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Les mesures de débit dans les écoulements en surface libre

29 novembre 1996 Paru dans le N°196 à la page 37 ( mots)

La mesure de débit dans les écoulements en surface libre nous oblige dans tous les cas à une mesure de niveau d'eau. Cette mesure peut être réalisée de différentes manières. Chaque méthode ayant ses particularités métrologiques et ses exigences d'implantation sur site. Nous devons accompagner cette mesure d niveau de moyens permettant l'obtention du débit. Nous pouvons avoir recours à des courbes liant hauteur à débit, cela nécessitant toujours un jaugeage. D'autres techniques permettent de mesurer en continu des vitesses d'écoulement sur les surface mouillée transverse à partir des valeurs brutes fournies. Cela nécessite alors une bonne connaissance des principes de mesure de vitesse utilisés mais aussi une connaissance des caractéristiques d'écoulement. Là encore, il est difficile d'échapper à un ou plusieurs jaugeages sur site.

Depuis plusieurs années déjà, un grand nombre de moyens de mesure de débit ont été étudiés et réalisés, tant pour les écoulements en conduite que pour les écoulements en surface libre. Si la mesure en conduite en charge semble aisée, il n’en va pas tout à fait de même pour les écoulements en surface libre. En effet, pour ces dernières, non seulement les « tailles » des écoulements sont très diverses, mais aussi les types d’écoulement. Par ailleurs, les mesures précises en continu des débits sont de plus en plus demandées, tant dans les domaines gérant les ressources en eau que dans le contrôle des flux de pollution. La précision sur la mesure devient un facteur de choix important surtout pour des applications où le débit est intégré sur de longues périodes. Cette précision est également importante quand le débit est une grandeur fondamentale pour l’élaboration de modèles mathématiques prédictifs.

Pour obtenir une bonne qualité de mesure, il convient donc de ne pas perdre de vue les paramètres pouvant influencer celles-ci. La précision finale du mesurage dépend du choix du système adapté au site. Or ce choix ne peut être motivé qu’en connaissant précisément les paramètres dont dépendent les systèmes de mesure ainsi que les possibilités de corrections dont disposent les appareils. L’étude qui va suivre tente donc d’analyser objectivement de quoi dépend la précision de différentes techniques de mesure nécessaires à l’évaluation du débit en canaux et rivières.

Mesure de débit : deux cas à différencier

Nous pouvons distinguer deux conditions de mesure du débit liées au type d’écoulement. La première concerne les écoulements que nous qualifions d’univoques. Nous entendons par là que la vitesse d’écoulement est en relation univoque avec la hauteur d’eau. Nous incluons également sous ce vocable le fait qu’en aucun cas il n’y a interaction de l’aval sur l’amont. Dans ce cas il suffit de connaître la loi liant la hauteur d’eau au débit ainsi que la mesure de cette hauteur pour obtenir la valeur du débit.

Le second type de mesure de débit porte sur les écoulements que ne couvre pas la définition ci-dessus. En raison d’une absence de loi univoque liant débit et hauteur d’eau, nous sommes obligés de mesurer la vitesse moyenne de l’écoulement dans sa section transverse. La section mouillée devra également faire l’objet d’une mesure.

Dans tous les cas de figure, une mesure de hauteur d’eau nous est imposée, soit pour déduire par abaque la valeur du débit, soit pour obtenir par une table la valeur de la section mouillée. Cette dernière loi hauteur–section transverse se mesure par jaugeage et relevé topographique des lieux. Nous analyserons dans un premier temps les méthodes de mesure de niveau les plus répandues actuellement, basées

[Photo : Fig. 1 : Cas idéal d’un système impulsionnel.]
[Photo : Fig. 2 : Forme typique d’un écho réel.]
[Photo : Fig. 3a : Signaux faiblement bruités.]
[Photo : Fig. 3b : Incertitude de la mesure en régime bruité.]

sur la pression hydrostatique ou la méthode ultrasonore. Nous parlerons ensuite des techniques ultrasonores de mesure de vitesse d’écoulement en continu.

