  
t1/t2 = temps de trajet

Les équations combinées donnent :

Vp = L / (2 t1 t2)   (indépendante de C)

d’autre part : C = L / 2 (1/t1 + 1/t2)

La vitesse moyenne de l'eau V1 est obtenue par :

V1 = Vp / cos θ

où cos θ est l’angle entre la direction de l'écoulement et le trajet des ondes ultrasoniques.

La vitesse de l’eau est mesurée de la même manière à différents niveaux entre la surface et le fond de la rivière et le débit est calculé sur différentes tranches d’eau en multipliant la vitesse par la section de cette tranche. Le débit

[Photo : Schéma des mesures ultrasoniques dans un cours d’eau.]
[Photo : Système ultrasonique à cordes croisées.]

Le débit total est obtenu en ajoutant les résultats de ces différentes mesures (figure 1).

Dans le cas où la direction du courant n’est pas connue avec précision ou si l'on a des courants transversaux, on utilise un système de cordes croisées pour réduire cette incertitude (figure 2).

On effectue alors le calcul suivant :

              Vp
   Va = ———————————
        cos (θ ± δ)

où :

• Va est la vitesse réelle de l'eau • V1 est la vitesse supposée de l'eau • Vp est la composante de la vitesse de l'eau mesurée le long du trajet de l'onde ultrasonique.

Le débit d’une tranche d’eau de profondeur H est :

              Vp
   Q = ————————— × L sin (θ ± δ) · H
        cos (θ ± δ)

          = Vp · L · H · tg (θ ± δ)

et si δ est négligé, alors le débit devient : Vp · L · H · tg θ, ce qui donne le pourcentage d’erreurs suivant :

           ( tg θ
   ——————————— – 1 ) × 100
      tg (θ ± δ)

pour θ = 45° et δ = 5°, l’erreur est de +19 % ou –16 % selon la direction de la déviation.

Un trajet supplémentaire croisé donne des erreurs correspondantes dans la direction opposée ; ainsi, les erreurs se compensent et l’erreur finale est très faible.

Grâce aux progrès de l'électronique et de l'informatique, le calcul — pourtant très complexe — du temps des trajets, ainsi que la relation avec le niveau et la section mouillée correspondante ont pu être rendus économiquement viables.

[Photo : Système électromagnétique. Schéma de l'installation du bobinage dans le lit de la rivière.]
[Photo : Système électromagnétique. Schéma de l'installation du bobinage au-dessus de la rivière.]

Une bobine est placée sous le lit de la rivière, ou positionnée au-dessus de cette rivière, pour générer un champ magnétique vertical sur toute la largeur du cours d’eau (figures 3 et 4).

Des électrodes placées en opposition sur chaque rive du cours d’eau détectent une tension induite, générée par l’écoulement de l’eau à travers le champ magnétique. Des équipements contrôlent le courant dans l’enroulement et mesurent la tension induite qui est proportionnelle à la vitesse moyenne de l’eau.

Une membrane isole le potentiel induit du lit de la rivière qui, sinon, atténuerait le signal car le lit agirait en tant que conducteur électrique.

En 1832 Faraday fut le premier à réaliser que, lorsque l’écoulement de l’eau d’une rivière coupe la composante verticale du champ magnétique terrestre, une force électromagnétique proportionnelle à la vitesse de l’eau est induite le long de chaque fil d’eau, lorsque l’eau coupe les lignes du champ magnétique terrestre.

Cette méthode fut utilisée en 1953-1954 pour mesurer le débit de la marée du Pas-de-Calais en employant l’un des câbles téléphoniques déjà installés pour mesurer la f.é.m.

Si cette technique utilisant le champ magnétique terrestre donne de bons résultats sur des espaces importants, sur de petits cours d’eau la faiblesse des potentiels mesurés liés à leurs divergences rend cette technique inutilisable, à moins de créer un champ magnétique beaucoup plus fort. C’est ce que l’on fait en générant un champ magnétique alternatif avec un enroulement pontant la rivière. Les effets d’atténuation dus au lit de la rivière peuvent être évités en y posant une membrane isolante.