Mesure de hauteur d’eau par pression hydrostatique

Cette mesure nécessite soit un capteur de pression immergé, soit un système d’injection d’air permettant une mesure de pression déportée à l’extérieur de l’écoulement. Dans ce dernier cas, nous jouissons d’une mesure « sans contact » et l’appareil de mesure peut être placé à un endroit éloigné de la berge à la convenance de l’utilisateur. Une fois la pression connue, il suffit d’appliquer la formule suivante pour en déduire la hauteur d’eau :

h = (P_h − P_a) / (ρ g) (1)
P_h = pression hydrostatique absolue mesurée [Pa]  
ρ  = masse volumique du liquide [kg m⁻³]  
g  = accélération de la pesanteur [m s⁻²]  
P_a = pression atmosphérique à la surface [Pa]

Cette équation met en lumière les paramètres utiles à la détermination de la hauteur d’eau.

* La masse volumique de l’eau, souvent considérée comme constante, varie en fonction de la température, de la pression et de la salinité. L’influence de la pression sur ce terme peut être négligée en raison d’une part de la faible compressibilité de l’eau et d’autre part des faibles hauteurs d’eau à mesurer. Cette influence suit en effet la loi suivante :

ε_g = coefficient de compressibilité [m s sec] (2)

Elle vaut 25·10⁻⁷ h² pour l’eau.

La température joue également un rôle mineur sur ce paramètre. En effet, la masse volumique de l’eau varie de 0,16 % lorsque la température passe de 0 °C à 20 °C. Par contre, la salinité modifie la masse spécifique de l’eau en des termes sensibles. En effet, prendre une eau de mer pour de l’eau douce entache la mesure d’environ 3,5 % d’erreur.

* L’accélération de la pesanteur peut être considérée à juste titre comme constante. D’après Helmert, elle fluctue néanmoins selon la formule empirique suivante :

g = 9,80616 − 0,025928 cos (2θ) − 3,086·10⁻⁷ Z (3)
θ = latitude  
Z = altitude référencée au niveau de la mer [m]

* La pression atmosphérique est une valeur facile à prendre en compte grâce à

[Photo : Fig. 4 : Influence de la température, de la profondeur et de la salinité sur la vitesse du son dans l'eau.]
[Photo : Fig. 5 : Configuration optimale pour la mesure de débit via la technique par injection d'air intégré à un canal Venturi.]

L'emploi d'un capteur différentiel. Cependant, une différence de hauteur entre la surface du liquide et l'endroit de prise de pression atmosphérique induit une erreur minime mais réelle sur la mesure. Pour une dénivellation de 10 mètres entre la surface de l'eau et la prise de référence à l'atmosphère, nous induisons une imprécision de ~0,12 % sur la mesure de hauteur si l'air est à 15 °C.

L'analyse de l'équation (1) ne suffit malheureusement pas à l'étude complète des sources d'erreurs possibles sur la mesure. Une précaution supplémentaire doit être prise lors de l'installation du système dans le cours d'eau. En effet, une position incorrecte de la sonde dans l'écoulement peut engendrer de déplorables erreurs de mesure dues à l'effet Pitot. Toute composante de vitesse du fluide perpendiculaire à la membrane du capteur de pression induira en effet une composante de pression « dynamique » dont la valeur suit la loi suivante :

ε_d = (Vitesse_f²) / 2g

Des précautions doivent donc être prises pour la mesure dans des écoulements turbulents.

Ainsi donc, la mesure de hauteur par pression hydrostatique dépend de plusieurs grandeurs d'influence. Nous pouvons dissocier les phénomènes statiques (liés à la masse volumique du liquide, l'altitude, la latitude, la température et la salinité moyenne de l'eau ainsi que la position de la prise de pression dans l'écoulement) des phénomènes dynamiques (turbulences en cas de crue, houle, variation de salinité, ...). Les phénomènes d'influence statiques, liés au site, peuvent être compensés si l'appareil permet un calage de zéro sur site ainsi qu'une adaptation du gain.

Les erreurs dues aux phénomènes dynamiques peuvent en partie être évitées par le choix correct du site, et combattues par un filtrage sur les mesures.

Mesure par ultrasons

La mesure de distance h séparant le système ultrasonore du dioptre air/eau se mesure comme suit :

h = c T / 2

c = vitesse de propagation du son dans le milieu considéré  
T = temps de propagation de l'onde

Au regard de cette équation, tout semble indiquer que ce type de mesure comporte beaucoup moins de paramètres d'influence que celui décrit plus haut. Comme nous allons le voir, la réalité est bien plus sournoise. En effet, se cache derrière cette méthode toute la problématique de détection de l'écho et des lois de propagation des ultrasons.

La qualité du détecteur d'écho influence directement la précision sur la mesure. La qualité de l'écho quant à elle est fortement tributaire des effets d'atténuation du signal lors de son parcours entre les capteurs ultrasonores et la cible.

Dans l'air, la dégradation de l'écho est sujette au vent, à l'humidité, à la pluie mais également aux mousses en surface de l'eau. Ces dernières peuvent absorber totalement l'onde et ne renvoyer aucun écho. Dans l'eau, intervient la quantité des matières en suspension, y compris les bulles d'air, mais aussi l'absorption moléculaire et les mousses en surface. De plus, en raison de la propagation des ultrasons par fronts sphériques, l'énergie est diffusée de manière pondérée dans toutes les directions. Ainsi, l'amplitude du signal ultrasonore décroît suivant une loi quadratique en fonction de la distance. La manière dont le détecteur se comporte face à un signal atténué et donc bruité est par conséquent une source importante influant la précision, la reproductibilité et la robustesse de la mesure.

Malheureusement, la plupart des systèmes ultrasonores bon marché travaillent selon la méthode impulsionnelle. Cette dernière souffre d'une déplorable inefficacité à gérer les échos bruités. Pour motiver nos propos, partons du cas idéal illustré à la figure 1.

De tels systèmes travaillent en général à seuil fixe. Comme l'amplitude de l'écho décroît notamment avec la distance, le moment de détection (T dans l'équation (5)) de l'écho est entaché d'une erreur décroissante avec son amplitude. Ce problème peut être levé par l'utilisation d'un contrôle automatique de gain, rendant l'amplitude de l'écho constante, quelle que soit l'atténuation.

La position du seuil est également délicate à fixer : trop basse, elle risque de provoquer de fausses détections en milieu bruité. Trop élevée, elle risque d'augmenter les cas de non-présen-

[Photo : Fig. 6 : Système de mesure de vitesse par temps de transit mono-corde.]
[Photo : Fig. 7 : Linéarisation du profil de vitesse et illustration de la mesure de rugosité.]

ce d’écho, invalidant ainsi la mesure. Pour éviter le problème fondamentalement lié aux cas de faibles rapports signal/bruit, la seule solution consiste à augmenter l’amplitude de l’impulsion émise. C’est pourquoi la plupart de ces systèmes travaillent avec des impulsions de 50 V, 100 V, voire plus...

Sur la figure 1, nous pouvons également comprendre qu’un écho à front raide rend la détection plus facile et plus précise. Or, toutes choses étant égales par ailleurs, ce paramètre est directement lié à la bande passante et à la fréquence centrale des transducteurs. Pour de larges bandes passantes et des fréquences élevées, l’écho sera plus bref dans le temps ; ce qui explique la raison pour laquelle la piètre précision de tels systèmes s’améliore néanmoins lorsqu’ils travaillent à hautes fréquences. Un autre problème plus subtil encore se greffe à tout ceci. En réalité, les transducteurs ultrasonores ont une bande passante de fréquences très étroite liée à l’utilisation de céramiques piézo-électriques dépourvues d’amortissement [1]. De ce fait, l’écho reçu est relativement long dans le temps. Comme le montre la figure 2, l’écho reçu se présente donc sous forme d’une oscillation rapide (dépendant de la fréquence centrale) sous une enveloppe plus lente (influencée par la bande passante).

Comme la plupart des systèmes se contentent de travailler directement sur l’écho (oscillant), une imprécision égale à la longueur d’onde se greffe à la mesure du temps de vol. À 40 kHz, cette longueur d’onde vaut environ 8 mm dans l’air. Cela correspond à une erreur de 4 mm environ sur la mesure de distance. Il serait vain d’en dire plus ici sous peine de devoir développer plus en détail les différentes conceptions de détecteurs utilisant la méthode impulsionnelle. Retenons simplement qu’en raison de la médiocre performance par rapport au bruit, de tels systèmes sont très vite limités en précision. Retenons également que l’utilisation de céramiques piézo-électriques en guise de transducteurs induit un étalement de l’écho dans le temps. Perdant ainsi son caractère impulsionnel, son avènement dans le temps est moins précis, induisant de semblables conséquences sur la mesure.