La loi de Faraday sur l’induction électromagnétique relie la f.é.m. générée à la longueur d’un conducteur se déplaçant dans un champ magnétique par la relation suivante :

E = Tvb (Volts)

E = f.é.m. générée au travers de l’écoulement (Volts)
T = intensité du champ magnétique (Tesla)
V = vitesse moyenne de l’eau (mètres/secondes)
b = largeur de la rivière (mètres)

L’enroulement de l’électro-aimant peut être installé dans des conduites posées dans des caniveaux creusés en travers du fond de la rivière. Pour de petits cours d’eau, inférieurs à 5-6 m, l’enroulement peut être placé au-dessus du cours d’eau.

Installation sur site

Le choix entre les méthodes électromagnétique et ultrasonique dépend de différents paramètres qui sont soit techniques soit financiers. Pour toutes les rivières de largeur inférieure ou égale à 20 m, les deux méthodes sont équivalentes du point de vue du prix. En revanche, pour des rivières de largeur supérieure à 20 m, la méthode électromagnétique devient très coûteuse car il faut installer le bobinage et surtout la membrane. Du point de vue technique les informations suivantes sont à prendre en compte pour le choix de la méthode utilisée :

• la navigation affecte de façon temporaire le système à ultrasons : l’onde acoustique est en effet interrompue lors du passage d’un bateau ou de toutes autres particules importantes, ce qui n’affecte pas la méthode électromagnétique ; sa membrane pourtant est vulnérable ;

• l’instabilité des fonds n’a pas d’incidence sur le système électromagnétique, mais entraîne des effets importants sur le système ultrasonique ;

• la végétation aquatique, les bulles d’air, les particules en suspension peuvent entraîner des diffractions ou la dispersion des ondes acoustiques ; en revanche, le système électromagnétique n’est pas touché ;

• les gradients de température affectent directement la vitesse de propagation du son dans l’eau et peuvent donc perturber la mesure acoustique, alors que le système électromagnétique n’est pas du tout influencé ;

• les rivières avec des courants transversaux ou biais sont gênantes pour la méthode ultrasonique ; c’est pourquoi on travaille dans des sections rectilignes ; en utilisant des cordes croisées, on peut toutefois réduire l’effet de ces courants transversaux. La méthode électromagnétique n’est pas sensible à ces courants.

Il faut noter d’autre part que les rivières peu profondes se prêtent mal à l’installation de stations acoustiques, car les ondes peuvent se réfléchir sur la surface ou sur le fond et altérer la précision des mesures. La qualité de ces mesures de débit en continu varie en fonction des sites d’installation. C’est ainsi que des stations ultrasonores en fonctionnement depuis des années (par exemple sur la Tamise) permettent d’obtenir une précision supérieure à 5 % ; dans les stations électromagnétiques (par exemple celles équipant des fermes piscicoles) on dépasse 2 %.

Cette précision est souvent un compromis entre le coût de l’installation et le résultat recherché ; plus on installe de capteurs ultrasoniques, plus la précision sera grande, mais l’investissement est plus important. C’est pourquoi en général on se contente d’une précision de 5 % en installant un nombre limité de capteurs.

Conclusion

La mesure du débit des cours d’eau est indispensable si l’on veut maîtriser les problèmes qui se posent aussi bien en période de sécheresse que lors de périodes de crues. Des pays comme la Hollande et surtout le Royaume-Uni utilisent depuis longtemps à cet effet les méthodes électromagnétiques et ultrasoniques.

La méthode électromagnétique est le plus souvent réservée à des mesures sur de petites rivières très poissonneuses, ou dans le cas où le système ultrasonique ne fonctionne pas.

La France possède dans ce domaine un retard important, mais il semble qu’elle est maintenant disposée à le rattraper. Ainsi en témoigne l’installation en cours d’une station de mesure ultrasonique sur le canal à grand gabarit de Neufossé.

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