Enfin, pour se donner une idée de la qualité de ces détecteurs face à une dégradation du rapport signal à bruit du signal reçu, nous avons réalisé 950 mesures sur une distance faible (7,5 cm). Nous avons ajouté de faibles bruits (figure 3.a) avant de réaliser un contrôle automatique de gain et une détection sur un seuil fixe à 50 % de l’amplitude maximale. Les résultats sont présentés ci-dessous sur la figure 3.b.

D’autres techniques de traitement du signal plus élaborées [2], [3], telles que les méthodes à compression d’impulsion [4] permettant d’améliorer la qualité de la détection, diminuant ainsi l’imprécision sur la mesure. Ces techniques, basées sur la corrélation [5] entre signal émis et signal reçu, sont tout à fait optimales pour ce genre d’application. Malheureusement, les systèmes à compression d’impulsion, éprouvés depuis plusieurs années, ont du mal à se frayer une place dans le domaine des capteurs pour l’environnement commercialisés aujourd’hui. Cela est dû, nous semble-t-il, au cloisonnement des disciplines (la corrélation étant largement utilisée en télécommunication et peu en métrologie classique) mais aussi à la difficulté d’adapter cette méthode en pratique grâce à une électronique bas coût.

Outre les difficultés de traitement correct des signaux pour la mesure du temps de vol, il nous faut connaître la vitesse du son pour obtenir la mesure de distance. Dans l’air, la vitesse du son dépend de la température, du vent et de l’humidité. Le principal paramètre dont il faut tenir compte reste sans conteste la température, où la variation est de ~1 % tous les 6° :

(6)

Malheureusement, cette correction en température n’existe pas toujours sur les appareils bon marché. De surcroît, il existe très souvent dans l’air un gradient de température entre la surface de l’eau et le capteur tel que des erreurs de plus de 5 % peuvent survenir à certains moments de la journée.

Lorsque nous travaillons avec des capteurs immergés pointant du fond du cours d’eau vers la surface, nous pouvons supposer la température du liquide plus homogène. Il faut néanmoins la mesurer si nous voulons prétendre à des mesures précises. En effet, la célérité du son dans l’eau varie selon la loi générale suivante :

\(c(T) = 149\,144,565 + 10,048\,T + 134\,E\,(T - 35) - 0,012\,(E - 35) + 0,0164\,Z + 0,00015\,Z^{2}\)

\(T = \text{température}\,[^\circ\text{C}]\)  
\(Z = \text{profondeur}\,[\text{m}]\)  
\(E = \text{salinité}\,[/]\)

Les graphiques suivants permettent d’illustrer cette formule. Entre 0 et 25 °C, ce paramètre varie de 5,4 % environ.

Nous voyons donc par cette brève analyse des télémètres ultrasonores, technique fort populaire, que le traitement du signal et la qualité du détecteur s’avèrent être pour une grande part responsables de la qualité de la mesure finale. L’atténuation subie par l’onde dans le milieu de propagation a d’autant plus d’effet sur la précision et la robustesse de la mesure que le

Détecteur est de piètre performance en présence de bruit. Outre une grande part de la qualité du télémètre dévolue au traitement du signal, nous connaissons également la place que prennent les grandeurs d’influence pour l’obtention d’une mesure fidèle. La température reste sans nul doute le facteur le plus important à mesurer pour corriger la mesure. Ainsi donc, tout appareil ultrasonore dépourvu de système de compensation en température ne peut prétendre à de bonnes précisions pour la gamme de température habituellement large que l’on rencontre dans le domaine de l'environnement.

Comme pour la mesure par pression hydrostatique, toute inhomogénéité en température, en salinité, ... du milieu troublera la justesse de la mesure. Ces phénomènes seront difficiles à contrer. Ainsi, contribueront-ils à une incertitude résiduelle sur la mesure.

Mesure directe de débit dans les écoulements univoques

Comme nous l’avons précisé au début de cet article, la mesure du débit se réduit à un mesurage de hauteur d’eau et à la connaissance de la loi univoque liant débit et hauteur d’eau. Ces méthodes nécessitent des cours d’eau où existe une perte de charge suffisante, c'est-à-dire une certaine pente. Sachant à quoi s’en tenir pour la mesure de hauteur, il ne reste ici qu’à parler des courbes hauteur-débit.

Pour des fleuves ou rivières, cette courbe est souvent obtenue par jaugeage sur site. Ce travail s’effectue par relevé du profil de vitesse sur la surface transverse d’écoulement. Cette manipulation doit être renouvelée à différents régimes du cours d’eau (étiage, régime « normal », crue, ...). Ces relevés doivent être réalisés fréquemment en raison des évolutions au cours du temps de la section d’écoulement, des changements de rugosité du lit et des berges où le développement d’algues joue un rôle non négligeable. Tous ces phénomènes peuvent effectivement modifier les conditions d’écoulement et, par là, la loi hauteur-débit.

Pour des rejets d’établissements industriels, de collectivités, de stations d’épuration, ... se faisant par des canaux de faibles ou moyennes tailles nous pouvons recourir à des dispositifs déprimogènes placés dans le cours d'eau. Ces dispositifs étant les seuils jaugeurs, les déversoirs à paroi mince et les canaux Venturi.

Grâce à ces organes à contraction, le niveau amont mesuré en un point judicieux permet de déterminer le débit. Il existe en effet des lois d’installation stipulant pour chaque dispositif la distance à laquelle doit se faire la mesure par rapport à la contraction. Pour ces dispositifs, leur horizontalité doit être respectée pour que l’abaque Q(h) fourni par le constructeur soit applicable.

Pour les seuils jaugeurs, le type d’équation liant hauteur à débit est le suivant :

Si le canal est parfaitement installé,

Q(h) = C √g K h^{3⁄2} (8)

où :

g = accélération de la pesanteur  
h = hauteur d’eau mesurée en amont  
C = coefficient dépendant du seuil jaugeur  

L’abaque fournit une incertitude résiduelle sur le débit de ≃ 3 % de la pleine échelle.

Encore faut-il une mesure précise de la hauteur d’eau. L’erreur relative sur la mesure du débit suit ici la loi suivante :

ε_Q = 3 ⁄ 2 ε_h (9)
ε_Q = erreur relative sur la mesure de débit  
ε_h = erreur relative sur la mesure de hauteur  

Pour une tolérance désirée sur la mesure de débit, le caractère non linéaire de la courbe nous oblige donc à augmenter la précision de la mesure de hauteur d’un facteur valant ici 1,5.

Il en va de même pour les déversoirs. Celui-ci se présente sous forme d’un canal où se dresse dans le fond une plaque mince aménagée d’un orifice ouvert pour le passage de l'eau. Le profil de cette ouverture peut être rectangulaire, triangulaire, circulaire ou plus compliqué encore. De cette forme dépend la loi Q(h) qui suit alors une relation dépendant de h, de h^{3⁄2} ou de h^{5⁄2}. La possibilité d’imbriquer plusieurs profils permet de modifier la courbe de manière à augmenter la sensibilité de la mesure du débit à certaines hauteurs d’eau.

La mesure de hauteur par ultrason immergé reste quasi impossible en raison de la qualité souvent médiocre des eaux s’écoulant dans ces canaux. En effet, nous savons que ces organes à contraction s’utilisent presque toujours pour des rejets industriels. Or une eau fortement chargée est non seulement imperméable aux ultrasons, mais provoque aussi des dépôts tels qu’ils peuvent couvrir complètement les transducteurs disposés dans le fond du canal. De plus, le caractère intrusif du capteur induit très souvent une perturbation de l’écoulement telle que l’abaque Q(h) n’est plus valable. De ce fait, la mesure finale ne peut dans ce cas prétendre à une précision moindre que 10 % rapportée à la pleine échelle.

La mesure par ultrason aérien reste envisageable. Des précautions concernant les réflexions parasites sur les bords de petits canaux doivent être prises. La largeur du faisceau ultrasonore doit donc être adaptée à la largeur du canal et à la gamme de distance mesurée. Comme l'eau drainée par ces canaux est communément de qualité douteuse, la présence de mousses en surface rend fréquemment les ultrasons inefficaces.

La méthode basée sur la pression hydrostatique doit également être prise avec précaution. Un capteur piézo-électrique immergé classique est accompagné des mêmes désavantages d’encrassement et de perturbation de l’écoulement que le capteur ultrasonore immergé. Seule la technique d’injection d’air semble parfaitement convenir dans la mesure où la prise de pression est placée dans un puits de mesure intégré au canal pour ne pas perturber l’écoulement. Ce système autonettoyant permet alors d’obtenir les précisions optimales de mesure de débit.

Mesure des débits dans les écoulements non-univoques

Pour ces types d’écoulement, il n’existe plus de relation directe entre le niveau et le débit. Dès lors, nous savons qu’outre la mesure de niveau donnant accès à la section mouillée, une mesure de vitesse moyenne sur la surface d’écoulement doit être déterminée pour calculer le débit.

Mesurer la vitesse d’écoulement par effet Doppler n’est possible que si le fluide véhicule des impuretés ou des bulles. L'appareil mesure en réalité la vitesse des particules en suspension supposées cheminer à la même vitesse que l'eau. Rappelons la formule bien connue de l’effet Doppler :

f_r = f_e (1 – v_p / c)⁄(1 + v_p / c) (10)
f_e  = fréquence d’émission  
f_r  = fréquence d’oscillation de l’onde renvoyée par les particules  
c    = célérité du son dans l’eau  
v_p  = composante de vitesse des particules dans la direction du faisceau ultrasonore  

Si la direction du faisceau fait un angle θ avec la direction d’écoulement, la formule finale à utiliser pour déduire la vitesse d’écoulement est la suivante :

v_moyenne = c Δf ⁄ (2 f_e cos θ) (11)
Δf = écart entre la fréquence émise et la fréquence reçue  

L’étude de la vitesse du son dans l'eau réalisée lors de l’analyse de la mesure de niveau par ultrason est directement applicable ici. Dans de tels systèmes, la qualité de l’écho joue un rôle décisif sur la qualité de la mesure finale. Là aussi, tous les paramètres influençant l’atténuation dont nous avons parlé concernent aussi cette méthode de mesure.

Ce type de système, souvent utilisé pour les mesures en conduites, reste difficilement fiable en rivière à cause de la taille de l'écoulement. En effet, il n’est pas facile de connaître l’endroit précis où le système Doppler réalise la mesure de vitesse. En réalité, la mesure s’effectue dans un angle solide lié au capteur utilisé. Si l'eau est fortement chargée, le volume d’eau illuminé par le faisceau est proche du transducteur ; si les eaux sont plus claires, le signal est issu d’un volume de liquide plus important et plus éloigné. Sachant que le profil de vitesse n’est pas constant en fonction de la profondeur, il est difficile de trouver le bon facteur correctif à appliquer à la mesure de vitesse pour obtenir la vitesse moyenne dans l’écoulement. Par conséquent, l’incertitude sur la position à laquelle l'appareil réalise sa mesure provoque une imprécision déplorable de plus de 10 % sur la mesure délivrée.

Les systèmes à Doppler pulsés peuvent néanmoins pallier ces problèmes mais sont encore, à notre connaissance, à l'état d’études pour ce qui concerne la débitmétrie appliquée à l’environnement.

Il semblerait qu’à l'heure actuelle, la mesure de vitesse par temps de transit soit la seule technique capable de mesurer correctement une vitesse d’écoulement pour les cours d’eau de moyennes et grandes tailles.

Comme le montre la figure 6, de tels systèmes utilisent classiquement deux transducteurs ultrasonores placés en vis-à-vis et dont la corde est en biais par rapport au sens d’écoulement. La vitesse d’une onde ultrasonore tirée en contre-sens de l’écoulement correspondra à la célérité de l’onde si le liquide était au repos diminuée de la composante de la vitesse d’écoulement dans la direction sous-tendue par les capteurs. À l’inverse, une onde envoyée dans le sens du courant vaudra la vitesse du son dans le liquide au repos ajoutée à la vitesse d’écoulement dans la direction du faisceau ultrasonore. Cette méthode de mesure à deux capteurs présuppose une hypothèse pas toujours vérifiée dans le cas des rivières naturelles : la direction d’écoulement est connue et constante entre les deux capteurs. Pour les sites où cet angle est variable ou difficile à évaluer, une mesure à 4 transducteurs avec cordes croisées permet de s’affranchir de ce problème.

Connaissant parfaitement la distance L séparant nos deux transducteurs, les mesures de temps de transit de l’onde de A vers B et de B vers A nous permettent de calculer la vitesse d’écoulement grâce à la formule suivante :

\( v_{\text{écoulement}} = \frac{L}{2D} \left( \frac{1}{T_{BA}} - \frac{1}{T_{AB}} \right) \) (12)

Les précisions temporelles à atteindre peuvent être extrêmes si la distance L ainsi que la vitesse d’écoulement sont faibles. Un exemple chiffré illustre ce propos : soit un canal large de 5 mètres, un angle de tir de 45° et une vitesse d’écoulement de 1 cm/s. Les temps \( T_{AB} \) et \( T_{BA} \) valent 4714,0674 µs et 4714,0229 µs, soit une différence de 44,4 ns. Cette très faible différence de temps, porteuse de l’information de vitesse, correspond au temps qu’il faut à l’onde pour parcourir 64 µm dans l'eau… Il en résulte donc que ce système est d’autant plus difficile à mettre en œuvre pour des canaux de petites tailles où les vitesses à mesurer sont faibles. Pour obtenir de bonnes précisions, les détecteurs utilisés doivent être particulièrement soignés. Un traitement de signal tel que la reconnaissance numérique de l’écho est également nécessaire pour pouvoir atteindre les mesures de temps aussi fines que l’exigent cette technique.

Deux techniques sont actuellement utilisées pour augmenter la différence de temps à mesurer et faciliter par là l’évaluation des temps de propagation. L’une réalise plusieurs rebouclages du signal après remise en forme à chaque passage, ce qui accroît fictivement la distance parcourue par l’onde d’autant de fois qu’il y a ré-émission du signal (augmentation de L dans la formule 12). L’autre méthode consiste à réaliser N « tirs » avec un moment d’émission aléatoire dans une fenêtre temporelle donnée. Une moyenne sur N mesures permet théoriquement de gagner un facteur √N sur la précision finale [6].

Pour améliorer l’immunité de la mesure face au bruit, de tels systèmes utilisent des tensions élevées aux bornes des transducteurs. En raison de l’absorption ultrasonore dans l’eau grandissant à mesure que la fréquence s’élève, de tels systèmes ne travaillent guère au-delà de 300 kHz environ.

Mais en général, les appareils actuels ne mesurent pas les temps de parcours absolus \( T_{AB} \) et \( T_{BA} \). Ils se contentent de mesurer directement la différence de temps de transit \( \Delta T = T_{AB} - T_{BA} \) par des techniques analogiques de charge et décharge de capacité ou des techniques numériques de comptage et décomptage d’impulsions d’horloge. Cette alternative de mesure se heurte à un autre problème lié à une grandeur d’influence capitale : la célérité du son dans le fluide lorsqu’il est à l’état de repos. En effet, la formule utilisée est la suivante :

\( \Delta T = \frac{VL}{c^{2}\cos^{2}(\Theta)} \left( \frac{vL\cos(\Theta)}{c} \right) \) (13)

En raison de la difficulté déjà citée de mesurer précisément la vitesse du son dans le fluide, et voyant que la formule 13 est une fonction quadratique de cette valeur, il est permis de douter de la précision finale de la mesure.

Après avoir mesuré la vitesse d’écoulement le long de la corde sous-tendue par nos capteurs, il faut ensuite en déduire la vitesse moyenne de l’écoulement, tâche difficile où les compétences sérieuses en hydraulique sont nécessaires.

Dans les années 70, naquit l’idée de mesurer la vitesse sur plusieurs cordes disposées à des profondeurs différentes. Cet échantillonnage du champ vertical de vitesse permet alors une intégration correcte du débit sur la surface transverse d’écoulement [7]. Outre les problèmes de coût accru de l’installation par rapport à un système mono-corde, cette manière de procéder s’avérait inefficace soit sur des sites larges et peu profonds, soit pour des cours d’eau dotés d’une variation saisonnière très importante de niveau d'eau.

Une autre méthode, basée sur l’étude hydraulique de l’écoulement, autorise l’emploi d’un système mono-corde pour obtenir un résultat aussi fiable [8]. La philosophie de la méthode repose sur la modélisation du profil de vitesse vertical par une loi de type logarithmique (14) :

\( V = \frac{V_*}{k} \, \ln\!\left( \frac{z}{z_0} \right) \)

  • \(* V_* : vitesse de sollicitation au cisaillement de la paroi*
  • \(* z_0 : hauteur de rugosité hydraulique*\)

L’étude de cette équation permet de constater que toutes les courbes passent par un même point situé à ~40 % de la hauteur d’eau totale, quelle que soit la rugosité.

…l’endroit correspond exactement à la vitesse moyenne du profil.

Si nous travaillons sur un canal rectangulaire où la hauteur reste constante quel que soit le débit, nous pouvons placer nos transducteurs ultrasonores à ~40 % de la hauteur pour obtenir directement une mesure correcte. Aux alentours de cette hauteur remarquable, la rugosité des parois n’a guère d’influence sur la mesure.

Dans le cas contraire où la hauteur d’eau varie, nous devons calculer le facteur multiplicatif qu’il convient d’affecter à la mesure brute pour obtenir la vitesse moyenne de l’écoulement. Or ce facteur correctif est étroitement lié à la rugosité des berges et du fond. Pour déterminer ce paramètre, une mesure à deux profondeurs différentes suffit, comme le montre la figure 7.

Malheureusement, la plupart des rivières ont une section transverse très irrégulière. Des modèles numériques complexes élaborés par certains fabricants spécialistes dans ce domaine permettent néanmoins de calculer avec fidélité les profils de vitesses pour différentes hauteurs d’eau. Sur base de la position des transducteurs et de la nature des berges et du lit du cours d’eau, ces algorithmes fournissent alors une table des facteurs correctifs à apporter à la mesure brute en fonction de la hauteur d’eau. Ceci permet d’obtenir des résultats sur le débit final précis à 4 voire 3 % de la pleine échelle.

Une réactualisation régulière de cette table est utile si nous voulons tenir compte de l’évolution temporelle des cours d’eau, cela nécessitant des jaugeages périodiques.

Conclusion

S’il est aisé de parler des précisions en limnimétrie et de développer les grandeurs d’influence associées à chaque méthode de mesure, nous voyons que le problème est bien plus complexe pour la mesure de vitesse d’écoulement en surface libre. Mis à part les écoulements univoques de tailles modestes où des canaux déprimogènes s’avèrent très efficaces, l’exactitude des mesures de débit implique des jaugeages fréquents sur site ainsi qu’une très bonne compétence en hydraulique. Il ne s’agit donc plus uniquement d’avoir des appareils précis, encore faut-il savoir exploiter correctement les mesures brutes utiles à l’élaboration du débit.

[Encart : texte : Bibliographie [1] « Manuel d’application des céramiques piézoélectriques PXE », RTC, 1981. [3] Parrilla M., Anaya J.J., and Fritsch C., « Digital Signal Processing techniques for high accuracy ultrasonic range measurements », IEEE Trans. on Instrumentation and Measurements, vol. 40, n° 4, August 1991, pp. 759-763. [4] « Théories et techniques de la détection en acoustique sous-marine et traitement du signal », Colloque National du Groupe d’Étude du Traitement du Signal, collection technique et scientifique de C.N.E.T., éd. de la société Revue d’optique, 1968. [5] Eugène C., Decoster Y., « Systèmes de mesure par ultrasons utilisant la corrélation, application à la robotique et à l’hydraulique », journées d’étude SITEL-SRBE Capteurs Intelligents : État de l’Art et Perspectives, Bruxelles, 8 mars 1995. [6] Perillat O., Herigault J., « Le réseau de distribution d’eau potable à Paris : mesures de débit in situ, comparaison de débitmètres installés à demeure à des étalons », La Houille Blanche, n° 7, 1994, pp. 56-66. [7] Documentation technique de Ultraflux.]
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